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II était une fois...Un récit concentrationnaire de Haïm -Vidal Sephiha
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 23 dcembre 2007 : 07:40

28ème anniversaire de la libération des camps
II était une fois...

Un récit concentrationnaire

de Haïm -Vidal Sephiha



Trois détenus s'étalent fait longuement attendre à la sortie de l'ascenseur. Fournée après fournée, nous remontions, fourbus, exténués, courbatus,le visage en lame de couteau, Ies yeux cernés de charbon. Nous arrivions à la lumière du jour, ivres de fatigue, près de tituber, déployant ce dernier effort que la présence du S.S. exigeait. Le salut rigide accompagné du « Mützen ab ! » (1), souvent aussi du coup de crosse du préposé.

Se faire remarquer le moins possible, se rendre invisible, passer par le trou de l'aiguille et rejoindre la troupe des survivants de chaque jour, alignés jusqu'à la remontée de la dernière fournée. Nous étions presque au complet. Comme chaque jour, nous avions rencontré dans les galeries nos camarades de l'équipe suivante. Accoutumés au décor imposé par les S.S. et entrant dans leur jeu, nous nous saluions d'un «Glück auf ! »salut des mineurs allemands).« Glück auf ! Glück auf !Glück auf ! ». Parfois aussi, ils nous donnaient les dernières nouvelles du camp et plus particulièrement de la consistance de la soupe qui leur avait été servie. Nous étions presque au complet. Les S.S. commençaient de nous entourer. Le départ pour la maison (le camp) s'annonçait.

Trois détenus manquaient à l'appel !... Trouble dans les rangs !... Crispation des S S. !... Interrogatoire serré et violent !

— Toi ! tu les as vus ?

— Et toi ? Schweinehund ! (2).

— Et toi ? Mistbube ! (3).

Tous trois avaient travaillé ensemble.

Un S.S., un second, un troisième redescendent dans la mine. Une heure se passe, deux heures se passent, les S.S. remontent bredouilles. Toujours rangés par cinq, il nous est interdit de nous asseoir. Coup de fil, ordres, contre-ordres. Le chemin habituel, le chemin du retour se fait chemin du calvaire.

Responsables des trois manquants, les S.S. nous harcèlent, nous portons les blessés et, au pas de course, rentrons au camp, où... seules rythment le silence de mort les mille respirations, contenues et émues, de l'ensemble des détenus rassemblés au garde-à-vous, raides, sur la place d'appel !
Notre colonne occupe sa place habituelle. Dans l'espace libre qu'enclosent les colonnes, des cadavres rougis, fraîchement abattus. Tout près, le commandant du camp, tapotant de sa badine ses bottes noires et vernies. Juché sur une caisse, il nous jauge du regard, regard froid, accentué de haine.

— Trois de vos camarades... Dolmetcher ! Dolmetcher ! (4)... Ubersetzen ! Traduis !

Et commence un choeur à deux voix :

— Trois de vos camarades manquent à l'appel.

— Vous connaissez le règlement.

— Un pour tous, tous pour un ! De même pour trois.

— Trois pour tous, tous pour trois !

— Dès que nous avons su, nous avons rassemblé les « blocks »».

— Chacun d'eux (il désigne de la badine les cadavres amoncelés sur la neige rougie) a payé. Il nous faut trois otages !

Remous... Terreur... Chacun prie à sa façon pour ne pas être désigné. Chacun espère que le voisin le sera.

— Blockältester ! (5) Désigne-les

Le chef de « block >» choisit :

— Toi ! Non, pas toi ! Toi, oui toi ! Je recule, c'était bien dans ma direction, mais derrière moi. Ouf !

