Un peu long comme texte mais tres interessant.
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DĂLĂGITIMISATION OU DĂLĂGALISATION DâISRAĂL ?
Shmuel Trigano Intervention à la conférence « Israël face aux défis du droit.20 juin 2012 »
Il est dâusage en philosophie dâopposer la lĂ©gitimitĂ© Ă la lĂ©galitĂ©. La premiĂšre relĂšve du sens, de lâesprit, la deuxiĂšme de la loi et de sa lettre.
Il y a une belle illustration de cette opposition dans le cas de la France libre durant la deuxiĂšme guerre mondiale. A Londres, le gĂ©nĂ©ral de Gaulle revendique une autoritĂ© supĂ©rieure Ă celle du marĂ©chal PĂ©tain qui avait Ă©tĂ© lĂ©galement portĂ© au pouvoir et mĂȘme aux pleins pouvoirs par le Parlement. Si PĂ©tain Ă©tait lâautoritĂ© lĂ©gale, De Gaulle se recommandait dâune autoritĂ© lĂ©gitime. PĂ©tain incarnait la France lĂ©gale, De Gaulle son essence, son identitĂ©.
Etre lĂ©gitime, câest croire quâon est lĂ©gitime au point de dĂ©lĂ©gitimer lâordre de la loi [1].
Si lâon prend lâopposition entre lĂ©gitimitĂ© et lĂ©galitĂ© pour base de rĂ©flexion, on se rend bien compte de lâexistence dâun problĂšme sur le plan de la signification quand on parle de « dĂ©lĂ©gitimisation dâIsraĂ«l » :
-Les IsraĂ©liens sâestiment victimes â Ă juste titre â de dĂ©lĂ©gitimation
-Les Palestiniens et leurs alliĂ©s leur livrent combat dans lâarĂšne de la lĂ©galitĂ©
Cela signifie que dĂ©finir la situation par le concept de « dĂ©lĂ©gitimation » dâIsraĂ«l pourrait bien constituer une erreur majeure dans lâanalyse stratĂ©gique. Elle pourrait surtout conduire les IsraĂ©liens Ă livrer combat dans une arĂšne qui nâest pas la bonne.
Il faudrait parler plutĂŽt de « dĂ©lĂ©galisation » dâIsraĂ«l.
Cette erreur sâexplique, parce quâen bons dĂ©mocrates, les IsraĂ©liens pensent que la lĂ©gitimitĂ© Ă©mane de la Loi. Or, il faut se demander si, dans la rĂ©alitĂ©, ce nâest pas lĂ une pĂ©tition de principe, une vision idĂ©ale qui nâenvisage pas la possibilitĂ© que la loi et la dĂ©mocratie puissent ĂȘtre instrumentalisĂ©es Ă des fins qui ne sont pas « dĂ©mocratiques » [2].
Nâest-ce pas ce qui se produit aujourdâhui ? Les Palestiniens et leurs sĂ©ĂŻdes invoquent un « droit international » qui nâexiste pas pour contester Ă IsraĂ«l son droit dâexister.
On a forgĂ© rĂ©cemment en anglais un nouveau mot, lawfare, pour dĂ©signer cette stratĂ©gie qui vise à « dĂ©lĂ©gitimer » un adversaire, câest Ă dire Ă contester son droit dâexister, en instrumentalisant le droit, national aussi bien quâinternational, non pas tellement pour remporter une victoire juridique, mais pour transformer le tribunal en plateau de tĂ©lĂ©vision oĂč il sâagit de dĂ©truire lâimage mĂ©diatique de lâadversaire, ainsi couvert de honte, et acculĂ© Ă dĂ©fendre sa rĂ©putation au lieu de livrer combat Ă son ennemi sur le terrain de la guerre classique, lĂ oĂč se joue la rĂ©alitĂ©.
