Juifs, Chrétiens et Musulmans apres l'expulsion d'Espagne
Posté par:
darlett (IP enregistrè)
Date: 08 septembre 2009 : 04:18
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Ceux-ci parmi lesquels on comptait de nombreux megorashim comme les Ruti et Rózales sur lesquels on reviendra par la suite, étaient particuliérement actifs dans le traflc de produits destines aux comptoirs portugais d'Arguin sur la cote mauritanienne, á ceux d'Elmlna et d'Axem sur le littoral ghanéen ainsi qu'á Sao Tome OLÍ, tres tót, les Portugais avaient creé leurs premieres plantations de cannes á sucre. Le commerce juif portait notamment sur des produits textiles tres variés —a'ban ou haík-s, hambels ou couvertures de couleurs bariolées, bórdales ou tissu de cotón bleu foncé— qui étaient importes d'Angleterre ou manufactures dans certaines villes du Maghreb telles que Marrakech, Oran, TIemcen, Bougie et Tunis ^^
En 1512, Emmanuel 1er ordonna la fabrication de hambels á Safi méme. L'entreprise fut confiée á Méír Lévi ainsi que'á un membre de la famille des Ben Zamirrou qui travaillaient désormais pour le compte du Trésor Royal. Moins de deux ans plus tard, la fabrique de Safi avait, dans ses entrepóts, plus de 2000 piéces que les commergants juifs refusaient de livrer á la Casa da India, á destination d'Arguin, faute d'en avoir été payés á l'avance ^^. A la fin des années 20, la famile des Ben Zamirrou avait bel et bien le monopole du commerce des places portugaises du Sud avec les provinces marocaines qui étaient passées sous l'autorité des Shérifs sa'adides. Ces régions étaient particulérement riches en sucre que les commergants juifs —les Zamirrou mais aussi les Rózales et les Rute et les Cabesa— avaient l'habitude l'écouler en Angleterre, en échange des produits textiles'''.
L'influence des Zamirrou était telle que l'un deux, Abraham —appelé dans nos sources Raby Abrao— se vit octroyer le fermage des soldes payées aux troupes postees á Safi et á Azemmour. Les troupes dépendaient done de lui pour leur paye et, en 1529, le capitaine de la place d'Azemmour, Antonio Leíté avait ainsi de bonnes raisons de s'émouvoir en constatant que Raby Abrao était retenu pendant plus d'un an á Lisbonne. II demanda dono á Jean III de le renvoyer au Maroc afin que —précisa-t-il dans sa requéte— «les prochains paiements des troupes soient faits dans de bonnes conditions» '®.
Ce voyage était-il en relation avec le périple du faux-messie David HaRéubéni á Lisbonne? Probablement, si l'on se fie au propre témoignage
de HaRéubéni qui cita le Rabbin Abaraham ben Zamirro parmi ses compagnons les plus fidéles, lors de son séjour au Portugal, fin 1525 '^
Ben Zamirro n'eut pas, tant s'en faut, une vie bien ordinaire. On peut diré autant d'un grand nombre de trafiquants juifs de son époque: voici
par exemple Francisco Millan, né á Utrera, au Portugal, de parents exilés espagnols. Convertí de forcé, il arriva au Maroc en tant que Nouveau Chrétien pour s'adonner au commerce des étoffes á Azemmour. Aprés quelques années d'intense activité, il decida de partir pour l'Amérique Céntrale avec, dans ses bagages, une... concubine árabe. Mal lui en prit: en 1538, il fut arrété et condamné par l'lnquisition au Méxique^°.
Autre exemple non moins cocasse celui de Jacob Rózales qui fut ruiné pour avoir mis sa confiance et son argent —la somme enorme de 20000
cruzados— dans l'entreprise de l'aventurier génois Luis de Presenda dont les bateaux assuraient la liaison entre les ports du nord du Maroc, Cadix et Genes. Poursuivi par ses créanciers, Presenda s'enfuit au Maroc, en 1527 et, quelques temps plus tard, offrit ses services á Charles Quint qui l'envoya á Tunis, dans le but de faire assassiner Barberousse. Le complot échoua et Presenda fut mis á mort á Alger^'.
Quant á Rózales, lui-même, cette expérience malheureuse ne semble pas l'avoir écarté, pour longtemps, du grand commerce maghrébin, puisque des 1529 nous le voyons réaparaitre sur scène et armer des bateaux, faisant la navette entre Salé et le Portugal ^^. Dans le méme temps, il servit d'ambassadeur du roi wattaside de Fes auprés de Jean III qui le regut, á deux reprises au moins, en 1530 puis en 1534, au moment oü l'lnquisition faisait des coupes sombres parmi les Exilés d'Espagne, refugies au Portugal ^^.
Nous touchons iá, en fait, á l'un des aspects essentiels de cette activité débordante des Exilés d'Espagne, passés au Maroc: leur role de médiateurs entre Chrétiens et Musulmans, un role qui amena plusieurs d'entre eux á faire fonction d'ambassadeurs aussi bien des Rois du Portugal que des souverains de Fes ou des Chérifs du Sous.
