Re: LA GRANDE FETE DE MIMOUNA
Posté par:
younes (IP enregistrè)
Date: 26 mars 2006 : 23:41
chers darnneurs:
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je vais mettre ici un article de albert suissa sur Mimouna (Adapte dun article paru le 12 avril 1996 dans Kol Hair (hebdomadaire de Jerusalem) par A.M.S.)
Albert Suissa, ne a Casablanca en 1959, est arrive enfant en Israel et vit a Jerusalem. Il a fait ses etudes dans une yechiva (institution superieure talmudique) combinant etudes religieuses et service militaire. Ses nouvelles ont ete publiees dans plusieurs revues. Il fait a lheure actuelle des etudes de theatre a Paris.
voici l'article:
Ma Mimouna a moi:
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"Il nest, dans toute lhistoire orale du judaisme nord-africain, de fete plus noyee dans un (doux) brouillard que la Mimouna. Mon temoignage personnel va, je n’en doute pas un instant, soulever une levee de boucliers de la part de tous les defenseurs de cette humble communaute et autres auteurs dalbums en couleurs sur ses particularismes. Tous ceux qui sefforcent de la releguer dans la categorie poulet surgele glatt-kosher du grill-room politique local et contre qui je ne connais que deux moyens de se mesurer : choisir le regard prosaeco-poetique ou opter pour le regard systematiquement ethnologique, deux attitudes qui ne sont du reste pas irreductibles.
Mais commencons par nous plonger quelque peu dans les meandres etymologiques du mot Mimouna : nous avons mamon (biens), mazal (fortune), emouna (foi, mais aussi confiance), rabbi Moche ben Maimon (Maemonide), Mimoun, prince-souverain des demons, Mimouna, son homologue feminine, Lalla Mimouna aussi, sainte femme de lislam, sans parler de Timimouna, qui fut, avant detre rayee de la face du monde, la petite Jerusalem des franges du desert saharien. Et puis la mouna, cette brioche de Peque que lon consomme dans les champs ou au bord de leau ; cette nuit de la chance qui veille sur la fiancee, la arousa toute fraiche... Sans parler du pelerinage, la hiloula, qui marque l’esperance printaniere de prosperite et de fecondite. Une nuit aussi de badinages, de rires, dapaisement des demons et autres mauvais esprits, de processions, de rites au bord des rivieres ou de la mer, la fete de la mise en gerbe des cereales et du culte des saints.
Les preparatifs epuisants qui precedent la Paque mettent un terme heureux a lhiver morne et glacial que Dieu donne aux juifs depuis les jours austeres qui cleturent lete jusque la celebration du renouveau, du printemps. Comme pour la paix entre les hommes, le chemin du bonheur est seme dembeches... Dans les foyers, le territoire autorise se fait de plus en plus exigu, les friandises de plus en plus rares ; piece apres piece, armoire apres armoire, tout devient inaccessible. Les parents sont sur les nerfs, les enfants marchent sur la pointe des pieds dans des espaces reserves, le pere nous fait subir des exercices de haute voltige, de ceux que les adjudants imposent aux jeunes recrues, nous secoue les tiffes, nous fait retourner nos poches, les revers de nos pantalons des que nos pieds nous ont portes dans les zones purifiees du logis, des fois que, Dieu preserve, une miette de hamets sy serait subrepticement glissee. ( Ce netait pas pour le principe, affirme papa aujourdhui en souriant... mais pour votre education, pour la beaute de la chose en somme... , il faut dire que pour lui les deux termes sont quasiment synonymes). Nous, les enfants, nous etions en vacances scolaires e cette periode. Enfin, en vacances, cest une faeon de parler, parce que nous passions notre temps e depoussierer les livres, e verifier e la loupe, des heures durant, si quelque insecte ne se serait pas introduit dans les feuilles de laitue, e reviser les grands et multiples commandements du rite de Pessah, la Peque juive...
