pour les jdidis mazaganais
hassan
La cité portugaise cherche sauveur
16.04.2005 | 16h18
Partout où l'on passe à El Jadida, on découvre les traces d'une histoire riche et variée dont la cité portugaise, le phare de Sidi Bouafi, le théâtre municipal, l'immeuble Cohen…Malheureusement, la place forte de Mazagan (Mazagat ou la cité portugaise), bijou architectural inestimable et symbole de tolérance et de cohabitation parfaite des trois religions monothéistes dans une terre d'Islam, est actuellement laissée à l'abandon.
La cité portugaise (Mazagan) s'élève probablement sur l'emplacement d'un ancien comptoir phénicien fondé au milieu du 5e siècle avant Jésus Christ et connu sous le nom de «Portus Rusibis». Au début du 16e siècle (1502- 1503) les portugais s'intallent sur un petit château en ruine, appelé, « Borj Cheikh».
Entre 1502 et 1513, les portugais ont décidé de construire Castello Real (le château de Mazagan) à l'emplacement de l'actuelle citerne. Ce n'est peut être qu'en 1514 que la construction d'une muraille externe à tours saillantes devint une nécessité. Les travaux de construction de «Mazagan» ont été dirigés par les architectes Francisco et Diego de Arruda et de l'Italien Benedetto di Ravenna. La forteresse fut isolée de la terre ferme par un fossé dès 1517.
Dès 1537, la forteresse devint une vraie petite ville après l'agrandissement de la muraille et l'amélioration des travaux du port, des entrepôts, des magasins et des maisons d'habitation. Mais ce n'est que le 1er août 1541 que Louis de Loureiro, capitaine de la forteresse, fonda officiellement la ville au nom du Roi du Portugal. Une année plus tard, la ville était totalement refaite avec un aspect proche de l'actuel.
La cité portugaise a pris plus d'un nom. Elle s'appelait Portus Rusibis, Mazighane, Borj Cheikh, Mazagaô, El Mahdouma, El Medina, El Jadida, Mazagan et enfin El Jadida, nom donné à cette ville par le Sultan Alaouite Sidi Abderrahmane et attribué depuis l'indépendance.
Durant l'occupation portugaise, les Marocains n'ont cessé de mener des attaques pour déloger l'occupant ou carrément d'assiéger la forteresse de Mazagan à différentes époques (1525-1562 – 1756 et enfin 1769).
Le 4 mars 1769, Sidi Mohamed Ben Abdellah, présent sur les lieux aux côtés des militaires et des Moudjahiddines, venus de tous les coins du Maroc, y compris du Sahara marocain, ordonna le bouclage total de la ville. Comme les portugais se rendirent compte qu'ils ne pouvaient plus résister, ils quittèrent Mazagao, le 11 mars 1769 après avoir miné quelques lieux de la ville. Le dynamitage a causé la destruction partielle de la ville et la mort de plus de 500 moudjahiddines.
Ainsi la ville resta-t-elle abandonnée pendant 30 années. Dès 1820, le Sultan Sidi Abderrahmane autorisa son repeuplement par les musulmans, les chrétiens et les juifs. Ainsi Mazagao ou El Jadida s'est transformée en un haut lieu de tolérance et de cohabitation en parfaite symbiose.
Mazagao : histoire de fierté et mémoire collective
Ce patrimoine architectural et culturel inestimable a pu être préservé par nos ancêtres grâce à leur savoir-faire et à leur désir de préserver ces lieux. Leur souci s'articulait essentiellement autour d'un seul objectif “perpétuer l'histoire” car ils croyaient fermement que ce monument représentait plus la gloire du Maroc que celle du Portugal. Ils avaient aussi la nette conviction qu'un peuple qui ne vénère pas son histoire et son passé n'aura guère de racine et sa mémoire collective sera défaillante.
Voilà pourquoi, depuis le début du siècle dernier, différents dahirs et arrêtés relatifs à la protection de ce patrimoine ont été publiés au Bulletin officiel. Et, en 1992, la circulaire n° 73 du 30/12/1992 du Premier ministre appelle les autorités concernées à l'application de la législation sur la conservation des monuments et des sites historiques et à une protection plus efficace du patrimoine culturel.
