DSK menotté, des poursuites possibles contre les médias français
Le Point.fr - Publié le 17/05/2011 à 18:59 - Modifié le 18/05/2011 à 12:03
L'un des avocats de Dominique Strauss-Kahn menace les médias après la diffusion d'images de son client entravé.
Les images de Dominique Strauss-Kahn menotté ont fait le tour du monde. © Anthony Behar / Sipa
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Coup de semonce du CSA contre les images de menottes
Après le coup de semonce du CSA concernant les images de la chute de DSK, les chaînes de télévision françaises sont bien embêtées. Que faire quand les Sages appellent à "la plus grande retenue" après le déferlement, sur tous les supports et en quasi continu sur les chaînes info, des images de l'audience du patron du FMI ou de sa sortie du commissariat de Harlem, les mains menottées dans le dos ? En outre, Dominique Leusse, l'un des avocats français du patron du FMI, a déclaré sur France Info que son client envisage de poursuivre les médias français qui contreviendraient à la loi Guigou. Une décision serait prise "dans les deux ou trois jours qui viennent" en raison du fait que ces images "portent atteinte à la dignité de Dominique Strauss-Kahn et à sa présomption d'innocence au sens de la loi française", a-t-il expliqué.
"Nous sommes coincés par une terrible contradiction, répond Thierry Thuillier, le patron de l'information du groupe France Télévisions. Coincés entre la loi qui prohibe ces images et le devoir ou le droit d'informer." Même dilemme du côté de M6, dont Jérôme Bureau tient les commandes. "La mondialisation du champ journalistique est telle qu'aujourd'hui les images de DSK que les chaînes françaises ne devraient pas montrer sont très facilement à la portée des téléspectateurs, ne serait-ce que sur Internet", analyse-t-il. Catherine Nayl, la patronne de l'info du groupe TF1, souligne, quant à elle, que les JT de la Une ont fait une "utilisation modérée" des images litigieuses. "Nous avons utilisé ces images pour illustrer les reportages factuels et dans les titres à 20 heures. Nous ne les avons pas réutilisées autrement. Elles n'ont pas servi d'images prétextes. Le droit à l'information et le droit de la personne s'affrontent. Les images de l'audience seront réutilisées ne serait-ce que pour expliquer la différence entre la procédure accusatoire américaine et notre système judiciaire", précise-t-elle. Canal+ n'a pas encore répondu à nos appels.
"Une image choc comme celles du 11 Septembre" (M6)
"Sur France 2, les images de DSK sortant du commissariat étaient indispensables pour trois raisons, plaide Thierry Thuillier. D'abord, elles racontent le système judiciaire américain. Ensuite, elles informent sur l'état psychologique de DSK. Son regard fermé et déterminé ne donne pas le sentiment d'une situation d'indignité. C'est moins vrai concernant le images de l'audience, concède-t-il. En revanche, ces images ne doivent pas servir d'images prétextes et nous avons veillé à ce que les commentaires restent prudents et respectent la présomption d'innocence."
Pour information, les images de Dominique Strauss-Kahn ont été tournées par un pool de chaînes américaines qui les ont mises à la disposition du monde entier. "Ce ne sont pas des images spécifiquement françaises, rappelle le patron de l'info de France Télévisions. Si on interdit aux chaînes françaises de les utiliser, alors le CSA doit aussi exiger des câblo-opérateurs, des opérateurs satellitaires ou des opérateurs de TV ADSL qu'ils stoppent la diffusion de CNN, BBC, Rai, etc. On voit bien que ça devient très compliqué et que se pose, en vérité, l'applicabilité de la loi Guigou."
Aux yeux de Jérôme Bureau, le rappel à la loi opéré par le CSA n'est pas inutile. "La question doit être posée et le CSA est dans son rôle, admet-il. À nous d'arbitrer au mieux. Par exemple, doit-on rediffuser de telles images deux jours plus tard ? Depuis le 11 Septembre, nous n'avions pas connu un choc d'image du même niveau. Si nous ne les avions pas montrées, on serait dans un déni de réalité. On nous reprocherait de cacher la réalité. Tout dépend de l'endroit où on met le curseur. Ce n'est pas non plus la même chose de proposer ces images dans le cadre d'un JT qui intervient deux fois par jour et de les montrer en continu comme le font les chaînes info."
La diffusion "en boucle", question de point de vue
"Je ne suis pas du tout d'accord avec cet argument, rétorque Guillaume Dubois, le patron de l'info du groupe Next TV, éditeur de BFM TV. La diffusion dite "en boucle", ce n'est pas la réalité pour le téléspectateur, car, lui, il ne regarde pas la chaîne "en boucle". L'audience cumulée des deux JT de 13 heures et de 20 heures de TF1 et France 2, en plus des JT de M6, est bien supérieure à l'audience des chaînes info. L'impact d'une diffusion sur les chaînes historiques vaut bien ce qui est diffusé chez nous toute la journée." Pour Guillaume Dubois, les images d'un DSK abattu devant le tribunal ne participent pas forcément de la dégradation de sa dignité. "Elles peuvent, au contraire, susciter une émotion susceptible de provoquer un mouvement d'empathie devant sa situation difficile, explique-t-il. En outre, ces images sont éminemment informatives sur la réalité du système policier et judiciaire américain." Enfin, il rappelle que personne n'a soulevé ce débat quand, dans les années 1990, les images de l'arrestation d'O.J. Simpson puis celles de son procès ont été diffusées en France...
Un dernier point doit être rappelé : la loi Guigou est très large puisque les images prohibées sont celles d'"une personne menottée ou entravée" ou d'une personne "placée en détention provisoire". Le subterfuge consistant à ne pas filmer, flouter ou ne pas photographier les menottes est difficilement recevable car contraire à l'esprit de la loi. DSK était bel et bien entravé en sortant du commissariat de Harlem. Il était bel et bien placé en détention provisoire lorsque la juge Melissa Jackson a refusé sa libération sous caution. Vendredi prochain, lorsque Dominique Strauss-Kahn comparaîtra devant le grand jury, il est possible que les policiers américains l'exposent de nouveau à la curiosité publique. Faudra-t-il le filmer ? "Je pense que oui", répond Guillaume Dubois. Une réponse moins affirmative devant les menaces de poursuites brandies par l'avocat de DSK...
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