Brice Couturier est le journaliste qui a "osé" POUR Rcontredire Stéphane Hessel sur France Culture. Voir [www.franceculture.fr]
Le P'tit Hebdo est un magazine paraissant en français à Jérusalem
----.
Un journaliste qui a le courage de ses opinions
19 mars 2012
Interviews Posted by Claire Dana-Picard
Brice Couturier, chroniqueur sur France Culture, a défendu les positions d’Israël avec le journaliste israélien Emmanuel Halperin lors d’une émission * à laquelle étaient invités Stéphane Hessel, auteur du livre « Indignez-vous », et Elias Sanbar, historien et essayiste palestinien. Ces derniers accusaient notamment Israël de pratiquer l’apartheid. Brice Couturier nous a accordé cette interview:
Le P’tit Hebdo : Brice Couturier, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Brice Couturier : Je suis un journaliste culturel. Aujourd’hui, je suis éditorialiste : tous les matins, sur France Culture, je lis une chronique à partir de laquelle s’engage la discussion avec le ou les invités du jour. Discussion à laquelle je participe, sous l’autorité du meneur de jeu, Marc Voinchet. Auparavant, j’ai été le coproducteur de l’émission quotidienne de débats Du Grain à Moudre sur cette même chaîne pendant 5 ans, rédacteur en chef adjoint au Monde des Débats, chef du service « idées » à l’hebdomadaire L’Evènement du Jeudi, rédacteur en chef de Lui ; et j’avais été un des fondateurs et principaux contributeurs du mensuel Globe, dans les années 80. Mais j’ai eu aussi une activité d’enseignant et de chercheur en sciences politiques : au Saint Antony’s College d’Oxford, à l’ENA de Varsovie et à l’Université de Marne la Vallée. Je me considère comme une sorte de passeur entre le monde de l’Université, de la production intellectuelle, et le grand public cultivé. Ma spécificité, dans le paysage français, je dirais que c’est une plus grande ouverture que la moyenne sur la vie intellectuelle extra-hexagonale : pendant 5 ans, j’ai présenté, sur France Culture, une émission consacrée à l’actualité européenne, entre 2002 et 2007. J’étouffe en France… On ressasse éternellement les mêmes petites idées toutes faites, les mêmes préjugés recuits qui servent à refouler toutes les questions neuves.
LPH : Lors d’une émission récente sur votre chaîne, vous avez pris nettement position en faveur d’Israël face aux deux invités Stéphane Hessel et Elias Sanbar : qu’est-ce qui vous a dérangé particulièrement dans ce débat ?
BC : J’avais prévenu Marc Voinchet, le producteur et présentateur de la Matinale que je ne participerais tout simplement pas à un « débat » entre deux personnalités qui pensent et disent exactement la même chose. Car c’est un grand classique de la désinformation à la française : vous prenez un homme politique de gauche et un intellectuel d’extrême-gauche, qui va l’engueuler, en lui disant que son parti n’en fait vraiment pas assez ; vous laissez mener un débat entre un politique de droite et un politique de gauche par une journaliste bien engagée à gauche sans prévenir le public ; vous prenez un « alterjuif » (comme dit Shmuel Trigano), adversaire irréductible d’Israël et vous feignez de l’opposer à un représentant patenté de l’OLP… Ce sont des débats truqués. Marc, sensible à mes arguments, m’a alors proposé d’inviter un intellectuel israélien. Puisque mon rôle ne se limitait donc pas à encaisser des coups (sans avoir toujours le temps de répondre), je suis revenu dans le débat.
Mais j’ai pour principe : pas de « vache sacrée », ni de « tarif réduit ». Mes interviews ne sont pas agressives. Mais je refuse de laisser prêcher, pérorer parfois, des personnages qui sont parvenus, en France, au statut « d’intouchables ». Personne n’ose ni les interrompre, ni les contredire. Même lorsqu’ils disent des bêtises. Peut-être parce que mes modèles se trouvent dans le monde anglo-saxon, et que je me sens suffisamment équipé sur le plan intellectuel, moi j’ose. C’est ça qui a choqué beaucoup d’auditeurs, qui ont réclamé mon éviction de France Culture.
LPH : Qu’attendiez-vous d’un tel débat ?
BC : J’espérais que les invités allaient accepter de discuter de ma thèse – quitte à la réfuter. Ma thèse, c’est que la pseudo « centralité » du conflit israélo-palestinien est un leurre, offert par les despotes arabes à leurs opinions publiques, pour masquer la réalité de leurs échecs – économiques, sociaux, culturels. On a fait croire à ces gens que la source de tous leurs maux, que l’arriération de leur société, avaient une cause unique : la présence d’un Etat juif sur la « terre sacrée de l’Islam ». Mais avec les Printemps arabes, la chute des despotes, le conflit avec Israël a donc perdu sa pseudo « centralité ». Les intellectuels français ne l’ont pas compris. Ils ont juste un temps de retard…
LPH : Il est rare, comme vous le savez, de trouver dans les médias français des journalistes objectifs qui comprennent et exposent les positions d’Israël et qui ont, comme vous, le courage de leurs opinions. À quoi est due chez vous cette lecture du conflit au Proche-Orient ?
