Litterature: "Partir" de Tahar Ben Jelloun, du desespoir a l'immigration
L'ecrivain le plus lu et le plus ecoute du Maroc, Tahar Ben Jelloun decrit dans son dernier livre, "Partir", le drame de jeunes Marocains prets a risquer leur vie pour fuir leur pays et tenter d'echapper au chomage et a l'humiliation.
"Partir", le titre du roman, revient jusqu'a l'obsession dans la bouche de ces jeunes desoeuvres, ces "diplomes-chomeurs" pour qui franchir les 14 km du detroit qui separe Tanger du sud de l'Espagne est desormais le seul espoir.
Couronne en 1987 par le prix Goncourt pour "La nuit sacree", Ben Jelloun, a deja ecrit une trentaine de livres, traduits en 44 langues, ou il a souvent denonce l'arbitraire et la corruption dans son "cher pays".
"La litterature peut ?tre un bon media pour faire bouger les politiques. Elle peut parfois toucher les gens, les emouvoir et les faire reflechir (...) Mon ambition est qu'un roman puisse faire bouger les choses", explique-t-il.
"Partir", dont l'action se deroule dans les annees 1990, avant l'avenement de Mohammed VI, decrit "l'incurie du systeme" qui pousse les plus jeunes a tenter de gagner l'Europe par tous les moyens.
"On m'a dit que le livre est tr?s dur pour le Maroc. Mais je pars d'une realite. Mon personnage est desespere, il en veut a son pays parce qu'il n'a pas su le retenir. (...) La litterature n'est pas faite que de bons sentiments. Elle est faite aussi de reproches, de doutes, de blessures", souligne-t-il.
Au point que l'un de ses personnages en vient a se demander s'il n'est pas devenu "raciste contre son propre camp".
"Quitter le pays. C'etait une obsession, une sorte de folie qui le travaillait jour et nuit, ecrit-il a propos du personnage principal. Comment s'en sortir, comment en finir avec l'humiliation ?"
En plein debat en Europe sur l'integration des immigres, Tahar Ben Jelloun decrit en 40 chapitres les causes de l'emigration : le chomage, l'"hypocrisie", la corruption ou la banalisation de la prostitution.
Il raconte le quotidien des meres de famille contraintes pour subsister de trafiquer des produits alimentaires avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Il decrit les tractations entre passeurs et clandestins et les corps gonfles des candidats au depart echoues sur les plages d'Espagne.
Ceux qui tentent de fuir savent que l'Europe les rejettera, qu'ils y retrouveront "les vexations et humiliations" qu'ils fuient dans leur pays. Mais rien ne les empeche de vouloir "bruler le detroit" pour "faire quelque chose de (leur) vie". Et le dernier chapitre, intitule "Revenir", laisse peu d'espoir.
Le roman doit paraitre dans quelques jours au Maroc, ou, selon l'auteur, les articles de la presse fran?aise suscitent deja des debats sur internet.
Article AFP