J AI TROUVE TOUT UN DOSSIER SUR L HERITAGE JUIF AU MAROC ET JE M EMPRESSE DE VOUS LE FAIRE PARTAGER
C EST SUR
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Ce que le Maroc leur doit
L’heritage juif
La coexistence entre les communautés musulmane et juive est le ferment de l’identité marocaine. En nous arrêtant sur l’héritage juif, nous nous interrogeons sur ce que nous sommes.
A Bruxelles, Paul Dahan est un psychanalyste pas tout à fait comme les autres. Cet enfant de Fès œuvre à réconcilier en Belgique, la troisième génération d’immigrés marocains avec une part de son histoire… Un peu malgré lui et beaucoup par hasard.
Quand par quête identitaire, ce fils d’une famille juive du Tafilalet s’est lancé dans une collecte effrénée d’objets liés à la culture juive marocaine, bijoux, costumes mais surtout manuscrits (il en a réuni plus de 6000), il n’avait pas prévu qu’un jour, ses collections allaient intéresser un public de jeunes « beurs »… « On a organisé des tournées dans les écoles sur le thème du judaïsme marocain où l’on présentait costumes, bijoux. Le succès a été incroyable car les enfants d’immigrés étaient fiers qu’on leur présente leurs origines, leur culture de manière positive ». Preuve pour ceux qui en doutaient que le judaïsme marocain est bien une partie intégrante de l’identité marocaine. La semaine passée, Paul Dahan a fait venir dans la capitale belge Tayeb Seddiki et sa troupe, et présenté une pièce sur l’humour juif de Mogador. Salle comble et succès total. Même chose pour l’exposition « Un objet, deux cultures », actuellement au musée juif de Belgique, ou encore pour celle présentée, il y a deux ans au Musée Royal de Belgique.
Ambassadeurs malgré eux
L’exemple de Paul Dahan n’est pas si particulier. Ils sont un certain nombre aujourd’hui, juifs marocains de la diaspora, à devenir un peu malgré eux des sortes d’ambassadeurs improvisés de la culture marocaine. Leurs histoires débutent toujours de la même façon : une quête identitaire purement individuelle. Démarche égocentrique qui finit par faire d’eux, à l’étranger, les meilleurs protecteurs de la culture marocaine. Étonnant ?
« Par rapport au judaïsme, il y a tout un aspect de notre histoire contemporaine qui a été occultée », note Hind Taârji, « On trouve donc surprenant, aujourd’hui, que des juifs marocains véhiculent la culture marocaine alors que l’on trouverait cela normal si c’étaient des musulmans. Tout simplement parce qu’il est difficile aujourd’hui de concevoir que l’on peut être juif et marocain. Aujourd’hui, pour les jeunes Marocains musulmans, le juif est d’abord israélien. Donc son appartenance et son attachement au Maroc lui sont renvoyés au visage avec un effet boomerang ». Cette sociologue s’est lancée dans un travail qui en dit long sur le rapport complexe qu’entretient le Maroc avec son histoire. S’intéressant au rapport à l’autre entretenu par les deux communautés, Hind Taarji inscrit son travail dans une démarche générationnelle : « le regard que portent les générations passées et celui de la nouvelle génération sont totalement différents. Pour nos grands-parents, le lien entretenu était étroitement lié à l’espace dans lequel on se situait. J’ai fait quelques interviews auprès de personnes âgées dans l’ancienne médina de Casablanca et un vieux monsieur me racontait avec une certaine forme de nostalgie la proximité qu’il entretenait avec sa voisine qui était juive. L’autre était quelque part une partie de soi. Aujourd’hui, pour la nouvelle génération, l’autre c’est uniquement l’Israélien vu à la télévision ».
Dans un passé pas si lointain, la communauté juive était toujours là pour rappeler qu’on peut naître marocain et être juif. Aujourd’hui, ils seraient entre 2.000 et 3.000 à vivre encore au Maroc. Mais les liens ont été distendus, et l’essence même du judaïsme marocain s’est quelque peu évaporée. « Je suis surpris quand je reviens au Maroc », fait remarquer Joseph Chetrit, spécialiste de la culture judéo-marocaine. “Les jeunes générations de la communauté ne parlent plus, par exemple, le judéo-arabe. Le judaïsme marocain est une culture qui se perd ».
