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dani (IP enregistrè)
Date: 22 juin 2012 : 11:08
MONDE
Israël Terre promise des Soudanais
2 mai 2011 à 00:00
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A
GRAND ANGLE A Eilat, un habitant sur six est un réfugié de la Corne de l’Afrique, arrivé à pied par le Sinaï égyptien. Pour la première fois, l’Etat hébreu est confronté à une immigration clandestine massive.
Par DELPHINE MATTHIEUSSENT Envoyée spéciale à Eilat
Quand il est arrivé à Eilat, la station balnéaire israélienne des bords de la mer Rouge, Hassan a immédiatement commencé à apprendre l’hébreu. «Je pensais être enfin en sécurité en Israël. Même si au Soudan, on m’a toujours dit qu’Israël était un pays ennemi, je savais que c’était le seul pays démocratique de la région, avec un niveau de vie comparable à celui de l’Europe ou des Etats-Unis. Je croyais que je pourrais reprendre les études d’architecture que j’avais commencées. Et puis, pour moi, c’était le pays des Juifs, un peuple qui a aussi connu l’exil.»
Hassan, qui souhaite garder l’anonymat, a fui le Darfour, une région de l’ouest du Soudan meurtrie depuis huit ans par une guerre contre les forces gouvernementales de Khartoum. Trois ans après, il déchante. Il nettoie neuf heures par jour, parfois de nuit, le sol des cuisines du Club Méditerranée de la station balnéaire israélienne. Avec ses 5 000 shekels (un peu moins de 1 000 euros, le salaire minimum en Israël), il loue un deux-pièces avec cinq autres réfugiés soudanais et envoiede l’argent à sa mère et ses frères et sœurs restés au Darfour. Son niveau d’hébreu, insuffisant, ne lui a pas permis de s’inscrire à l’université. «Ce n’est pas une vraie vie ici, dit-il, mais je serai toujours reconnaissant au gouvernement israélien de m’avoir accordé une protection.»
Hassan a fui son village près d’El-Geneina, la capitale du Darfour-ouest, après avoir échappé de justesse aux milices gouvernementales soudanaises qui ont assassiné son père et un de ses frères. C’était en 2005, il avait alors 23 ans. Il a rejoint l’Egypte et passé deux ans au Caire. «C’était invivable. J’étais battu par mes employeurs. J’ai été jeté en prison une semaine. La police égyptienne a tué plusieurs de mes compatriotes. Je ne savais plus quoi faire, je ne pouvais pas rester en Egypte et pas non plus retourner au Soudan.» Il paye alors des passeurs bédouins pour traverser clandestinement la frontière entre l’Egypte et Israël, une ligne longue de plus de 200 kilomètres qui court en plein désert du Sinaï.
Ils sont près de 10 000 comme Hassan, venus à pied d’Egypte, fuyant le Soudan pour la plupart, l’Erythrée pour certains, à s’être installés dans la station touristique d’Eilat, de l’autre côté de la frontière égyptienne. 10 000 sur une population de 60 000 habitants. Ceux qui ne sont pas logés dans les dépendances des hôtels où ils travaillent, s’entassent dans des appartements qu’ils louent à plusieurs dans les vieux quartiers, les plus défavorisés, de la ville.
Des drapeaux rouges symboles de danger
«Le Soudan commence ici», lance Nahum Séri, chargé de la gestion des réfugiés à la mairie d’Eilat, en désignant, d’un geste las, un immeuble délabré, long de plusieurs centaines de mètres. «Sing Sing», comme l’appellent les habitants du quartier, du nom de la tristement célèbre prison américaine. «Impossible de détruire ou même de rénover ce bâtiment insalubre. Les Soudanais y vivent parfois à plus de dix dans des appartements pour quatre personnes.»
A quelques centaines de mètres de là, Baruch Mizrahi, un retraité de 67 ans, ne décolère pas. Dans la cage d’escalier de son immeuble, une bâtisse bétonnée à la façade jaunâtre, les allées et venues de migrants africains sont incessantes. «C’est devenu impossible de vivre ici depuis que l’appartement d’en dessous est occupé par des réfugiés. Ils sont au moins trente dans trois pièces !» maugrée-t-il, en avançant un nombre fantasmé d’envahisseurs africains. Avant d’ajouter, sur un ton radouci : «Si j’avais beaucoup d’argent, je les enverrais aux Etats-Unis. Certains viennent avec leurs bébés, ça me fait de la peine de les voir comme ça. Le peuple juif aussi a beaucoup souffert, maintenant ils sont ici, il faut s’en occuper. Mais qu’est-ce que je peux faire ?»
Depuis quelques mois, la municipalité a balisé les rues du centre-ville de ces drapeaux rouges que l’on trouve habituellement sur les plages, symboles de danger. Une décision du maire qui accuse ces étrangers venus d’un pays hostile à Israël d’être une menace. «Au début, en 2006, ils étaient bien accueillis ici, explique David Blum, responsable à Eilat des ressources humaines d’Isrotel, une des principales chaînes hôtelières israéliennes. Les hôtels avaient besoin de main-d’œuvre, le gouvernement venait d’annuler l’attribution de permis de travail aux étrangers venus d’Asie qui étaient recrutés pour la plonge, le ménage. Mais maintenant, les Africains sont trop nombreux, tous les emplois ont été pourvus. La ville n’arrive plus à faire face.»«Les habitants d’Eilat ne sont pourtant pas racistes, dit Ofir, la responsable locale d’Assaf, une organisation israélienne de secours aux demandeurs d’asile. J’aimerais bien voir comment d’autres villes en Europe réagiraient face à un afflux d’étrangers aussi soudain.»
