J'ai très envie de lire Nathalie Sarraute.Je viens de terminer "les 40 jours du Musa dagh et je vous le recommande vivement: très intéressant et facile à lire malgré les 700 pages.
Je viens de commencer "Journal" d'Hélène Berr pour ensuite le passer à ma petite fille qui étudie la deuxième guerre mondiale dans son programme de 3ième. Je lui ai déjà passé plein de livres sur le sujet.
Par Patrick Modiano
Préface du «Journal» d'Hélène Berr
Hélène Berr
Elle avait 20 ans en 1942. Parisienne, agrégative d’anglais, elle a tenu son « Journal » jusqu’à sa déportation à Bergen-Belsen, d’où elle n’est pas revenue. Il paraît avec une magnifique préface de l’auteur de « la Place de l’étoile ». La voici
Une jeune fille marche dans le Paris de 1942. Et comme elle éprouvait dès le printemps de cette année-là une inquiétude et un pressentiment, elle a commencé d’écrire un journal en avril. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis, mais nous sommes, à chaque page, avec elle, au présent. Elle qui se sentait parfois si seule dans le Paris de l’Occupation, nous l’accompagnons jour après jour. Sa voix est si proche, dans le silence de ce Paris-là…
Le premier jour, mardi 7 avril 1942, l’après-midi, elle va chercher au 40 de la rue de Villejust, chez la concierge de Paul Valéry, un livre qu’elle a eu l’audace de demander au vieux poète de lui dédicacer. Elle sonne et un fox-terrier se jette sur elle en aboyant. «Est-ce que monsieur Valéry n’a pas laissé un petit paquet pour moi?» Sur la page de garde, Valéry a écrit : «Exemplaire de mademoiselle Hélène Berr », et au-dessous : «Au réveil, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant.»
Pendant tout ce mois d’avril et ce mois de mai, il semble, à la lecture du « Journal » d’Hélène Berr, que Paris, autour d’elle, soit en harmonie avec la phrase de Valéry. Hélène fréquente la Sorbonne où elle prépare un diplôme d’anglais. Elle accompagne un «garçon aux yeux gris» dont elle vient de faire la connaissance à la Maison des Lettres, rue Soufflot, où ils écoutent un quintette de Bach, un concerto pour clarinette et orchestre de Mozart… Elle marche avec ce garçon et d’autres camarades à travers le quartier Latin. «Le boulevard Saint-Michel est inondé de soleil, plein de monde, écrit-elle. A partir de la rue Soufflot, jusqu’au boulevard Saint-Germain, je suis en territoire enchanté.» Parfois elle passe une journée aux environs de Paris dans une maison de campagne à Aubergenville. «Cette journée s’est déroulée dans sa perfection, depuis le lever du soleil plein de fraîcheur et de promesse, jusqu’à cette soirée si douce et si calme, si tendre, qui m’a baignée tout à l’heure lorsque j’ai fermé les volets.»
mot d’une chanson de l’époque – fleur bleue. Elle est imprégnée par la poésie et la littérature anglaises et elle serait sans doute devenue un écrivain de la délicatesse de Katherine Mansfield. On oublieraOn sent, chez cette fille de 20 ans, le goût du bonheur, l’envie de se laisser glisser sur la douce surface des choses, un tempérament à la fois artiste et – pour employer leit presque, à la lecture des cinquante premières pages de son Journal, l’époque atroce où elle se trouve. Et pourtant, un jeudi de ce mois d’avril, après un cours à la Sorbonne, elle se promène dans le jardin du Luxembourg avec un camarade. Ils se sont arrêtés au bord du bassin. Elle est fascinée par les reflets et le clapotis de l’eau sous le soleil, les voiliers d’enfants et le ciel bleu – celui qu’évoquait Paul Valéry dans sa dédicace. «Les Allemands vont gagner la guerre», lui dit son camarade. «Qu’est-ce que nous deviendrons si les Allemands gagnent? » « Bah… rien ne changera. Il y aura toujours le soleil et l’eau…» «Je me suis forcée à dire: “Mais ils ne laissent pas tout le monde jouir de la lumière et de l’eau.” Heureusement, cette phrase me sauvait, je ne voulais pas être lâche…»
Mémorial de la Shoah - Coll. Job
Hélène Berr avec des amis le 8 avril 1942.
C’est la première fois qu’elle fait allusion aux temps sombres où elle vit, à l’angoisse qui est la sienne, mais de manière si naturelle et si pudique que l’on devine sa solitude au milieu de cette ville ensoleillée et indifférente. En cette fin du printemps 1942, elle marche toujours dans Paris, mais le contraste entre l’ombre et la lumière se fait plus brutal, l’ombre gagne peu à peu du terrain.
Mémorial de la Shoah - Coll. Job
Avec Jean Morawiecki le 15 août 1942
Le mois de juin 1942 est pour elle le début des épreuves. Ce lundi 8, elle doit, pour la première fois, porter l’étoile jaune. Elle sent l’incompatibilité entre son goût du bonheur et de l’harmonie et la noirceur et l’horrible dissonance du présent. Elle écrit : «Il fait un temps radieux, très frais – un matin comme celui de Paul Valéry. Le premier jour aussi où je vais porter l’étoile jaune. Ce sont les deux aspects de la vie actuelle: la fraîcheur, la beauté, la jeunesse de la vie, incarnée par cette matinée limpide – la barbarie et le mal représentés par cette étoile jaune.» Sèvres-Babylone-quartier Latin. Cour de la Sorbonne. Bibliothèque… Les mêmes trajets que d’habitude. Elle guette les réactions de ses camarades. «J’ai senti leur peine et leur stupeur à tous.» A la station de métro Ecole militaire, le contrôleur lui ordonne : « dernière voiture », celle où doivent obligatoirement monter les porteurs d'étoile jaune........
Laila