Re: La signification "JUIF MAROCAIN" aujourd'hui
Posté par:
Lfasi (IP enregistrè)
Date: 13 avril 2005 : 20:40
cher Yossi,
Votre jugement sur ce qu’on peut appeler la « new » identité marocaine en Diaspora est dur.
Avec la globalisation, en Amérique, en Europe, et même en Israël il n’y aura pas ce qu’on appel une identité « melting-pot » mais plutôt une identité « mosaïque ».
C’est pour cette raison qu’il faut être très attentif quand a la question identitaire.
Moi je pose seulement une question, etes vous sure que les Israéliens russes, polonais, français, indiens, chinois etc… n’inculquent pas d’avantagent a leurs enfants leurs valeurs d’origines, leurs langues, leurs histoires, leurs boufs… ?
La question identitaire est une question multidimensionnelle et trop complexe, il ne s’agit pas d’un bien quantitatif mais plutôt d’un « héritage » qualitatif en évolution constante, c’est un processus dynamique dans le temps et dans l’espace.
J’ai toujours dis, Il suffit de savourer un bon thé à la menthe avec du Sfenje le matin, un bon couscous le midi, et une super D’fina le Shabbat, pour être un bon marocain…
Mais vous l’avez dis vous-même, « Personnellement j'ai inculqué à mes enfants les qualités que j'ai jugées honorables chez les Marocains …… » cela suffit !
Je vous laisse donc tous médite sur cet article de SHLOMO ELBAZ, que vous connaissez tous, j’espère.
Les Maghrébins en Israël : identité, culture, intégration
SHLOMO ELBAZ : professeur retraité de l'Université hébraïque de Jérusalem, est né à Marrakech et vit en Israël depuis 1955, décéde en 2003. Critique littéraire, auteur d'études sur la poésie moderne (Lectures d'Anabase de St John-Perse) et de nombreux travaux sur la culture judéo-maghrébine, il milite pour la paix et dans le domaine social
Israël n'est pas, ne saurait être, un melting-pot comme l'avaient souhaité et planifié ses pères-fondateurs. Israël serait plutôt une mosaïque, au double sens du terme d'ailleurs : filiation spirituelle (Moïse) et assemblage ethno-culturel.
Une des composantes - et non des moindres - de cette marqueterie est la communauté maghrébine. Numériquement (750 000 âmes environ) en compétition pour la première place avec la communauté russe, elle s'en distingue nettement, bien évidemment, quoiqu'un dialogue semble s'esquisser, dans le domaine musical, entre les deux communautés.
Maghreb (Afrique du Nord) et Machreq (Proche-Orient) sont les deux pôles du bassin méditerranéen, berceau des civilisations autant d'Occident que d'Orient. Aux deux extrémités de la Grande Bleue, ces deux pôles se correspondent, se répondent et, tout au long d'une histoire trois fois millénaire, s'affrontent, se fécondent.
L'entrée du nouvel Israël dans l'histoire politique contemporaine il y a cinquante ans a entraîné l'exode massif des juifs du Maghreb - du Maroc principalement - vers le jeune État. Leur insertion dans la trame de la société israélienne naissante n'a pas été sans déboires. On aurait pu penser pourtant que leur contexte méditerranéen, l'environnement musulman où ils vivaient, la pratique de l'arabe, etc., étaient autant de facteurs favorables à une acclimatation facile. Or il n'en fut rien. C'est que les vagues d'immigration qui ont précédé la création d'Israël et leurs chefs de file, idéologues et pionniers, venaient majoritairement des pays de l'Europe orientale et centrale dont le contexte linguistique et culturel était tellement différent.
Ceux donc qui, théoriquement, avaient plus de chances que les autres, eu égard à leurs origines méditerranéennes, de s'adapter au nouveau milieu et de contribuer à la création d'une nouvelle culture, se sont vus incompris, marginalisés.
C'est cette problématique que nous voudrions élucider ici en analysant, au préalable, la question capitale de l'identité culturelle et des mutations qu'elle a subies avec la migration du Maghreb vers le Machreq.
