DE L’HISTORICITÉ DE LA BIBLE
David Bensoussan
Les Éditions Du Lys
Le Dr David Bensoussan est l'auteur de nombreux articles scientifiques et de volumes didactiques en électronique. À ses moments de loisir, David Bensoussan s'adonne avec passion à l'Histoire et l'archéologie. Parmi ses nombreux ouvrages, notons LA BIBLE PRISE AU BERCEAU, commentaire sur l'archéologie, l'histoire et l'éthique de la Bible dans le contexte de Ancien et le livre de souvenirs LE FILS DE MOGADOR. Il vient de compléter le roman d'intrigue archéologique LA ROSACE DE SALOMON et fera paraître au printemps 2004 un livre d'art : MARIAGE JUIF À MOGADOR qui retrace la tradition des enluminures (ketoubot) dans cette ville Nous avons demandé au Dr Bensoussan de se prononcer sur la controverse soulevée par les nouvelles interprétations de la Bible de la part de certains archéologues. (Entrevue donnée à Élie Benchetrit du journal La voix sépharade)
- Aujourd’hui il est de bon ton dans certains milieux de remettre en question l’historicité de la Bible et de réviser les chronologies. Pourriez-vous nous présenter le contexte du présent débat ?
- Commençons par la chronologie. Le débat actuel gravite autour de l’historicité du récit biblique et notamment en ce qui concerne les rois de Juda et d’Israël. Ces royaumes étaient parfois en conflit avec les nations limitrophes (Araméens, Ammonites, Moabites, Édomites, Philistins entre autres), mais leur difficulté existentielle fut due à la prise en étau entre les empires assyriens et égyptiens puis, dans le cas du seul royaume de Juda, entre l’empire néo-babylonien et l’Égypte. Le prophète Osée (7-11) souligne cette situation difficile : ‘‘Éphraïm (Israël) est comme une colombe sans cervelle. Ils appellent l’Égypte, ils courent en Assyrie’’. Penchons-nous donc sur les chronologies assyrienne et égyptienne :
La chronologie assyrienne a l’avantage de nous donner des listes détaillées des rois ainsi que leur durée de règne. Le calendrier débutait avec l’apparition de Vénus. La première année de règne était l’année d’accession et la seconde année était comptée comme an I du règne. La chronologie égyptienne peut être reconstruite entre autres par le manuscrit de Turin qui retrace la lignée des pharaons jusqu’au Nouvel Empire (XIe siècle) et la liste de Manétho compilée au IIIe siècle. Le calendrier débutait avec l’apparition de Sirius. La première année de règne était comptée comme an I lorsqu’elle survenait au milieu de l’année et il en allait de même aux royaumes de Juda et d’Israël. Au royaume de Juda, l’année débutait au printemps alors qu’au royaume d’Israël, l’année débutait en automne. Fort heureusement, la date consignée d’une éclipse solaire a permis de synchroniser la chronologie assyrienne. La date de 664 avant l’ère courante est également attestée dans le cas de la chronologie égyptienne. Il n’en demeure pas
moins qu’en raison des variations entre les calendriers, nous pouvons nous retrouver avec une incertitude pouvant aller jusqu’à quatre ans et cette incertitude peut être cumulative ... L’on peut néanmoins affirmer que le règne de 40 ans du roi David se situe au début du Xe siècle et que celui de 30 ans du roi Salomon se situe au milieu du Xe siècle.
La poterie peut nous donner une idée approximative de la datation de la civilisation matérielle. Quant aux données bibliques, elles invitent à l’interprétation. Ainsi, la mention ‘‘et la terre fut pacifiée durant 40 ans’’ dans le livre des Juges devait signifier que la paix régna durant une génération. La mention d’une durée de 480 ans entre la construction du premier Temple et l’Exode pourrait signifier 12 générations et une durée réelle certainement inférieure à 480 ans.
- Quand le récit biblique concorde-t-il avec l’archéologie ?
