Seconde partie de l'analyse de Stephane Juffa
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Une partie d’échecs avec le Diable (suite et fin)
Par Stéphane Juffa
Les analystes du gouvernement hébreu complètent la démystification de la manœuvre de diversion de Khamenei en demeurant dans une logique implacable : "Le but du régime iranien consiste à passer un accord qui ne l’obligerait qu’à abandonner une part insignifiante de son programme nucléaire, mais qui lui permettrait cependant, au moment où il le déciderait, de le remettre en marche et d’atteindre rapidement l’arme atomique".
On note aussi, dans les milieux proches de l’establishment de la Défense israélienne, que Fodow fait l’effet d’un drap rouge agité devant les yeux de la communauté internationale comme devant ceux d’un taureau. De plus, "grâce aux opérations de sabotage, aux virus informatiques, aux raids de toutes sortes – connus et ignorés du grand public -, il a été possible de compliquer significativement l’exploitation de ce site, creusé dans une montagne, d’accès difficile et vulnérable", nous a-t-on confié, "sa fermeture n’est donc pas une mauvaise affaire pour Téhéran".
Les Iraniens s’investissent de plus en plus dans le processus de fabrication d’une bombe au plutonium. Lors, il ne suffirait pas qu’ils s’engagent à cesser le traitement de l’uranium pour "fermer le dossier du nucléaire iranien", il est aussi absolument nécessaire de les empêcher de travailler le plutonium.
Un proche conseiller de Netanyahu me fait remarquer que s’ils entendaient véritablement mettre un terme à leur programme, les Perses ne souffriraient d’aucun désagrément en acceptant les conditions édictées par le 1er ministre ; à savoir, cesser l’enrichissement de l’uranium, se séparer de l’uranium déjà enrichi, démanteler Fodow et arrêter le programme du plutonium.
"Et s’ils désirent de l’uranium pour effectuer des recherches dans le domaine médical", m’affirme la même source, "ils n’ont qu’à conserver quelques kilos d’uranium enrichi à 3% ; personne n’a jamais entendu parler d’un appareil médical qui utiliserait un enrichissement supérieur", ajoute-t-il, "ces gens doivent décider s’ils veulent soigner les malades ou les rôtir", note-t-il avec le sourire, "et ils possèdent suffisamment d’uranium à 3% pour 10 000 ans de recherche médicale", conclut mon interlocuteur sur le même ton.
Rohani va probablement prononcer un discours hyper-pacifiste à l’ONU ; pas une harangue idéologique mais quelque chose qui ressemblera à une proposition pratique et tentante.
Les conseillers des chefs d’Etat occidentaux ne sont peut-être pas au niveau de leurs homologues perses, mais ils ont également appris les principes de la diversion à l’université. Tous ne sont pas naïfs au point de croire n’importe quoi. Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, s’est ainsi fendu d’une mise au point après la publication de l’existence d’échanges épistolaires entre les deux présidents : "la fenêtre d’opportunité pour résoudre cela diplomatiquement est ouverte, mais elle ne le restera pas indéfiniment".
D’autres diplomates nous ont dit attendre avec impatience une nouvelle réunion prévue le 27 courant à Vienne. A cette occasion, ils devraient recevoir la réponse de Salehi quant à la requête toujours rejetée par Ahmadinejad de laisser les inspecteurs de l’AIEA visiter le site de Parchin, où ils soupçonnent les Iraniens d’avoir réalisé des tests de matériels nucléaires à usage exclusivement militaire. "Nous allons vite voir s’ils bluffent ou s’il y a matière à discuter", m’a dit un vieux diplomate britannique, ami de la Ména depuis ses débuts.
Hassan Rohani, sous le regard lourd du fantôme de Khomeiny
La diversion, c’est Rohani ; choisi par le régime parce qu’il inspire la confiance
Que nous soyons en présence d’une tentative de diversion de la part de Téhéran ne fait l’objet d’aucun doute sensé : si Téhéran avait continué de se livrer aux activités d’enrichissement au rythme qui était le sien en mars dernier, il se serait par trop approché du point de non-retour et Israël, au moins elle, serait déjà intervenue militairement.
Mais je veux évoquer en conclusion de cet article une hypothèse un peu plus complexe, et c’est celle à laquelle je crois. Il est déjà advenu, par le passé, que des pays aient lancé des diversions, non pas afin de réaliser un plan ou une opération militaire spécifique, mais afin d’élargir l’éventail de leurs choix. De s’extraire du coin du ring dans lequel ils étaient confinés.
L’ambassadeur japonais Nomura a toujours prétendu qu’il avait mené les négociations de paix de bonne foi et qu’il avait été surpris autant que les Américains par la nouvelle de l’attaque de Pearl Harbour. Nombre de chercheurs l’ont cru.
Il est par ailleurs fréquemment arrivé que des régimes aient utilisé leurs propres officiers ou diplomates sans les avertir dans des processus de diversions. Les gens agissant de bonne foi sont plus convaincants.
Il se pourrait, en théorie au moins, qu’Hassan Rohani, comme Nomura avant lui, fasse l’objet d’une manipulation de la part de ses chefs et de leurs stratèges ; j’ignore si c’est le cas, l’hypothèse n’est pas à exclure mais elle ne change de toute façon strictement rien à la donne.
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