LE TRIANGLE DE VUE
par Anna RiviĂšre
Ăditions MĂ©ditâĂ©dition. Pincounillier
Lâauteur nous y conduisait sur les rives du fleuve Bou-Regreg dont lâestuaire sĂ©pare SalĂ© de Rabat. Nina, petite juive du mellah de SalĂ© revenait, en juillet 1993, sur les lieux de son enfance Ă la recherche de traces dâun monde hĂ©las aujourdâhui disparu.
Il était une fois des Juifs au Maroc. Des centaines de milliers. Et, parmi eux, Agar et son épouse, Alia et leurs trois enfants : Nina, Simon et Emma.
Comme si elle ne pouvait se faire Ă lâidĂ©e de ne plus jamais revenir au pays natal, Nina dĂ©cide de revoir encore sa maison dont elle vient dâapprendre quâelle est sur le point dâĂȘtre dĂ©molie pour laisser la place Ă un immeuble moderne. Cette fois, nous sommes en novembre 2007, et, comme en 1993, elle est accompagnĂ©e de son mari, AndrĂ©.
Comme le dit fort justement Jean-Pierre Allali dans la prĂ©face qui ouvre ce beau livre de mĂ©moire, « Pour tous les exilĂ©s du monde, le retour au pays natal, sur les lieux de lâenfance, des premiers jeux, de la premiĂšre Ă©cole et des premiĂšres amours, est un besoin viscĂ©ral, irrĂ©pressible ».
Mais que peut-on espĂ©rer dâun tel voyage du retour ? On sait que tout a complĂštement changĂ©, que les Juifs de SalĂ©, de Rabat, de Marrakech, de Casablanca, de Mogador, de KĂ©nitra et dâailleurs, ceux des villes comme ceux des montagnes, emportĂ©s par le vent impitoyable de lâHistoire, sont allĂ©s planter leurs pĂ©nates sous dâautres cieux, en IsraĂ«l ,en France ou encore au Canada. Les synagogues ont disparu, tout comme les boucheries « Kasher » devenues « Halal », les Ă©coles de lâAlliance IsraĂ©lite et mĂȘme le cinĂ©ma Le ColisĂ©e oĂč toute une jeunesse insouciante venait se dĂ©tendre en admirant Zorro et Tarzan et en rĂȘvant Ă dâautres horizons. Le cimetiĂšre de SalĂ© oĂč repose le « saint » Rabbi RaphaĂ«l Encaoua est dĂ©labrĂ©. Et le beau parc du « Triangle de vue », haut lieu des promenades dâautrefois, est mĂ©connaissable.
Restent nĂ©anmoins quelques rencontres amicales et chaleureuses comme celle avec Ali, dont la famille a bien connu, Ă lâĂ©poque, Agar et Alia, celle avec Akim, homme de tolĂ©rance et de paix ou encore avec Mehdi, ancien pilote de ligne Ă la retraite particuliĂšrement affable et serviable. Et puis, quand mĂȘme, quelques petits miracles : la pĂątisserie suisse, Au DĂ©lice et sa concurrente La Riviera qui servent toujours les mĂȘmes gĂąteaux au miel accompagnĂ©s dâun thĂ© Ă la menthe, lâĂ©picier dâantan et le bain maure sont toujours au mĂȘme endroit , le marchand mitoyen de beignets sfenjs, aussi. Sans oublier les petits cireurs de souliers qui proposent toujours leurs services aux passants et aux touristes.
Nina quittera les rives du Bou-Regreg en emportant quelques zelliges, carreaux de faïence bigarrés ornés de motifs géométriques qui recouvraient les murs de sa maison natale.
Le rĂ©cit est entrecoupĂ© de retours sur le passĂ© distinguĂ©s par lâitalique qui sont autant de portraits Ă©mouvants de parents et dâamis dâantan : Jacob, Michel, Pablo, RaphaĂ«l, Julien, Pierre-Louis, Elihamecoubal, Joseph, Miryem, Mireille, Isabelle, Raymonde, LĂ©a , Simone, Denise et les autres. De nombreuses photographies et un plan dĂ©taillĂ© du centre de Rabat agrĂ©mentent cet ouvrage sympathique. Comme le dit le prĂ©facier : « Ce livre de mĂ©moire est une catharsis nĂ©cessaire et salutaire, une grande page dâamour ».
Un tĂ©moignage prĂ©cieux, sympathique et, tout compte fait, plein dâoptimisme.
Ăliahou Hillel
Ăditions MĂ©ditâĂ©dition. Pincounillier. PrĂ©face de Jean-Pierre Allali. FĂ©vrier 2010. 224 pages.