Pour comprendre cela, il faut revenir Ă la conception du sociologue
Max Weber, avec sa thĂ©orie des types dâautoritĂ© et de lĂ©gitimitĂ©. Un pouvoir lĂ©gitime, câest celui auquel on obĂ©it sans coercition, sans ĂȘtre forcĂ©, volontairement, nous dit Weber.
Weber distingue 4 sources de lĂ©gitimitĂ©, et donc dâautoritĂ© :
-le charisme par lequel un individu se sent investi dâun talent exceptionnel, ce que confirment ses disciples
-une tradition reçue du passĂ©, dĂ©posĂ©e dans un texte ou un siĂšge dâautoritĂ©
-la loi et le rÚglement, une autorité légale et rationnelle
-lâexpertise, une autoritĂ© fondĂ©e sur un savoir reconnu par des pairs
Cette conception Ă©branle le partage que fait la philosophie entre lĂ©gitimitĂ© et lĂ©galitĂ© car elle avance que la lĂ©galitĂ© (lâautoritĂ© lĂ©gale-rationnelle) nâest quâun type de lĂ©gitimitĂ© parmi dâautres et donc que, dans la vraie vie, la lĂ©gitimitĂ© ne dĂ©coule pas seulement de la loi, comme on le pense dans la thĂ©orie dĂ©mocratique.
La loi cependant â et mĂȘme dâun point de vue rationnel et dĂ©mocratique â nâexiste pas en soi, Ă moins quâon ne pense quâelle vient de Dieu. En effet, elle met en forme des principes qui reposent eux mĂȘmes sur des valeurs. Mais ces valeurs, elles mĂȘmes, nâont aucun fondement rationnel : elles se fondent sur un principe de lĂ©gitimitĂ© qui ne peut ĂȘtre quâirrationnel. Ainsi, en France, le tribunal rend-il des jugements « au nom du peuple français », câest Ă dire dâune entitĂ© mĂ©taphysico-politique, censĂ©e exister au dessus du droit et prĂ©alablement Ă lui.
Cette perspective nous aide Ă comprendre pourquoi et comment la « dĂ©lĂ©gitimation dâIsraĂ«l » se joue sur la scĂšne lĂ©gale, je fais rĂ©fĂ©rence au droit international. Les ennemis dâIsraĂ«l recourent Ă la fois Ă lâargument de la Loi et du droit comme incarnant la lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique (câest pourquoi ils dĂ©lĂ©galisent IsraĂ«l pour le dĂ©lĂ©gitimer), tout en dĂ©tournant lâordre juridique sur lequel Ă©tait fondĂ© lâarĂšne internationale, câest Ă dire en contestant la lĂ©gitimitĂ© qui le fonde (Ă savoir un ordre mondial fondĂ© sur la souverainetĂ© des Etats-nations) et en tentant de façon sournoise dâinstaller de nouvelles valeurs en prĂ©vision dâun droit qui nâexiste (encore) pas.
Un double mouvement se produit donc: les Palestiniens attaquent IsraĂ«l sur le plan du droit international en mĂȘme temps quâils attaquent lâordre actuel du droit international.
Cette attaque dĂ©passe les Palestiniens. Elle est portĂ©e, nourrie et soutenue par une idĂ©ologie qui domine aujourdâhui les Ă©lites en Occident : le post-modernisme, dont un des objectifs essentiels est :
*de dĂ©truire, sur le plan international, lâEtat-nation, le critĂšre national-Ă©tatique de lâordre international ;
*de dĂ©trĂŽner, sur le plan national, les droits du citoyen au profit des droits de lâhomme.
Ce prisme idĂ©ologique redĂ©finit entiĂšrement la rĂ©alitĂ© vĂ©cue. On peut en voir lâillustration Ă quatre niveaux
1) Lâinvalidation du principe de souverainetĂ© et la dĂ©nationalisation des conflits aussi bien internes quâexternes. Il nây a plus de « guerres » - ce qui supposait lâexistence dâEtats- mais des « diffĂ©rends », des « tensions inter-quelque chose ». On invoque depuis peu au Conseil de sĂ©curitĂ© un nouveau principe « la responsabilitĂ© de protĂ©ger » qui autorise lâingĂ©rence (forcĂ©ment des plus puissants sâarrogeant dĂ©sormais un directoire « moral » de la planĂšte) dans les affaires intĂ©rieures des Etats pour une cause humanitaire.
