Fes, centre spirituel et culturel du Maroc Traditionnel
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gerard (IP enregistrè)
Date: 13 juillet 2008 : 02:03
La carte sociolinguistique de Fès
A l’occasion de la célébration du 1200ème anniversaire de la fondation de la ville de Fès, capitale spirituelle du Maroc, « L’Opinion » publie une étude sociolinguistique de cette ville. Ladite étude a été réalisée récemment par M. Hilili Abdelaziz, professeur d’enseignement supérieur, docteur d’Etat en linguistique générale et arabe de la Sorbonne Nouvelle (Paris III), auteur de cinq livres publiés en 1990 et 2004. Il est aussi l’auteur d’un 6ème livre intitulé « Phonologie de l’arabe classique et de l’arabe fassi, étude comparative » qui va apparaître bientôt à l’occasion des festivités de cet anniversaire.
L’établissement de la carte sociolinguistique de Fès avant la fin de la première moitié du vingtième siècle nécessite la présentation des quartiers qui composaient cette ville, de leurs habitants et de leurs parlers.
Le choix de la période qui précède l’indépendance du Maroc se justifie par le fait qu’après 1956 ce pays est entré dans une étape de grands changements qui ont touché tous les domaines : économique, politique, socioculturel, linguistique... etc, qui ont beaucoup influencé la carte sociolinguistique de ce pays, en général, et celle de Fès en particulier.
Les quartiers de Fès
Fès était composée de trois grands quartiers distincts depuis les Mérinides. Avec l’avènement du protectorat, un quatrième quartier était né. Après l’indépendance de nouveaux quartiers ont vu le jour tout autour des anciens. Fès compte actuellement près de 750.000 habitants.
La médina
Vers la fin du VIIIème siècle, Idriss 1er, descendant d’Ali (le gendre du Prophète Mohammed) s’enfuit du Moyen Orient où sa famille était persécutée par la dynastie Abbasside de Baghdad. Une fois arrivé au Maroc, il décida de rester définitivement à Walila, où il prend pacifiquement le pouvoir quelques temps après. Des groupes d’arabes et de berbères de différentes régions du Maghreb et d’Andalousie, viennent le rejoindre dans cette petite ville berbère qui devient bientôt surpeuplée. Idriss 1er ordonne, alors, la fondation d’une ville capable d’accueillir une grande population et d’être en même temps une base logistique pour ses expéditions vers tous les coins du pays. Ainsi, une première cité arabe naît au Maroc en 789 dans le vallon de l’Oued El Jawahir sur sa rive droite et constitue le premier quartier de Fès. En l’an 809, son successeur fonde un nouveau quartier sur la rive gauche de l’Oued. Deux quartiers (ou plutôt les deux villes) sont ainsi nés avec leurs mosquées, leurs marchés et leurs murailles et forment, depuis, la médina.
En 1075, Fès reçoit une impulsion nouvelle sous le règne des Almoravides.
Ces deux quartiers s’unifient et deviennent la base logistique des expéditions militaires en Espagne. Mais Fès perd son rôle de capitale politique et administrative du Maroc en faveur de Marrakech. Il faut attendre l’arrivée de la dynastie Mérinide pour que cette ville retrouve ce rôle.
Fès Jdid et le Mellah
Avec la consolidation et l’extension du pouvoir des Mérinides, la population de la ville devient plus importante et sa surface s’élargit. Ainsi, les nouveaux dirigeants fondent une cité administrative et militaire (1276) à quelques centaines de mètres au Sud-Ouest de l’ancienne ville. D’abord appelée El Madina El bayda (la ville blanche), cette cité devient bientôt Fès Jdid (Fès neuf) par opposition à Fès l-bali « Fès l’ancien ». Autour du palais, élément fondamental de la ville neuve, des quartiers se développent rapidement et s’ordonnent selon un plan bien structuré. L’un de ces quartiers devient le Mellah, au XIVème siècle, et regroupe tous les juifs qui habitaient l’ancienne ville.