Les « élus » ne disent mot. On les présente au commandant qui estime que deux d'entre eux, trop gras, ne peuvent être sacrifiés. Ils abattront encore beaucoup de charbon avant de mourir. Nouveaux remous... Nouvelle terreur... Nouveau choix... La mort est lente à choisir !
Un ciel bas et lourd « encouvercle » le camp. Indifférente, la brise étouffe notre silence, atteint sans peine nos corps. Nous grelottons de froid et de mort.
Les ordres résonnent toujours. Un peloton de S.S. accomplit sa « tâche » : une salve, deux salves, trois salves, et les voilà tout de long étendus.
Du camp voisin s'élève un chant lent et mélancolique, hommage involontaire des prisonniers de guerre russes à nos morts sans sépulture.
Et maintenant, debout, alignés, rangés, au garde-à-vous devant nos morts, debout jusqu'au signal du maître, nous attendons. Le froid et la mort nous pénètrent. Qu'attendons-nous ? Le bon plaisir du maître ? Oui et non ! chacune de nos colonnes a payé. Seule l'équipe de l'après-midi, dite Mittelschicht, est restée indemne : celle que nous avons croisée tout à l'heure à notre remontée.

Et nous continuons d'attendre... Les plus faibles s'évanouissent. Le froid et la mort redoublent leurs efforts. Le tas grossira bientôt..
.
A 21 heures, alignée depuis midi,la Nachtschicht, l'équipe de nuit, se prépare à partir sans avoir mangé. La production n'attend pas. Nous, écrasés de fatigue et d'émotion, restons au garde-à-vous. La Nachtschicht s'en va au pas cadencé chantant comme à l'accoutumée son : « Longue est la route du retour, Der Mensch lebt nur einmal und dann nicht mehr ! » (L'homme ne vit qu'une fois et après plus !)

Le ciel gris, la nuit, la bise, l'obscurité glaciale s'acharnent sur nous. Minuit ! Que de mourants ! Du côté de l'usine, nous parviennent les voix de la Mittelschicht, la chanson imposée :
« O du schöner Westerwald, Uber deine Höhen pfeift der Wind so kalt. »
(Oh ! toi belle forêt d'Ouest, Sur tes hauteurs siffle le vent glacial.)
Je me les imagine la lampe, à la main, balancée en mesure, puisant dans la chanson des forces nouvelles. Les voix se rapprochent, couvrent de plus en plus notre univers fermé. Le crescendo s'arrête devant le portail au slogan flamboyant : Arbeit macht frei ! (le travail rend libre !). Par cinq, le commando étonné, puis horrifié, s'avance à notre hauteur, marche sur place... Au commandement : « emitour à gauche, gauche ! », nos camarades se figent doublement dans l'arrêt habituel et devant ce spectacle atroce.. Les deux équipes se font face, la lampe a la main, la gorge encore pleine de charbon... Dans les yeux de la Mittelschicht, l'horreur pour nous déjà coutumière.
Et le silence, soudain interrompu par l'arrivée aboyante et bousculante du Lagerfùhrer (6), ses bergers allemands et sa suite soldatesque. Rejuché sur sa caisse, le ventre bien garni, la face rougeaude, il rappelle le Dolmetscher.

— Un pour tous, tous pour un...
— Ceux-là ont payé !...

Un frisson parcourt les nouveaux venus. La Mittel-schicht dégorge une, deux, trois victimes, choisies directement cette fois, désignées de loin du bout de la badine du commandant.

— Du Schweinehund l Ja Du Muselmann ! Komm her ! (7).
Un coup de poing dans la poitrine, la victime tombe, et péniblement se relève.
— Bon pour la mort Improductif !

Un second, un troisième.
Bruit de pas et des armes. Le peloton s'avance. Salves...
Nouveaux cadavres. Nouvelles taches de sang sur la neige.
...Et à présent...

— Wegtreten ! Rompez les rangs !
Chacun dans son « block » !

