Le Juif, le Musulman, ou des think-thank sur notre Terra Pax
Le Royaume du Maroc a été toujours considéré comme une Terra Pax notamment pour les juifs et les musulmans.
Par Chaïmae Bouazzaoui, journaliste marocaine et actrice du dialogue interreligieux, fondatrice d'AU95 pour le dialogue et la paix
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Cette alchimie de coexistence religieuse s’est-elle diluée avec la montée de l’extrémisme dans le monde et le départ massif des Marocains à l’étranger, ou au contraire, demeure-t-elle encore une réalité? Focus.
Le commandeur des croyants rassure. Lors du Congrès sur «Les droits des minorités religieuses en terre d'Islam» tenu le 25 janvier 2016 à Marrakech, le souverain a rappelé que le Maroc avait toujours été un pays précurseur en matière de dialogue interreligieux et que les musulmans marocains n'avaient surtout jamais traité les juifs comme une minorité. Dernière nouvelle : un centre de dialogue inter-religieux a été inauguré le 24 février. Désormais, la prestigieuse institution de recherche sur l’Islam, la Rabita Mohammedia des oulémas de Rabat sera le lieu de la «coopération d’adeptes de différentes religions» qui va au-delà d’une simple étude comparée des religions et confirme l’Islam du juste milieu.
Le dialogue du Roi avec le peuple
Dans le message Royal, il a été indiqué qu’au cours de son histoire, le Maroc a connu un modèle civilisationnel singulier de coexistence et d'interaction entre les musulmans et les adeptes d'autres religions, notamment les juifs et les chrétiens. Parmi les pans lumineux de l'histoire de cette concorde s'affirme la civilisation maroco-andalouse issue de cette convergence interreligieuse.
Le souverain rappelle que des échanges se sont d'autant plus intensifiés qu'un grand nombre de musulmans d'Andalousie se sont déplacés au Maroc dans des conditions difficiles, accompagnés de juifs venus rejoindre leurs coreligionnaires installés dans le pays bien avant l'avènement de l'islam.
Ce rôle du Royaume dans la promotion de la paix et de la coexistence a été confirmé par des acteurs religieux internationaux. «Le Maroc a toujours été un pays de tolérance et de cohabitation pacifique entre les communautés musulmanes et juives. Malgré tout ce qui s'est passé ailleurs, l'entente et la fraternité ont toujours été sincères», témoigne le grand Rabbin de Tunisie, Haim Bitan, prenant le Royaume et la Tunisie comme modèles pour la coexistence religieuse dans la région. Avant d’ajouter : «D'ailleurs je salue la Monarchie qui a toujours été à l'écoute de toutes les franges de la société, de tous bords et ce depuis le règne de feu Mohamed V, feu Hassan II et de l'actuel souverain Mohammed VI».
Les actions menées par les rois du Maroc sont multiples et font montre d’une volonté monarchique de continuer à œuvrer pour le bien des enfants de la patrie, toutes confessions confondues. Protection des Marocains de confession juive contre le régime de Vichy, révolution au niveau du code personnel, réhabilitation des cimetières juifs, projets de restauration de divers quartiers, décorations des trois symboles religieux (les plus récentes à Paris et à New York), réformes constitutionnelles. Ces initiatives reconnues à l’échelle internationale ne sont que des exemples parmi d’autres. C’est dans ce sens qu’en hommage à son action, en faveur de la coexistence religieuse notamment entre Juifs et Musulmans, que feu Mohammed V a reçu, le 20 décembre dernier, à titre posthume, le prix Liberté à la Synagogue B’nai Jeshurun, au cœur de New York. Or, en revenant sur la question du dialogue, des questions sur sa relation contraire se posent puisqu’à la relation de complémentaires succède une relation de contraires, ce qui lui confère une dimension critique.