Le soir du Seder se resume e une serie longue et minutieuse de preceptes plus rigoristes les uns que les autres. Une fete, certes, mais quelle fete austere, quelle intolerable tension pour le commun des mortels, meme si elle fait au croyant sa part de plaisir terrestre. Avec tout le respect que je voue e lexistentialisme de Soloveitchik et au rationalisme de Leibovitz, je ne peux mempecher de voir le une expression nevrotique de la psyche de mes coreligionnaires. Dans les realites sociales oe evoluaient les juifs marocains, la peur de lassimilation etait permanente (les famines surtout se soldaient par leur lot de conversions e lislam, des communautes entieres disparurent ainsi). D’ou l
importance identitaire qui etait attribuee aux particularismes de la Paque : aux pains azymes en general, a l’afikoman* en particulier, connu et reconnu pour ses vertus d’apaisement des tempetes en haute mer et que tous gardaient precieusement pour le jour du grand voyage vers Erets-Israel.
Du coup, apres ces sept jours, il ne nous etait pas facile de nous liberer du joug de tant de prohibitions et de potentiels peches. Et cest le qu’entrait en jeu l’element incontournable de la Mimouna : seul le goy, le musulman en l’occurrence, pouvait proceder a l’entree du hamets, tabou de la Paque, dans les foyers juifs. Les sept jours de pains azymes s’achevent sur des benedictions, des temoignages sonores d’amitie, avec, a la clef, l’evocation et l’invocation de tous les demons et saints du repertoire local, d’abord et avant tout Lalla Mimouna, cette sainte musulmane vertueuse qui est meme parvenue a s’assurer une place de choix dans notre conscience collective nebuleuse de juifs marocains. Une femme haute en couleurs, Lalla Mimouna, lourdement fardee, qui machonne de la menthe fraiche, repand des feves, donne du lait, se meut librement et genereusement, et reste ambigue sur la question de savoir ce qui en elle est juif, et ce qui est arabe. Ils viennent, ces voisins arabes, nous dire en connaisseurs que, de toute eternite, nos rites sont les leurs, et nous demandent de rester encore un peu, de ne pas nous faire de souci, car voile le printemps, tout va s’arranger, vous allez voir la fecondite, le bonheur, la joie, Prosperez et rejouissez-vous (tirbah u-tessad), nous disent-ils, Lalla Mimouna, la sainte musulmane y veillera !
Vous avez sept jours durant fait abstinence de froment et de levure e Eh bien, en voile. Ne sont-ils pas plus savoureux que jamais la mafleta, le baklava, le berkoche, ce couscous au beurre et e la creme... Et tandis que des l’apres-midi nos femmes s’emploient a emprunter a leurs amies arabes leurs plus beaux caftans, les amis arabes de mon pere entrent avec un poisson frais peche gage de fecondite dispose dans un panier fleuri. Et puis arrivent la farine, le beurre et le lait quapportent des voisins arabes, pas faches de prendre part e la fete.
Ceux qui sont veneres comme des saints par les musulmans sont pour les juifs des demons, et vice-versa. C’est dans ce lien mutuel et antinomique que reside le secret. Il arrive meme que le demon libere le saint de sa torpeur, comme cela est arrive e rabbi Yaacov Ouazzana dheureuse memoire, dont lepouse, diablesse averee, provoqua ce que personne n’appelle une conversion a l’islam mais qui se traduisit quand meme chez lui par cinq prieres quotidiennes... Et c’est ainsi que le juif qui a cultive la difference pendant toute une semaine, va revetir caftan et tarbouche, verser des seaux d’eau sur le pas de sa porte, tremper ses cinq doigts dans la farine pour sceller la bonne fortune (hemsa) sur le couvre-chef de ses coreligionnaires. Et le lendemain va se rendre dans la nature sur le tombeau dun saint venere aussi par ses voisins musulmans, et gommer ses particularismes.
Parallelement, chez les Berberes de lAtlas, de suite apres lAed el-Kbir, la fete du sacrifice austere de lislam qui a des relents de notre Pessah e nous, sannoncent les rejouissances carnavalesques du Bilmoun , demon mi-homme mi-bouc, sorte de metempsychose de Mimoun, le dieu des demons, oe le rabbin juif et ses disciples jouent le rele de satyres, qui sont apparemment lantithese de la fete du sacrifice qui les a precedes. Mimouna ici, Mimoun le, un couple de demons conviviaux qui survolent les lieux et sefforcent tant bien que mal denfreindre les lois de la segregation.