L'épreuve identitaire
La notion d'identité comporterait une dose de contradiction, serait même un piège dialectique. Ce qui est censé nous identifier nous éloigne, en fait, de nous-même et nous projette dans une catégorie extérieure à nous-même. On devient, dans une certaine mesure, un autre, on est identifié à autrui. On pense au fameux paradoxe rimbaldien : « JE est un autre. » La première personne, le moi, le je, devient troisième personne. Moi n'est pas moi, mais lui, partie d'un ensemble eux. Identité/altérité. La problématique ne concerne cependant que le niveau personnel, intime. Au niveau social, plus exactement socio-culturel, on ne peut échapper à la définition de critères identitaires communs.
Approche normative, approche empirique
L'approche normative qui prétendait établir une identité israélienne bien définie, n'a pas fait ses preuves. Témoin la gamme des opinions et des témoignages quant à la question cruciale : qui est juif ? Répondre à l'autre question, partiellement corollaire de la première, qui est Israélien ? paraît plus simple (il suffit d'une carte d'identité). Toutefois, et nous limitant à la population juive d'Israël seulement (la population arabe d'Israël ayant ses propres dilemmes, plus déchirants encore), force nous est de constater qu'au-delà de l'identité formelle, légale, il y a l'autre identité, beaucoup plus profonde, où entrent en ligne de compte les facteurs historiques, religieux, culturels. Seule cette identité nous importe ici. Les maîtres à penser du sionisme, quel que fût leur courant idéologique, souhaitaient et prônaient une identité israélienne commune, sorte de ciment qui souderait entre elles les diverses composantes de la société (juive) israélienne. Or, il s'avère que c'était là une utopie, un voeu pieux. L'identité uniforme, unificatrice, est loin de devenir une réalité, elle est encore fluctuante, sinon factice ; elle est en tout cas polyvalente et le demeurera sans doute longtemps encore.
Dans l'hypothèse même où une identité normative serait désirable et accessible, il n'en reste pas moins que les voies qui y mènent seraient forcément diverses selon la communauté et la culture d'origine, et même selon les individus. Entre l'identité diasporique et la nouvelle identité israélienne, il y a place pour une identité intermédiaire en quelque sorte et celle-ci ne saurait en aucune façon être standard. La métaphore absurde du creuset où se forgerait la nouvelle identité s'est avérée l'ennemi numéro un d'une nouvelle identité véritablement organique. Il faudrait donc nécessairement examiner les diverses formes d'identité qui se constituent ici à partir d'une approche empirique et non normative.
Le cas des Maghrébins
Le cas des originaires d'Afrique du Nord, tout particulièrement des Marocains, illustrerait exemplairement les mutations, problèmes et contraintes qu'ont connus les vagues d'immigrants originaires des pays arabes qui ont déferlé sur le jeune État d'Israël, ainsi que les préjugés et stéréotypes qui ont frappé ces immigrants désignés globalement comme « orientaux », même ceux venus de « l'Occident » maghrébin. La communauté marocaine serait devenue, malgré elle, le prototype de toutes les communautés « orientales », vu son importance numérique et, peut-être aussi, le tempérament chaud et l'amour-propre chatouilleux des fils du Maghreb.
L'identité laissée derrière
Dans leur pays natal, l'identité des juifs du Maghreb, la culturelle s'entend, comportait trois ou quatre composantes. Identité complexe assurément, mais clairement définie cependant, distinguant nettement la minorité juive de la majorité non-juive.
Le premier élément, le plus fondamental, était le facteur juif, dans sa version maghrébine tout à fait spécifique. Élément lui-même composite, car touchant aux plans spirituel, culturel, juridique.
Le second élément, lui-même historiquement très ancien et profondément ancré dans la conscience collective, était l'élément local, « indigène », comportant deux branches : la branche arabe (plutôt arabophone) et la branche berbère (berbérophone) ; la première dans les grandes villes, la seconde dans les villages des montagnes (Rif et Atlas) et des confins pré-sahariens. Ces deux branches avaient ce dénominateur commun qu'était l'environnement musulman (arabe ou berbère). La composante arabe était quantitativement plus importante que la composante berbère, la population juive étant majoritairement citadine. L'élément local, sous ses deux formes, était de nature linguistique et culturelle, et son influence sur l'identité du juif maghrébin, qu'il fût citadin et arabophone ou bien rural et berbérophone (ce dernier étant également arabophone), est allée s'amenuisant avec l'impact grandissant de la langue et de la culture françaises. Les différences entre ces deux mondes, le citadin et le rural, et l'interaction, parfois étrange, entre leurs systèmes de pensée, leurs moeurs et superstitions, mériteraient une étude approfondie.