Dialogue, identité, une question existentialiste
La coexistence implique le dialogue, la compréhension et le partage. Or, la signature d’un contrat social dit «Dialogue inter-religieux» sous-entend sémiotiquement une absence, à priori, de ce dialogue. Fut-ce le cas au Maghreb? En tout cas pas au Maroc, si difficiles que soient les circonstances. Le dialogue fut une réalité. Si certains des Benchekroun, Guessous, Daoudi ou Daoud sont nos juifs d’hier, c’est que ces musulmans d’aujourd’hui qui ont vécu avec les Abitbol, Abihsira et les Ohayon… ont parcouru un chemin croisé de trois dialogues. Un dialogue avec le compatriote musulman, un dialogue avec le juif en eux et un dialogue avec le compatriote juif. André Derhy, président de la Fédération des Associations Sépharades de France et secrétaire général de l'association de la Synagogue Rambam Paris 17e, répond qu’avec les musulmans, le problème ne se posait pas pour les juifs qui vivaient au Maroc. Leur statut étant bien défini, depuis l'arrivée de l'islam. Les choses ont au contraire bien évolué. D’abord, la population juive est passée, sous la domination musulmane et s’est vu attribuer le statut de «dhimmis», des protégés du sultan qui doivent en contrepartie reconnaitre la suprématie de l’Islam et payer des impôts de protection (Djizya). Ce statut fut révolu, par la suite, notamment avec le règne des alaouites. Les Marocains de confession juive bénéficient, aujourd’hui, de leurs pleins droits, au même titre que pour les Marocains de confession musulmane, car ils constituent une composante indissociable de l’identité marocaine. Evolution incontournable dans l’histoire de notre identité. La nouvelle constitution a apporté une réponse définitive aux questionnements identitaires. Dès son préambule, la constitution de 2011 montre la diversité qui compose notre identité, notre unité : «État musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s'est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen». Certains citoyens esquivant cette question hier se sont retrouvés aujourd’hui en face du miroir identitaire. Ne s’agit-il pas d’une double relation en miroir où chacun se voit soi-même et une partie indéniable de l’autre? Selon El Mehdi Boudra, président de l’association Mimouna, cette nouvelle disposition constitutionnelle l’a beaucoup aidée à œuvrer plus efficacement pour le dialogue interreligieux. «Nous avons constaté un gap entre l’ancienne génération qui se rappelle l’histoire de son pays avec beaucoup de nostalgie et la nouvelle génération emportée par les préjugés sur la base du conflit israélo-palestinien. Le Maroc occupe une place singulière dans cette région et la mise en valeur de notre identité composite s’est imposée au vu de cette mutation», a-t-il martelé. Ce dialogue inter-religieux ne sous-entend-il pas un dialogue inter-identitaire? Peut-être. Le dialogue avec soi, comme dans un monologue est philosophiquement possible.
Mais le fruit du dialogue est là. «Au Maroc, nous jouissons d’une liberté totale. Nous ne manquons de rien et tout va bien. Nous vivons cote à cote avec nos compatriotes de confession musulmane en paix et en harmonie», a résumé Marie Tordjman, secrétaire à la synagogue de Rabat qui nous a bien accueillis dans le lieu de culte.
Le dialogue existait depuis la nuit des temps au Maroc sous forme d’une communication interpersonnelle ou de groupe. Si la question du dialogue a été toujours vue dans le pays comme un devoir collectif de coexistence et de voisinage en particulier, à l’étranger, le dialogue était beaucoup plus une communication interpersonnelle canalisée dans l’esprit de refuge au temps irréversible et à la marocanité dans sa totalité. «En France, dans les premières années de l'installation des Marocains, les relations étaient d'ordre individuel ou d'ordre festif lorsque la communauté juive ou la communauté musulmane du pays organisaient des concerts de musique andalouse avec des orchestres et des chanteurs juifs et musulmans devant un public chaleureux», raconte Derhy.
Dans son article dans le Monde intitulé «Symbiose - quand Juifs et Musulmans chantaient ensemble , pendant des siècles, Juifs et Musulmans du Maroc ont dit les mêmes poèmes, chanté les mêmes chants», Taher Ben Jelloun met en valeur cette coexistence qui fait de la diversité marocaine une unité nationale.
