Un article du journaliste Daniel Bensimon que je place integralement car je pense qu'il est tres interessant et qu'il fait un analyse reelle de la situation des Juifs de France ces 10 dernieres annees.
"La morsure française ou l’histoire d’une anxiété juive, tel est le titre d’un ouvrage paru, en hébreu, ces jours-ci. En fait, le regard d’un israélien sur les états d’âme de la communauté juive de France. L’auteur, Daniel Bensimon, est grand reporter au quotidien Ha’aretz. C’est l’un des meilleurs spécialistes de l’évolution de la société israélienne, au double plan politique et social, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages."
Par Mati Ben-Avraham
Diplômé de l’université hébraïque de Jérusalem et de l’université de Boston, chercheur au Centre des relations internationales à Harvard, il a fait ses classes de journaliste au prestigieux ” Davar” (première parution le 1er juin 1925) fondé par Berl Katzanelson, pour en devenir l’un des éléments dominants.
A la disparition de ce quotidien, voici une quinzaine d’année, Daniel Bensimon a été “récupéré” par Ha’aretz.
Au départ, il a couvert la chose politique bien entendu, mais, depuis une dizaine d’années, Daniel Bensimon s’est attaché à prendre le pouls de la société civile au quotidien, allant de quartiers défavorisés en villes de développement, en passant par les implantations dans les territoires administrés, sans délaisser totalement ces princes qui nous gouvernent…
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Mati Ben-Avraham : Qu’est ce qui vous a amené à vous pencher sur les états d’âme des juifs de France?
Daniel Bensimon : Dans le cadre de mon métier, j’ai été envoyé par Ha’aretz pour voir les réactions des communautés juives après le début de la deuxième intifada. Nous avions l’impression que les juifs vont mal, surtout en Europe.
Au cours de mon séjour en France, j’ai découvert une angoisse qui était bien au-delà de tout ce que j’avais pu noter auparavant. Je ne m’y attendais pas. J’ai été surpris par l’ampleur de cette angoisse, de ces inquiétudes des juifs de France, face tout à la fois à l’Intifada et aux réactions hostiles des communautés musulmanes à l’encontre des communautés juives. C’était en 2001.
Et, après une quarantaine de séjours en France, j’ai écrit ce livre pour expliquer, aux israéliens, ce que furent ces dernières cinq années dans la vie des juifs de France.
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MBA : Les juifs de France, dites-vous, sont anxieux, inquiets. Peut-on parler d’une amorce de rupture par rapport à leur identité française?[/i]
Daniel Bensimon : Je crois que le problème des juifs français est différent que celui de toutes les communautés que j’ai visitées. C’est un cas unique dans le sens où les juifs français se sentent tellement proches d’Israël qu’ils ont développé un double amour, une double loyauté envers la France et Israël.
Ils aiment tout autant les deux pays. Ils se sentent français. Ils se sentent israéliens. Mais, ce double amour, dans un pays qui n’est pas près à pareil dédoublement en contradiction avec les valeurs républicaines, qui exige une loyauté absolue à la République, constitue pour moi le dilemme qui a déchiré les juifs français, surtout au cours de la deuxième intifada.
Ils ont vu les images des affrontements. Ils ont suivi les attentats suicides contres des israéliens. Ils se sont perçus eux-mêmes comme s’ils étaient des soldats israéliens, des citoyens israéliens attaqués par les palestiniens.
C’est cet attachement extraordinaire, que je n’ai trouvé dans aucune autre communauté, qui distingue les juifs français.
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MBA : Alors, concrètement, de quelle manière se manifeste ce déchirement : par un pied en France et un autre en Israël? Ou par un véritable mouvement d’immigration?
Daniel Bensimon : Certainement pas par une accélération de l’alyah. Les chiffres demeurent constants au cours de ces dernières années. Je dirais que la formule “un pied en France, un pied en Israël” est privilégiée. Mais il est vrai que, parmi les centaines de personnes que j’ai interviewées, le sentiment prédominant était : nous ne sommes pas chez nous ici! C’était nouveau.
Ce sentiment, je l’ai découvert surtout chez les juifs nord-africains. Ces juifs qui ont quitté le Maroc, l’Algérie et la Tunisie dans les années 50/60 du siècle dernier. Ils sont arrivés en France et s’étaient sentis à la maison, la France était leur pays.
