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La vie et l'oeuvre de R. Joseph Knafo - David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 15 mai 2007 : 04:51

LA VIE ET L’ŒUVRE DE R. JOSEPH KNAFO

David Bensoussan

J'ai été approché par Asher Knafo qui m'a demandé de faire une synthèse en langue française des articles en langue hébraïque qui accompagnent l’ouvrage dédié au centenaire de R. Yossef Knafo. Ce texte ne se veut pas être la compilation rigoureuse du contenu des articles. Il vise plutôt à permettre au lecteur francophone de s'imprégner de quelques-unes unes des idées essentielles contenues dans ces articles.

Les racines de la famille Knafo

La famille Knafo est originaire de la localité d’Oufrane dans l’Anti-Atlas. Lorsque Asher Knafo – l’arrière petit-fils de R. Yossef Knafo - visita Oufrane, un vieil homme lui affirma que les Juifs étaient établis dans cette localité cinq siècles avant l’arrivée des Arabes. Selon d’autres sources, le nom de Oufrane viendrait de Ephraïm car les fondateurs de la ville auraient appartenu à la tribu d’Éphraïm.

D’autres encore soutiennent que le terme Oufrane serait relié au mot arabe ferane (four) ou au mot hébreu éfér (cendre), faisant allusion aux martyrs qui furent mis au bûcher dans cette localité vers la fin du XVIIIé siècle. Par ailleurs, dans son ouvrage d’histoire Ner Hamaarav, le rabbin Tolédano rapporte que, du temps des Byzantins, il y eut 50 martyrs juifs à Oufrane. Il y a à Oufrane des tombes vieilles de mille ans et un cimetière qu’on appelle parfois le cimetière des incinérés (Méarat hanisrafim) en souvenir des 50 martyrs d’Oufrane. Personne n’est autorisé à y pénétrer. Selon Joseph Kadoch, natif d’Oufrane, la communauté juive avait acquis le terrain du cimetière en échange d’un « col de chameau » cousu plein d’or et la source d’eau destinée aux ablutions rituelles fut achetée en échange d’une calotte remplie d’or.

En 1775, la communauté d’Oufrane était dirigée par le rabbin Yehouda Afriat. À cette époque, le gouverneur local du nom de Bou Halissa décida de s’en prendre cruellement aux Juifs, jusqu’à les acculer à l’ultimatum suivant : la conversion à l’Islam ou la condamnation au bûcher au bout de 8 jours. Moshé Knafo naquit le jour même du décret et sa circoncision eut lieu peu avant que 50 Juifs ne soient envoyés au bûcher. Sa jeune mère décida de se sauver à travers les champs avec son nourrisson et se rendit à Mogador. Elle trouva refuge auprès de la famille Corcos. Son fils Moïse eut trois enfants : Makhlouf qui tua un railleur musulman et s’enfuit au Brésil, Yossef qui devint rabbin et Moïse, né peu après la mort de son père.

Yossef Knafo vécut au XIXé siècle. Il a marqué sa génération et continue d’émerveiller les générations suivantes car les nombreux livres qu’il écrivit sont imprégnés d’érudition et de sagesse. De son temps, sa femme Zohra était connue pour son empressement à venir en aide aux autres et pour ses connaissances sur les plantes médicinales. Après la mort de son mari, elle décida de se rendre en Terre Sainte à Jérusalem. Elle est enterrée au Mont des Oliviers.
L’environnement politique et social de R. Yossef Knafo à Mogador

La ville de Mogador fut fondée en 1760 par le Sultan Mohamed Ben Abdallah sur les ruines de l’ancien bastion portugais connu sous le nom de Castello Réal. Le port de Mogador fut un centre commercial important du Sud Marocain et les Juifs y jouèrent un rôle économique majeur. Les plumes d'autruche, les défenses d'ivoire, les peaux de girafe et autres produits exotiques de l'Afrique transitaient alors par voies caravanières à Illigh, non loin d’Oufrane, pour y être exportés vers l'Europe. Ces denrées étaient traitées, classées et conditionnées dans la ville de Mogador, avant d’être exportées en Europe.

