La porte Bab Mansour à Meknès
Longtemps négligée par les agences et les guides touristiques, Meknès est loin d’avoir le prestige des trois autres grandes cités impériales du Maroc (Fès, Marrakech et Rabat). Construite au pied du Moyen-Atlas, le long de l’oued Bou Fekrane qui nourrit la plaine fertile du Saïs, la ville pourrait laisser indifférent. Cintrée par des constructions bâties à la hâte au début du XXe siècle, à une époque où la France avait logé ici le quartier général de son armée, la périphérie de Meknès à des allures de grosse bourgade endormie. Mais il faut passer ses faubourgs aux artères grises pour gagner le cœur de la cité.
En découvrant le Maroc à la fin du XIXe siècle, Pierre Loti s’est lui-même laissé surprendre par la beauté de la vieille dame fortifiée. Trois siècles plus tôt, en édifiant cette cité impériale et ses fortifications, le sultan Moulay Ismaïl (1645-1727) avait choisi la ville fondée, au IXe siècle, par la tribu berbère des Meknassas pour en faire la capitale de son royaume alaouite. En cinq décennies de règne, le célèbre admirateur de Louis XIV engage des chantiers titanesques avec un objectif : faire de Meknès le “Versailles” de son sultanat. Depuis, bien sûr, le temps est passé. Mais Meknès a su conserver certains des joyaux de cette grande folie politique et architecturale.
Meknès, la “ville des portes”. Elles viennent régulièrement briser la monotonie chromatique et massive des quarante kilomètres d’enceinte qui entourent la cité. Bab Berdaine, Bab el Khemis et surtout la plus majestueuse d’entre elles, Bab Mansour, véritable chef-d’œuvre arabo-andalou. En la découvrant, Pierre Loti ne tarit pas d’éloges : “Des rosaces, des étoiles, des emmêlements sans fin de lignes brisées, des combinaisons géométriques inimaginables qui déroutent les yeux comme un jeu de casse-tête, mais qui témoignent toujours du goût le plus exercé et le plus original, ont été accumulés là, avec des myriades de petits morceaux de terre vernissée, tantôt en creux, tantôt en relief, de façon à donner de loin cette illusion d’une étoffe brochée, chatoyante, miroitante, sans prix, qu’on aurait tendue sur ces vieilles pierres, pour rompre un peu l’ennui de ses hauts remparts.”
A l’intérieur de la cité, d’autres constructions rappellent l’ambition démesurée de Moulay Ismaïl. Au point que la royale Meknès a servi de décor à de nombreux films, dont La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese (1988). Pour résister aux sièges, le sultan alaouite souhaitait en effet que sa capitale, investie par 150 000 hommes en armes (et pas moins de 12 000 chevaux), puissent vivre en autarcie pendant… vingt ans ! Il fit donc édifier d’immenses greniers à blé (Heri es-souani) rafraîchis en permanence par un complexe et judicieux réseau de canalisations souterraines. Au nord des greniers, le bassin de l’Agdal et ses quatre hectares de réservoirs d’eau drainent, depuis quatre siècles, sur vingt-cinq kilomètres de canaux d’irrigation l’eau détournée de l’oued Bou Fekrane. Le soir, les éclairages sur ces bâtissent de voûte et de pierre bordées par les pièces d’eau créent une authentique magie.
Palais, jardins d’agrément, mosquées, médersas… D’autres lieux et édifices témoignent des prouesses de l’architecture alaouite. Mais Meknès a une autre richesse. Issus du brassage séculaire des cultures berbères, arabes (mais aussi chrétiennes et juives), ses habitants perpétuent des traditions et un art de vivre unique. “Princesse aux oliviers, elle ne connaît pas l’illusion, elle est paysanne sans rouerie, artiste par application ; seuls ses amoureux la comprennent, c’est cela qui lui importe”, écrivait de Meknès le romancier et homme politique français Michel Jobert. L’actuelle médina a gardé cet état d’esprit : les dialectes arabes et berbères s’y mélangent, tout comme s’affiche en souks organisés la diversité des métiers de l’artisanat marocain (tapis, broderie, cuir, zelliges…). Chaque année, en mai et juin, la place centrale de la médina accueille l’un des plus importants moussem du pays.
Celui qui prendra le temps de séjourner dans cette ville fière et secrète découvrira en outre une vie artistique singulière. Source:Ulyssemag