Le troisième élément, relativement plus récent, est celui importé d'Europe, sous sa forme française (ou espagnole dans le nord du pays), l'enseignement de la langue française ayant précédé de beaucoup la pénétration de la langue française en Tunisie (1881) et au Maroc (1912), grâce au réseau des écoles de l'Alliance israélite universelle. Avec l'instauration du protectorat français dans ces deux pays (l'Algérie était déjà « française » depuis 1830), l'élément européen a pris une importance considérable refoulant graduellement la dimension « locale » et même la dimension juive que l'environnement musulman n'avait nullement étouffé pendant plus de mille ans de présence juive en Afrique du Nord. Le statut juridique des juifs dans les pays musulmans était celui de citoyens « protégés » par le souverain, selon le principe et la pratique islamique de la dhimma.
Et voici que le pouvoir, qui octroyait sa protection à ses sujets juifs, se voit lui-même passer du jour au lendemain sous protection étrangère (française, espagnole). Pour les juifs, c'était comme une protection au carré, créant une dualité, malaisée quant à leur identité et à leur place dans une société « mixte » qui avait perdu son unité et sa souveraineté. Le choix que les juifs ont cru devoir prendre fut apparemment clair et sans ambages. Impressionnés, voire obnubilés par l'éclat de la civilisation européenne et attirés par les avantages socio-économiques qu'ils espéraient tirer de la présence française, ils préférèrent s'identifier, surtout les jeunes évidemment et principalement dans les villes, avec l'occupant, le « protecteur éclairé et civilisateur ».
Ce choix, cette identification, a été d'une importance énorme et a eu, à longue échéance, des conséquences déterminantes sur l'identité des juifs maghrébins. Cela a constitué pour eux une rupture - la première - avec l'environnement culturel naturel où ils baignaient depuis des siècles et qui avait engendré un type de juif original, spécifique. Chez ce dernier, la strate arabe (et berbère pour certains), fusionna avec la strate hispano-andalouse renforcée à la suite de l'expulsion des juifs d'Espagne et devenue un facteur formateur supplémentaire du juif maghrébin. À ces strates culturelles centenaires est donc venu s'ajouter l'élément français qui, il faut le dire, trouve sur place les traces, importantes déjà, de la présence de l'Alliance israélite universelle qui, depuis 1868, avait jeté les bases d'un vaste réseau d'écoles où la langue, l'histoire et la culture françaises étaient intensivement enseignées, ouvrant devant les jeunes générations les portes de l'instruction et de la modernité. L'administration du protectorat français ne pouvait qu'être ravie de trouver une couche non négligeable de juifs locaux francophones dont elle pouvait faire des fonctionnaires compétents et fiables. De nombreux juifs virent ainsi leur niveau de vie s'élever sensiblement tandis que la communauté, dans son ensemble, allait s'habituer à la pensée que son sort était lié plutôt à la présence française qu'aux souverains locaux.
Quoiqu'il en soit, la composante française et, dans une moindre mesure, la composante espagnole, comme facteur européen de modernité, éclipsa sans les effacer totalement, les autres composantes et, plus spécialement, la locale qui perdit, aux yeux des juifs, de son importance et de sa pertinence, face à la puissance et au vernis de la présence française. C'est presque un lieu commun de dire que la France a su exploiter en les développant ses possessions d'outre-mer, à telle enseigne qu'après s'être libérées de son joug et avoir acquis leur indépendance, elles ont conservé bien des traits de sa culture dans les domaines de la langue, de l'éducation et du style de vie.
