Arrik Delouya etait recemment a Mogador pour l'organisation dont il est President "Permanences du Judaisme marocain" et voici a ce sujet un texte qui resume un peu l'histoire de cette ville et sa relation avec la communaute juive.
Ceci s'ajoute a la description en photos faite par Echkol et sans y avoir jamais ete, j'ai l'impression que je saurais me diriger dans ses ruelles aux couleurs du soleil et de la mer.
Essaouira (Mogador)
Anciennement appelée Amogdul (la bien gardée) en Berbère, Mogdura en portugais, Mogadur en espagnol et Mogador en français, Essaouira (la bien dessinée) est une ville portuaire du Maroc sur la côte atlantique comptant environ 70 000 habitants et le chef-lieu de la province du même nom qui compte environ 500 000 habitants. Au Moyen Âge, les marins portugais mesurent tous les avantages de cette baie et baptisent la ville Mogador, déformation probable du nom de Sidi Mogdoul, un marabout local.
Les juifs ont un statut spécial d'intermédiaires entre le sultan et les puissances étrangères, obligées d'installer à Essaouira une Maison consulaire (il y en eut jusque dix dans la Kasbah). On les appelle les « négociants du roi » ou les « représentants consulaires ». Ils ont, par exemple, le monopole de la vente du blé aux chrétiens, celle-ci étant interdite aux musulmans.
En 1764, le sultan Mohammed ben Abdellah décide d'installer à Essaouira sa base navale, d'où les corsaires iront punir les habitants d'Agadir en révolte contre son autorité. Il fait appel à Théodore Cornut, un architecte français à la solde des Britanniques de Gibraltar. Le sultan le reçoit avec tous les honneurs dus à un grand artiste et lui confie la réalisation de la nouvelle ville « au milieu du sable et du vent, là où il n'y avait rien ».
Cornut l'Avignonnais, qui avait été employé par Louis XV à la construction des fortifications du Roussillon, travailla 3 ans à édifier le port et la kasbah, dont le plan original est conservé à la Bibliothèque nationale de France à Paris. Il semblerait que la seconde ceinture de remparts et la médina aient été dessinées bien après le départ de Cornut. Le sultan n'avait souhaité prolonger leur collaboration, reprochant au Français d'être trop cher et d'avoir travaillé pour l'ennemi britannique. Avec son plan très régulier, la ville mérite bien son nom actuel d'Es Saouira, qui signifie « la Bien-Dessinée ».
L'importance d'Essaouira n'a cessé de croître jusqu'à la première moitié du XIXe siècle, et la ville connut une formidable prospérité grâce à l'importante communauté juive. On y compta jusqu'à 17 000 juifs pour à peine 10 000 musulmans. La bourgeoisie marocaine accourait y acheter des bijoux. On l'a longtemps surnommé le port de Tombouctou, car les caravanes chargées d'or, d'épices et d'esclaves venues d'Afrique subsaharienne y étaient négociées. Le commerce y était florissant.
Mais la plupart des juifs partirent après la guerre des Six Jours. Aujourd'hui, il ne subsiste que quelques familles juives dans la ville. Pendant des années, ce fut le seul port marocain ouvert au commerce extérieur. Le déclin commença avec le protectorat français et le développement d'autres ports (Casablanca, Tanger, Agadir). Handicapée par ses eaux peu profondes et ne pouvant pas recevoir les gros bateaux modernes, la ville connaît cependant une renaissance spectaculaire depuis une quinzaine d'années, renaissance due essentiellement au tourisme mais aussi à sa vocation culturelle.
« Maintenant qu’on a tourné la page du siècle — terrible et terrifiant XXe siècle — la mémoire plus que jamais fait valoir son droit et son exigence. Nomadisme, exil, naufrage, arrachement, que de terres nouvelles, que de chemins escarpés, que de destins contrastés pour tes tentes, ô Jacob, tes demeures, ô Israël ! David Bensoussan, qui appartient à la communauté sépharade de Montréal (quelque 20 000 Juifs, venus du Maroc pour l’essentiel), n’oublie pas son enfance à Mogador — aujourd’hui Essaouira — et c’est donc aux souvenirs saouris qu’il fait appel dans ce beau livre d’images et de textes qu’il appelle, filialement, c’est-à -dire pieusement, Le fils de Mogador. Il avait dix ans lors de son départ, mais pourtant rien n’est oblitéré, ni les évocations de la ville, ni ses personnages, sa famille, certes, mais aussi tout le kahal et ses synagogues, ni les expression de terroir, en judéo-arabe, certes, mais aussi avec des bribes lointainement ibériques, car Mogador fut d’abord une place forte portugaise du XVIe siècle, et un repaire de corsaires. Les Juifs, comme dans tout le Maroc, se distinguaient entre toshavim ou maghrébins et megorashim, c’est-à -dire exilés de Sépharad (l’Espagne). Ils y occupèrent un mellah des plus importants, qui connut des destins éminents, soit dans le commerce, soit même dans la politique. David Bensoussan se souvient des ruelles, des historiettes, du folklore et, surtout, des solennités religieuses, avec tout ce que cela entraînait de fêtes et de spécificités culinaires (une anecdote truculente nous rapporte comment le général Franco, soumis à son cuisinier juif de Mogador, fit, durant toute la campagne du Maroc, son plat quotidien d’une shkhina chabbatique : pois chiches, blé, riz, farce, pommes de terre, patates douces, jarret, poulet, Å“ufs durs, le tout baignant dans une sauce riche et grasse et parfumée. Qu’on s’étonne ensuite des rondeurs du GeneralÃsimo !). Mais l’auteur rappelle aussi le souvenir des 50 martyrs juifs d’Oufrane qui, en 1790, préférèrent la mort à la conversion à l’Islam. Il publie aussi un fac-similé du recensement — de triste mémoire — des juifs mogadoriens établi par les autorités de Vichy avant le débarquement des Américains à Casablanca en 1942. Bref, tout un pan d’histoire et de précieuse mémoire que nous restitue avec talent, science, humour et tendresse David Bensoussan qui fait, comme bien d’autres mémorieux avant lui, une véritable mitzvah. »
Extrait du livre "Le fils de Mogador" - David Bensoussan - Les éditions du Lys -