Le XIXe siècle fut l’ère de l’expansion coloniale. En vue d’empêcher le souverain marocain de venir en aide au rebelle Abd El Krim peu après la conquête de l’Algérie, Mogador fut bombardée en 1844. Le Mellah subit de grands dégâts et fut l’objet d’une attaque par des pillards. Néanmoins, Mogador continua d’être le plus grand port du Maroc, rang qui devait être perdu par la suite lorsque la conquête coloniale de l’Afrique vers la fin du siècle rendit le commerce transsaharien périmé. La majorité des entreprises commerciales étaient entre les mains des négociants du roi, Juifs jouissant de la protection royale et bénéficiant de l’exemption de la taxe spéciale imputée aux Juifs de par leur statut de dhimmis (protégés). Les artisans, tailleurs, cordonniers et bijoutiers étaient en nombre. Ces derniers travaillaient l’or importé du Soudan Occidental.

L’éducation traditionnelle se faisait à la synagogue dans des conditions difficiles. En 1861, le délégué des organisations philanthropiques britanniques Moses Picciotto critiqua l’indifférence des riches de la Kasba envers leurs coreligionnaires du Mellah. De nombreuses initiatives suivirent son appel. Émigré à Londres, Abraham Corcos initia en 1867 la création à Mogador d’une école anglaise, l’Anglo Jewish School. Une seconde école de l’Alliance Israélite Universelle (AIU) fut fondée en 1875. Il y eut également une célèbre école de filles dirigée par Stella Corcos où l’on étudiait l’anglais, le français, l’hébreu, l’arabe, les mathématiques et la couture. Parmi les quelques centaines d’étudiants, il y eut un nombre non négligeable d’orphelins, voire même d’enfants retirés des écoles de la Mission.

Les missionnaires chrétiens de l’Association londonienne pour la promotion du christianisme auprès des Juifs (The London Society for promoting Christianity among the Jews) avaient choisi Mogador comme base depuis 1844. Alexandre Lévi, James Crighton Ginzbourg puis Élie Zerbib furent au nombre des dirigeants de cette mission. Celle-ci offrait des soins médicaux, des classes d’école et venait en aide aux nécessiteux après des périodes d’épidémie ou de sécheresse. Les épidémies furent fréquentes et les victimes nombreuses. L’hôpital de 123 lits qui fut fondé en 1866 par l’AIU était loin de répondre à la demande. De nombreux incidents avec la communauté juive forcèrent Ginzbourg à quitter la ville. À comparer aux énergies investies, le résultat de cette activité missionnaire fut insignifiant.

Construit en 1867, le Mellah souffrait d’une densité humaine exceptionnelle. Bien des Juifs de la région du Sous émigraient vers la ville et un bon nombre d’entre eux était sans travail. Suite à la visite du philanthrope Moses Montefiore en 1864, de nombreuses initiatives furent prises au Mellah, visant l’assainissement des rues, l’éclairage et les canalisations d’eau. Près de 40% de la population de la ville était concentrée dans le Mellah dont la superficie ne dépassait pas 10% de celle de la ville. Ainsi, en 1873, 7000 personnes y vivaient, comparé à 1000 personnes de la Kasba. Suite aux initiatives de Réuben Elmaleh et de Stella Corcos, le Sultan autorisa l’agrandissement du Mellah.

Quant aux synagogues, il y en avait 15 au Mellah et 5 à la Kasba entre 1891 et 1892. Certaines familles - tout comme les Elmaleh, les Coriat et les Knafo - étaient connues pour leur rayonnement spirituel. Né à Mogador, R. Yossef Knafo fut l’élève de R. Abraham Coriat. Il passa également un certain nombre d’années à Marrakech auprès de R. Jacob Édaoudi avant de retourner à Mogador et de se consacrer à l’étude et à l’enseignement de la Torah de même qu’à la publication de ses livres. Il enseignait à la synagogue Slat Elkahal, synagogue qui fut érigée à même les dons de la communauté. C’est dans cette même synagogue qu’officieront plus tard sont fils David et son petit-fils Shlomo.
L’œuvre

L’érudition de R. Yossef Knafo est impressionnante et les auteurs et ouvrages auxquels il se réfère témoignent d’une connaissance profonde de la philosophie et de la mystique juive. Il cite souvent R. Ari, le Hida, Hayim Vital, Shalom Shérabi et Hayim Benattar auteur du commentaire Or Hahayim. R. Yossef Knafo a visé à populariser la mystique juive, qu’il considérait intégrale à la foi et la pratique religieuse. Il fut le premier traducteur des contes hassidiques du Baal Chemtov en Occident, contes qu’il rendit en judéo-arabe. Ancré dans la tradition sépharade, R. Yossef Knafo a su assumer les écoles de pensée sépharade et ashkénaze. En outre, il fut ouvert aux influences européennes qui se sont faites ressentir à Mogador au XIXé siècle.