La rupture des juifs avec l'environnement culturel maghrébin provoqua dépit et hostilité chez leurs concitoyens musulmans qui les considérèrent un peu comme des « collaborateurs » avec l'occupant étranger. Cette cassure aura été plus profonde que la rupture (partielle) avec la composante juive traditionnelle qui, elle-même, n'a pas peu pâti de l'occidentalisation galopante de la rue juive. Néanmoins et jusqu'aux années soixante au moins, il se créa une sorte de compromis entre la dimension européenne moderne et la dimension juive originelle. Quelque chose comme un consensus qui donna à cette judéité une coloration « libérale-réformée » en quelque sorte. C'est ainsi que les juifs des couches sociales aisées se permettaient de se rendre en voiture le chabbat, sans complexe, à la synagogue et, après la prière du matin, d'entrer prendre un apéro dans le bistrot du coin ; l'après-midi un match de foot ou un bain de mer n'était guère à dédaigner. Conception libérale, assurément, des « délices du chabbat » (oneg chabbat). Compromis, en tout cas, entre jouissance spirituelle et plaisirs « laïques ».
Il faut, à ce propos, souligner l'absence de polarité, d'extrémisme, au niveau de la religion, qui caractérise depuis toujours le judaïsme maghrébin. La tension qui avait cours en Europe centrale et orientale et se prolongea en Israël, entre religieux et laïques, était inconnue en Afrique du Nord et au sein du judaïsme des pays de l'islam en général. La notion de « laïque » était aussi peu en usage que la notion de « religieux ». Tous étaient juifs, dans telle ou telle mesure de foi et de pratique, dans une sorte de continuité très souple depuis le rabbin le plus pieux jusqu'au dernier des mécréants. Une telle conception, soit dit en passant, eût été bénéfique pour Israël où le conflit entre religieux et laïques ne serait pas moins virulent que le conflit israélo-arabe.
Israël ou l'identité à l'épreuve
À la lumière de la description schématique ci-dessus, on peut suivre la mutation dans leur statut et dans leur conscience identitaire qu'ont connue en Israël ces juifs qui, dans leur pays d'origine, n'avaient pas encore subi de véritable crise identitaire, malgré l'influence assez perturbatrice de la présence française sur leur comportement. Ils ont vécu là-bas la complexité de leur identité assez naturellement, sans déchirements, sans débats ni colloques.
Que s'est-il donc passé ici en Israël, durant les années cinquante et soixante, lorsque, disant adieu à leur terre d'origine, la grande majorité des juifs maghrébins débarquèrent sur le rivage de la Terre sainte, objet de leurs rêves messianiques millénaires ? Ils étaient persuadés que leur patrie spirituelle véritable était en Erets-Israël, que la création d'un État juif était, selon la formule traditionnelle, le « début de la rédemption ». Celui qui n'a pas fait comme moi le trajet vers Israël dans un de ces bateaux qui déversèrent sur le littoral israélien les dizaines, les centaines de milliers de juifs ivres de joie, ne saura jamais la force d'une foi millénaire, ni, plus tard, mutatis mutandis, la mesure de la déception qui suivit.
Comment cette tribu, enthousiaste et prête à tout pour s'intégrer a-t-elle été accueillie ? L'a-t-on aidée à sauter dans l'eau froide de la nouvelle réalité, sans trop bousculer son patrimoine vénérable et encore vivant ? C'est là un sujet douloureux et controversé qui touche cependant, bien qu'indirectement, à notre propos.
Mais revenons au thème de l'identité. Le passage d'une extrémité à l'autre de la Méditerranée fut accompagné d'une mutation d'identité à la fois significative et ambiguë, processus non achevé encore d'ailleurs. La composante dominante est, désormais, la composante nationale ou sioniste (pour peu que l'on considère la motivation religieusement messianique de ces juifs au coeur pur, et peu politisés, comme authentiquement sioniste quoique étrangère à toute idéologie sioniste rationnelle). Le sionisme « politique » n'y est cependant pas totalement absent, principalement dans sa version pionnière. Les mouvements de jeunesse dits « pionniers », correspondants aux divers courants sionistes (socialiste, religieux, révisionniste), prirent naissance et oeuvrèrent au Maroc, assez tardivement (par rapport à la Tunisie), et réussirent en peu de temps à mobiliser une partie de la jeunesse et à la « sioniser » selon les critères, la mythologie, le folklore du sionisme européen et « palestinien » de l'époque.