Fès Jdid devient la cité gouvernementale, mais la médina reste toujours la cité intellectuelle et religieuse. De somptueuses medersas, à la fois collège et logement universitaire, y sont construites par les Mérinides. Ces monuments restent jusqu’à nos jours parmi les plus beaux témoignages de l’art hispano-mauresque.
Au début du XVIème siècle, la dynastie saâdienne s’empare du pouvoir à Fès et y construit deux forteresses qui la dominent, l’une au Nord et l’autre au Sud.
En 1666, le premier souverain alaouite, Moulay Rachid, prend le pouvoir dans cette ville, y édifie plusieurs monuments et une kasba pour le logement d’une tribu militaire (Cherarda). Son successeur Moulay Ismail décide de prendre Meknès comme capitale. Aussi, Fès perd-t-elle à nouveau son rôle de capitale politique et ne le retrouve qu’au XIXème siècle sous le règne de Moulay El Hassan, mais ne tarde d’ailleurs pas à le reperdre au début de la 3ème décennie du XXème siècle.
Dar-Dbibegh (la ville nouvelle)
Le 30 mars 1912, la France impose à Moulay Hafid le traité de Fès instituant son protectorat sur le Maroc, commence alors à se développer une nouvelle cité, au Sud-Ouet de Fès Jdid à caractère nouveau avec de grandes avenues et des habitations de type européen, c’est Dar Dbibegh.
Après l’indépendance du Maroc en 1956, un quartier industriel s’implante sur la route de Rabat et d’importantes usines de textiles et d’armements s’installent sur la route de Sefrou et de Meknès, Fès est actuellement formée de trois grands quartiers :
1) La médina
2) Fès Jdid et le Mellah
3) Dar Dbibagh et les nouveaux quartiers
La population de Fès au début du XXème siècle
Au début du XXème siècle Fès était formée de trois agglomérations. La médina, Fès Jdid et le Mellah ; sa population totale était de près de 125.000 habitants.
La population de Fès Jdid
Fès Jdid était peuplé de familles des tribus militaires de Tafilalet, du Souss et d’Africains descendants des soldats noirs de Moulay Ismaïl. Ces populations originaires de différentes régions du Maroc, « avaient toutes ceci en commun (dit Le Tourneau). Elles étaient toutes bédouines, leur métier de soldat les avait empêchés de prendre aucune habitude citadine, les habitants de ce quartier ont toujours parlé un dialecte arabe bédouin, différent de celui du Mellah et de la Médina ».
La population du Mellah
Le Mellah est le quartier des juifs. La communauté israélite de Fès comprenait vraisemblablement des descendants des juifs établis dans la ville depuis sa fondation (juifs venus du Moyen-Orient et berbères judaïsés) et des juifs espagnols réfugiés au Maroc à partir du XVème siècle. A la fin du XIXème siècle, on parlait, encore, espagnol dans plusieurs familles juives à Fès. Le judéo-arabe de Fès est un parler citadin qui a fait l’objet d’une étude assez exhaustive de la part de L. Brunot et E. Malka .
Ce parler différait sur beaucoup de points des parlers de Fès Jdid et de la Médina. « L’usage linguistique des juifs dit D. Coohen au sujet de Fès - s’y distingue de celui des Musulmans sur divers points : (M)Q : (j) ? (M) s . z, s.
z. seulement (S. Z au contact d’emphatiques), (j) forme unique en C1C2 V c à l’accompli de la 3ème pers, du fem, des 2èmes et 1ères pers (M) distinction entre C1 VC2C3-t pour la 3ème pers du fem et C1C2VC3 pour les autres... de même (j) confond sous la forme , les pronoms mas et fem. de la 2ème pers. du sing. restées distinctes ailleurs.
