ESSAOUIRA MOGADOR
Posté par:
gerard (IP enregistrè)
Date: 06 novembre 2007 : 20:20
A l'occasion du festival, André Azoulay a accorde un interview au Canadian Jewish News.
En voici un extrait se ralliant principalement a la relation judeo-musulman, et sur l’avenir de la Communauté juive marocaine.
C.J.N.: Ce Festival sera aussi un Forum de réflexion sur les perspectives d’avenir des relations entre Juifs et Musulmans?
André Azoulay: Tout à fait. Il n’y aura pas que de la musique. Il y aura aussi un grand Forum consacré à un thème essentiel qui est l’examen, l’analyse ou le débat autour de cette renaissance du judaïsme maghrébin que l’on ressent par différents signaux. Nous souhaitons savoir à l’occasion de ce Festival si ce frémissement est simplement l’expression de la nostalgie ou s’il annonce des lendemains prometteurs. Nous laissons aux artisans de la création musicale, artistique et plastique le soin de répondre à cette question capitale.
C.J.N.: Essaouira est depuis longtemps la cité marocaine emblématique du métissage des cultures et des religions.
André Azoulay: Essaouira, c’est ma passion. Je suis natif de cette ville, mon épouse Katia aussi. Essaouira a une histoire particulière. Cette ville portuaire située sur la côte atlantique a été l’un des rares espaces urbains dans le monde musulman, mais au sens le plus large, c’est-à-dire depuis le Maroc jusqu’à l’Indonésie, qui a eu à un moment de son histoire une population juive qui était majoritaire ou égale à la population musulmane. Évidemment, ça laisse des traces. Nous sommes aujourd’hui dans cette logique quand nous perpétuons et donnons réalité et vie à cet héritage qui est le nôtre par le biais de ce Festival musical et culturel.
Essaouira est la seule ville du Maroc dont la renaissance s’est construite sur la culture, le patrimoine et l’art. Essaouira est chaque année le théâtre de quatre grands Festivals: le plus connu est le Festival Gnaoua et Musiques du monde -500000 personnes y ont assisté cette année-; il y a aussi un Festival de Musique de Chambre et d’Opéra, appelé Le printemps musical des Alizés, un des grands rendez-vous des mélomanes; le Festival des Andalousies Atlantiques et le Festival des Jeunes talents, qui a lieu en août. Ces Festivals d’une très grande richesse se déroulent dans un cadre populaire très large.
C.J.N.: Le dialogue judéo-musulman sera la principale pierre angulaire de ce Festival?
André Azoulay: C’est plus qu’un dialogue. C’est à la fois la convivialité, la proximité et la légitimité parce que, comme vous le savez, la Communauté juive du Maroc est l’un des piliers fondateurs de l’État-nation marocain. Le Maroc reste le porte-flambeau de cette perspective. Les Marocains ne sont pas amnésiques. Le judaïsme est arrivé au Maroc avant l’islam. Le Royaume chérifien s’est bâti sur trois grands piliers: le judaïsme, les Berbères et la mouvance arabo-musulmane.
C.J.N.: Cette rencontre interculturelle s’inscrit-elle dans la logique et la continuité du travail de rapprochement interreligieux accompli par la Fondation des Trois Cultures et des Trois Religions que vous avez créée en Espagne?
André Azoulay: J’ai créé il y a un peu plus de dix ans la Fondation des Trois cultures et des Trois religions, basée à Séville. Cette institution, dont je suis le président délégué, est coprésidée par sa Majesté le Roi du Maroc, Mohammed VI, et sa Majesté le Roi d’Espagne, Juan Carlos Ier.
Chacun d’entre nous a à la fois un héritage et une référence qui sont ceux de l’Andalousie. Notre but est de préserver non seulement l’enseignement, l’éducation et les valeurs nés durant la période de l’Âge d’Or espagnol, mais de faire en sorte que cette Mémoire que nous nous escrimons à préserver ne soit pas simplement une référence au passé mais aussi un atout pour nous aujourd’hui et pour nos enfants demain.
Nous vivons malheureusement dans un univers qui depuis quelques années semble s’inscrire dans une logique qui est régressive et dans une perspective qui est une sorte de retour à des pratiques où toutes les vieilles peurs que l’on croyait disparues sont en train de réapparaître simplement parce qu’on ne prie pas Dieu avec les mêmes paroles ou parce qu’on appartient à une culture ou à une religion différente de celle de notre voisin. Moi, je m’inscris en faux depuis toujours contre le prétendu “choc des civilisations”. Ce concept est une escroquerie de la politique. Je m’oppose vigoureusement à toute instrumentalisation de la religion dans le débat politique. La religion n’a rien à faire dans la sphère politique. Les trois religions monothéistes sont là pour nous rapprocher et non pour nous diviser.
C.J.N.: La Fondation des Trois Cultures et des Trois Religions de Séville a-t-elle été créée pour contrer les fondamentalismes religieux?