La prise de conscience nationale-sioniste des juifs du Maghreb est un phénomène intéressant en soi. Comme dans les autres pays d'islam, les juifs maghrébins étaient dépourvus d'une identité « nationale » proprement dite. Ils ne ressentaient envers leur pays de résidence, où ils jouissaient certes d'une autonomie religieuse et culturelle assez large, ni sentiment d'appartenance réelle, ni devoir d'allégeance, comme envers une « patrie » au sens habituel, européen, du mot. D'où le patriotisme excessif, chauvin souvent, de ces juifs qui, auparavant, n'avaient pas connu la fierté d'avoir un drapeau bien à eux. Le drapeau marocain par exemple, (et français - les deux étaient arborés officiellement sous le protectorat), n'a jamais suscité chez eux un sentiment d'identification nationale. C'est l'élément national israélien qui constitue désormais l'innovation, la mutation la plus importante qu'a eu à subir l'identité des juifs maghrébins en Israël et qui a modifié la structure de cette dernière.
C'est comme si la composante juive traditionnelle avait perdu sa position dominante pour devenir surtout la source, la référence, de la dimension nationale israélienne, laquelle usurpe désormais le premier plan. L'élément juif se mêle et s'intègre, dès lors, au facteur sioniste. Toutefois, et contrairement à la conception sioniste laïque, l'approche du sionisme des juifs maghrébins (comme celle des juifs d'Orient en général), n'implique pas qu'ils y voient une rupture ou un substitut au judaïsme traditionnel. Il n'y a chez eux ni contradiction, ni affrontement entre judaïsme et sionisme, l'attachement à la tradition n'étant nullement irréconciliable avec l'approche nationale. Mais, par ailleurs, cette attitude n'implique pas du tout une identification quelconque avec le sionisme national-religieux (sous sa forme politique), et en tout cas pas avec sa radicalisation messianique et ultra-nationaliste.
La présence de quelques « Orientaux », et parmi eux un petit nombre d'originaires du Maroc et de Tunisie dans le camp ultra-orthodoxe du parti Shas reflète-t-elle autre chose que leur volonté d'accéder à des postes politiques tout en conservant l'identité sefarade ? Les positions du judaïsme ultra-orthodoxe version européenne sont fondamentalement étrangères au judaïsme nord-africain. Le parti Shas n'est qu'un parti hybride, qui ne représente guère leur vraie judéité. Si cette formation a enregistré des succès rapides sur la scène politique, c'est par la convergence de divers facteurs : le repoussoir que constituent les partis de gauche perçus comme anti-religieux, la déception vis à vis du Likoud (qui suit celle ressentie à l'endroit des travaillistes), les slogans flattant l'élément ethnique, enfin l'aide socio-éducative efficace dispensée par les institutions de Shas. Au demeurant, l'idéologie de ce dernier est loin d'être de tendance « faucon » au plan national, et cela aussi est à méditer.
On peut dire que le facteur juif, dans l'identité des Israéliens d'origine maghrébine, s'est scindé en plusieurs nuances, individuellement et collectivement :
une ultra-orthodoxie sefarade (Shas), produit foncièrement israélien, imitation par contamination du courant ultra-orthodoxe ashkenaze ;
un sionisme national-religieux (version parti national religieux ou Mafdal) qui verse dernièrement dans des positions nationalistes intransigeantes, contraires à la modération sefarade originelle ;
un judaïsme mystique irrationnel (cf. culte des saints) mêlant éléments authentiquement juifs et pratiques magiques, vestiges peut-être du monde berbère ;
un judaïsme maghrébin traditionnel modéré (et c'est celui qui domine dans la conscience des juifs nord-africains), ouvert, équilibré, capable d'admettre en son sein une conception progressiste du monde moderne, sans dénigrer totalement les forces irrationnelles généralement rejetées par le rationalisme laïque dominant de la société israélienne bien pensante.