La population de la Médina
R. Le Tourneau dit au sujet des originaires de la Médina, dont les deux principales activités étaient le commerce et l’artisanat « quand on fiat allusion aux fassis, on veut parler de bourgeois riches ou pauvres, possesseurs ou non d’une belle maison, mais correctement vêtus et pénétrés de ce qu’on appelle là -bas la qaïda, autrement dit les règles impérieuses presque tyranniques, du savoir vivre fassi » les origines de ces « fassis » étaient variées (voir origines du parler fassi ci-dessous) mais ils étaient tous très attachés à leur civilisation et à leur mode de vie et étaient fiers de l’histoire de la culture de leur ville. A côté de ces bourgeois et mêlés à eux vivaient des groupes divers plus ou moins fixé dans la Médina. On trouvait parmi ces groupes : une masse flottante constituée d’hommes de passage qui venaient particulièrement des tribus arabophones de la région Ouest de Fès. Outre ces hommes, on trouvait des amazighs de l’Atlas qui venaient exercer le métier, de portefaix, les natifs du Souss qui constituaient le gros, sinon la totalité, des corporations des gargotiers, des détaillants d’huile, de miel, de savon, etc. Les natifs du Sahara formaient le groupe des maçons, des porteurs d’eau, etc. d’après R. Le Tourneau.
Ces divers groupes et d’autres gardaient une certaine cohésion interne, ils vivaient entre-eux et se mariaient dans leur région d’origine. Ils constituaient un peu plus du 1/10 de la population de la Médina.
Le parler des « fassis » était un parler citadin, l’un des plus anciens parlers arabes d’Afrique du Nord, et celui qui aurait conservé le plus de traits archaïques jusqu’après l’indépendance du Maroc en 1956. Ce parler constitue avec l’arabe classique l’objet central de cette étude. Origine de l’arabe fassi
L’arabe et ses variantes
1- Rappelons, tout d’abord, que l’arabe est une langue sémitique. Elle est actuellement la première langue au Moyen-Orient, en AfrIque du Nord et serait la seconde langue étrangère dans certains pays européens comme la France et certains pays africains comme le Niger, le Mali ou le Sénégal. Cette langue se rencontre, chez une Intime minorité, dans des pays d’Amérique du Nord et du Sud ainsi que dans certaines républiques asiatiques de l’ancienne URSS.
Aujourd’hui, on distingue entre :
L’arabe classique, c’est-à -dire l’arabe du Coran, de la littérature et de l’écrit ;
Les dialectes et les parlers arabes
L’arabe médian qui est un niveau en émergence depuis quelques décennies ; c’est un brassage entre l’arabe classique et les parlers arabes contemporains. Il est un trait d’union entre la première et les seconds.
2- On divise généralement les parlers et les dialectes arabes en deux grands groupes : les parlers citadins ou sédentaires, dont le fassi fait partie, et les parlers nomades ou bédouins. Ces derniers trouvent leur origine dans les parlers des tribus nomades qui ont émigré hors de la péninsule arabique pendant et après les conquêtes islamiques et qui se sont installées définitivement dans différentes régions du monde musulmane (1).
La variété des traits caractéristiques des parlers arabes citadins et la formation de ces parlers ont conduit à l’apparition de plusieurs thèses, plus ou moins différentes, au sujet de leur origine.
3- Avant de présenter les éléments qui semblent avoir été à la base de la construction du fassi, nous résumons en quelques phrases, les principales thèses avancées au sujet de l’origine des parlers arabes citadins (ou sédentaires) en général.
a- Vollers, l’un des premiers orientalistes qui a posé le problème de l’origine des dialectes arabes et de l’arabe classique, croit que la base des parlers sédentaires est le dialecte hedjazi (2)
b. M. Cohen considère (au début du 20ème siècle) qu’une sorte de koïné militaire, formée à partir de divers dialectes arabes de l’époque du prophète Mohammed et des califes, a évolué dans différentes régions du monde musulman et a fini en plusieurs dialectes arabes sédentaires (3).
c- J. Fück pense, quant à lui, que le brassage des dialectes de la péninsule arabique a donné naissance à l’arabe classique au début de l’époque islamique. Cette langue classique s’est ramifiée, sous l’Influence des contacts avec d’autres langues, en divers dialectes citadins (4).