- La stèle de Merneptah datant de la fin du XIIIe siècle mentionne nommément Israël. La découverte de plusieurs nouveaux villages (178 découverts à ce jour) datant de l’Âge de Fer I (1200 à 900) semblent indiquer une présence fort probable d’Israélites ou de proto-Israélites : En effet, les constructions à quatre pièces, l’introduction d’un nouveau type de jarre, la nouvelle technologie de forage des citernes, la culture en espaliers, le manque d’ossements de cochons ou de statuettes semblent confirmer cette origine. En ce qui concerne le Xe siècle, les annales assyriennes et égyptiennes sont pauvres car ces empires avaient été trop affaiblis. À preuve, l’émergence non pas seulement de petits royaumes, mais aussi de petits empires tout comme ceux de Carcémish, Aram-Tsoba et Tabal, et, pourquoi pas, les empires de David et de Salomon. Au IXe siècle, nous trouvons la stèle de Tel Dan qui mentionne nommément la lignée de David, la stèle de Mésha, roi de Moab, qui mentionne nommément le roi d’Israël Omri et, le calendrier hébraïque de Gezer. Par la suite, les annales assyriennes mentionnent des rois d’Israël tels Achab, Omri, Jéhu ou Yoram ou encore les rois de Juda Joash, Achaz, Ézéchias et Manassé. Les annales néo-babyloniennes font mention des derniers rois de Juda. Il y a également de nombreux sceaux royaux tout comme ceux des rois Ezéchias ou Manassé ou même celui du scribe de Jérémie, Baroukh Ben Neria. En gros, ce que nous connaissons de la Bible se retrouve confirmé dans les annales assyriennes, babyloniennes ou égyptiennes. Pour ces dernières, la prise de Gezer du temps du roi Salomon a été confirmée par l’archéologie. Ce pharaon, Siamon, aurait offert et la ville de Gezer (détruite) et sa fille en mariage au roi Salomon. Une inscription du pharaon Shishak trouvée à Meggido confirme le fait que ce dernier avait pillé les royaumes de Juda et d’Israël après la mort de Salomon. Les destructions assyriennes de Meggido et de Lakhish ont été confirmées par l’archéologie. Les enceintes de défense de Jérusalem du roi Ézéchias ont été également exhumées et l’inscription de Siloam confirme le forage du tunnel visant à assurer l’alimentation en eau de Jérusalem du temps de ce roi.
- Sur quoi y a-t-il donc débat ?
- Il y a débat devant le fait que très peu d’objets du Xe siècle ont été retrouvés à Jérusalem, que l’on a révisé la chronologie pour dater différemment les poteries (du Xe siècle au IXe siècle) et du fait que l’on veuille réinterpréter la Bible à partir de la seule archéologie car, selon les protagonistes de cette théorie, le livre des Rois ne serait qu’un livre de propagande des rois de Juda visant à noircir le royaume ennemi d’Israël.
- Commençons par l’archéologie de Jérusalem.
- Nous avons retrouvé la ville de David, une forteresse à sept étages, haute de 27 mètres, large de 30 mètres et longue de 50 mètres, et cette construction date probablement de l’Âge du Bronze Tardif (1550-1200). La question est de savoir où se trouvent les traces des résidences du temps de la monarchie unifiée. À cela, on peut répondre que la continuation de la ville de David ne peut être exhumée car elle se trouve sous une partie habitée et que l’on ne peut fouiller sous le Mont du Temple. Ajoutons que Kathleen Kenyon qui a fouillé la ville de David avant la guerre des Six jours, n’a pas, malgré son minutieux travail en matière de stratigraphie, conservé les tessons de poterie. Elle n’en conservait que quelques cols, et beaucoup de ces objets ouvrés se sont retrouvés sur le marché des antiquités. Les magasins de la vieille ville regorgeaient d’antiquités en 1967. À titre d’exemple, une grande partie de plus d’un millier des sceaux trouvés ont fait leur apparition sur le marché des antiquités et non pas nécessairement dans les résultats consignés de fouilles officielles.
- Qu’en est-il de la révision de la chronologie ?
- Les constructions géantes de Meggido, de Hatsor et de Gezer que l’on attribue généralement à Salomon (Rois I, 9-15) ont été datées au IXe siècle – plutôt qu’au Xe - par l’archéologue Finkelstein car l’on a trouvé une poterie similaire dans la forteresse de Jezréel et que l’on a daté du IXe siècle. Or l’archéologue Ahiel Mazar a souligné que cette poterie datant du Xe siècle se retrouve également à Arad (strate XII) détruite par le pharaon Shishaq vers 925, à Béer Shéva (strate VII) et à Lakhish (strate V). Par ailleurs ce même genre de poterie a été retrouvé dans les fosses de remplissage de la citadelle de Jezréel. Voilà pourquoi il faut prendre cette nouvelle datation avec un grain de sel...
