Daniel Sibony Marc Alain Ouaknine Guy Lafon Claude Bouyere S-E-L retour

 
  Sylvia Elharar-Lemberg a entrepris de mettre le livre en espace, en corps, en peinture. Peindre le livre, ou plutפt peindre א la lettre l'espace oש le livre survit son lieu d'ךtre. Sa place vivante, active, visible, parlante plus que lisible. De quoi tיmoigner qu'elle est en proie au livre et conjurer, cependant, les empreintes prיdatrices ou fיtichistes.

Le livre, n'en doutons pas, est celui de la parole divine, de ces traces inspirיes vouיes א se transmettre, ou א transmettre l'origine. Est-ce pour cela que chez cette artiste, le texte s'est enroulי jusqu'א cette boule -cosmique ou foetale - en tous cas primitive, gestation du livre dans le corps de cette femme qui prendrait ainsi sa revanche contre la tradition qui יcarta les femmes de l'יtude sacrיe. Caresser le fantasme - si maternel -d'ךtre source du texte, ce qui remonte aux plus antiques dיesses contre lesquelles ce texte s'est יcrit ? Ou, peut ךtre, plus simplement, dיsir de mךler le texte א du corps pour sublimer celui-ci et incarner celui-lא !..
Engendrer le livre, ou plutפt le rיvיler engendrי, א la lettre, dans I'empoignade de l'humain avec la matiטre du monde, corps א corps dont les noms veulent garder la mיmoire.

Le Livre les a affiliיes au Nom א quatre lettres oש se nouent l'ךtre et le temps...

Autre point de convergence entre le livre et le tableau. Le tableau est une table יrigיe, un cadrage fait sur la terre et que l'on dresse pour y laisser des traces d'autre chose que soi ou de la terre d'oש l'on vient, des traces de son rapport א l'ךtre. Et le livre est aussi une table - pas toujours celle de la loi - ou un parquet de tablettes fines, de cette boiserie subtile qu'on nomme papier, sur quoi l'on tente aussi quelques inscriptions, histoire de lier son destin, ou de lui donner lieu...

Or qu'est-ce que I'art, sinon une tentative - poignante, dיsespיrיe, jubilante, inspirיe, essoufflיe - de se donner lieu d'ךtre ? de mיnager des rencontres fיcondes avec un fragment de "Lieu" qui vous tiennent lieu d'ךtre ? qui soient assez "travaillיs" pour חa, pour ךtre un lieu de branchement sur I'incandescence de l'ךtre, sur sa prיsence dans tout ce qui est de son dיpassement de tout ce qui est ?

L'art contemporain fait tout ce qu'il peut pour convoquer ce don du Lieu, ce donner-lieu, au rythme de notre temps. Il cherche des fragments de Lieu qui puissent nous donner, nous restituer notre temps perdu ou notre mיmoire en perdition; des fragments qui soient des marquages vivants d'une mיmoire qui se donne.

Tout art authentique est contemporain de son יpoque.

Il se trouve que dans la langue du Livre de l'ךtre (c'est ainsi que j'appelle l'Ancien Testament) ce "travail" du lieu et de la parole est א la fois celui de l'offrande, du sacrifice, (c'est-א-dire d'une certaine frיquentation du sacrי ou plutפt des lieux singuliers qui s'exposent א une parole inspirיe, א un souffle crיatif) ; mais c'est aussi le simple travail d'oeuvrer "quelque chose", oש l'on puisse faire acte d'ךtre, et acte de dיsir ; dיsir de transmettre et de trans-faire, c'est-א-dire d'ךtre au-delא de ce que l'on fait. Cela exclut donc que le "corps", - celui de I'oeuvre ou de I'artiste - prיtende ךtre א lui tout seul le rיceptacle de l'ךtre, ou le recueil du manque-א-ךtre originel.

C'est dire que l'oeuvre rיussie est marquיe de ce manque-א-ךtre qu'elle transmet, et en cela mךme elle tיmoigne de ce en quoi elle est "manquיe", inachevיe, bיante sur I'infini ; qu'il soit d'ךtre ou de nיant.

Daniel Sibony