L’exode
Le départ massif d’une communauté dont l’importance dans l’histoire du Maroc dépasse de loin le nombre numérique (3% de la population dans les années 50 étaient de confession juive) a laissé un vide qu’aucun travail de mémoire n’a encore pleinement comblé. Certes, il y a des écrits, des lieux de mémoire mais aucun encore n’a pu insuffler dans le Maroc contemporain cette histoire particulière qui fait que deux cultures de confession religieuse distincte ont pu s’imbriquer si étroitement que leurs cultures populaires aujourd’hui se confondent. Peut-être parce que la volonté politique n’est pas là pour imprimer pleinement l’idée que l’identité marocaine est le fruit d’une histoire plurielle. Car l’histoire du judaïsme marocain est frappée dans les esprits d’une forme de tabou : ces enfants du pays sont partis un soir pour ne plus jamais revenir. La plupart sont partis en France, aux Etats-Unis ou encore au Canada mais certains sont allés en Israël. N’est-ce pas là une forme ultime de trahison qui renverrait dans l’inconscient l’image tronquée de ces juifs qui avaient déjà , par le passé, trahi le prophète Moïse ? « Aujourd’hui, je ne peux rien affirmer qui ne relève de l’intuition, mais il est clair qu’il y a une forme d’ambivalence de la part des Marocains musulmans à l’égard de cette communauté : le départ est perçu, d’une part comme une forme de trahison, et d’autre part celui qui hier avait un statut d’inférieur est aujourd’hui celui qui nargue le monde arabe. C’est donc une dimension de notre histoire contemporaine qui n’est pas développée car elle touche à notre inconscient collectif ». Tant que les raisons complexes qui ont poussé une communauté installée depuis plus de deux mille ans au Maroc à s’exiler n’auront pas été clairement enseignées dans les livres d’histoire, les générations futures ne pourront jamais concevoir que l’on peut être juif et marocain.
Le judaïsme marocain n’est ni une histoire rose, comme s’en gargarise le discours officiel, ni une histoire composée que de pages noires. La réalité est toujours plus complexe que les images d’Epinal. À l’image du Maroc, les communautés juives marocaines ont été plurielles. Leur coexistence avec l’autre n’a pas été linéaire. Elle dépendait étroitement des régions, des tribus et des espaces partagés. C’est cette pluralité qui s’est inscrite de manière indélébile dans l’identité marocaine. Le legs patrimonial en témoigne : musique, costumes, bijoux. Tout ce qui constitue une culture populaire et qui vous renvoie votre propre image.
Le racisme ashkenaze
Quand Joseph Chetrit a décidé d’axer son travail universitaire sur la musique judéo-marocaine, ce natif de Taroudant devenu professeur à l’université d’Haïfa n’a inspiré autour de lui que mépris. « Folklore tout au plus », lui répondait une bonne partie de l’establishment universitaire israélien dont un grand nombre n’avait que dédain pour ces juifs « qui se disent nos cousins... », écrivait un éditorialiste du quotidien israélien « Haaretz » dans les années 70, « ...alors que leurs ancêtres descendent des singes de l’Atlas ». Ce féru de musique n’a pourtant rien abandonné. Trente ans plus tard, Chetrit est l’un des rares chercheurs au monde à avoir archivé et travaillé sur une grande partie du patrimoine musical marocain. « Au départ, c’est par quête identitaire que j’ai été amené à m’intéresser à ce patrimoine. La culture israélienne a voulu faire abstraction de toutes les cultures juives, on a voulu créer une nouvelle culture juive israélienne. On a dit aux Marocains : "oubliez votre passé". Cela n’a pas été sans dégâts car il y a eu une population qui a tout un problème identitaire ». Tout le monde y a perdu. Car il n’est pas étonnant de trouver chez les plus respectueux des valeurs du judaïsme marocain des hommes qui militent pour la paix, et pour le respect des droits des Palestiniens. C’est le cas de Joseph Chetrit mais aussi d’André Azoulay, le conseiller royal, qui dans une interview au quotidien « Achark Al Awsat » avait cette réponse explicite : « Lorsque je milite pour les droits des Palestiniens, je le fais dans le cadre de ma judaïté. Celui qui spolie les droits des Palestiniens me prive d’une part de ma judaïté. C’est une bataille spirituelle, politique, philosophique et idéologique ». C’est en luttant contre le déni des juifs marocains en Israël et en reconsidérant la part de judaïté dans la culture marocaine que les ponts du dialogue pourront être reconstruits.