Par ailleurs, qu'il s'agisse des Adibe, des Ben Zamirrou, des Rute ou des Rózales, les ambassadurs juifs n'étaient rien moins que des émissaires muets, porteurs de missives ou de présents: jouissant de l'entiére confiance de leurs souverains, ils bénéficiaient le plus souvent d'une grande liberté d'action ainsi que de ressources inépuisables de patience et d'assiduité.
Ainsi, á Azennmour et á Safi, les Adibe et les Ben Zannirrou servaient aussi bien d'émissaires des gouverneurs portugais auprés des notables musulmans locaux (Qa'id-s ou Shaykh-s de tribus) que d'ambassadeurs du ROÍ du Portugal auprés du Roi de Fes et du Chérif du Sous. Les missions qu'iis remplirent étaient des plus vahees, allant de la remise d'un vétement d'apparát offert par Emmanuel 1er, en 1514, á un Qa'id de la región d'Azemmour^" á la signature, en 1526, d'une tréve entre la garnison de Safi et le Chérif Mawlay Ahmad al-A'raj ^^ ou encoré, á des négociations de paix avec les rois wattasides, comme en 1527, en 1528 et en 1530'^
Fort de ses succés et de sa position, Abraham Ben Zamirro rendait compte directement á Emmanuel 1er du résultat de ses tractations
les chefs locaux ou encoré de l'état d'esprit general des tribus alliées. En outre, faisant montre de peu de confiance, dans les rapports adressés á Lisbonne par le Capitaine de Safi, il prit l'initiative, en 1511, d'envoyer son propre frére, auprés d'Emmanuel 1er, pour le mettre au courant de ses tractations avec les autorités musulmanes locales ainsi que de la situation militaire de Safi". Trois ans plus tard, en 1514, il exigea la destitution d'un Qa'id árabe local, allié des Portugais, du nom de Yahia Ibn Ta'fouft, accusé —non sans raison, semble-t-il— de trahir la cause portugaise ^^ et d'étre á l'orgine de l'assassinat, en 1512, de {'interprete juif, Moíse Dardeiro qui, le premier avait eu vent de la trahison du Qa'id ^^. Dardeiro, notons-le, ne fut pas la seule victime juive en service commandé des Portugais: Méir Lévi, cité précédemment, avait été également exécuté par les Chérifs du Sous raccusation d'espionnage au profit du Capitaine, commandant la place de Santa-Cruz (Agadir) ^°.
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'* Sur le commerce portugais au Maroc, en general, volr notamment RICARD, Robert, «Le commerce de Berbería et l'organisatlon économique de l'empire portugais aux xve et xvie siecles», íAnna/es de l'lnstitut d'Etudes Orientales d'Alger, II, 1936, pp. 266-290; CORNELL, Vlcent
J., «Socioeconomic dimensions of Reconquista and Djihad in Morocco: Portuguese Dukl<ala and the Sa'did Sus, 1450-1557», International Journal of Middie Eastern Studies, n.° XXII, 1990, pp, 379-418.
'= S./.H.M., Portugal, I, pp. 366-371: Safi, 15-12-1512; pp. 653-655: Safi, 14-11-1514.
" WiLLAN, T. S., Elizabethan Trade.
'° S.I.H.M., Portugal, II (2), Lettre d'Antonio Lelté á Jean III, 14-10-1529, pp. 490-495.
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'^ HaRéubéni avait méme designé Ben Zamirro pour recevoir l'un des trois fanlons messianiques qu'il avait confectionnés á ses plus fidéles compagnons. Sur cet événement, on se reportera á HiHSHBERG, H. Z., Histoire des juifs d'Afrique du nord, I. Jérusaiem 1965, pp. 319-320.
'° R. Ricard.
^' Ibidem.
"" S.I.H.M., Portugal, II (2), Lettre d'Antonio Leite á Jean III, 10-9-1529, pp. 477-481.
" Ibidem, Echange de lettres entre Jean III et Mawlay Ahmad al-Wattasi, pp. 595-597 (2-10-1533); ainsi que Déclaration de Jacob Rózales, 21-9-1534, pp. 647-648.
" S.I.H.M., Portugal, I, p. 609: Lisbonne, 28-8/9-9 1514.
" S.I.H.M., Portugal, II (1), pp. 351-353; Lettre de Mawlay Ahmad al-A'raj á Jean III, 10-12-
1525.
'" Voir par exemple, au sujet des pourparlers menees par Yahiya Adibe avec les Wattasides, le Mémoire d'Antonio Leite, S.I.H.M., op. cit, II (2), pp. 531-535.
" S.I.H.M., Portugal, I, Leltre de Abraham ben Zamirrou á Emmanuel 1er, Safi, 3-1-1511.
" Ibidem, I, pp. 619-629.
" S.I.H.M., Portugal, I, pp. 366-367: Safi, 15-12-1512.
" Ibidem