Guy Milliere, apres avoir lu le livre de Pierre-André Taguieff, s'exprime a ce sujet sur [
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Israël et l’antisémitisme européen
Par Guy Millière
Un emploi du temps très chargé m’a empêché de rendre compte plus tôt du dernier livre publié par Pierre-André Taguieff. Je le regrette, car c’est un livre majeur, et qui devrait être lu très largement. Le livre s’appelle Israël et la question juive [1]. Il a été publié par une maison d’édition dont chaque ouvrage est d’une immense qualité, Les provinciales.
Taguieff définit d’emblée son sujet : la « guerre idéologique totale » menée aujourd’hui contre Israël et les Juifs. Cette guerre, dit-il, est « d’autant plus efficace qu’elle n’est pas déclarée ». Et c’est un fait : il suffit d’ouvrir les journaux, d’allumer la radio ou la télévision, de se rendre sur Internet pour voir que, non seulement elle a lieu, mais qu’elle gagne en intensité.
En même temps que les Juifs vivant dans les pays occidentaux sont priés de « cesser de revenir sur un passé de persécutions » et de s’assimiler sans restes ou de partir, les Juifs israéliens sont invités à « expier le péché de survivre dans un Etat nation » et à cesser de se défendre contre leurs ennemis, quand bien même ceux-ci tiennent des discours exterminationnistes.
Cette double attitude, aux allures de quête continuée d’une « solution finale » par des moyens divers, que Taguieff appelle « incitation à disparaître et à faire disparaître », s’inscrit dans la continuation directe de l’antisémitisme européen traditionnel, qui a connu sa culmination dans l’ère nazie.
Boycott pour un massacre
Elle s’alimente, depuis les récentes décennies, de l’antisémitisme islamique, lui-même très ancien, ce qui a conduit à l’ « islamisation du discours anti-juif », elle-même imprégnée du « transfert de l’antisémitisme nazi » sur l’islamisme.
Elle a débouché sur une « volonté de purification des terres musulmanes » de toute présence juive, qu’incarnent toutes les tendances islamistes et des mouvements tels que le Hamas, et sur une acceptation de fait de cette volonté de purification par les gauchistes occidentaux.
Taguieff cite à l’appui les propos d’Hitler, tenus le 31 mai 1920 : « Il ne faut pas dire « prolétaires de tous les pays unissez-vous ! », mais « Antisémites de tous les pays unissez-vous ! », ce qui donne aujourd’hui : « antisionistes de tous les pays unissez-vous ! ».
Et, à ceux qui lui diraient que l’antisionisme n’est pas un antisémitisme, Taguieff répond que la façon dont l’Etat du peuple juif se trouve incriminé au présent, tout comme la façon dont les Juifs d’Europe se trouvent incriminés lorsqu’ils défendent Israël ou ne rasent pas suffisamment les murs, répondent, trait pour trait, aux caractéristiques précises qui permettent de définir l’antisémitisme.
Les nouveaux ennemis des Juifs, explique Taguieff, falsifient l’histoire et fabriquent un « tableau paranoïaque du monde », au sein duquel toutes les thèses conspirationnistes trouvent leur place, et par rapport auquel ne restent éventuellement acceptables que les Juifs pratiquant la haine de la judéité et de l’Etat juif.
Ces ennemis se caractérisent par une « intransigeance absolue avec laquelle aucun compromis n ‘est possible » : ce qui signifie que rien n’est négociable avec eux.
L’antisémitisme rebaptisé antisionisme est devenu, écrit Taguieff, une « nouvelle religion séculière », se proposant de faire disparaître la « principale source du Mal dans le monde », le peuple juif et l’Etat juif.
Taguieff évoque le rôle des Juifs antisémites d’aujourd’hui dans la dissémination de cette religion et, pour la France, le rôle nauséabond joué par Stéphane Hessel, le vieillard indigne, ou, comme le dit Taguieff, le « sophiste au travail », qui pratique le double discours : « culture de l’excuse » pour les islamistes, « indignation morale appliquée à Israël », et à Israël seulement.
En des pages remarquables, Taguieff expose la façon dont les islamistes ont mis en circulation les discours relativisant la Shoah, puis la niant, tout en inventant, en parallèle, le mythe de la Naqba « subie » par les Palestiniens ; la manière dont une délégitimation d’Israël s’est trouvée construite, jusqu’à matérialiser son aboutissement avec l’assimilation du sionisme au colonialisme et au racisme.
L’auteur explique la place dans cette stratégie d’un ouvrage tel celui de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé : pourquoi un peuple imaginaire devrait-il bénéficier d’un Etat nation indépendant et souverain ?