Jonchant le sol, les fusillés, les épuisés, les morts de froid et d’épuisement, les écroulés... et, à proximité, les lampes des détenus mineurs, lampes qu'un responsable récupère, lampes qui dans la mine éclaireront d'autres morts en sursis.
La mort dans l'âme, transi de froid, une seule pensée, un seul désir me tenaillait : ne plus grelotter, me réchauffer, me perdre dans un sommeil fœtal !
A quoi bon se déshabiller ! A quoi bon perdre une heure précieuse de sommeil dans la bousculade quotidienne des douches! Tel quel, tout empoussiéré de charbon, je me hissai au troisième étage de mon châlit et me glissai sous mon unique couverture sans pouvoir m'arrêter de gémir et de claquer des dents.
Quelques heures après, l'Aufstehen ! (debout là-de-dans !), ponctuel, habituel, inévitable, m'arrachait à ma torpeur. Je commençais à peine de me réchauffer et déjà je me regonflais de cet enthousiasme factice et enfantin qui m'animait, lorsque, pelletant le char-bon et en attaquant le tas par le sol, il s'écroulait en un écroulement fascinant et continu, me facilitant ainsi la tâche.

Chaque jour, le tas, les tas, s'écroulaient. J'étais la mer à l'assaut du château de sable. Sur les brillances du charbon, automatiquement pelleté et chargé sur les « sauterelles », voguait mon esprit — recueillant les souvenirs les plus chaleureux, les rayons de soleil de mon enfance. Rien de très proche, un passé lointain s'intégrant dans le décor féerique de la mine. Là, je me retrouvais sans souffrir à condition de n'avoir ni Kapo (8), ni Vorarbeiter (9), ni S.S. sur le dos.
Mais, pour charger, il me fallait manger plus que la ration ordinaire ; j'y pourvoyais par de menus travaux supplémentaires, heures supplémentaires des ouvriers de notre société au retour de l'usine.
Cet enthousiasme factice auquel finalement je croyais, voici que je le retrouvais et y repuisais de nouvelles doses de courage. Je repartais pour la mine, chantant avec la colonne :

« Früh am Morgen wenn die Sonne aufgeht... » (Tôt le matin quand le soleil se lève... Nous nous reverrons ma douce Silésie, ma patrie. !)

Le chant imposé pris à mon compte comme les Allemands prirent le V de la victoire au leur...
Les poutres des voies ferrées... La cohue et les éructations croassantes et « crossantes » de nos gardes, à la chute d'un des nôtres.

La mine. L'arrêt devant l'ascenseur. Le «aus !» marquant la fin du chant. La descente, le croisement plus taciturne que de coutume de la Nachtschicht, la journée de travail, les questions des civils, notre méfiance devant le nomhre exceptionnel de S.S., l'encadrement massif et le retour morne d'une troupe d'affamés tombant de sommeil. Marquant le pas devant le portail « Arbeit macht frei », nous nous taisions. Les S.S., toujours plus nombreux, accueilleront notre «Mützen ab! » avec un gros rire. Encore une heure entre les douches, les formalités quotidiennes et enfin la paillasse ! Faux espoir ! Comme hier, sur la place d'appel, rassemblement général ! A la place des morts d'hier,les cadavres de nos trois camarades « évadés ». Eux, au moins, n'attendront plus de longues heures sur la place d'appel !

Le lendemain, des civils de la mine nous apprenaient que nos malheureux camarades s'étaient perdus dans une galerie d'aération, où des travaux de maçonnerie les occupaient. Au Feierabend !, fin du travail, reprenant le chemin du retour, leurs lampes à carbure à flamme vive, s'éteignirent dans un courant d'air. Privés de lumière, ils avancèrent à tâtons, mais s'égarèrent dans les profondeurs de ce secteur peu fréquenté.

Retrouvés, Interrogés, battus, leurs explications furent vaines. D'autres avaient déjà payé pour eux. Leurs dépouilles rejoignirent le monceau de cadavres de la veille. Le Revier, dérision d'infirmerie, compléta vite le lot pour en charger un plein camion à destination des fours crématoires de Auschwitz-Birkenau.

Haïm Vidal SEPHIHA.

(1) Bérets bas !
(2) Cochon de chien !
(3) Fumier !
(4) Interprète !
(5) Chef de chambrée l
(6) Commandant S.S. du camp.
(7) Toi, cochon de chien ! Oui !
Toi, croulant ! Viens ici !
(8) Chef de colonne.
(9) Contremaître désigné parmi les
détenus.


« Regards », mars 1973.