Que devient dans tout cela l'élément non juif local lié au pays d'origine, à ses us et coutumes, à son folklore, etc. ? Il aurait subi une mutation en profondeur, significative et problématique. La maghrébité des juifs d'Afrique du Nord, dès qu'ils ont foulé le sol de la terre promise, est devenue objet de mépris, dévalorisée, identifiée automatiquement comme une version de l'orientalité. Or l'Orient - les nouveaux immigrants n'ont pas tardé à le constater - ne jouissait pas d'une grande estime et était loin d'être l'idéal et le modèle auquel aspirait la jeune société israélienne engagée dans une guerre farouche, militaire, mais aussi, dans une certaine mesure, culturelle contre ses voisins-ennemis orientaux. Israël si proche et pourtant si loin du Proche-Orient ! Position inconfortable s'il en est... Si seulement elle pouvait être dialectisée !
Les Maghrébins, en même temps que la DDT dont ils ont été saupoudrés à leur arrivée, à l'instar de tous les immigrants de l'époque, ont reçu l'estampille « orientaux ». Entre eux et le consensus national (Israël partie intégrante de l'Occident éclairé), un fossé s'est creusé.
Résultat : on essaie de se fondre dans l'image standard, quoi qu'il en coûte. Phénomène commun à toutes les communautés orientales, le cas des nord-africains venus de l'Extrême-Occident (= Maghreb) étant plus frustrant, incorporés qu'ils étaient dans la catégorie des Orientaux, désignation qui n'aurait rien de répréhensible, n'était la connotation négative que cette notion a fini par avoir. Par ailleurs, beaucoup d'entre eux ont connu le monde moderne, mais comme ils avaient acquis leur savoir et leur expérience par le truchement de la culture française, ils ne pouvaient aspirer à une reconnaissance pleine et entière de leur adéquation à la « civilisation » israélienne, dans laquelle l'élément français était pratiquement absent.
La revanche des racines
En réponse au dénigrement et aux préjugés, se développe dans l'inconscient de tout immigrant (et pas seulement en Israël) une tendance auto-dévalorisante, mimétique de l'Autre. Toutefois, on assiste à la deuxième ou la troisième génération, au réveil intempestif, parfois explosif, des éléments ethniques et culturels refoulés. C'est le phénomène bien connu du « retour aux sources ». Dans le cas d'Israël, la jonction des disparités socio-économiques et du fossé culturel-communautaire crée une situation potentiellement explosive, souvent exploitée politiquement.
Le regard vers l'arrière et ses « sortilèges » ne saurait être considéré comme une simple expression nostalgique qui handicaperait la marche vers le progrès. Le retour au passé sous forme de réhabilitation du folklore (fête de la mimouna, musique arabo-andalouse, etc.) ne devrait pas être tenu pour une réaction superficielle, mais plutôt comme un besoin profond de se ressourcer aux origines et de faire revivre ce qui a été perdu deux fois : une première fois sous le bulldozer culturel français, une seconde fois sous la pression de l'éthos israélien.
Quelqu'un a appelé ce réveil le « cri identitaire ». Redécouvrir le passé, y puiser une fierté au lieu d'en rougir, jeter le masque de la simulation et se retrouver soi-même, dans l'authenticité de ses origines. On songe à la phrase d'Aragon : « Tout ce qui fut sera, pourvu qu'on s'en souvienne. » Résurrection du passé ne veut pas dire copie pure et simple de ce qui fut, mais enrichissement, recréation. Verser au fond commun les patrimoines des différentes communautés, venues des quatre coins du globe, ne peut que contribuer à la cristallisation d'une culture israélienne pluraliste, originale et créatrice, où pourraient se reconnaître les divers segments d'un peuple aussi divers que le nôtre.
De l'identité à la créativité
Pour que les différents segments de la mosaïque israélienne puissent exercer leur créativité le plus authentiquement possible, les responsables de la politique, de l'information et de l'éducation se doivent de renoncer à ce qu'on pourrait nommer l'hégémonie culturelle occidentale d'Israël dont le moindre défaut est de creuser un fossé - linguistique, culturel, politique aussi - entre ce pays et ses voisins immédiats. Il faudrait laisser à chaque ethnie ou « sous-ethnie » le loisir et la chance de se développer en revitalisant et en mettant en osmose les patrimoines respectifs.
