Sharon encore, Sharon toujours. Il y a six mois à présent que le bulldozer israélien est plongé dans un coma profond, probablement irréversible. Mais le personnage continue d’intriguer et sa vie tumultueuse d’être fouillée par les historiens et les journalistes. En témoigne le volumineux ouvrage de Freddy Eytan qui nous rappelle d’ailleurs qu’un autre Israélien célèbre, l’ambassadeur à Londres, Shlomo Argov, grièvement blessé dans un attentat terroriste revendiqué par l’OLP en juin 1982 est demeuré plus de vingt ans dans le coma et n’est mort que le 23 février 2003.
Tout ou presque a été déjà dit sur le fougueux général israélien : Kfar Malal, la Ferme des Sycomores, ses deux épouses, ses enfants, les tragédies personnelles, les « affaires », les goûts alimentaires et l’amour des animaux, la carrière militaire heurtée et la trajectoire politique mouvementée jusqu’au désengagement de Gaza. On retrouve, bien entendu, tout cela avec un plaisir renouvelé dans la biographie due à la plume alerte de Freddy Eytan. Mais ce qui en fait l’originalité, c’est la multiplication d’anecdotes peu connues et de détails étonnants sur Arik Sharon comme sur d’autres personnages qui ont marqué l’histoire d’Israël.
Ariel Scheinerman, fils de Shemouel et de Vera, originaires de Brest-Litovsk, né à Kfar Malal (Palestine) le 26 février 1928. Carte d’identité n° 236 248. Poids à l’âge adulte : 118 kilos. Taille : 1,70 m.
Plats préférés : pita, falafels, salaisons et sardines à l’huile, gigot de mouton rôti. Taux de choléstérol : 203mg/dl. Traitement médical : Clexan et thyroxine. Religion : Juif agnostique. Ne mange pas exclusivement cacher, voyage pendant le shabbat et ne jeûne pas à Kippour. Préférences musicales : Tchaïkovski, Mozart, Brahms, Vivaldi. Voilà pour les détails intimes rarement divulgués. Reste une histoire personnelle, hors du commun.
Ce bulldozer, on l’oublie, fut d’abord un enfant timide et introverti. À la fin du cours élémentaire, amené à réciter un conte de fées devant parents et élèves, il demeure figé. Aucun son ne sort de sa bouche. Il rentre chez lui précipitamment et éclate en sanglots. Plus tard, on le retrouve, adolescent, courtisant les jeunes filles de son village et, quand l’occasion se présente, observant « avec de grands yeux les prostituées provocantes dandinant leurs tailles serrées et leurs corps moulés sur les trottoirs du quartier ». Ou encore Arik à Paris en 1951, habillé de pied en cap par son oncle Joseph : chapeau et gants de cuir noirs !
S’il considérait Arafat comme le pire des hommes, le traitant souvent de « chien », Ariel Sharon n’est pas plus amène avec son successeur, Abou Mazen, considéré comme un volatile de basse-cour : « Nous poursuivrons notre combat contre le terrorisme jusqu’au jour où le « poussin » aura des plumes… »
Sur Condoleeza Rice : « Cette dame a des jambes bien faites, belles et longues… »
Sur Bibi : « C’est un personnage bizarre, sa colonne vertébrale est flexible et se plie souvent aux pressions ». Ce ne sont là que quelques exemples.
Très intéressants et particulièrement utiles aussi les dix documents annexes (soixante pages !) parmi lesquels les quatorze remarques israéliennes à la « Feuille de Route » (25 mai 2003), l’échange de lettres entre le président Georges W. Bush et Ariel Sharon, Premier ministre (19 avril 2004) ou encore les garanties américaines données dans le cadre du plan de désengagement (14 avril 2004).
Une chronologie détaillée complète cet ouvrage bien documenté et d’une lecture agréable qui est aussi, d’une certaine manière, une histoire de l’État juif.
Jean-Pierre Allali