II était une fois...Un récit concentrationnaire de Haïm -Vidal Sephiha
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 23 dcembre 2007 : 08:04

29ème ANNIVERSAIRE DE LA LIBERATION DES CAMPS
Nuit et Brouillard

par Haïm-Vidal Sephiha


C'est un univers morne à 1'horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème.

Baudelaire.



Nuit et Brouillard ! Titre évocateur! Deux mots qui se complètent. Deux aspects du Chaos primitif, ou se brouille toute mémoire.
Deux images de l'oubli auquel furent vouées les victimes de 1'Univers concentrationnaire. Deux images qui s'inter-pénètrent et se contiennent 1'une 1'autre.

Ils déclenchent infailliblement le souvenir de 1'admirable film d'Alain Resnais, on ne peut plus sobre et plus élo-quent.

Mais, que recouvrent ces mots ?
Ils sont la traduction littérale de NACHT und NEBEL bien plus expressifs en allemand, NACHT und NEBEL! C'est là l'interprétation du sigle N.N. accolé par 1'administratlon S.S. à tout détenu désigné dès sa déportation à la destruction, à la disparition, et qui, en aucune manière ne pouvait faire partie du lot, combien maigre et hypothétique, des rescapés de- « 1'Enfer organisé ».
Certes, on les laissait encore en vie, mais, à seule fin d'exploiter leur force de travail. Chacun de nous savait ce qu'était un N.N., un Nacht und Nebel.

Cette expression s'appliqua d'ailleurs petit à petit à tout concentrationnaire que 1'épuisement — on 1'appelait surtout Muselmenn (« musulman ») par analogie avec l'aspect physique des fakirs ou des ascètes titubant de faiblesse à force de jeûnes — destinait aux gaz et aux injections mortelles.

Mais que signifiait à 1'origine ce sigle N.N.? Jamais, sem-ble-t-il, on n'a suffisamment insisté sur ce sens. Et pour-tant, quel symbole! En ces Jours anniversaire de la libération des camps, il faut le dire et le redire afin d'y découvrir toute la symbo-lique nazie et concentrationnaire.
Il suffit de consulter un dictionnaire allemand pour découvrir avec stupéfaction que ce sigle était utilisé en Allemagne, bien avant le régime nazi et qu'aujourd'hui encore, en France, sous la simple abréviation de N, il. figure, dans le.Larousse en couleurs de 1972, avec cette définition : « quelqu'un qu'on ne veut pas nommer ».

Le Deutsches Wörterbuch de Jakob et Wilhelm Grimm (18881) le définit comme suit: N. oder N.N., statt eines Namens, den man nicht Weiss (NOMEN NESCIO) oder nicht nennen will (NOTETUR NOMEN), c'est-à-dire : N. ou N.N., utilisé au lieu d'un nom que l'on ignore (Latin : nomen nescio) ou que l'on ne veut pas mentionner (Latin : notetur nomen).

Le Grand Dictionnaire Allemand-Français de Birman et G. Kister(Garnier, 1920) note : N.N. = nomen nescio (pour un nom qu’on ignore).
Celui de Sachs-Villatte donne une définition semblable. Cependant, la dernière édition de 1970 ne mentionne plus cette abréviation.
Consultant d'autres dictionnaires, on pourrait, d'une part retrouver à quand remonte l’utilisation de ce sigle, d'autre part constater que tous s'accordent sur le sens à lui donner.

Ainsi donc, la notion véhiculée par ces deux lettres fatidiques encore utilisées aujourd'hui en Allemagne et ailleurs, (cf. les affiches du Collège de France) est celle de ’anonymat’ — Nomennescio — nom ignoré volontairement ou involontairement (1).

Ignorer le nom ! Dépersonnaliser ! Effacer jusqu'au nom !

Et, n'était-ce pas la le premier objectif du système concentrationnaire ? Une fois l'identité réduite ä N.N. ou à un numéro, n'était-il pas plus commode de liquider, d’aNEANTir?