Pour Ch. Pellat, les dialectes arabes sédentaires étaient plus ou moins différents dès l’origine. Ils sont le résultat d’un brassage qui s’est effectué pour chaque dialecte, dans différentes régions du monde arabophone. « Trois éléments fondamentaux, dit-iI, dont le dosage n’est d’ailleurs pas uniforme, sont à l’origine d’un parler ou interviennent dans sa construction ; ies anciens dialectes, l’arabe classique, le substrat » (5).
e- Ch Ferguson est, à notre connaissance, le premier linguiste qui a essayé, dans son article, « the arabic koïné » d’apporter la preuve scientifique à la thèse selon laquelle une « koïné » relativement homogène, non basée sur le dialecte d’un seul centre, s’est développée comme forme de conversation arabe et s’est étendue sur presque tout le monde islamique lors des premiers siècles de l’ère musulmane » (6).
Cette koïné, dont les dialectes sédentaires sont les continuateurs, est caractérisée par deux faits essentiels :
elle est née dans les camps militaires musulmans des premiers siècles de l’Hégire ;
elle est différente de l’arabe classique et des dialectes de la péninsule arabique, bien que cette koïné ait existé parallèlement à eux « Nous allons décrire ici, dit Ferguson, quatorze éléments dans lesquels les dialectes modernes se sont mis d’accord en face de la ’arbiyya, chaque élément est, en fait, une constellation d’éléments linguistiques minimums qui, rassemblés, semblent avoir probablement fonctionné ensemble » (7).
Les quatorze éléments que Ferguson présente relèvent aussi bien de la phonologie que de la morpho-syntaxe et du lexique. Exp :
Le qaf du classique se réalise /g/ dans les dialectes nomades et /q/ dans celui des citadins.
Les citadins remplacent l’ancien Dad (...) par /D/ emphatique.
Les citadins ont un /T/ emphatique dans les noms de nombre de 13 à 19 : ex : rbeç Tach (14) et les nomades ne l’ont pas.
Les citadins ont perdu la forme du duel et les nomades t’ont toujours.
La forme du pronom relatif /lli/ ou /Di/ est une spécificité des citadins.
Le verbe chaf / ychuf « voir » est spécifique aux citadins : l’arabe classique, et les nomades ne le connaissent pas.
f- Dans un article intitulé « koïné, langue commune et dialectes arabes, D. Cohen discute la thèse de Ferguson et infirme point par point les quatorze éléments que ce dernier a présentés (pour défendre la thèse de la koïné militaire), en montrant que ces éléments n’apparaissent jamais ensemble dans le même dialecte arabe citadin qu’ils ne sont pas spécifiques à ces parlers (la disparition du Dad par exemple est générale) et que certains de ces éléments vont dans le sens d’une évolution normale (A. Meillet a déjà montré, par exemple, que la disparition du duel est un signe d’évolution que connaissent toutes les langues à une période de leur histoire). A la fin de son étude, D. Cohen soutient avec des preuves historiques et linguistiques la thèse qui prône la disparité des parlers sédentaires dès l’origine, thèse avancée par Ch. Pellat. « On ne peut pas exclure, dit-il (...) que certains foyers d’arabisation aient été marqués par un dialecte particulier. Le fait général, cependant, c’est le mélange » (8).
La carte linguistique de Fès
En nous appuyant sur le travail de D. Cohen au sujet de l’origine des parlers arabes, et en prenant en considération les faits linguistiques et historiques, nous pouvons dire que le parler de Fès détient sa spécificité d’origine des fondateurs et des premiers habitants de cette ville, qui sont :
Deux fractions d’amazighes Znata : les Zwagha et les Banouyznaten qui étaient déjà installées dans l’emplacement de Fès avant sa fondation, auxquelles se sont joints, à partir du début du 9ème siècle :
La famille Idrisside et sa suite, constituée d’arabes et d’amazighs de la région de Walila (soldats, administrateurs, conseillers, etc.).