Le corps là bas, le cœur ici bat
Beaucoup de Marocains ayant quitté le Maroc pour s’installer en France expriment aujourd’hui leur attachement permanent à la patrie avec beaucoup d’émotion. Tahiti, Anfa et Shfenj rappellent de beaux souvenirs et composent un temps irréversible pour plusieurs membres de la diaspora casablancaise. C’est en tout cas l’avis d’Eddie Suissa, ancien directeur du journal de Vincennes, sa ville actuelle. «Pour le côté sentimental, on ne quitte jamais ses racines, ce serait perdre son équilibre. Je n'ai quitté le Maroc que physiquement. J'ai suivi ce qui était la norme, après le baccalauréat, en poursuivant mes études à l'étranger. J’ai un grand amour pour mon pays», nous a affirmé Suissa.
Les écoles juives marocaines sont une source de préservation du patrimoine du judaïsme au Maroc mais dans le même temps, elles permettent par leurs programmes scolaires et la tradition de ses élèves la poursuite des études à l’étranger que ce soit pour les juifs ou pour les quelques musulmans qui fréquentent ces écoles.
Suissa revoit dans le rétroviseur de son histoire : «Je pense au fond de moi que j'aurais dû rester ou revenir après mes études et si j'étais resté, je me serais engagé en politique, ou j'aurais fait du cinéma ou la médecine... En France, j'ai eu besoin de vivre et de m'amuser, au Maroc j'aurais eu besoin de briller ou de servir. J'étais chez moi et cela a du sens d'être chez soi». Passionné par les médias, Suissa envisageait même de lancer un média sur le dialogue interreligieux avec une musulmane de sa terre d’origine, à laquelle il exprime un fort attachement.
C’est le cas pour d’autres membres de la diaspora, présente partout dans le monde. Pour Joshua Kohen, étudiant aux Etats-Unis qui porte haut le drapeau marocain, le Royaume constitue un modèle en Afrique et au Moyen orient, étant garant de stabilité et de sécurité.
D’un père marocain né à El Jadida, Joshua considère également les Etats Unis comme étant son pays et le patrimoine marocain comme une pièce de cet héritage multiculturel. «C’est un attachement fort, émotionnel et personnel, que j’ai avec le Maroc. Je m’engage d’ailleurs dans plusieurs activités de patriotisme dont la récente commémoration de l’anniversaire de la marche verte à Laayoune», a-t-il décrit avec émotion.
«Il y a une partie marocaine en moi avec laquelle je pars là où je vais. Et je peux retourner définitivement au Maroc si j’ai une opportunité meilleure qu’ici et si la situation sécuritaire reste stable, comme elle l’est aujourd’hui», souhaite-t-il, ajoutant que les Marocains sont des gens «pacifiques et harmonieux» en référence aux musulmans et aux juifs.
Une histoire conjuguée à un passé composé
C’est sur les traces de la cohabitation religieuse que l’histoire du Maroc fut dessinée. Un cheminement historiquement logique qui suit la parution successive des livres saints des trois religions. Au Royaume, cette composition fut particulièrement avec l’Islam et le Judaïsme dont l’histoire remonte à l’antiquité, à la suite de diverses vagues de réfugiés, notamment les megourachim (expulsés), venus d'Espagne et du Portugal ayant fui les persécutions wisigothes durant la Reconquista.
Selon l’historien spécialiste du judaïsme marocain, Mohammed Kenbib, il se peut que les premiers juifs soient arrivés au Maroc au Ve siècle av. J.-C., après la destruction du premier Temple de Jérusalem. Mais d’autres recherches montrent que cette présence historique remonte au IIe siècle av. J.-C., notamment à Volubilis de l'époque romaine sur les ruines desquelles nous trouvons encore des inscriptions hébraïques, un témoignage historique.
Plusieurs écrivains reviennent sur cette histoire de paix de deux millénaires dont Haim Zafrani, dans son ouvrage «Deux mille ans de vie juive au Maroc : histoire et culture, religion et magie» et Daniel Schroeter, auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages dont «La Découverte des Juifs berbères» In Relations Judéo-Musulmanes au Maroc : perceptions et réalités et «La Maison d’Illigh et l’histoire sociale du Tazerwalt» dans lequel l’auteur va à la découverte d’un vieux cimetière juif de plusieurs années d’histoire...
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