Les S.S. utilisèrent à leur tour ce sigle dont ils ignoraient la signification exacte, mais qui, pour eux, continuait de véhiculer cette notion de l’anonymat (Namenlosigkeit), du néant (Nichts ou Nichtigkeit), de la destruction ver-NICHT-ung) de la négation (NICHT et NEIN), de la mort, aboutissement de la négation (ver-NEINung > verVICHTung).
Un jour, quand ? on ne peut le savoir, une quelconque brute S.S., moins quelconque que ses congénères, parce que poète en son genre (la poésie s'étend également à l’horreur) (2), trouva cette formule percutante pour stigmatiser l’anonymat concentrationnaire: NACHT UND NEBEL ! ! !

II y eut même parmi nos gardes-chiourmes des commenta-teurs de leur « génial » semblable « méconnu ».Nacht, « nuit », disaient-ils, c'est l’oubli. Nebel, « brouillard », c'est la fumée dans laquelle vous vous volatiliserez tous — ihr werdet alle krepieren, « vous crèverez tous!»Heureuse, mais combien macabre et significative explication de texte ! Et pourtant, il s'agissait bien de cela ! Tout le contexte concentrationnaire la sous-tendait. L'interprète de N.N. avait vu et senti juste. Conditionné par ce monde dantes-que et ses « spectacles » quotidiens, il en avait donné l'image fidèle, ces deux mots entourés d'un halo infernal.
En effet, parmi les damnés de cet univers déshumanisé, bariolé, hierarchisé en péchés capitaux — les prisonniers politiques, ceux de droit commun, les saboteurs, les ho-mosexuels, les objecteurs de conscience, les Russes, les Bohémiens, et, tout au bas de 1' échelle établie par les na-zis, les Juifs, chacun affublé de son insigne de son insigne de couleur bien déterminée et de son numéro — apparaissait le N.N., le dernier des derniers, le « sous-produit » de la «sous-humanité», irrémédiablement destiné à 1'extermination.
Numérotés ou pas, N.N., nous l'étions tous en fin de compte. Sous l' anonymat: la torture. Combien de mourants, les yeux hagards, les jambes flageolantes. obligés de se rendre sur la place d'appel., redressés à coups de trique, de poing ou de nerf de boeuf, n'ont-ils entendu le S.S. de service les interpeller en leur désignant du doigt la cheminée trapézoïdale :« Demain, tu y partiras en fumée, tu monteras voir les anges !».
Les détenus eux-mêmes adoptèrent entre eux cet humour noir. L'humour ne perd jamais ses droits. Triste compensation, funèbre système de défense ici, il est spécifique de chaque société.

Si l'un de nous toussait, on lui posait amicalement la main sur l'épaule en lui disant laconiquement :Morgen Krema-torium, « demain, four crématoire ! », homologue de notre populaire, Tu fous le camp de la caisse ou Trente- six sapins ! de notre société semi-normale.

NACHT UND NEBEL ! C'est tout un programme. C'est tout un monde, un autre monde — la jungle imposée, où tous les éléments se déchaînent et s'associent pour assurer votre perte, où la brutalité est reine, le plus fort roi.

Chacun y vit à la minute la minute. La force de travail du damné, du déchu est sucée jusqu’à l'épuisement total, jusqu’à la dernière étincelle de vie. A plus ou moins brève échéance, la mort. La mort qui vous pénètre l'âme dès votre arrivée — la mort qui vous ronge aux travaux forcés - la mort cinglante de la bise et des frimas - la mort insidieuse des brumes

- la mort lente ou violente
- la mort omniprésente des « camps de la mort » situés, conçus, organisés et agencés à cette seule fin — tantôt au fond d'un vallon boisé (Dora), tantôt sur les hauteurs gla-cées d'une forêt Buchenwald), tantôt...
...
La mort face à face
chaque jour, à chaque instant. La faux du crachin, de la pluie, du brouillard
Les ténèbres du brouillard et de la nuit
Les nuits blanches de la nuit concentrationnaire
La nuit blessée, tranchée par les réflecteurs des miradors
La nuit glauque des réveils toni-truants pour aller décharger un train de briques arrivé pen-dant votre sommeil
La nuit soudain embrasée par les flambées, les coups de feu des fours crématoires. Les fumées
les volutes de fumées rabattues nuit et jour sur les baraquements L'acre odeur de chair roussie...
La nuit des sentinelles, des cerbères et des molosses. La nuit cré-pitante
« bruit de pas et bruit des armes » —
les hurlements des bergers allemands —
les vociférations des S.S. —
le claquement des fusils qu'on recharge. La peur toujours présente
l'oppression permanente ! L'abîme, la fosse, où chacun se sent précipité à jamais —