Une absence de politique claire
Une vague qui dépasse les frontières d’Eilat. 35 000 migrants de la Corne de l’Afrique ont rejoint Israël ces quatre dernières années, passant, comme Hassan, cette frontière poreuse. Le périple leur semblait plus aisé que la périlleuse traversée de la Méditerranée vers les côtes espagnoles ou italiennes. En apparence seulement, car depuis 2007, au moins 85 d’entre eux ont été tués par des policiers égyptiens alors qu’ils tentaient de passer la frontière avec Israël. Et selon plusieurs ONG, des milliers d’autres sont tombés dans le piège des camps tenus par les passeurs bédouins dans le nord du Sinaï, en territoire égyptien, où ils sont séquestrés jusqu’à ce que leurs familles envoient des rançons pour les faire libérer. Dans un rapport publié en février, l’ONG Hotline for Migrant Workers estime ainsi qu’un millier d’entre eux ont été détenus et torturés durant la seule année 2010. Cette même année, l’organisation israélienne Physicians for Human Rights («médecins pour les droits de l’homme) a dirigé 165 Africaines, enceintes après avoir été violées dans le Sinaï, vers des hôpitaux israéliens afin qu’elles puissent avorter.
Malgré ces risques, l’afflux de réfugiés s’accélère, selon les chiffres de la commission parlementaire israélienne chargée des travailleurs étrangers et des réfugiés. En 2010, près de 14 000 migrants ont rejoint Israël via l’Egypte, contre 5 000 en 2009 et 3 000 en 2006. Israël craint à présent que la révolution égyptienne n’amplifie encore le phénomène. La surveillance de cette péninsule désertique largement contrôlée par les Bédouins pourrait se relâcher davantage si le régime égyptien ne se stabilise pas rapidement.
Confronté pour la première fois de son histoire à une immigration clandestine de masse, Israël a pour le moment oscillé entre deux exigences. D’une part, le devoir moral de donner asile à des hommes et des femmes dont l’errance fait résonner les pages noires de l’histoire des Juifs qui sont au fondement même de l’Etat hébreu. Et d’autre part, la volonté de préserver le «caractère juif» de l’Etat dans un contexte de forte progression démographique de la population arabe israélienne. La majorité sont musulmans, ce qui complique encore leur intégration en Israël.
Résultat de cette ambivalence des autorités israéliennes : une absence de politique claire. Etant donné qu’ils viennent d’un pays en guerre, la loi leur accorde une protection collective qui interdit leur refoulement à leur entrée en Israël. Mais leur situation de demandeur d’asile n’est pas examinée au cas par cas, et de fait, rares sont ceux qui obtiennent le statut de réfugié qui leur permettrait de rester ou d’être accueilli dans un autre pays.
200 réfugiés accueillis au kibboutz Eilot
Jusqu’à une date récente, la plupart obtenaient un permis de travail pour une durée de trois à six mois, renouvelable. La tendance du gouvernement israélien est toutefois au durcissement face à cette immigration massive. En novembre dernier, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a mis en garde contre une vague des clandestins qui «grossit et menace les emplois des Israéliens» et «modifie le visage de l’Etat». Il avait laissé entendre que les migrants ne fuyaient pas des persécutions politiques ou ethniques, mais venaient pour des raisons économiques. Des propos en résonance avec des manifestations d’habitants israéliens des quartiers pauvres d’Eilat, mais aussi de Tel-Aviv, où arrive une grande partie des migrants africains. Concrètement, les durées des permis de travail ont été récemment réduites. Un centre d’accueil devrait être bâti dans la région d’Eilat pour les futurs migrants clandestins, qui y seront logés et nourris mais n’auront plus le droit de travailler dans le pays. Et Israël a commencé à construire une barrière de sécurité le long de sa frontière avec l’Egypte afin de tenter de bloquer les principales voies de passage des clandestins.
«Il y a, dans l’esprit du public, un amalgame, entretenu par le gouvernement, entre les travailleurs en situation irrégulière et les demandeurs d’asile politique, comme les Soudanais», estime Myriam Darmoni-Charbit, présidente de Hotline for Migrant Workers. Elle reconnaît néanmoins qu’à Eilat, «il y a un vrai problème». Le kibboutz Eilot, à l’entrée de la ville, tente de le résoudre à sa façon. Il héberge près de 200 réfugiés et prend en charge la scolarisation d’une soixantaine d’enfants africains, avec des subventions minimes de la mairie et du gouvernement. Rakefet Gorem, responsable du «camp des Africains», comme l’appellent les kibboutznik, ne ménage pas ses efforts. «Elle est tout pour nous : directrice, maman, assistante sociale, psychologue. On vient même la voir pour nos disputes de couple», plaisante Joseph Wafod, originaire du Sud-Soudan, qui habite au kibboutz depuis deux ans avec sa femme et sa fille.
Rakefet ne donne cependant pas dans l’angélisme : «Les Soudanais, je n’arrête pas de leur répéter qu’ils doivent rentrer chez eux pour reconstruire leur pays. Qu’est-ce qu’ils peuvent espérer en restant ici ? Faire des économies pour s’acheter une télé, un lecteur DVD ? Et je ne parle pas des Erythréens qui ont un pays et qui viennent ici pour chercher du travail.» Près des cabines téléphoniques depuis lesquelles les réfugiés appellent leurs familles, elle a affiché les résultats du référendum consacrant l’indépendance du Sud-Soudan et les horaires de la prochaine réunion sur les rapatriements volontaires. Ces derniers mois, Israël a affrété deux charters pour quelque 300 immigrés soudanais, avec leur accord. Mais pour Hassan, ce n’est pas une option : «Tant qu’il y a ce gouvernement au Soudan, je ne peux pas rentrer chez moi, au Darfour. Ils me tueront !»
Photos Olivier Fitoussi