Pour l’essentiel, ses œuvres revêtent un caractère didactique. Il y en eut 19. Six d’entre elles ne sont connues que par leur nom et six autres sont encore à l’état de manuscrit. Le reste fut imprimé à Livourne en Italie. Paru en 1874, son premier ouvrage Zevah Pessah est un commentaire de la Hagada et des Maximes des pères (Pirqé Avoth). Cet ouvrage sera scindé par la suite en deux autres : Yéfé Enaïm et Tov Roi. L’ouvrage Or Brit Kodesh est un traité sur la foi et la morale. Hassadim Tovim est un commentaire de différents passages de la Bible partiellement écrit en judéo-arabe. Shomer Shabbat traite des rituels et prières du Shabbat et Minhat Erav de la prière quotidienne de l’après-midi. Ce dernier ouvrage fut réimprimé en 1996 à la mémoire de son petit-fils Shlomo, qui, de son vivant, avait réimprimé l’ouvrage Zakh Venaki en Israël.

La famille Knafo détient d’autres manuscrits : Badé Aharone renferme des propos et des réflexions sur l’œuvre de Haïm Vital, Yossef bessétér traite de la Kabbale, Méat Tsori traite du Shabbat et des fêtes juives ; Méat Mayim est un livre de commentaires variés et Kol Zimra, une exégèse du Pentateuque.
Dans son anthologie des rabbins du Maroc Malké Rabaname, R. Yossef Ben Naïm mentionne d’autres manuscrits : Zéir Shem, Hout Shel Hassed, Mikanaf Haarvets, Meat Dvash, Raglé Hakissé et Tehilot Israel.

L’association familiale de Or Brit Kodesh a réédité les ouvrages Zakh Venaki, Minhat Erev, Tov Roi, Zevah Pessah et Yefé Enaïm. Quant au manuscrit l’ouvrage Or Brit Kodesh, il a été reproduit sous forme de photocopies par les éditions Copy Corner de Brooklyn, New York.


Les principes pédagogiques

L’œuvre de R. Yossef Knafo est avant tout pédagogique. À preuve, ses synthèses en judéo-arabe en fins de chapitres. L'écriture des livres de judaïsme est une mitsva d’actualité car les livres imprimés ont une longue vie et leur popularité les rend plus accessibles qu'un rouleau de la Thora manuscrit. L’auditoire qu’il vise n’est pas celui des érudits mais bien plutôt un auditoire populaire. Son penchant pour le hassidisme pourrait s’expliquer du fait que ce mouvement cible les gens du peuple et non les érudits.

La crainte de l'Éternel doit constituer l'alpha et l'oméga de l'étude. Pour ce qui est de l'étude, le terme hébraïque labeur dans le verset: l'homme est né pour le labeur (Job 2-7) est l'acrostiche de ‘‘étudier en vue d'enseigner’’, l'enseignement constituant une valeur suprême. Le but même de la Thora est d'influencer les autres par la compréhension et par la propagation de ses valeurs.

La motivation de R. Yossef Knafo reposait sur les besoins de clarifier ses connaissances et de se perfectionner d’une part, et sur la volonté de faire de même à l’endroit de la communauté en visant une audience populaire de l’autre. Son style simple et humble ne vise pas la prétention. Il cite couramment le Shoulhane Aroukh, la Mishna, le Talmud, le Midrash, Maïmonide, le cabaliste R. Ari et ses disciples. Lorsqu’il innove, il le précise avec grande humilité. Il commente un verset de la Torah, le relie à d’autres passages de la Bible, analyse la structure du mot pour en expliciter le sens. Ses commentaires des Écritures sont tout à fait originaux et viennent étayer son discours. R. Yossef Knafo a également composé des poésies liturgiques (Piyoutim).

L'hébreu de R. Yossef Knafo est la langue sacrée, la langue traditionnelle qui a prévalu avant la renaissance de l'hébreu moderne. Toutefois, son style tranche par rapport à celui des écrits de son temps qui s’inscrivent dans le giron de l’hébreu biblique. Tout comme R. David Elkayam, R. Yossef Knafo innove sur le plan de la langue qui, sous sa plume, prend des accents de modernité. Il se présente toujours avec des expressions de profonde humilité et a recours à des expressions en propre. Il se plaît à analyser la syntaxe des textes sacrés, à en décortiquer les mots et y trouver des acrostiches, à faire des permutations de lettres, voire même à procéder à des ajouts de lettres. Ses analogies passent parfois par le biais de la gematria simple ou complexe, des jeux de mots et parfois à des rimes.

