Voici un article sur La Hilloula et Le Saint Venere Aouriour (Moualine Dad)du mois de Mai 2007.D'autres noms de Rabbins y sont mentionnes.
Par Majdoulein El Atouabi
Le moussem de Moulay Abraham
Jeunes et moins jeunes se prosternent sur le tombeau de
Rabbi Abraham Aouriour, couvert d’ecritures saintes et d’offrandes.
(TNIOUNI / NICHANE)
Comme chaque année en pareille période, des juifs marocains et du monde affluent par milliers pour honorer leurs saints au Maroc. Dénommés Tsadikim, ils sont l'objet d'un véritable culte, avec ses traditions et ses rites spécifiques. Bienvenue à la Hiloula.
Situé à une quarantaine de kilomètres de Settat, dans la commune rurale de Sidi Mohamed Ben Rahal, la localité de Dad est ce qu’on peut appeler un trou perdu au fin fond de la Chaouia. Petit hameau enclavé au beau milieu d’une vallée aride, parsemée de rocailles et balayée par
les vents chauds, ce village d’environ une centaine de familles vit au rythme des récoltes agricoles, plutôt maigres ces derniers temps. Et si ce n’était Rabbi Abraham Aouriour, le saint juif qu’il abrite, Dad n’aurait sans doute jamais émergé de l’anonymat. Deux fois par an, à l’occasion de deux fêtes dénommées Hiloula, ce saint attire en effet des nuées de pèlerins d’un genre particulier, qui affluent du Maroc et des quatre coins du globe pour le célébrer. Ce dimanche 6 mai marque justement la clôture de l’une de ces deux fêtes. Célébrant l’ensemble des saints juifs à travers le monde, cette “Hiloula générale”, en quelque sorte, intervient au trente-troisième jour après “Pessah”, la Pâque juive. Plus spécifique, l’autre Hiloula commémore, elle, l’anniversaire du décès du saint. Dans le cas d’espèce, elle se situe au milieu du mois d’août. Pendant ces deux périodes, comme par enchantement, Dad émerge de sa somnolence et cède à une étrange effervescence.
Ha Houma Zaw !
Venus en masse pour clôturer les festivités qui durent depuis jeudi, les pèlerins de ce dimanche comptent une majorité de juifs marocains, avec un grand pourcentage de Casablancais. Parmi eux, quelques visages familiers dont Serge Berdugo, le président de la communauté juive au Maroc, et Boris Toledano, le président de la communauté juive de Casablanca. Confortablement installés dans des berlines luxueuses ou dans des autocars climatisés, ces citadins bon chic bon genre défilent en rase campagne sous les yeux émerveillés des enfants du pays. Leur destination: “Moaline Dad”, le sanctuaire où gisent le vénéré Rabbi Abraham Aouriour et son disciple Rabbi Nessim Ben Nessim. Tout le long de l’étroite piste d’une dizaine de kilomètres qui mène au sanctuaire, des gendarmes et des militaires sans armes surveillent le va-et-vient incessant des véhicules. Sourire et amabilité de rigueur, ils vérifient les identités des passagers et notent les numéros des plaques minéralogiques. Et ce n’est qu’une fois dépassé le dernier barrage de gendarmes que les pèlerins découvrent le sanctuaire, composé de deux rangées de maisonnettes blanchies à la chaux et bâties en surplomb de la vallée de Dad. Ils sont aussitôt accueillis par les youyous et les chants de joie dont le fameux “Ha Houma Zaw, Ha Houma Zaw (ils sont venus, ils sont venus)”, entonné en chœur par les femmes de l’ancienne génération.
Une fête de famille “Au-delà du simple devoir religieux, la Hiloula constitue pour nous une occasion de nous retrouver en famille et entre amis. C’est avant tout une fête, un moyen pour maintenir le contact avec nos origines et perpétuer nos traditions”, explique Serge Berdugo, en désignant du regard la foule d’enfants et de jeunes personnes réunis au milieu du sanctuaire. Contrairement aux autres Moussems marocains, célébrant des saints musulmans, où l’on croise un public campagnard très typé, la Hiloula est une fête où l’on trouve de tout. Beaux gosses bodybuildés et midinettes branchées aux silhouettes de mannequins côtoient ici rabbins barbus et mystiques fervents. Cette ambiance pour le moins bigarrée, la Hiloula la doit à son programme riche et varié.
