LES LECONS D'HISTOIRE ET LES LECONS DE L'HISTOIRE par David Bensoussan
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darlett (IP enregistrè)
Date: 09 avril 2007 : 06:23
LES LEÇONS D’HISTOIRE ET LES LEÇONS DE L’HISTOIRE
David Bensoussan
Dans le monde juif traditionnel, certains rabbins et érudits ont perpétué le souvenir d’une histoire ancienne. Nous n’avons malheureusement pas toujours répondu à l’appel de notre devoir de mémoire auprès de la génération qui s’en va. Dans ‘‘Le fils de Mogador’’, je rapportais certaines histoires de l’oncle Meyer de Marrakech. Banquier de son état, l’oncle Meyer Assayag possédait une érudition sans pareille tant par rapport aux grands courants de pensée moderne que par rapport à une culture orale extrêmement riche et dont la tradition s’estompe. L’oncle Meyer a laissé une correspondance fournie avec son grand ami le rabbin Haïm Soussana auteur de A’ira Shahar. Les souvenirs qui suivent remontent essentiellement à des conversations fort lointaines, remontant à l’enfance.
À quand remonte l’établissement des juifs au Maroc, Oncle Meyer ?
La tradition veut que l'établissement des Israélites à Oufrane remonte au temps de l'expulsion de dix des douze tribus du peuple d'Israël, soit celles du royaume d'Israël. Ils remonteraient donc au A de ABPGRBCI, l'acronyme représentant les grandes puissances qui dominèrent l'Orient ancien : En disant cela, l’Oncle Meyer énumérait sur ses doigts ces puissances : A pour les Assyriens (VIIe siècle essentiellement) qui détruisirent le royaume d'Israël et en exilèrent ses dix tribus, B pour les Babyloniens (VIe siècle) qui détruisirent le royaume de Juda le Premier Temple de Salomon et qui en exilèrent les deux tribus restantes, P pour les Perses (Ve au IIIe siècle) qui furent très tolérants et permirent la reconstruction du Second Temple, G pour les Grecs (IIIe et IIe siècle), R pour les Romains (du premier siècle avant l'ère courante au second siècle après l'ère courante) qui détruisirent le Second Temple en l'an 70 de l'ère courante et expulsèrent les Juifs de leur pays, B pour les Byzantins, les héritiers de Rome christianisée dans la partie orientale du bassin méditerranéen, C pour les Chrétiens d'Occident dont les Croisés et I pour Ismaël (les Arabes).
On dit que les Phéniciens n'avaient pas respecté le pacte d'amitié qu'ils avaient conclu avec le royaume de Salomon. Avant même l'invasion assyrienne, le prophète Amos les accusait d'avoir vendu en esclaves toute une diaspora et il est fort probable que ces esclaves allèrent peupler les comptoirs phéniciens qui se trouvaient le long des côtes de la Méditerranée et de celles de l'Atlantique.
La conquête assyrienne en 722 avant l'ère courante avait été suivie d'une expulsion des résidents du royaume d'Israël et Oufrane ne serait que la déformation d'Éphraïm, l'une des plus importantes tribus du royaume d'Israël. D'ailleurs le premier roi d'Oufrane fut Abraham l'Éphrati (l'Éphraïmite). En outre, plusieurs tombes d'Oufrane datent de l'époque romaine. Un caveau qui porterait le même nom que celui des Patriarches de Hébron, Mé'arat hamakhpéla, contiendrait des inscriptions fort anciennes.
Oufrane ne fut pas le seul royaume juif du Sud du Maroc. Il y eut Tabelbelt (Tabelbala) où figureraient des inscriptions remontant avant la destruction du Premier Temple de Salomon. Il y eut Zagora (El Hammeda) dont le rituel de prières est parmi l'un des plus anciens. Sans parler des Banou Israël et des Bafour de Mauritanie et des Daggatoun qui seraient d'origine juive. Et l'on dit tellement de bien du glorieux royaume juif de Sijilmassa du Tafilalet et de celui du royaume juif du Touat, détruit en 1492… Mais heureusement, nous avions nos livres sacrés.
La Bible ?
Le judaïsme est le musée du P1 P2 H M1 T M2 Z.
Tout en comptant du doigt, l’Oncle Meyer énumérait les textes que l'on est tenu d'étudier continuellement :
- P1 pour le Pentateuque,
- P2 pour les Prophètes,
- H pour les Hagiographes,
- M1 pour la Mishna,
- T pour le Talmud avec ses ajouts nombreux,
- M2 pour les récits du Midrash,
- Z pour le zohar l'ouvrage de la kabbale,
sans compter la multitude de commentaires et de jurisprudences.
Puis vinrent les nombreuses dynasties arabes…
C'est simple, cela a commencé par Idriss Ier, le premier roi de la série des dynasties marocaines IA1A2MWSA3 :
- I pour la dynastie des Idrissides de Fès au neuvième siècle et dont le premier roi décima de nombreuses communautés qui avaient auparavant été des alliés,
- A1 pour celle des Almoravides fondateurs de Marrakech au onzième siècle, qui furent tolérants dans l'ensemble,
- A2 pour les Almohades si stricts des douzième et treizième siècles et dont le premier souverain se lança dans des massacres inégalés, et depuis nous sommes devenus une minorité vulnérable.
- Puis il y eut M pour la dynastie des Mérinides du treizième au quinzième siècle. Ses souverains furent fort cléments,
- W pour les Wattassides des quinzième et seizième siècles,
- S pour celle des Saadiens du seizième au dix-septième siècle
- et A3 pour celle des Alaouites qui règnent depuis le dix-septième siècle - que Dieu guide leur souverain dans la bonne voie!