Je nai jamais ete convaincu par le mythe de la perennite des relations amicales entre juifs et Arabes au Maghreb, mais une chose est certaine : elles etaient beaucoup plus harmonieuses que partout ailleurs. Si jai choisi loccurence de la Mimouna, cest precisement en reaction contre cette tendance si repandue de judaeser e tout prix cette fete, somme toute celle du printemps, apogee des moissons pour les agriculteurs arabes dont les juifs negociaient les recoltes. Ce lien fonde sur lespoir de prosperite, qui unissait tous les habitants du Maghreb nexiste pas aujourdhui au Proche-Orient, comme sont absents en Israel de cette fete de la coexistence, les voisins arabes.... Les juifs marocains dIsrael savent le triste sort qui fut reserve e Lalla Mimouna depuis son irruption en Terre sainte, avant meme quelle ne fet contrainte de se prostituer e la culture agressive locale, de se laisser phagocyter par des responsables politiques meprisants, outres par la nostalgie de tous ces juifs-le pour leur le-bas , tous ces juifs qui se rencontraient pour comptabiliser leur nostalgie, cet ensemble de coutumes et de rites soudain pares de laureole du souvenir terni par les vicissitudes de lheure et le mepris ambiant.
Autre element indissociable de la Mimouna qui unit le juif marocain e son compagnon de fortune culturelle orientale : la relation magique, eminemment paeenne, e la nature. La nature, cest le domaine reserve et intouchable de Allah. Pas de carte ni dherbier chez les campagnards du Maghreb. La nature, cest un lieu saint, un point cest tout. Pourquoi e Parce que tel marabout a choisi detre enterre le precisement. Cette colline le-bas e Elle retentit du vacarme de demons quil faut combler. Dailleurs, les chenes qui y poussent sont sacres. Dans ce vallon, se trouve un acacia frise sur lequel sont suspendus des lambeaux de tissu qui sont des remedes e tous les maux. Au tournant du chemin, on a vu autrefois deux pierres sautant lune sur lautre. Tel parcelle de terrain devient en lespace dune nuit un lieu sacre. Pourquoi e cest comme ea, il ne faut pas chercher e comprendre. Dailleurs, depuis quand est-il donne e lhomme de tout comprendre e
Ces gens incultes dont toute la culture se resume e critiquer les cultures ont denature ce jour descapade dans la nature pour en faire un gigantesque pique-nique, grillades e lappui. Mais cest le une version alteree, israelienne de ce culte de la nature. Car tous ceux qui vont dans la nature ce jour-le ne fetent pas la Mimouna, de meme que lArabe israelien qui pique-nique le jour de lIndependance de lEtat dIsrael ne le fait pas necessairement pour apporter sa contribution personnelle et patriotique e la fete nationale. Si la democratie permet toutes ces expressions, fussent-elles antinomiques, le fait culturel, lui, exigerait un regard plus perspicace.
Soulignons, pour finir, cette niche de feminisme dans ce judaesme rigoriste quest la Mimouna : cest une fete feminine par excellence, genereuse, chaloupee, droit venue des civilisations matriarcales. Rien dans Mimouna de cette symbolique fondamentalement austere que le patriarcat a repandu : rites cultuels contraignants, obeissance au Tout-puissant, repentir et jugement dernier, culte du patriotisme et de lheroesme. Mimouna, cest une fete gratuite, juste pour le plaisir, oe lon exprime sans retenue ses sentiments et ses passions.
Comme de juste, une des coutumes les plus conviviales de la Mimouna consiste e parvenir e une bonne petite entente e finalite matrimoniale. Une de celles parmi les plus remarquables de lhistoire juive qui est en train de se tramer entre nous et les Palestiniens, et nos voisins arabes en general. Le jour oe nous serons en mesure de fixer une fete internationale de la paix entre nous, pourquoi ne pas choisir alors le jour de la Mimouna precisement. Du coup, les musulmans viendront en masse peleriner sur la tombe de Baba Sale, et toutes les juives candidates au mariage des agences matrimoniales locales iront conjurer le mauvais sort aupres dun marabout de Gaza. InchAllah !"
david=younes