Un projet israélo-marocain remarquable
Article rédigé par
Arrik Delouya
Mouna Izddine (photo), journaliste et rĂ©dactrice en chef Ă Casablanca revient bientĂŽt en IsraĂ«l pour sa 3° mission ; cette fois-ci, elle est guidĂ©e par sa motivation du Projet de Livre-Documentaire filmĂ© sur des femmes juives dâorigine marocaine dans le monde.
Elle est soutenue et accompagnĂ©e par le professeur EphraĂŻm Riveline coprĂ©sident dâhonneur de lâAPJM-Paris et de Zohar-Tel Aviv et le sociologue chercheur Dr Arrik Delouya, prĂ©sident et fondateur de ces 2 associations.
Dâautres cautions morales sont attendues.
Suite Ă lâarticle de Bernard-Henri LĂ©vy Face Ă la marĂ©e noire du nouvel antisĂ©mitisme, voici ce quâelle Ă©crit Ă Arrik Delouya :
« Je viens de parcourir lâappel de BHL : je me suis toujours demandĂ© comme lui ce quâattendent les Musulmans de France pour sâindigner contre cette montĂ©e de lâantisĂ©mitisme, de la mĂȘme façon quâils le font contre lâislamophobie. Ils croient que ce nâest pas le mĂȘme combat, ce sont des cons! Pire, je pense que se taire, câest dĂ©jĂ ĂȘtre compliceâŠ
Ceux qui crient au loup islamophobe oublient que câest justement la rĂ©publique laĂŻque qui les protĂšge et leur permet dâexercer librement leur culte, mais que cette mĂȘme sĂ©paration du clergĂ© et de lâĂtat permet de critiquer les religions et nâemmĂšne pas en prison pour « blasphĂšme ».
Je pense aussi que les musulmans de France et dâEurope refusent de se remettre en cause, de comprendre quâune rĂ©forme de lâislam est nĂ©cessaire. Ils refusent de voir aussi combien le fait de voir se construire lâidentitĂ© de leurs enfants sur leur socle de lâarabo-islamitĂ© est dangereux pour eux et pour tous les non arabes et non musulmans qui les entourent.
... Son projet de livre-documentaire se dĂ©clinera sous la forme dâune sĂ©rie de 20 portraits, Ă raison de 4 femmes par pays : Maroc, France, IsraĂ«l, Canada et Ătats-Unis dâAmĂ©rique. Câest dans ces quatre Ătats hors du Maroc en effet que se concentre la majoritĂ© des communautĂ©s juives dâorigine marocaine... Un livre couplĂ© Ă un documentaire filmĂ© sur des femmes juives dâorigine marocaine qui se sont distinguĂ©es par un parcours original dans un domaine de prĂ©dilection particulier : politique, social, Ă©conomique, littĂ©raire, artistique ou religieux. Il sâagit de savoir notamment comment leur marocanitĂ©, leur histoire familiale, a influĂ© sur leur histoire personnelle, leur intĂ©gration dans leur pays dâaccueil et lâĂ©ducation de leurs enfantsâŠ
⊠Marocaine de naissance, musulmane de culture, cosmopolite dâesprit et de cĆur, cela fait plusieurs annĂ©es que je caresse lâambition de bĂątir une trajectoire constructive avec une singuliĂšre nostalgie qui mâhabite. Jâai grandi avec la cuisine de ma grand-mĂšre amazighe, mĂątinĂ©e des recettes apprises auprĂšs de ses voisines israĂ©lites Ă Zoumi et avec les rĂ©cits de mon pĂšre sur Sefrou, «la Petite JĂ©rusalem» de son enfance. Jâai Ă©galement nouĂ© de belles amitiĂ©s juives dans les Ă©coles françaises oĂč jâai suivi ma scolaritĂ©.
âŠMais dans ce Maroc oĂč je vis, au fil des ans, je vois sâĂ©vaporer comme rosĂ©e au soleil les fragments fragiles dâune communautĂ© juive deux fois millĂ©naire. Chaque annĂ©e, lâeffectif des citoyens de confession juive rĂ©sidant au Maroc sâamenuise avec le dĂ©part sans retour des jeunes pour leurs Ă©tudes supĂ©rieures Ă lâĂ©tranger, aggravĂ© par lâadieu des anciens. Des 350 000 Marocains dâobĂ©dience israĂ©lite quâil comptait au dĂ©but du siĂšcle dernier, le Maroc nâabrite plus aujourdâhui que 2 000. Une hĂ©morragie dĂ©mographique qui nâest pas sans consĂ©quences sur mon pays. Car mĂȘme si prĂšs de 50 000 Juifs dâorigine marocaine viennent tous les ans en pĂšlerinage sur les tombeaux de leurs 650 saints Ă travers le royaume, chaque jour, se creuse davantage la fosse de lâoubli de cette cohabitation millĂ©naire chez les jeunes gĂ©nĂ©rations de Marocains.