Partout au Maroc, dans les innombrables lieux de pèlerinage juif, et en plus des tables rondes et des séminaires, les fidèles ponctuent leurs prières et cantiques par d’interminables festins arrosés au whisky et à la mahia. Ils s’adonnent également à divers jeux et organisent des soirées dansantes animées par des formations musicales. Cette année, l’animation du Moussem de Moaline Dad a été confiée à deux ténors de la scène musicale juive marocaine. Il s’agit de Michel Abittan et Maxime Karoutchi, qui ont littéralement enflammé la scène trois jours durant. Cela dit, de l’aveu même des pèlerins, la dimension mystique du pèlerinage ne doit pas être prise à la légère. “La plupart des gens qui effectuent un pèlerinage dans l’un ou l’autre saint juif au Maroc le font pour une raison bien déterminée : faire des vœux et s’imprégner de la baraka de ces saints réputés faiseurs de miracles”, nous déclare Samy, industriel casablancais dont la famille est originaire de Settat. Vieilles filles en quête d’époux, femmes stériles désirant enfanter, vieillards malades cherchant la rémission ou hommes d’affaires souhaitant la prospérité, les requêtes des pèlerins sont nombreuses et varient en fonction des saints visités. Dans la tradition juive, comme d’ailleurs dans la musulmane, chaque saint est en effet investi d’un pouvoir particulier. C’est ainsi qu’à Asjen, dans la région de Ouezzane, Rabbi Amram Ben Diwane est réputé pour son pouvoir contre la stérilité. À Ben Ahmed, Rabbi Yahia Lakhdar détiendrait, quant à lui, le pouvoir de guérison de diverses maladies.
Des rites spéciaux
“Rabbi Abraham Aouriour, lui, est en quelque sorte un saint généraliste. Il guérirait aussi bien la stérilité que la cécité et la paraplégie. Contrairement à d’autre saints juifs du Maroc, qui ont des pouvoirs spécifiques contre le vitiligo, le choléra ou les morsures de serpent et de scorpion”, affirme, le plus sérieusement du monde, Evelyne Oliel-Grauz, une juive française d’origine marocaine, enseignante d’Histoire à la Sorbonne. Parmi ces saints spécialisés, on peut justement citer Rabbi David Ben Barukh et Rabbi Shalom Zawi, réputés soigner la cécité. Rabbi Raphael Anqawa guérirait la possession et Lalla Luna Bat-Khalifa les maladies de la gorge. Auteur de plusieurs recherches sur les saints juifs au Maroc, Evelyne Oliel-Grauz explique que “hormis la variété et la différence de leurs pouvoirs, les saints juifs du Maroc font l’objet des mêmes rites, avec quelques légères variantes”. Ainsi, avant de partir à la Hiloula, les pèlerins se coupent les ongles et font leurs ablutions. Une fois dans les lieux saints, ils préparent un plat de couscous rituel dénommé “Mâarouf”, à base de semoule, d’amandes et de fruits confits, auquel sont conviés les autres pèlerins et riverains, généralement musulmans, du sanctuaire du saint vénéré. Des offrandes, principalement des Sefer Thorah (rouleaux d’écritures saintes), sont déposées en mémoire de personnes disparues, et des sacrifices de moutons ou de bovins sont effectués en l’honneur des saints sous la supervision d’un rabbin dénommé Shohet. Parfois, des enchères (principalement de cierges) et des quêtes sont organisées pour réunir les fonds nécessaires à l’entretien du sanctuaire.