La musique
On perçoit depuis assez longtemps déjà des signes encourageants de réhabilitation d'éléments culturels non occidentaux, tout particulièrement dans le domaine musical, à la faveur sans doute de la remise à l'honneur, dans les pays occidentaux eux-mêmes, de la musique dite « ethnique » (africaine, antillaise, asiatique, etc.). C'est ainsi que, petit à petit et non sans tiraillement, la musique « orientale » s'impose en Israël - musique grecque d'abord (parce que semi-européenne ?), puis arabo-égyptienne, et, tout récemment andalouse. Cette dernière, dont les racines remontent au haut Moyen âge en Espagne, pieusement transmise de père en fils par les musiciens juifs et musulmans, et devenue la musique classique de l'Afrique du Nord, connaît actuellement une sorte de renaissance en Israël.
Les Maghrébins ont apporté dans leurs bagages ce patrimoine musical et y sont restés profondément attachés, des orchestres traditionnels locaux poussant ça et là comme des champignons. Résultat : un ensemble musical mixte comprenant des exécutants d'origine marocaine et russe vient de naître sur l'initiative et la direction du compositeur-musicologue Abraham Amzallag. Modèle, peut-être, de symbiose culturelle.
Dans le domaine de la chanson et de la musique de variétés, la contribution des Maghrébins à la production musicale est encore plus frappante. Signalons d'abord le pionnier de la musique ethnique, le compositeur-chanteur-musicien Shlomo Bar et sa troupe Habreira haTiv'it, toujours en quête d'une synthèse entre Orient et Occident, entre tradition et modernité. Mais le phénomène le plus étonnant, c'est la floraison inattendue de troupes musicales « orientales » nées dans les milieux populaires, qui ont modifié le paysage musical israélien, réhabilitant mélodies et rythmes maghrébins et revalorisant l'image culturelle des communautés d'origine. Il s'agit de la génération des fils de Maghrébins, nés en Israël et irrésistiblement attirés par les airs andalous et berbères préservés par leurs parents, et qu'eux adaptent aux instruments et au goût modernes. Dans la seule localité de développement, Sderot, fondée et majoritairement peuplée de Marocains, on ne compte pas moins de cinq ensembles de musique ethnique pop qui exercent sur le goût israélien une influence bénéfique contrebalançant quelque peu la domination du rock d'importation. Leurs adaptations mêlent souvent l'hébreu et l'arabe, ce qui, ajouté au succès dans les pays arabes de chanteuses d'origine yéménite comme Ofra Hazah ou Noa, ne peut que favoriser l'insertion d'Israël dans l'espace culturel proche-oriental. Des chanteuses d'origine maghrébine comme la Tunisienne Corinne Elal, la Marocaine Zehava Ben et d'autres encore vont dans le même sens et apportent leur pierre au pont culturel entre nous et le monde arabe environnant.
Littérature, cinéma, théâtre
Dans le domaine littéraire, les Maghrébins ont mis plus de temps à émerger, devancés par les originaires d'Irak qui se sont distingués surtout dans le roman. L'un de ces derniers, Sami Mikhaël, vient de voir son roman Victoria proclamé best-seller. Les Marocains, eux, semblent plus féconds en poésie (voici déjà une petite pléiade : Erez Bitton, Shelly Elkayam, feue Miri Bensimhon, Moshé BenHarroch), moins en prose : Uziel Hazan, Isaac Kenan, Albert Suissa, Ami Bouganim (d'expression française, il s'adonne également à la poésie et à l'essai philosophique), Samuel Ouaknine et d'autres.
Sur les planches, les Maghrébins occupent une place dominante en tant qu'acteurs, auteurs dramatiques, metteurs en scène et animateurs, mettant fin au monopole russe d'abord, anglo-saxon ensuite. La première brèche a été percée par Gabriel Bensimhon avec sa pièce musicale Un roi marocain : il s'agit en fait du Roi-Messie, incarné par un jeune poète de la bourgade de Sefrou qui, exaltant la foi mystique et la nostalgie messianique de sa communauté, entraîne celle-ci en « tapis volant » vers la terre promise. Belle revanche du petit marocain sur la société qui n'a pas su apprécier les richesses spirituelles du judaïsme marocain.