André Azoulay: Cette Fondation a été créée avant l’émergence des fondamentalismes religieux. Il est bien évident que le fait même que nous existions sous cette forme est en soi éloquent. Nous n’existons pas contre quoi que ce soit, nous existons pour.
Des projets exceptionnels ont été réalisés par cette Fondation, notamment sur le plan bilatéral maroco-espagnol et sur le plan régional. Le bilan est très positif. Cette Fondation est un espace de la synthèse.
C.J.N.: Le Maroc n’a pas été épargné par le fondamentalisme islamique. Ce phénomène délétère inquiète-t-il les Marocains?
André Azoulay: Absolument. Les Marocains sont viscéralement attachés aux racines les plus profondes de leur pays, qui a toujours témoigné de l’acceptation de l’Autre et préservé tout au long de son histoire cette particularité de proximité, de respect mutuel, de connaissance mutuelle, même s’il y a eu des hauts et des bas parce qu’il n’y a pas de parcours idéal. Mais, dans la perspective historique, je trouve que le parcours marocain, avec ses ups and downs, a été un parcours riche d’enseignements qui de mon point de vue reste non seulement d’actualité mais demeure aussi un parcours de l’espoir et de l’art du possible.
C.J.N.: Il y a aujourd’hui très peu de Juifs au Maroc. Comment envisagez-vous l’avenir de la Communauté juive marocaine?
André Azoulay: On ne peut pas à la fois évaluer, mesurer ou parler du poids relatif de la Communauté juive marocaine simplement à travers le critère démographique. La vraie question qui se pose, c’est de s’interroger pourquoi il y a aujourd’hui dans le monde à peu près 1 million de Juifs qui se réclament de leurs racines marocaines et qui le font spontanément sans que personne ne leur demande et sans qu’il y ait quoi que ce soit au terme de cette réaffirmation qui traduise une ambition politique, économique ou autre. Ils le font parce qu’ils y trouvent leur équilibre. Dans l’histoire juive en général, malheureusement, la référence au passé est souvent tragique et dramatique parce que l’Histoire ne nous a pas gâtés. De ce point de vue, le Maroc est une exception. C’est ça la vraie réponse à votre question. En ce début du XXIe siècle, il y a à peu près 1 million de Juifs qui partout dans le monde maintiennent vivace et très actuelle une civilisation judéo-marocaine vieille de plus de 2000 ans. À mon avis, c’est ça l’espoir pour demain.
C.J.N.: Israéliens et Palestiniens vont renouer bientôt le dialogue à Washington. Êtes-vous optimiste en ce qui a trait aux perspectives futures du processus de paix israélo-arabe?
André Azoulay: Je ne suis pas optimiste seulement à cause de cette Conférence, qui ne sera qu’une autre étape dans le long chemin devant mener à la paix. Je suis optimiste parce qu’il n’y a pas une autre alternative à la paix. Il n’y a pas une autre réponse pour le futur et la sécurité d’Israël en tant qu’État. Nous, Juifs, si nous voulons garder cohérence, force et légitimité dans les valeurs qui sont les nôtres, on ne peut pas accepter plus longtemps que celles-ci soient remises en cause par la situation actuelle entre Palestiniens et Israéliens. Plus tôt les Palestiniens auront retrouvé leur droit à la dignité, à la justice et à la liberté, comme les Israéliens le veulent pour eux-mêmes et c’est légitime, plus tôt nous serons plus fortement installés dans nos valeurs juives. Nos valeurs juives ne peuvent pas s’épanouir dans un climat de confrontation et dans une situation où ce qui nous a été donné manque à celui qui est notre voisin. C’est une leçon élémentaire mais vitale, en tout cas de mon judaïsme à moi.
C.J.N.: Sous la gouverne de feu le Roi Hassan II, le Maroc a joué un rôle de médiation de premier plan et des plus déterminants dans le conflit israélo-arabe. Ce complexe et épineux Dossier est-il prioritaire aussi pour le Roi Mohammed VI?
André Azoulay: Le Maroc continue à apporter sa contribution et à jouer un rôle de déterreur pour une paix juste qui prenne en compte les attentes légitimes d’Israël pour son futur, sa sécurité et sa stabilité et le droit des Palestiniens à retrouver une terre, la paix et la dignité. Pour moi, cette perspective, qui est celle du Maroc et à laquelle je m’identifie, est celle d’un espace où les mots de dignité, de souveraineté, de justice, de respect mutuel doivent absolument se conjuguer de la même façon que l’on parle des Israéliens ou des Palestiniens. Il n’y a pas de traitement ou d’analyse à deux vitesses de ce Dossier. En tout cas, moi en tant que Juif, la façon qui est la mienne d’aider au futur d’Israël, c’est de militer pour que les Palestiniens retrouvent leurs droits le plus vite possible. Je crois que c’est ça qui assurera à la fois la pérennité de l’État juif et un futur en paix pour les générations montantes en Israël.