Cette nouvelle donne, pour lâinstant purement idĂ©ologique, induit une confusion gĂ©nĂ©rale des juridictions avec le mythe, spĂ©cifiquement et uniquement europĂ©en, de la « compĂ©tence universelle » ou lâidĂ©e que lâinstance judiciaire a le primat sur lâinstance lĂ©gislative â le parlement -, dâoĂč est censĂ©e, en dĂ©mocratie, venir la Loi, toute la Loi.
2) Le mythe de « la communauté internationale » qui transcenderait les Etats en une sorte de société civile non plus nationale mais mondiale.
Mais la population des fonctionnaires internationaux ne forment pas une communautĂ© et ses acteurs ne sont pas des individus. Bien au contraire ce sont les blocs de vote automatique et les ONG, des organisations trĂšs opaques qui prĂ©tendent tout contrĂŽler mais que personne ne contrĂŽle (et qui souvent sont les bras « moraux » des Ătats occidentaux [3]), qui ont le dessus.
3) La transformation de la guerre : les guerres asymĂ©triques oĂč lâon voit des populations se lancer dans une guĂ©rilla contre lâEtat dans lequel elles vivent, en appelant Ă une intervention internationale, toujours bien sĂ»r pour des causes « humanitaires », au nom de lâHomme Ă lâencontre de lâordre de la citoyennetĂ© de lâEtat-nation.
4)Le renversement des valeurs qui en dĂ©coule : ce nâest plus le citoyen en effet qui est le critĂšre de la lĂ©gitimitĂ© mais lâHomme, toujours lâhomme souffrant, victime du citoyen, victime de lâEtat-nation Et câest ce qui entraĂźne
une entreprise gĂ©nĂ©rale de dĂ©nationalisation du droit international, au profit dâun ordre actuellement totalement erratique qui fait rĂ©fĂ©rence Ă lâhumain, lâhomme nouveau.
5)
Lâinstrumentalisation inĂ©vitable du droit international Ă des fins politico-idĂ©ologiques et religieuses (je pense au bloc de lâOrganisation de la ConfĂ©rence Islamique Ă lâONU et Ă GenĂšve).
Le principe de « la responsabilitĂ© Ă protĂ©ger » pourra ĂȘtre instrumentalisĂ© par tout groupe activiste qui cherchera Ă monter le spectacle dâun drame humain sanglant â quitte Ă sacrifier cyniquement certains de ses membres comme lâont fait lâOLP et le Hamas â pour rameuter la planĂšte contre le pouvoir Ă©tatique quâil cherche Ă abattre. Avec lâarme civile, lâinstrumentalisation des civils, il le transforme en monstre sanguinaire avant dâappeler Ă son Ă©limination et surtout il rend impossible lâutilisation des armes conventionnelles. LâHumain est devenu lâarme absolue des guerres asymĂ©triques.
Vous avez lĂ une description des fondements de la stratĂ©gie palestinienne et de ses sĂ©ides, le spectacle permanent de Pallywood, selon lâexpression du prof Richard LandĂšs, qui souligne la mise en scĂšne permanente de la souffrance palestinienne. Cette stratĂ©gie utilise les populations civiles, femmes et enfants, la scĂšne tĂ©lĂ©visuelle unique de lâhĂŽpital de Gaza, lâaccusation de « gĂ©nocide » Ă DjĂ©nine, Gaza, de racisme instituĂ© Ă lâĂ©gard des Palestiniens y compris israĂ©liens, de façon Ă provoquer une intervention internationale pour imposer une solution favorable aux Palestiniens.
La Libye, la Syrie sont autant dâĂ©tapes vers cette marche vers un interventionnisme humanitaire au Moyen Orient. Câest pourquoi lâenjeu syrien est dĂ©cisif.