Cette oubliette me rappelait ces vers de Baudelaire :

J'implore ta pitié, Toi, l’unique que j'aime.
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.

Ce désir intense de métamorphose
Ces rêves d'oiseaux, libres de survoler les clôtures électriques — L'isolement total —
Le monde clos où les « Seigneurs » peuvent perpétrer impunément leurs crimes —
La machine infernale d'une nature domestiquée et exploitée à des fins meurtrières —
L' impuissance, l'absence de secours, de recours; l'absence de nouvelles —
le mutisme de l'au-delà —
le Silence —
l'atroce Silence —
L'oubli !
Perdus, oubliés dans les ténèbres de l'enfer nazi, dont toute la nature semble complice —
Ciel bas et lourd —
Couvercle de la brouillasse —
nuages de poussière — nuages naturels —
nuages artificiels.

Ce cycle perpétuel, infernal : nuit, jour enfumé, nuit, jour couvert, nuit, jour où le soleil, à son tour, se fait tortionnaire, nuit, jour...

La longue chaîne des nuits et des jours, hérissés de potences — jonchés d'exténués, de morts, d'assassinés, d'exterminés ! Le crime impuni présenté comme expiation...
Le crime anonyme de damnés sans nom — NOMEN NESCIO — NACHT UND NEBEL — NUIT ET BROUILLARD —
Nuits et brouillards se relayant tour à tour, pour couvrir, englober le crime !

Tel est le pouvoir d'évocation de ces deux mots magiques remplis des violences de la nuit des temps —
la nuit noire de la Géhenne parcourue par les furies sataniques et les ombres des proscrits, des réprouvés et des damnés du nazisme.
H.V.S.

______________
(1) C'est sous ce sigle que figuraient, dans les registres des morgues, les cadavres d'inconnus. N.N. s'utilise encore au-jourd' hui dans 1' expression Herr N.N., « Monsieur X».
(2) N'est-ce pas Baudelaire qui s'écrie en parlant du soleil : Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes, / il ennoblit le sort des choses les plus viles, / Et s'intro-
duit en roi, sans bruit et sans valets, / Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.




II était une fois...Un récit concentrationnaire de Haïm -Vidal Sephiha
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 23 dcembre 2007 : 08:07

Un texte de Haim-Vidal Sephiha


Chers amis,

Un grand merci à tous ceux qui m’ ont témoigné leur amitié pendant ces utilissimes cérémonies. Si je le fais avec retard , c’est quePOUR MOI, LE MOIS DE JANVIER EST UN MOIS DE DEUIL, car, il y a exactement 60 ans, après la " marche de la mort ", j’agonisais assis sur un tas de cadavres bien secs, sur lesquels je me trouvais à l’abri des vivants , qui se faisaient la guerre pour une miette de pain dans ce wagon ouvert du train que j’ai baptisé ”de la Méduse”, couvert abon-damment de couvertures abandonnées par les morts, qu’elles fussent pouilleuses ou ensanglantées , et que je m’efforçais d’économiser mes maigres forces, espérant m’en sortir malgré la faim/fin , le froid et mon état de mort-vivant, m’accrochant à ce 28 janvier, comme un noyé à une planche, allant me répétant “ mais non, mais non, Vidal tu ne vas pas crever le jour de tes 22 ans !”... “ mais non, mais non, Vidal tu ne vas pas crever le jour de tes 22 ans !”, et ce, tant éveillé que dans mon sommeil, sommeil bientôt habité par les plus beaux rêves de ma vie, il va de soi de compensation.

Très cordialement,

Haïm-Vidal






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