- En quoi consiste donc la nouvelle interprétation de la Bible ?
- En ignorant complètement les données bibliques qui ne sont pas entièrement confirmées par l’archéologie, on en arrive à postuler que la Bible ne décrit que l’histoire du royaume d’Israël à partir du IXe siècle et celui de Juda à partir du VIIIe siècle. Ce traitement que l’on fait à la Bible ne trouve pas son égal pour les écrits de l’Orient Ancien. Traite-t-on ainsi par exemple, les écrits égyptiens dans lesquelles l’égo des pharaons est si évident ? Nous en arrivons à des extrapolations quelque peu alambiquées sur le texte biblique qui renferme définitivement des traces historiques fort anciennes. De plus, il faut être conscient de ce que l’absence d’évidence n’est pas nécessairement une évidence d’absence. Dans le domaine que l’on désigne par archéologie biblique, nombreuses sont les théories qui furent élaborées en raison du manque de preuves et qui ont du être abandonnées suite à de nouvelles découvertes.
- Et il y a l’école des minimalistes
- L’école minimaliste va jusqu’à dater à l’époque hellénique l’écriture de la Bible ! Il en est même pour qui l’archéologie biblique n’est qu’un complot visant à spolier les Palestiniens... Je ne trouve malheureusement pas d’arguments sérieux pour étayer l’école minimaliste. Il s’agit d’une position idéologique, le nihilisme biblique, et déjà les accusations respectives d’antisémitisme et de christianisme fondamentaliste sont jetées entre ‘‘spécialistes’’.
- Il y a donc des conclusions hâtives...
- Certainement. Lorsque l’on trouve des figurines de la déesse Ashéra en Judée, on veut en déduire que le monothéisme était absent et qu’il n’est qu’une invention tardive. On peut cependant interpréter ces trouvailles comme la confirmation du fait signalé dans la Bible à l’effet que les prophètes se révoltaient contre le penchant au paganisme au sein du peuple. On pourrait en dire autant des hénothéismes et autres syncrétismes qui donnent lieu à un discours de négation du monothéisme des Hébreux. La Bible touche une fibre beaucoup trop sensible et on s’en fait souvent une cible qu’il faut défier à tout prix. Et quelque fois, les conséquences sont très graves...
- À quoi faites-vous allusion ?
- Le débat entre laïcs et religieux est passé à un tel extrême en Israël que les laïcs ont fait un point d’honneur de montrer qu’ils étaient indifférents à la valeur religieuse du Mont du Temple. Les religieux sont obnubilés par l’interdiction religieuse de toucher le Mont du Temple avant la rédemption. Conséquence : le Waqf en charge de la mosquée d’El Aqça a creusé au bulldozer à l’intérieur du mont du Temple en détruisant des vestiges qui ont de la plus grande importance pour l’humanité. Dans un autre ordre d’idées, on pourrait également mentionner le tombeau de Joseph auquel des vandales se sont attaqués à coups de pioche en toute impunité durant l’intifada. Et parce qu’il n’est pas politiquement correct dans certains milieux de critiquer les Palestiniens, il ne s’est pas trouvé un gouvernement, un homme d’église ou un imam à déplorer ou critiquer le saccage du tombeau de Joseph dont l’histoire a ému et continue d’émouvoir des millions de personnes.
- Que peut-on espérer de l’archéologie ?
- N’oublions pas que l’archéologie est loin d’avoir dévoilé ses secrets. La nouvelle enceinte du roi Ézéchias a été découverte en 1990 et l’inscription de Tel Dan faisant mention de la lignée de David a été découverte en 1993. Contrairement à toutes les grandes villes de l’Âge de Bronze, nous n’avons pu nous prévaloir encore des archives de la ville galiléenne de Hatsor. La Bible elle-même mentionne d’autres livres tout comme le Séfér hayashar, les chroniques du roi Salomon, celles des rois d’Israël et celles des rois de Juda. Les alentours de la ville de David peuvent encore révéler moult surprises. Bien des concordances restent à faire en regard de la réutilisation de matériaux de construction remontant à des époques du passé car l’archéologie nous renseigne sur l’état de conservation actuel et non sur l’évolution historique. L’archéologie n’a pas dit son dernier mot.
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