Re: Un certaine histoire des juifs du Maroc
Posté par:
darlett (IP enregistrè)
Date: 09 avril 2007 : 07:38
Cher Leon,
Le texte ci-dessus concernant le livre de Robert Asseraf etant incomplet, voici donc a nouveau cet article en entier.
Une certaine histoire des Juifs du Maroc
Robert Assaraf, Édition Jean-Claude Gawsewitch.
L’histoire du judaïsme marocain est généralement peu connue. Toutefois, celui qui veut s’y intéresser a vite fait de découvrir qu’elle est extrêmement documentée. L’ouvrage « Une certaine histoire des Juifs du Maroc » de Robert Assaraf jette la lumière sur une histoire étonnamment riche en événements souvent tragiques qu’alternent des espoirs de réconciliation qui s’inscrivent dans les relations de type love-hate entre juifs et musulmans au Maroc. L’ouvrage magistral de Robert Assaraf, fondateur du Centre International de Recherche sur les Juifs du Maroc, est particulièrement fouillé. L’auteur arrive à retracer une réalité historique sans fard, avec des jalons précis, en agençant les faits historiques avec cohésion. Cet ouvrage décrit l’évolution du judaïsme marocain en trois phases : celle qui eut lieu peu avant l’avènement du Protectorat, pendant la période du Protectorat proprement dite et après celle qui suivit l’indépendance du Maroc.
Dans la première partie, soit de 1860 à 1912, l’auteur retrace la condition difficile de dhimmis (protégés)_des Juifs soumis à l’humiliation et à l’arbitraire, mais trouvant néanmoins chez les souverains (Moulay Hassan en particulier) affection et réconfort. Le voyage de Montefiore visant à améliorer la condition des Juifs marocains, les premiers pas de l’Alliance israélite universelle s’inscrivirent dans un contexte international difficile. Les grandes puissances européennes avaient des visées sur le Maroc, alors astreint au payement exorbitant de la dette de la guerre d’Espagne de 1860. Certaines intervenaient souvent pour défendre les Juifs et les protégés consulaires (dont de nombreux Juifs) suite aux exactions commises à leur endroit. La lente et l’inexorable pénétration de la France et de l’Espagne jusqu’à l’institution du Protectorat en 1912 et les contrecoups dirigés contre les Juifs remettent en contexte la sérénité avec laquelle ces derniers acceptèrent la nouvelle ère garante de droits civiques réels et d’une sécurité accrue. Du reste, pour la période couverte, on souhaiterait connaître plus les évènements douloureux de Demnate qui eurent un retentissement mondial en 1885, car l’accent porte essentiellement sur les réactions à ces événements.
La seconde partie de l’ouvrage couvre la période allant de 1912 à 1956. Cette période est caractérisée par la rage de modernisation qui s’empara des communautés juives. Après avoir joué avec l’idée d’une version marocaine du décret Crémieux, les dirigeants communautaires s’accommodèrent de la formation de comités des communautés lesquels leur permettaient de jouir d’une certaine autonomie. La montée du fascisme et l’obédience aveugle de la Résidence au régime de Vichy a désillusionné de nombreux Juifs quant à la mission civilisatrice de la France. Dès lors, la communauté juive devint le bouc émissaire des fascistes français mais aussi des radicaux nationalistes qui commençaient à exiger le départ de la France. Les évènements de 1929 et de 1936 en Palestine mandataire influencèrent également les relations judéo-musulmanes. Quasi-impuissante, la communauté juive se vit prisonnière dans l’étau des mesures racistes toujours plus contraignantes de la Résidence. Elle fut réconfortée par l’attitude bienveillante du roi Mohammed V. Cependant, elle fut littéralement secourue in extremis par le débarquement américain. Le fait que l’administration américaine opta de composer avec le régime vichyste fut une autre source d’angoisse pour les Juifs, jusqu’à ce que De Gaulle devienne le maître incontesté de l’Autorité française. L’auteur décrit cette sombre période avec clarté et brio.
Dans la troisième partie de l’ouvrage traitant de la période s’échelonnant de 1945 à 1999, la lutte pour l’indépendance et les débuts de l’Aliya des masses juives jettent un éclairage particulier sur les tergiversations des dirigeants communautaires. Certains ne voulaient pas se sevrer des relations avec la France, d’autres voulaient s’inscrire dans la nouvelle mouvance de citoyens marocains égaux en droit. Toutefois, les partis politiques utilisèrent la question juive et notamment les relations des Juifs avec leur famille en Israël pour marquer des points dans l’opinion, ce qui ne fit que contribuer à l’insécurité de la population juive. Plusieurs facteurs contribuèrent à accélérer le départ des Juifs du Maroc : Le Maroc devint membre de la Ligue arabe, en faisant sien une rhétorique extrémiste; la visite de Nasser en 1961 s’accompagna de sévices policiers contre les porteurs de kippa; le parrainage par Allal El Fassi chef de l’Istiqlal et ministre des Affaires islamiques de l’enlèvement de jeunes juives mineures soustraites à jamais à leur famille pour être converties à l’islam; les difficultés faites à ceux qui voulaient obtenir un passeport; les attentats répétés contre la monarchie, garante de la stabilité contre les excès de la droite et de la gauche marocaines. Les débordements antisémites au lendemain de la guerre des Six jours et de la guerre de Kippour; Ce furent autant d’éléments qui incitèrent les Juifs à quitter « avant qu’il ne soit trop tard. » Résigné, le gouvernement marocain aura accepté de fermer les yeux sur l’émigration, pourvu qu’elle ne fût pas trop voyante. Bien plus tard, la diaspora juive marocaine fut mise à contribution pour faire avancer les intérêts du Maroc et le roi Hassan II fit des ouvertures qui contribuèrent aux accords de paix entre Israël et l’Égypte.
L’importance de la minorité juive à titre de pion dans l’échiquier politique marocain est sidérante. La portée des coups et des contrecoups des événements est fort bien analysée. Toutefois, ces analyses ne suffisent pas à elles seules pour expliquer le départ massif des communautés juives vers Israël. Israël n’a pas représenté pour les Juifs qu’un espoir messianique ou même qu’un pays de secours. Israël a représenté la dignité retrouvée d’un peuple qui a miraculeusement survécu à des siècles d’humiliation, qui voulait goûter à la liberté et qui pouvait enfin s’affirmer au grand jour.
Par ailleurs, il est à regretter qu’au cours de la troisième période à laquelle l’auteur fut intimement lié sur le plan politique (il fut conseiller juridique de la Chambre des conseillers), des considérations d’ordre personnel semblent déborder dans la partialité. L’ouvrage « Une certaine histoire des Juifs du Maroc » de Robert Assaraf est un incontournable pour qui désire acquérir une connaissance un peu plus approfondie de l’histoire récente - et renaissante - des Juifs du Maroc. N’eurent été les flèches personnelles contenues dans la troisième partie, l’ouvrage aurait pu devenir le grand classique de l’histoire juive marocaine.
Alain Pinto