Oufkir et Israel
Posté par:
Bint Bladi (IP enregistrè)
Date: 28 avril 2006 : 18:19
Oufkir et Israel
Dans son livre Hassan II et les Juifs, Agnes Bensimon affirma que vers la fin decembre 1959 et au debut janvier 1960, le Mossad organisa plusieurs rencontres a Paris entre Oufkir et un diplomate israelien en fonction a Paris . Cette rencontre a ete rendue possible grace a des Juifs marocains, avec lesquels le colonel Oufkir entretenait de bonnes relations. Il s'agissait a son avis de David Amar, president du Conseil des Communautes Juives, de Robert Assaraf, collaborateur du ministre de l'interieur de l'epoque, Reda Guedira et surtout d'Elie Torjman le frere de lait d'Oufkir. Par la suite, le Mossad, aurait fourni a Oufkir des renseignements sur les comploteurs de fevrier 1960, et mis en garde le Palais contre un coup d'etat qui se preparait. La plupart des chercheurs considerent que le complot de fevrier a aussi servi de pretexte par le Palais pour sanctionner ses adversaires politiques afin de preserver l'hegemonie du pouvoir. Sur ordre de Mohamed V, Oufkir se serait rendu a cette epoque en Israel pour definir les modalites d'une cooperation entre les services secrets des deux pays. Ainsi commencerent, selon Bensimon, de fructueux contacts entre Oufkir et le Mossad.
Toujours d'apres Bensimon, les intermediaires qui servirent de passerelles pour etablir des negociations entre le roi et Tel-Aviv etaient Robert Assaraf et Sam Benazeraf, membre du PDI (Parti Democratique pour l'Independance) et ancien directeur de cabinet de Abdelkader Benjeloun lorsque ce dernier etais ministre de finances en 1956 et qui en 1961 occupait le poste de ministre du Travail et des questions sociales. Grace a ces deux intimes, explique Agnes Bensimon, le roi appris qu'Israel lui faisait des propositions dignes d'interet en vue de negocier le depart de la communaute juive. La deuxieme etape s'effectua entre Oufkir et le porte parole de la Misgeret le plus indique pour la circonstance Elie Torjman.
Selon l'historien israelien Yigal Bin-Nun, des relations entre les autorites israeliennes et le Palais marocain ne pouvaient en aucun cas avoir eu lieu en decembre 1959. a cette epoque Oufkir etait aide de camp de Mohammed V et Mohamed Laghzaoui etait directeur de la Surete Nationale. Une rencontre entre le chef du Mossad et du Shin Bet Isser Harel et le colonel Oufkir dans le domaine de l'immigration ne pouvait s'effectuer a cette date. Si non, comment expliquer la poursuite des operations clandestines du Mossad dans le domaine de l'emigration et aussi le naufrage du Pisces, bateau clandestin, et les arrestations qui en ont decoule.
Muni de ses sources, il affirme que l'accord entre les deux pays n'a ete conclu qu'en aout 1961, avec l'avenement de Hassan II. a cet accord de compromis precederent la mission de Bensalem Guessous a Jerusalem pour rencontrer le ministre des Affaires etrangeres Golda Meir en mars 1960 et les entretiens preliminaires entre Moulay Hassan avec Alexandre Easterman et Jo Golan, delegues du Congres Juif Mondial, en aout de la meme annee .
Le 27 fevrier 1961 Isser Harel avait adresse a son homme de confiance a Paris Ephraim Ronel, une lettre ou il evoquait l'emigration des Juifs du Maroc et l'attitude du Palais a cet egard: "En conclusion j'estime qu'il est souhaitable et envisageable de trouver un lien direct avec le nouveau monarque. Si nous creons ce lien, nous aurons besoin en premier lieu de lui fournir toutes les informations et les renseignements indispensables qu'il serait interesse a connaitre. Ses principaux ennemis, s'ils prennent le pouvoir, ne manifesteront pas une attitude positive " l'egard des Juifs de leur propre initiative. Ils y ont meme fait obstacle. Aujourd'hui, nous ne leur devons rien". Cette attitude, explique Bin-Nun, marque un virement dans la politique des israeliens, qui jusqu'alors avait entretenu des contacts assidus avec Ben Barka, apres que celui-ci demanda par l'intermediaire d'un delegue du Mossad a Paris, une aide militaire a Israel pour prendre le pouvoir au Maroc par la force des armes.
Encore a cette epoque, une ouverture d'esprit concernant l'emigration des Juifs Maroc suscitait de fortes reticences. Le journal de l'Istitqlal ecrivit en effet le 10 mai 1961: "l'emigration des Juifs marocains pour Israel devrait etre puni de mort car elle equivaut a un acte de haute trahison. La peine frappant 20 Juifs arretes alors qu'ils essayaient de quitter illegalement le pays et recemment condamnes a trois mois de prison par le tribunal de Nador, est insuffisant ".