Un air de nostalgie
“Autrefois, pour participer à la Hiloula, les femmes devaient se voiler les cheveux, porter des vêtements longs et s’abstenir de se maquiller. Les femmes en période de menstruation étaient également interdites de séjour dans les lieux saints. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé”, se remémore, nostalgique, Esther, une sexagénaire venue d’Israël pour fêter le Moussem de Moaline Dad. Autour d’Esther, des femmes jeunes, modernes et maquillées, circulent en effet à proximité du tombeau de Rabbi Abraham Aouriour, sans susciter la moindre réprobation. Visiblement émus, des jeunes et des moins jeunes viennent de temps à autre s’agenouiller devant le tombeau du saint pour émettre quelques vœux et prières inaudibles. D’autres allument des cierges ou jettent des bougies dans l’immense brasier attenant au tombeau. Les plus mystiques s’abandonnent à la ferveur religieuse et enchaînent les cantiques à voix haute. Mais l’ambiance reste cependant bon enfant et, très vite, la fête reprend le dessus. Un air de nostalgie souffle sur l’assistance lorsque Michel Abittan entonne quelques morceaux mythiques du répertoire juif marocain. Des “Ya Hesra Âala Zman” et des youyous stridents fusent de part et d’autre de la salle. À l’extérieur, de jeunes Casablancais, en charge du kiosque où l’on vend des bougies, de la mahia, du vin Casher et de la bière fraîche, font leurs comptes. Les larges sourires dessinés sur leurs visages trahissent une recette conséquente.
Plus loin, à l’extérieur du sanctuaire, des villageois de Dad proposent à la vente des œufs beldi, du lben et leur célèbre menthe des brouj. Lorsqu’on leur demande leur avis sur Rabbi Abraham Aouriour, ils sont unanimes : “C’est un homme saint. Sans lui, que serions-nous devenus. C’est à lui que nous devons l’électrification du village et dans un an, toujours grâce à lui, nous aurons accès à l’eau potable”… Un autre miracle, bien inattendu, de Rabbi Aouriour !
Tsadikim. Des saints et des hommes
Auteur d'un excellent ouvrage qui fait aujourd'hui référence en matière de recherche sur les saints juifs du Maroc, Issachar Ben Ami répertorie dans son livre "Le culte des saints et pèlerinages judéo-musulmans au Maroc" environ 652 saints juifs dont 25 femmes et parmi lesquels au moins une trentaine sont revendiqués aussi bien par les juifs que par les musulmans. Parmi ces hommes et femmes, certains doivent leur notoriété à des miracles qu'ils auraient accomplis, à leurs supposés pouvoirs ou à leur érudition. On citera à titre d'exemple Rabbi Amram Ben Diwan d'Asjen à Ouazzane, qui trône en tête des saints juifs du Maroc en termes de popularité. Il est suivi de Rabbi Yahia Lakhdar de Ben Ahmed et Rabbi Abraham Aouriour, qui a connu ces dernières années un regain d’intérêt spectaculaire auprès de la communauté juive marocaine. Rabbin venu de Jérusalem à la fin du 17ème siècle, Rabbi Abraham s'établit dans la région de Dad et y créa une Hichiva (grande synagogue) où il enseigna le Talmud à des rabbins marocains. Cette école, qui existe toujours dans le sanctuaire de Moaline Dad, regroupe les tombeaux de plusieurs disciples de Rabbi Abraham et explique en partie sa vénération actuelle. Mais Rabbi Abraham, qui fut par la suite baptisé Aouriour (ricin en arabe), en raison d'un plant de ricin qui a fleuri sur sa tombe, doit sa notoriété à un miracle. La présence de son tombeau dans la région de Dad aurait en effet protégé les habitants musulmans de cette région d'une terrible épidémie qui avait fait des milliers de morts. Depuis lors, le tombeau de Rabbi Abraham Aouriour est devenu un lieu de pèlerinage pour les musulmans de la région, qui l'ont baptisé… Sidi Brahim. Il a fallu attendre le début du vingtième siècle pour que la communauté juive s'y intéresse. Aujourd'hui, une commission désignée par le conseil de la communauté et présidée par Gabriel Ruimy veille à son entretien.
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