Cinq cents arabes des tribus Azd, Yahfug et Sadaf, venus directement de Moyen-Orient.
Plusieurs centaines de familles Kairouanaises (9). Au début, la répartition des différentes populations était faite, d’après A. Benlmansour, à partir de considérations tribales et des lieux de provenance. Chaque groupe s’installait dans l’endroit que lui réservaient les Idrissides : « Nous avons toujours des traces vivantes qui appuient cette thèse : ainsi, certaines rues et endroits, portent - jusqu’à nos jours - le nom de la tribu ou du groupe d’individus qui les ont habités » (10). Ces différents groupes que nous venons d’énumérer, parlaient leur propre langue ou dialecte entre eux, mais se servaient de l’arabe, langue de la religion et des gouverneurs, comme moyen de communication entre groupes. Cet « arabe » qui est à l’origine de l’actuel parler fassi est le résultat de la rencontre de trois éléments fondamentaux dont « le dosage » n’est pas uniforme :
Le premier élément est formé des parlers arabes des andalous de Cordoue, des Kairouanais et des tribus arabes venues du Moyen-Orient ;
Le deuxième est l’arabe classique (langue écrite de l’administration)
et le troisième est l’amazighe.
Il est pratiquement impossible de tirer de l’état actuel du fassi des renseignements précis sur son état « primaire ». Il va sans dire que beaucoup de facteurs externes (autres immigrations â travers les siècles, le contexte socio-culturel, l’environnement, les besoins des locuteurs, etc.) et internes (évolution naturelle, contact avec d’autres langues, emprunts, etc.) ont contribué à son évolution et en ont fait ce système de communication que nous appelons l’arabe fassi et dont nous allons présenter quelques caractéristiques. L’arabe fassi est un parler arabe citadin qui s’est formé dès le début de l’ère musulmane, comme on vient de le voir. Il est presque aussi ancien que celui de Kaïrouan en Tunisie par exemple. Cependant, notre parler se distingue de celui-là par la conservation de beaucoup de traits archaïques qui sont d’une grande utilité pour la linguistique diachronique. La conservation de ces traits trouve son explication dans l’histoire de Fès. Cette ville a occupé - depuis sa fondation - une place d’honneur parmi les cités arabes d’Afrique du Nord et d’Andalousie. Ses habitants ont été fiers de cette situation enviable qu’ils ont presque toujours su maintenir : le rayonnement scientifique et culturel de cette ville à travers les siècles et sa civilisation raffinée en témoignent (11). Fès a eu, d’autre part, un passé relativement calme. Elle n’a pas connu d’invasion massive et n’a jamais été vidée de ses habitants d’origine, comme cela s’est passé à Kaïrouan ou à Bagdad. Son parler a donc évolué dans des conditions heureuses et stables ; il n’a subi d’influence marquante d’aucun parler ou dialecte arabe ou autre. Ce sont ces conditions historiques, unies aux circonstances politiques et socio-économiques, qui ont fait de l’arabe fassi l’une des variétés arabes citadines les plus conservatrices et les plus originales.
Ce parler connaît ces dernières décennies une évolution accélérée à la suite de la grande évolution socio-économique que vit le Maroc depuis les années cinquante, et qui se manifeste, par exemple, par d’importants mouvements de déplacement des populations, par un changement rapide du mode de vie et de mentalités des gens, par l’influence grandissante des langues de l’enseignement et des moyens d’information sur les langues de ce pays, etc.
Les villes marocaines ont ouvert leurs portes à l’exode rural. Ainsi, à Fès, les frontières qui .séparaient les anciens quartiers se sont effondrées :
La Médina n’est plus le fief de la bourgeoisie fassie, une grande partie de celle-ci l’a quittée.