Puis le régime français…
Et nous sommes dans le R5 reprit l’Oncle Meyer :
il y eut B1 R1 N1 B2 R2 N2 R3 V P R4 R5.
- B1 pour les Bourbons supplantés par R1 la Première république.
- N1 pour Napoléon Ier dont le règne prit fin après la bataille de Waterloo qui eut pour conséquence la restauration des Bourbons B2
- R2 pour la brève Seconde République qui céda la place à N2 - Napoléon III -
- et enfin R3 la Troisième république représentée à Casablanca par ses canonnières en 1907,
- V pour Vichy, l’intermède fasciste suivi de P le gouvernement provisoire et de R4 , la quatrième République au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et, enfin, de R5, la Cinquième République instituée par le Général De Gaulle.
Heureux que nous n'ayons que dix doigts aux mains, sans quoi je ne pourrais suivre tes énumérations historiques !
- Attends un peu déclara l’Oncle Meyer. Il ne faut pas oublier le M1RCI, a1a2a3a4m2ey1, et M3Y2H1SA5M4H2A6 A7 Y3M5.
- Me fais-tu marcher ?
Tout simplement la liste des souverains de l'actuelle dynastie alaouite.
Il y eut le fondateur Moulay Mhamed Ben Cherif (M1) en 1654, suivi de Moulay Rachid (R) et de Moulay Cherif (C) . Puis vint le long règne autoritaire incarné par Moulay Ismaïl (I) qui dura 68 ans jusqu'en 1728. Ce souverain avait demandé au roi de France Louis XIV la main de la Princesse de Condé.
Suivirent les brefs règnes des enfants de Moulay Ismaïl :
Ahmed (a1), Abdelmalek (a2), Abdallah le tyran (a3), Ali (a4), Mohamed II (m2), El Mostadi (e) et Yazid (y1). S'est ensuivi le règne de Sidi Mohamed III (M3) fondateur de Mogador, suivi de celui fort bref du cruel Moulay Yazid (Y2).
Se succédèrent ensuite Moulay Hicham (H1), Moulay Slimane (S), Moulay Abderahmane (A5), Moulay Mohammed IV (M4) et le bon Moulay Hassan (H2) qui régna pendant le dernier quart du XIXe siècle.
Après la régence de Ba Hmed, se succédèrent les souverains Moulay Abdel'aziz (A6), puis son frère Moulay Abdelhafid (A7) lequel dut capituler et accepter le Protectorat français.
Puis ce fut le règne de Moulay Youssef (Y3) et celui de Mohammed V (M5) qui nous protégea contre les mesures racistes de Vichy, Allah ibark 'amer Sidna (Que Dieu bénisse les jours de notre souverain).
- Sans oublier ajouta l’Oncle Meyer, les corps des ALZSTGM.
- Que vas-tu chercher là?
- En marge de l’administration civile centralisatrice du Protectorat, il y eut l'armée régulière (A) se voit renforcée par la présence des légionnaires (L) revêtus d'une veste bleue et de pantalons rouges, et de différents autres corps militaires : les zouaves (Z) aux pantalons bouffants, les spahis (S) qui sont un corps de marocains enturbannés revêtus d'une grande cape rouge rejetée sur les épaules, recrutés pour la plupart au sein de familles relativement aisées, les tirailleurs (T) qui sont des soldats d'infanterie, les goumiers de l'Atlas (G) et les méharis (M) exerçant la police dans le désert à dos de chameau. De la sorte, le pays était contrôlé d'une main de fer.
- As-tu d’autres variétés de soupes d’acronymes, Ô, vénérable homme savant ?
- Oui, on a pu dire adieu au F1M1O1O2D1D2SO3M2GB1B2B3RL1D3L2 en raison du F2 lui-même cédant sa place au D4.
- Langue au chat !
L'uniformisation de la monnaie avec l'introduction du franc (F2) met fin à l'usage complexe des monnaies multiples qui existent encore :
le flous (F1),
la mouzouna (M1) ou ouzeh (O1) de 24 flous correspondant au centime français soit un gramme de bronze,
l'ouzhaïne (O2) de 48 flous,
le derhem (D1) de 96 flous,
le douro (D2) ou piastre,
le Stati (S) ou demi-piécette valant 41 centimes,
l'ouqiya (O3) ou once de 96 flous,
le mtqal (M2) ou ducat de 960 flous,
le guers (G) correspondant à un gramme d'argent,
soit 25 centimes,
la besseta ou peseta (B1) de 100 centimes,
la monnaie d’or du bendki (B2) valant 50 onces et
le banquillo (B3) valant 4 centimes,
le rial (R) de 2000 centimes.
le louiz ou louis d'or (L1), le deblone (D3) qui est le doublon espagnol
et la libra (L2) qui est la livre anglaise.
Mais depuis l’Indépendance, nous sommes rendus au dirham (D4).
Ainsi aimait s’exprimer l’oncle Meyer.
L’oncle Meyer n’est plus et avec lui a disparu une grande figure de l’histoire orale. De nos jours, la grande majorité des Juifs marocains vivent en Israël et conservent vibrante leur culture judéo-marocaine.
Héritiers d’un passé commun qui a connu des grands moments de symbiose et des moments de persécution particulièrement difficiles, il incombe aux descendants des partenaires d’une coexistence millénaire de mieux comprendre le passé afin de mieux bâtir l’avenir.
La lecture de l’histoire n’aura pas toujours été la même que celle qu’en ont fait les composantes juives, arabes ou berbères de la société marocaine. Mais seule une bonne compréhension des leçons de l’histoire nous permettra d’éviter les écueils, de nous lancer dans la voie de la compréhension mutuelle et de faire face ensemble aux défis que réserve l’avenir pour l’ensemble des fils d’Israël et d’Ismaël.
David Bensoussan