Cette date d'octobre-decembre 1959 a ete reprise dans plusieurs publications, dont les livres de Rene Faligot et Remy Kaufer, Jacques Derogy et Hesy Carmel, Stephen Smith, Ahmed Boukhari et d'autres, qui tous citent le livre d'Agnes Bensimon, sans la nommer . Mais Yigal Bin-Nun est formel. Selon ses sources, un "accord de compromis" n'a ete conclu dans le domaine de l'immigration qu'en aout 1961. En outre, Robert Assaraf, Elie Torjman n'avaient aucun lien avec cet accord qui fut realise par l'intermediaire de deux personnalites juives locales : Isaac Cohen-Olivar et Sam Benazeraf et avec le concours de deux personnalites proches du Palais : le cousin du roi Moulay Ali et le ministre du travail Abdelkader Benjeloun.
Dans un hotel a Geneve, l'ambassadeur d'Israel a Paris, Walter Eitan, accompagne d'un emissaire du Mossad et du representant de l'Agence juive remirent le montant d'un demi million de dollars en especes a Moulay Ali et Benjelloun et s'engagerent a verser aux Marocains la montant de 250 dollars par emigrant qui serait autorise a quitter le Maroc a partir du 28 novembre 1961. Ainsi commenca l'Operation Yakhin dans le cadre de laquelle les Israelien evacuerent vers Israel jusqu'a la veille de la Guerre des Six jours, a l'aide de passeports collectives signes par le ministre de l'interieur Oufkir, un peu moins de 80 000 Juifs .
Mon pere appris avec retard les retombes pecuniaires de ce dossier. Il en fut scandalise. Il comprenait que le Maroc puisse tirer parti de l'operation mais seulement s'il beneficiait au developpement du pays. Ceci dit, pour moi l'attitude d'Hassan II envers les juifs dans le contexte de l'epoque non seulement pragmatique mais aussi audacieuse et courageuse. Quel dommage que ce geste politique fort a ete entache de vils profits. Neanmoins s'il y a une chose qu'on peut mettre a l'active d'Hassan II c'est bien sa politique exterieure, laquelle fut un exemple d'intelligence, d'anticipation, de realisme. Au cours de 38 annees de son regne, le roi a entretenu avec une finesse et un talent rares des relations internationale judicieuse et... hautement rentable. Elles furent la clef de sa longevite politique exceptionnelle.
Concernant les relations diplomatiques entre Israel et le Maroc, selon Bin-Nun, elles ne commencerent qu'en debut fevrier 1963. L'historien a reussi a identifier la personne qui a servi d'intermediaire entre Oufkir et le bras droit d'Isser Harel. Il s'agit du commissaire francais Emile Benhamou, ami d'Oufkir de l'epoque de leur service militaire en Algerie, qui plus tard representa son pays a l'Interpol. Cette rencontre s'effectua au domicile de la famille Benhamou a la rue Victor Hugo a Paris. Ce n'est qu'a cette date que debuta une cooperation etroite et assidue entre le Palais marocain et Israel dans divers domaines : la formation de la garde royal, les techniques du renseignement, la formation d'officiers, les projet d'irrigation et de cooperation rurale et autres.
L'historien israelien affirme aussi que le premier voyage d'Oufkir en Israel ne s'est effectue que le 3 janvier 1964. Les documents israeliens provenant du gouvernement et du Mossad sont unanime a affirmer : "Oufkir est incorruptible", ce qui ne fut pas le cas de plusieurs ministres et hauts fonctionnaires marocains qui ont travaille avec les emissaires israeliens. Quand a Harel, il n'a jamais effectue un voyage autorise au Maroc et n'a jamais rencontre Oufkir etant donne qu'il avait d'missionne de ses fonctions en mars 1963. Par contre, il avait effectivement effectue un voyage au Maroc en octobre 1959, a la suite de trois visites precedentes, mais tous ces voyages etaient clandestins, a l'insu d'autorites marocaines. Leur but n'etait que de verifier la securite de voies de departs clandestins du nord du Maroc .
A. Ben Simon, Hassan II et les juifs, Histoire d'une emigration secrete, pp. 129-131, 161-162.
Y. Bin-Nun, " La quete d'un compromis pour l'evacuation des Juifs du Maroc ", L'exclusion des Juifs des pays arabes, Pardes ne 34, (In press editions 2003)
R. Faligot & R. Kauffer, Les maitres espions, Histoire mondiale du rensegnement. tome 2, De la Guerre froide a nos jours. pp. 277. 290-291. J. Derogy & H. Carmel, Le siecle d'Israel 1895-1995 Les secrets d'une upopie, p. 538. A. Boukhari, Le secret, Ben Barka et le Maroc, un ancien agent des services speciaux parle, pp. 53-54, 103-105.
Ines Bel Aiba, Younes Alami, Ali Amar et Aboubaker Jamai, " Le Maroc et le Mossad ", Dossier, Le Journal Hebdomadaire, No167, (Casablanca, 3 au 9 juillet 2004)
Y. Bin-Nun, Les relations secretes entre le Maroc et Israel, 1955-1967, manuscrit et cycle de conferences au Centre Communautaire de Paris, 2004
Tire du livre de son fils Raouf Oufkir: Les invites, Edition de Poche J'ai Lu, Paris 2005, Edition revue et corrigee, pp.370-373.