⊠Ces derniers nâont pour la plupart jamais vu ni connu de Juifs marocains et ignorent tout de ce pan de leur histoire et de leur identitĂ©, totalement occultĂ© des manuels dâhistoire scolaires. Aussi, si lâon excepte ceux qui se sont imprĂ©gnĂ©s des rĂ©cits oraux de leurs aĂźnĂ©s sur la prĂ©sence juive en terre marocaine, lâunique source dâinformation pour ces jeunes, majoritairement arabophones, est mĂ©diatique. Dans les mĂ©dias panarabes omniprĂ©sents dans les foyers marocains, on nâĂ©voque la judĂ©itĂ© que sous lâangle du conflit israĂ©lo-palestinien, avec tout ce que cela comporte comme subjectivitĂ© et dĂ©formation idĂ©ologique dâune trĂšs complexe rĂ©alitĂ©. Dans la mĂȘme optique, des gĂ©nĂ©rations entiĂšres de Marocains, Ă lâinstar de leurs jeunes voisins algĂ©riens, tunisiens, libyens ou Ă©gyptiens, sont en train de se construire avec lâarabo-islamitĂ© comme unique socle identitaire, faisant malgrĂ© eux le lit des carcans communautaristes et obscurantistes.
âŠOr, aujourdâhui plus que jamais, avec lâĂ©veil politique et culturel engendrĂ© par « le printemps arabe », puis la mention des composantes amazighe et hĂ©braĂŻque de lâidentitĂ© marocaine dans la Nouvelle Constitution (plĂ©biscitĂ©e au Maroc en juillet 2012), le moment est venu, je pense, de changer cet Ă©tat de fait. Le changement passera par la rĂ©appropriation par les Marocains de leur « identitĂ© plurielle », en leur fournissant toutes les clĂ©s de connaissance de la judĂ©itĂ© marocaine, dans ses versants sĂ©pharade et autochtone et dans les diffĂ©rentes phases de son histoire ancienne et contemporaine.
⊠Changer aussi le regard que portent les Marocains sur IsraĂ«l, pays oĂč vivent plus dâun million de citoyens aux racines marocaines et par consĂ©quent, sur la question israĂ©lo-palestinienne, sera notre dĂ©fi. Pour avoir Ă©tĂ© Ă deux reprises en IsraĂ«l, je vois rĂ©guliĂšrement des jeunes Marocains musulmans me confier leur soif de savoir sur les Juifs marocains, leur histoire, les raisons de leur dĂ©part, mais aussi leur envie de visiter IsraĂ«l pour, disent-ils, « voir de leurs propres yeux si ce quâil se raconte Ă la tĂ©lĂ© est vrai ». Certains ont mĂȘme appris des mots dâhĂ©breu, des proverbes juifs amazighs, dâautres disent ĂȘtre de grands fans de musique judĂ©o-andalouse, du thĂ©Ăątre juif marocain ou de cinĂ©ma israĂ©lien.
⊠De la mĂȘme façon que jâai pu constater, auprĂšs de jeunes IsraĂ©liens dâorigine marocaine, ce besoin vital de renouer avec la terre de leurs aĂŻeux. Ils sont ainsi nombreux Ă revendiquer haut et fort leurs racines nord-africaines, par lâĂ©criture, le thĂ©Ăątre, la photographie, la musique ou le cinĂ©ma. Des dĂ©marches artistiques qui se posent comme autant dâappels et dâinterrogations sur la marocanitĂ© qui est en eux. Cette mĂȘme marocanitĂ©, pourtant trĂšs riche de son mĂ©tissage et de ses apports a Ă©tĂ© pendant de longues dĂ©cennies douloureusement et injustement dĂ©daignĂ©e par un certain « establishment » ashkĂ©naze en IsraĂ«l. Aussi, la requĂȘte de ces jeunes, oĂč quâils se trouvent, est, Ă mes yeux, Ă©mouvante et Ă©loquente Ă la fois, car elle rĂ©vĂšle combien lâancestralitĂ© dâune culture peut sâavĂ©rer plus forte que les frontiĂšres du temps et de lâespace et comment les petites histoires de chacun survivent aux soubresauts de lâHistoire avec un grand H.