Ci-suivent quelques échantillons de commentaires. Le premier passage commenté est généralement attribué à Rabbi Yéhouda (selon d’autres à Rabbi Yohanan) :
Heureux qui se consacre à l’étude et plaît à son Créateur
Se consacrer à l’étude est une chose, plaire au Créateur en est une seconde. En effet, l’étude pour l’amour du créateur doit transcender l’étude pour l’étude.

R. Yossef Knafo reprend l’adage de la Gemara (Massekhet Avot 10) où Rav Hannina dit :
J’ai étudié beaucoup de Thora avec mes maîtres. J’en ai encore plus appris avec mes amis. J’ai appris de mes élèves plus que de tout autre.
R. Yossef Knafo explique ce passage en se référant au Proverbe (5,15) : Bois l’eau de ta citerne et l’onde qui coule de ta fontaine. L’élève est la citerne et la transmission de valeurs à l’élève est elle-même une source d’enrichissements.
Torah, charité et humilité
Dans ses écrits, R. Yossef Knafo traite de sujets allant de fêtes juives à la morale, de l’étude à la prière, de la condition humaine à l’humilité et du repentir à la délivrance.

L’étude de la Torah, la charité et l’humilité sont des valeurs soulignées par R. Yossef Knafo. Elles se rapportent à la relation de l’homme envers la Providence, autrui et soi-même. Ces valeurs ne sont pas dissociées. L’enseignement de la Torah est également une forme de charité. Quant à la qualité d’humilité, elle renfermerait toutes les autres. Il n’y a aucun mal à ce que l’érudit soit également commerçant de son état. Il est important que l’érudit « sorte et voit » (Maxime des pères, 32) la réalité qui l’entoure plutôt que de se cloîtrer dans l’étude.

L’homme se doit d’être transparent en ce sens que l’image qu’il projette doit être aussi pure que son intériorité. La vie et l’œuvre de R. Yossef Knafo témoignent de ce qu’il a vécu selon ces valeurs : son enseignement didactique, les témoignages recueillis en regard de sa charité et son humilité nous montrent qu’il a vraiment su vivre selon les principes par lui prônés.


L’épitaphe de R. Yossef Knafo

L’on attribue à R. David Elkayam l’épitaphe de R. Yossef Knafo (1827-1902). On y retrouve des expressions bibliques, talmudiques, mirashiques et cabalistiques. Les acrostiches forment le nom du défunt ainsi que des formules appropriées. Les dix strophes décrivent la détresse du poète, les qualités du défunt, le nom du défunt ainsi que des mots d’adieu et de consolation avant de conclure sur la réalisation amère de son départ. Entre autres images, R. Yossef Knafo est coiffé des qualités d’innocence du patriarche Jacob et le texte fait allusion au Pardes (Jardin) et au Sod (Secret) car R. Yossef Knafo était versé dans les études cabalistiques. Les qualités spécifiques du R. Yossef Knafo relevées dans l’épitaphe sont : la voie juste, la disponibilité à venir en aide fut-ce par lui seul, la capacité d’écoute, la qualité de sa plume et l’humilité.


À titre personnel, qu'il me soit permis de rendre hommage aux rabbins d'antan qui furent de grands humanistes et des grands penseurs, dévoués envers les membres et les nécessiteux de leur communauté. Ils ont su trouver le ton juste et inspirer la sérénité alors que les conditions de vie étaient loin d'être aussi confortables que celles que nous connaissons. Ils sont les parangons et les mentors qui ont motivé leur génération et continuent d'inspirer la nôtre. Le flambeau de leur sagesse continue de nous éclairer.
Qu'il me soit permis de louer Or Brit Kodesh pour le travail de diffusion de l'œuvre de R. Yossef Knafo. Fasse que cette entreprise puisse en susciter des nouvelles et que le rayonnement de la spiritualité des Anciens continue à se propager de façon à ce que s'accomplisse le verset de la Rédemption annonciateur de la fin de l'exil : '' Ramène-nous à toi ô Éternel, nous voulons Te revenir ; renouvelle pour nous les jours d'autrefois''.





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