Cette manipulation de lâhumain prend dans lâopinion dĂ©mocratique occidentale car elle ressuscite, en ce qui concerne IsraĂ«l seul le vieux mythe antisĂ©mite du crime rituel, du Juif tueur dâenfants, ce que corroborent les sondages dâopinion en Europe, confondant lâEtat dâIsraĂ«l avec le nazisme, le racisme, le gĂ©nocide. Nous en avons une preuve par lâabsurde en ce que le massacre syrien nâa fait descendre personne dans la rue en Occident comme dans le monde arabe. Par ailleurs, comme le discours idĂ©ologique nous le montre, elle la met en regard de la Shoah, redĂ©finie comme tragĂ©die de lâhumain en gĂ©nĂ©ral dont les Palestiniens seraient les seuls tĂ©moins, comme le dit un jour Edward SaĂŻd en les prĂ©sentant comme les « victimes des victimes », ce qui inscrit IsraĂ«l dans la lignĂ©e du bourreau nazi.
Câest pourquoi je dirais que sâil faut livrer le combat lĂ©gal, sur le plan du droit, il ne faut pas trop y croire, car le droit est aujourdâhui un champ de bataille instrumentalisĂ© par ceux qui sâen revendiquent. La lĂ©galitĂ© dâIsraĂ«l sur le plan de son existence est impeccable sauf pour les historiens au petit pied qui rĂ©Ă©crivent lâhistoire pour servir leur idĂ©ologie.
Ce nâest pas lĂ que les choses se passent en vĂ©ritĂ©. Il faut livrer ce combat, cependant, mais livrer aussi dâautres combats, non pas seulement pour se dĂ©fendre mais pour attaquer et encombrer les tribunaux de la planĂšte, exactement comme le fait lâadversaire. Mais il y a plus important,
il faut surtout faire entendre aux Etats-nations dĂ©mocratiques dâOccident, qui sont lâarĂšne essentielle de cette guerre juridique, que demain ce seront eux et eux uniquement qui seront les cibles des attaques dont IsraĂ«l est lâobjet.
Quâils nâouvrent pas la boĂźte de Pandore qui conduira Ă la multiplication de la guerre, Ă la ruine de la dĂ©mocratie et de la vie internationale !
*Intervention à la conférence « Israël face aux défis du droit. Legal Challenges and Opportunities in Israël Policy and Advocacy », Paris, 20 juin 2012.
Notes :
(1) En somme, lâimportant est quâIsraĂ«l se sente absolument lĂ©gitime, pour lâĂȘtre et en persuader les autres. Câest pourquoi la question de savoir si IsraĂ«l peut ĂȘtre « juif et dĂ©mocratique », ce qui serait la condition de sa lĂ©gitimitĂ©, de son droit Ă exister, Ă©quivaut de facto Ă un dĂ©ni de lĂ©gitimitĂ© (si lâon prend le mot juif pour ce quâil dĂ©signe aussi, Ă savoir un peuple). La France se demande-t-elle si elle est peut ĂȘtre française et dĂ©mocratique ? On rira quand on pensera Ă lâĂ©radication de tout non musulman et non arabe dans la future « nation » palestinienne, elle, parfaitement lĂ©gitime aux yeux de lâunivers (et câest parce que les Palestiniens nâen doutent pas une seconde)âŠ
(2) Nâest-ce pas dĂ©jĂ ce qui se passa avec PĂ©tain ou Hitler, portĂ©s au pouvoir de façon formellement « dĂ©mocratique » ?
(3) Quâon appelle sur le mode de la dĂ©rision non plus les ONG mais les GONG : Organisations non gouvernementalesâŠ
soutien politique, « culturel » et 10 millions dâEuros dâacompte sur des sommes Ă venir, sans avoir le moindre compte Ă rendre, semble-t-il. [
www.desinfos.com] (HĂ©lĂšne Keller-Lind) Pourquoi modifierait-il son enseignement de la haine