Chaque visiteur, qu'il soit marocain ou étranger, après une balade de quelques minutes au sein de la cité portugaise se sent vite révolté par l'état délabré des différents édifices de la cité. Alors faut-il attendre que l'on vienne pour nous «prescrire» comment exploiter et restaurer cette cité de merveille ? La seule chose qu'on a pu réaliser dans cette ancienne ville se résume en deux fameuses pissotières et une plaque commémorative de la date du classement par l'UNESCO ! Quant à la porte des bœufs et la tour de l'ancien port portugais, tour connue chez les jdidis par Labrimil, rien n'a été fait pour les sauver de leur agonie. Pis encore des constructions anarchiques, poussent tels des champignons, sur les terrasses.
D'un autre côté, des demeures vétustes, qui tiennent sur un fil, sont toujours habitées. Il y a même de vieilles maisons qui ressemblent plutôt à des vestiges où logent plus de dix familles dans chacune d'elles. Ces pauvres citoyens, manquent de tous les moyens d'hygiène. Ces logis se trouvent un peu partout dans la cité portugaise. Ils peuvent à tout moment mettre en péril de nombreuses vies humaines.
L'état actuel de Mazagao
Ne pense-t-on pas que cette situation si déplorable nécessite dans les brefs délais la mise en place d'une stratégie de restauration et de réhabilitation ? D'ailleurs, M. Alexandre Alves Costa, membre de la faculté d'architecture de l'université de Porto a mentionné un jour ce qui suit : «Il est en même temps souhaitable de rendre la dignité à certains édifices et à la cité elle-même en vue de la reconnaissance de sa valeur interculturelle. Et il est indispensable de combattre le risque de destruction et de dégradation de plus en plus fort et irréversible …».
Alors jusqu'à quand va-t-on appliquer la politique de l'autruche et de l'attentisme ? Quel rôle joue vraiment l'association de la cité portugaise qui a tenu dernièrement en cationique son assemblée ordinaire durant laquelle on a voulu illégalement changer le nom stipulé dans le statut de l'association ? Qui pense vraiment à rendre les habitants soucieux de protéger ce patrimoine universel ? Est-ce que la commune est consciente que ce patrimoine historique ne doit pas faire l'objet d'initiatives touchant son architecture et qu'aucune autorisation de construire ou de rénover ne doit être délivrée sans l'avis des historiens et des services culturels ?
D'autre part, la commission ICOMOS a recommandé que «la zone tampon devrait également être étendue de manière à inclure une part raisonnable de la zone urbaine environnante et garantir la conduite des politiques d'urbanisme appropriées dans cet ensemble urbain très sensible».
Mais on chuchote ces derniers temps qu'on veut construire des locaux commerciaux en face de la cité et à la place même des constructions de Derb Deggaga, détruites lors de la première tranche de réhabilitation de la place Hansali pour dégager la zone environnante de la cité, ce qui sera à l'encontre des recommandations de l'ICOMOS. En plus une «matfia» réservoir d'eau souterrain, découverte au début du mois de juin 2004, sise non loin du bastion Saint-Antoine, à côté du jardin Abdelkrim El Khattabi, n'a mérité aucune attention particulière.
Ladite matfia a une magnifique architecture en arcades construites en pierre de taille qui rappellent les remparts de la cité portugaise. Notre supposition sur la nature de cette construction reste très subjective surtout que notre observation s'est limitée à sa partie supérieure. Ne s'agirait-il pas d'un tunnel qui communiquait avec la forteresse ? Ne serait-il pas judicieux de mener une campagne de la mise en valeur du tissu historique et architectural de la cité ?
C'est vrai que Mazao a été classée patrimoine universel de l'humanité le 30 juin 2004 et qu'une grande fête populaire a été organisée le 27 septembre 2004 à cette occasion. Mais a-t-on eu le courage et la responsabilité pour sauver et réhabiliter Mazagao ?
Si aucune décision n'est prise dans un futur proche pour restaurer ce monument historique, les générations futures se contenteront de quelques photographies jaunies datant de la période coloniale. Qu'on se mobilise donc pour sauvegarder Mazagao menacée de disparition, sous l'effet de la dégradation continuelle volontaire ou involontaire.
Abdelmajid Nejdi | LE MATIN