Quant au cinéma, outre les célébrités consacrées comme les Marocains Zeev Revah, metteur en scène (Un brin de chance) et acteur de cinéma et de théâtre, Haïm Shiran (La statue de sel), et les Tunisiens Yaacov Assal (films documentaires et satiriques) et Serge Ancry (Terre chaude), on assiste aujourd'hui à une montée de jeunes réalisateurs, tels David Benchétrit dont le film Les voiles de l'exil sur trois femmes palestiniennes, a remporté l'an dernier le premier prix du festival de Tanger ; ou Hanna Azoulay-Hasfari, actrice et réalisatrice du film Sh'hour (sorcellerie). Les acteurs de théâtre et animateurs de télévision se multiplient et leurs noms dévoilent leurs origines : Abécassis, Ibghi, Malka, Nahmias, etc. On peut dire que dans tous les domaines du spectacle, la présence des Maghrébins est sensible et prometteuse.
Arts plastiques
En peinture et en sculpture, certains noms comme le peintre Pinhas Cohen-Gan ou la sculptrice Yaël Artsi du kibboutz Sdot-Yam sont célébres en Israël et à l'étranger. J. Jano pratique à la fois la peinture et la sculpture. Les peintres miniaturistes, qui s'inspirent aussi bien des enluminures juives anciennes que des traditions décoratives andalouses et maghrébines, ont leur place dans l'éventail des arts plastiques d'Israël (Abécassis, Malca).
Recherche, éducation
Malgré tous les handicaps, c'est peut-être dans la recherche fondamentale et l'enseignement universitaire que les Nord-Africains ont enregistré le plus de succès. A la présidence de l'Académie de la langue hébraïque se trouve un originaire de Errachidia (ex-Ksar es-souk), le professeur Moshé Bar-Asher. Les chercheurs d'origine maghrébine spécialisés en folklore, linguistique, art juif, philosophie, médecine, histoire, etc. sont légion et leur nombre est en constante progression. Une liste exhaustive serait trop longue dans le cadre du présent article. Contentons-nous de mentionner, quasiment au hasard, quelques noms : Michel Abitbol (histoire), Yitzhak Abrahami (patrimoine maghrébin), Issakhar Ben-Ami (folkore), Shlomo Ben-Ami (histoire), Shalom Bar-Acher (histoire), Joseph Chétrit (linguistique et littératures hébraïque et française), Yossi Dayan et Méir Bouzaglo (philosophie), Joseph Tolédano (histoire), Robert Attal (bibliothécaire et archiviste), Henriette Caleb-Dahan (sociologie), Vered Harel Charvit (théâtre), Georges Ouaknine (médecine), Moshé Amar et Haïm Bentov (littérature rabbinique), Haïm Sadoun (histoire). La recherche concernant l'histoire et la culture du judaisme maghrébin est entreprise parallèlement hors d'Israël par des chercheurs d'origine maghrébine avec, en tête, le pionnier dans ce domaine, le professeur émérite Haïm Zafrani. Signalons également Marcel Bénabou (membre de l'OLIPO, « Ouvroir de littérature potentielle » - littérature d'avant-garde)
L'intégration véritable des Maghrébins, comme celle de tous les originaires des pays musulmans et arabes, est un long processus semé de séismes socio-politiques (les Panthères noires et autres groupes contestataires), de revendications culturelles, toutes manifestations baptisées la « révolution du na'na » (révolution menthe fraîche). Leur première contribution a été en effet le thé à la menthe suivi par le couscous, le cigare farci et autres spécialités gastronomiques. La cuisine aura été leur carte de visite, ouvrant la voie aux autres contributions, culturelles et intellectuelles.
Quels qu'aient pu être les embûches, les obstacles et les tracasseries, on peut dire que la volonté dont ont fait preuve les originaires du Maghreb, leurs protestations périodiques et peut-être aussi une certaine évolution de leurs élites ont mis en relief, outre les griefs concernant certaines attitudes discriminatoires, l'immense potentiel des patrimoines culturels des communautés du Maghreb, et le bénéfice que pourrait en tirer la « civilisation » israélienne en gestation.
La vitalité, la spontanéité et la joie de vivre de la Méditerranée (Maghreb et Machreq confondus) auront fini par triompher de la morosité et des brumes nordiques. Israël aura trouvé sa véritable vocation géo-culturelle pour le plus grand bien de la paix et de la prospérité en ce Moyen-Orient meurtri.
Lfasi