Fès Jdid n’est plus la cité administrative et militaire depuis que Rabat est la capitale du pays.
Le Mellah n’est plus le quartier juif,
Dar Dbibegh n’est plus le quartier européen.
Ces changements sociaux dont nous venons d’énumérer quelques exemples unis à d’autres, ce sont accompagnés, sur le plan linguistique, du déclenchement d’un phénomène de koïnésation, Les différents parlers arabes marocains évoluent dans le cadre d’un rapprochement mutuel qui tend à éliminer les traits particuliers et à uniformiser ces parlers. Ceci conduit, semble-t-il, à la formation d’une koïné arabe marocaine. A ce sujet, le cas de Fès est très révélateur. Les trois cités qui formaient cette ville ont perdu, depuis quelques temps, leurs spécificités.. Aussi, leurs variétés arabes n’ont-elles pas pu échapper au mouvement général. Le judéo-arabe de Fès est en voie de disparition. Le parler de la Médina et celui de Fès Jdid tendent à se fusionner dans ce qu’on appelle l’arabe marocain médian. Cette tendance à l’uniformisation peut être constatée en comparant "ancien fassi (c’est-à -dire l’arabe que parient toujours les vieux fassis illettrés qui habitent toujours la Médina et qui ont pu relativement échapper à l’influence de l’arabe moderne et/ou d’autres langues) au parler des jeunes fassis scolarisés et dont la langue suit l’évolution générale.
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R. Le Tourneau : La vie quotidienne à Fès, Hachette, Paris 1965. P :26 L. Brunot : « Notes sur le parler arabe des juifs de Fès ». In, Hesperis. V.22 Bot et E. Malka : Textes judéo-arabes de Fès, Rabat, 1939 Brunot et E. Malka : Glossaire judéo-arabe de Fès, Rabat 1940 D. Cohen : « Variantes, variétés dialectales et contacts linguistiques en domaine arabe », in .B.S.L. de Paris, t. I.XVIII, 1973 R. Le Tourneau : La vie quotidienne à Fès, p. 27.
1. Pour plus de détails, voir Encyclopédie de l’Islam. Paris, Maisonneuve & Larousse SA., 1975, TI p, 590 et suite.
2. Le point de vue de Vollers a été discuté par R. Blachère dans : Introduction au Coran, Paris. Maisonneuve, 1959, pp : 156 à 169.
3. Voir M Cohen et A. Meillet : Les langues du monde. (Langues. chamito-sémitiques (arabe moderne). pp : 117 et suite
4. J. Fuck ; Arabia, Paris, Marcel Didier, 1955, pp.7 ; 8, 9 55
5. Ch. Pellat. langue et littérature arabes (la langue arabe et son histoire), Paris, Armand Colin, 1952 pp. 27-54
6. Ch. A. Ferguson. The Arabic Koïné in Language, v 35 n°4 (1959), pp. 616-930, reproduit in Readings in. Arabic Linguistics, al Ani (éd). E.U.L.C 1987, pp. 49/70
7. Ch. A. Ferguson. Ibidem
8. D. Cohen, « Koïné, langues communes et dialectes arabes » en Etudes linguistiques sémitique et arabe. Mouton, Paris 1970.
9. Ces différents renseignements ont été tirés d’une conférence sur l’origine des habitants de Fès, donnée en 1978, par A. Benmansour au Iycée Moulay Idriss à Fès et des deux livres de R. Le Tourneau : La vie quotidienne à Fès en 1900, Hachette, 1965, et Fès avant le protectorat (1949). I.H.E.M., Rabat. 10. A. Benmansour : Origines des habitants de Fes.
11. Voir : R. Le Tourneau : La vie quotidienne à Fès. Hachette, Paris, 1965
Voir : A. Hilili : Phonologie et morphologie de l’ancien fassi. Thèse de doctorat de 3ème Cycle. La Nouvelle Sorbonne, 1979.
Professeur Hilili Abdelaziz