BC : Ce serait un peu prétentieux de dire que je suis mieux informé que la moyenne mais il y a de ça. La paresse intellectuelle des confrères est proverbiale… Et puis il y a mon rapport très particulier avec la culture juive. Je n’ai aucune origine juive – même en cherchant bien. Mais il se trouve que je me suis toujours identifié avec des intellectuels juifs – Raymond Aron, Isaiah Berlin, Arthur Koestler, Leo Strauss… Parce que je crois qu’on ne peut saisir ce qui s’est joué au XX° siècle, avec les totalitarismes, que lorsqu’on en a été la victime. Des deux côtés. Et j’ai aussi lu des auteurs juifs – je veux dire des penseurs qui sont nourris de culture juive : Gershom Scholem, Shmuel Trigano. J’ai aussi lu pas mal de littérature yiddish en français, surtout Schalom Asch, quand je vivais en Pologne, où je cherchais partout des traces de la vie juive disparue…
LPH : Ne craignez-vous pas d’en subir les conséquences ?
BC : Bien sûr ! Je passe déjà pour « libéral », ce qui est, dans cet étrange pays, une grave accusation (il vaut mieux avoir été un partisan des Khmers rouges !), mais « sioniste » en plus, c’est prendre le risque de se voir boycotter ! Mais je peux vous dire que j’ai le soutien très ferme de ma direction. Olivier Poivre d’Arvor, le directeur de France Culture et Sandrine Treiner, la directrice des programmes, veillent au respect des principes de base du service public : indépendance, pluralisme, diversité, laïcité. Leurs encouragements ne m’ont pas manqué. De toute façon, si je renonçais à dire ce que je crois être la vérité, si je transigeais avec ma vocation de « truth seeker », je me trahirais moi-même. Mais, bien sûr, comme tout le monde, j’ai une famille à faire vivre et parfois, mon audace leur fait peur. Mais, vous savez, l’émission en question m’a valu plus de 200 e-mails et un abondant courrier. Les ¾ m’écrivent : vous n’êtes pas politiquement correct, c’est vrai ; mais c’est ça qu’on a envie d’entendre. Ca m’a galvanisé, de sentir cette présence derrière moi. Etre tout seul à tenter de vivre dans la vérité, comme les anciens dissidents, ça devait être terrible… J’essaie d’ouvrir des fenêtres sur une pièce qui sent le renfermé –la France…
LPH : A votre avis, pourquoi les journalistes français font-ils preuve d’une telle hostilité à l’égard d’Israël ?
BC : Il n’y a pas qu’en France. Dans toute l’Europe de l’Ouest, condamner Israël est devenu la norme. Il y a beaucoup de raisons. Mauvaises. L’une d’entre elles, c’est de chercher à s’attirer les bonnes grâces des immigrés d’origine musulmane. On les traite assez mal chez nous. Ils sont discriminés sur le marché de l’emploi. Au lieu de les laisser s’installer et travailler, pour s’enrichir – c’est pour ça, après tout, qu’ils sont venus chez nous -, on leur offre des compensations symboliques. La condamnation d’Israël en premier lieu.
LPH : Israël est accusé à tort de pratiquer l’apartheid. Cette année, comme les années précédentes, il y a eu de nombreuses manifestations dans le monde à l’occasion de la « semaine de l’apartheid israélien ». Comment en est-on arrivé là ? D’où viennent ces accusations ?
BC : La paresse intellectuelle, l’ignorance des réalités locales, la passion de répéter tous ensemble des slogans en bénéficiant, en outre, des bénéfices de la bonne conscience morale. Quelqu’un les a appelés les « BiMis » – pour Bien intentionnés, Mal informés… Soutenir l’OLP ou le Fatah, c’est à la mode, comme, dans ma jeunesse, soutenir le Vietcong… D’ailleurs, l’antisionisme a pris le relai de l’antiaméricanisme traditionnel des Français : depuis que le président est un Noir, c’est devenu beaucoup plus mal porté. Alors, on se reporte sur Israël, paria des nations…
LPH : Que faut-il faire à votre avis pour que la politique d’Israël soit mieux comprise, ou du moins mieux exposée, dans les médias français ?
BC : Donner moins systématiquement la parole aux ennemis déclarés de l’Etat juif, à toutes ces bonnes consciences de gauche, qui feignent le courage en cherchant, en fait, à s’attirer les bonnes grâces de ceux qui leur font peur (les islamistes radicaux), qui feignent l’anticonformisme, alors qu’ils répètent en chœur les mensonges du moment, qui rejouent la lutte contre le vrai apartheid (en Afrique du Sud) en se trompant de lieu et d’époque.
LPH : Quelle est votre analyse de la situation en Israël et au Proche-Orient ?
BC : Je pense que les révolutions arabes sont en train de changer la donne. Evidemment, je suis inquiet de l’arrivée au pouvoir des islamistes à l’issue des élections démocratiques, en Tunisie et en Egypte. Mais je veux croire que ce n’est qu’une étape sur la voie d’une démocratisation en profondeur de ces sociétés. Je pense que plus le monde arabe sera acquis à la démocratie, plus il aura tendance à supporter l’existence du minuscule Etat juif en son sein. A cesser de considérer les Juifs et les chrétiens d’Orient comme des dhimmis… De toute façon, la situation, au Moyen Orient, c’est une guerre de plus en plus ouverte entre sunnites (appuyés par l’Arabie saoudite) et chiites (dirigés par l’Iran). Qu’on arrête de raconter que la paix règnerait si Israël laissait s’installer un Etat palestinien dans les territoires conquis après la guerre des 6 Jours ! Ce n’est pas Tsahal qui massacre la population syrienne…
LPH : Etes-vous déjà venu en Israël? Accepteriez-vous de venir pour une tournée de conférences en Israël ?
BC : Bien sûr ! Je suis un ami du peuple israélien. Mais j’entends garder toute ma liberté de critique envers son gouvernement, aujourd’hui, comme demain. Je n’ai pas la fibre militante et je me défie des allégeances aveugles. Je préfère payer mon voyage…
Voici le lien pour ecouter l'emission :
[
www.franceculture.fr]