⊠En juillet 2010 et en mars 2012, lâopportunitĂ© mâa Ă©tĂ© donnĂ©e de voyager en IsraĂ«l dans le cadre dâun reportage pour accompagner la Joint AmĂ©ricaine et ensuite dans le cadre dâune mission humanitaire au-delĂ de lâHistoire, au-delĂ des vestiges, des archives et des lieux de pĂšlerinage, il fallait que notre groupe de Marocains, pour certains BerbĂšres, puisse rencontrer leurs anciens compatriotes, dans un autre pays quâils ont tant contribuĂ© Ă bĂątir tout en ne reniant jamais leurs racines. Je suis revenue bouleversĂ©e de ces sĂ©jours. De par mes rencontres avec les IsraĂ©liens et les IsraĂ©liennes dâorigine marocaine, jâai compris tout ce que nous avions perdu. Mais aussi tout ce que nous avons gagnĂ©. Si lâexode de milliers de Juifs du Maroc au lendemain de la crĂ©ation de lâĂtat dâIsraĂ«l puis de la fin du protectorat français sur le royaume a Ă©tĂ© une rĂ©elle amputation pour le Maroc et les Marocains, cette diaspora, devenue Ă©lite intellectuelle, politique, Ă©conomique et artistique aux quatre coins du monde, reprĂ©sente en effet aujourdâhui un modĂšle unique de coexistence interconfessionnelle. Mais aussi un formidable pont pour la Paix entre IsraĂ©liens et Palestiniens, ainsi quâune digue inestimable contre les extrĂ©mismes en tous genres, quâils soient politique ou religieux.
âŠDans cette diaspora, comme au sein de la communautĂ© israĂ©lite vivant encore au Maroc, les femmes sont, pour ainsi dire, « les gardiennes du temple » de la judĂ©itĂ© marocaine. Ce sont les mĂšres qui transmettent aux gĂ©nĂ©rations futures les rites, les us et les traditions communautaires. Ce sont les jeunes femmes qui reproduisent, ou redĂ©finissent, les rapports au sein du couple, de la famille, de la communautĂ© et avec le reste de la sociĂ©tĂ©. Le passĂ©, le prĂ©sent et lâavenir de la judĂ©itĂ© marocaine sont entre les mains des femmes. Et en chaque femme juive marocaine sommeille une bĂątisseuse de la paix au Proche-Orient.
⊠Câest donc auprĂšs dâelles que jâai dĂ©cidĂ© de travailler. AprĂšs mĂ»re rĂ©flexion, jâai Ă©galement dĂ©fini la forme que je souhaite donner Ă ce projet: un livre couplĂ© Ă un documentaire filmĂ© sur des femmes juives dâorigine marocaine qui se sont distinguĂ©es par un parcours original dans un domaine de prĂ©dilection particulier : politique, social, Ă©conomique, littĂ©raire, artistique ou religieux. Il sâagit de savoir notamment comment leur marocanitĂ©, leur histoire familiale, a influĂ© sur leur histoire personnelle, leur intĂ©gration dans leur pays dâaccueil et lâĂ©ducation de leurs enfants.
⊠Mon projet de livre-documentaire se dĂ©clinera sous la forme dâune sĂ©rie de 20 portraits, Ă raison de 4 femmes par pays : Maroc, France, IsraĂ«l, Canada et Ătats-Unis dâAmĂ©rique. Câest dans ces quatre Ătats hors du Maroc en effet que se concentre la majoritĂ© des communautĂ©s juives dâorigine marocaine. Je crois par ailleurs possĂ©der les atouts nĂ©cessaires pour mener Ă bien cette entreprise. Actuellement rĂ©dactrice en chef dâun magazine fĂ©minin, jâai auparavant dirigĂ© deux rĂ©dactions, un mensuel familial et un hebdomadaire gĂ©nĂ©raliste, aprĂšs une expĂ©rience de trois ans dans la premiĂšre publication politique indĂ©pendante du Maroc. Je pense pouvoir achever mon projet en 18 mois. Enfin, je ferai en sorte que ce travail ait le plus large Ă©cho possible, auprĂšs de la diaspora juive marocaine, mais aussi auprĂšs des Marocains de toutes confessions et gĂ©nĂ©rations confondues, afin quâils se rĂ©approprient leur MĂ©moire commune et jettent une nouvelle pierre dans lâĂ©difice de la paix future. »
Ce livre-documentaire en langue française devrait ĂȘtre traduit en hĂ©breu, en anglais, en arabe et en Amazigh.
Mouna Izddine est membre du RĂ©seau marocain des Femmes Journalistes.
Source : [
www.emarrakech.info]