OCCURENCES JUIVES
Salomon BENZAQUEN
A V A T A R S
d'un peuple elu
De l'Antisémitisme à la Shoah
Essai
The Sephardic Library
Jerusalem
5767-2006
Au juif, mort sans savoir pourquoi,
Au marrane qui embrassa la foi,
Au doute, sans lequel il n’est d’émoi,
A l’Etude, elle seule, fonde la loi!
« Allah a privilégié Israël plus
que tous les univers »
Coran (traduction A. Chouraqui)
«…et le Seigneur, ton D. t’élèvera
au dessus de tous les peuples »
Deutéronome 28-1
L’idée de cet ouvrage m’est venue lors des cérémonies commémorant le soixantième anniversaire de la découverte des camps de concentration nazis.
Assez rétif, en général, aux manifestations publiques, de même qu’aux grandes messes insipides, j’ai néanmoins pu suivre, dans la presse et les médias audiovisuels, cet anniversaire péniblement circonstanciel. Je fus alors frappé par la banalité des propos tenus, ici ou là , comme si l’hystérie verbale habituelle avait soudain laissé place à une mutité de circonstance, polie, convenue. Comme si, à l’instar de ces célébrations familiales où il ne se passe jamais rien, l’on avait seulement franchi une étape, passé un cap douloureux, oublié la querelle, dessiné un avenir aussi rose que factice. Le paradoxe de la
Shoah, en effet, est qu’on ne lui reconnaît pas d’histoire spécifique c’est à dire une sorte de datation avec un commencement, un milieu et une fin. Cette indétermination de principe réduisant, de manière significative, l’importance de tout anniversaire, celui de la Shoah est, par définition, notamment aléatoire. En Israël, les calendriers actuels mentionnent un Yom Hashoah (jour de la Shoah)fixé «arbitrairement» au 11ième jour du ‘Ômer ( Mai) sans que l’on sache trop la raison d’un tel choix. D’autant que, en omettant de loger spontanément la Shoah dans l’histoire pluri-millénaire de l’antisémitisme, l’on a confondu, de manière délibérée, chronologie et temporalité, comme pour accroître un peu plus la confusion ambiante. C’est comme si, dans la conscience moderne, l’antisémitisme et la Shoah n’étaient que la manifestation d’univers virtuels dont la résurgence occasionnelle, au plan des idées, des sensations et des sentiments, serait particulièrement douloureuse. Finis donc les clivages sociaux, politiques ou économiques, pour tenter d’expliquer l’inexplicable. D’ailleurs, à tant AVATARS d’un peuple élu - 6 -
vouloir paver l’histoire de bonnes raisons, l’on en vient parfois à oublier le sens du vent et la force de l’orage malgré les inévitables dégâts occasionnés aux situations individuelles. Accessoirement, en tentant de baliser les chemins de l’antisémitisme pour éviter qu’ils ne débordassent les limites acceptables de la responsabilité individuelle, l’on a souvent fait trébucher la logique conclusive
de plus d’un philosophe, d’un chercheur ou d’un prélat. Or l’on ne peut se déclarer quitte, à si bon compte ! L’antisémitisme est toujours là , arpentant les rues des cités du monde civilisé, et l’on ne peut se dispenser d’en rechercher sans cesse la ou les causes attributives même si ces tentatives semblent définitivement vouées à l’échec.
Certes, l’univers connaît des périodes de répit lorsque la fièvre antisémiteCertes, l’univers connaît des périodes de répit lorsque la fièvre antisémite manifeste soudain quelques accès de faiblesse. Même si, l’instant d’après, elle reprend de plus belle sous la tragique impulsion d’un quelconque accident, d’un propos inutilement provocateur, d’une méprise pathétique. De ce fait, l’explicitation de cette haine atypique et sinusoïdale ne peut se limiter à de petites causes, à de ridicules actions, à l’énoncé de grands principes.
L’antisémitisme est toujours là et, devant l’échec de ces malheureuses tentatives de rationalisation, il peut sembler judicieux, voire plus utile, de rechercher ces mêmes explications dans le secret et l’intimité de la pensée juive traditionnelle plutôt que dans le discours des médias. Il est assurément plus de substance et de mémoire chez les victimes et autres ayants droits naturels de l’antisémitisme, que chez ces Nations du Monde qui l’ont autorisé, alimenté, hébergé, jusqu’à servir de terreau propice à sa croissance. La mémoire d’une victime est certainement plus fidèle, plus sensible, plus légitime aussi, que celle du bourreau, voire du témoin, lâche, immobile ou impuissant. Peut-être également que ces mêmes Nations n’ont aucune explication à proposer et qu’elles subissent l’antisémitisme comme l’aveu de leur propre échec. Or malgré la légitimité qu’on lui prête, un événement demeure toujours insondable, c’est à dire neutre et imperméable, porteur d’une logique qui lui est propre à l’instar de ces molécules enfermées dans le corps d’un objet et qu’elles ne sauraient quitter sans d’impressionnants coups de boutoir. De plus, l’espace occupé par l’antisémitisme dans les contrées les plus éloignées du globe, sa constance, indépendante des régimes politiques sous lesquels il se produit, en somme la
négation historique qui l’accompagne, nous conduisent à abandonner le champ évènementiel pour tenter d’accéder à celui des principes ou encore à celui de l’ontologie pour expliquer une telle débacle.