Je crois que, suite aux agressions anti-juives de ces dernières années, ils s’attendaient à ce que la France les protège, que la France proteste contre ces attaques. Ils ont rencontré un silence, une indifférence de la part du gouvernement Jospin.
Ils en ont été frappés. Cela a créé une rupture entre eux et l’Etat. Ils se sont sentis seuls, presque trahis. Et ce sentiment les a poussés à pencher vers Israël, le pays de rechange. Alors, ces dernières années, 50 000, 60 000 juifs français ont envahi Israël pendant l’été, pour se sentir chez eux, à la maison.
Et ils ont acheté des appartements au cas où… si les choses tournent mal en France.
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MBA : Votre ouvrage est non seulement l’histoire d’une anxiété, mais encore celle de deux communautés, la juive et la musulmane, venues toute deux d’Afrique du nord…
Daniel Bensimon : C’est une histoire tragique. Ce sont des voisins, au Maroc, en Algérie et en Tunisie, qui ont émigré pratiquement ensemble en France, qui se sont retrouvés dans les banlieues des grandes villes.
Et à un certain moment, il y a eu cette déchirure entre ces gens qui parlaient les mêmes langues – l’arabe et le français -, qui partageaient les mêmes goûts, qui essayaient de s’intégrer dans un pays nouveau, mais dont l’intégration justement a été inégale.
Les musulmans ont moins bien réussi que les juifs et, je le pense, ce déséquilibre a suscité un sentiment de jalousie, qui s’est traduit par des réactions hostiles, des violences anti-juives, et même une poussée d’antisémitisme de la part des musulmans.
Les gens m’ont parlé du malaise vis-à-vis de l’Etat français, mais aussi du malaise de la communauté juive face à la croissance d’une communauté musulmane en majorité hostile.
Il y a aujourd’hui cinq, six millions de musulmans. Ils seront 10 millions, 15 millions. Et les gens que j’ai rencontrés s’interrogent sur leur avenir, sur celui de leurs enfants dans une France composée à 20 ou 25% de musulmans.
C’est leur préoccupation essentielle. Les juifs, les musulmans qui sont arrivés ensemble, des amis, des voisins, se retrouvent aujourd’hui des deux côtés de la barrière. Ils ont perdu l’amitié, la fraternité. Et les juifs s’interrogent sur leur avenir.
Ils m’ont dit : peut-on encore se sentir chez soi dans une France qui a changé, qui a évolué? Et c’est la raison, je dirai, pour laquelle Israël devient pour eux le point de repère.
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MBA : Un dernier mot : il y a peu, le président du CRIF, Roger Cukerman, a ouvert, à Paris, le dialogue ” juifs et musulmans de France : l’avenir de leurs relations” par, entre autres, un encouragement à une “…connaissance réciproque des religions dans le cadre de la laïcité française...
Ainsi, on peut espérer qu’une meilleure connaissance contribuera à faire reculer les préjugés, les stéréotypes et la haine…”
A vous lire, j’ai comme l’impression que vous n’êtes pas sur la même écoute…
Daniel Bensimon : Ecoutez, la crise entre juifs et musulmans en France n’est pas que locale. Elle reflète aussi le conflit israélo-palestinien, une dimension que l’on ne peut négliger.
Les juifs français témoignent d’une solidarité sans failles envers Israël. Les arabes musulmans français s’identifient partiellement ou totalement avec la cause palestinienne.
Vous ne voyez pas ça dans d’autres pays, les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne… En France, le conflit israélo-palestinien a un impact direct sur les relations entre les deux communautés.
Pendant les premières années de l’Intifada, les années 2002-2004, c’était terrible. Les choses allaient très mal ici. Elles allaient très mal en France, entre juifs et musulmans.
C’est pour cela que, lorsqu’on parle d’apaisement, de trouver un modus vivendi entre les deux communautés, ce n’est pas détachable de ce qui se passe dans notre région. Et je crois qu’une paix entre Israël et les palestiniens, Israël et le monde arabe, sera peut-être le début d’un âge d’or entre les juifs et musulmans français. Mais pas seulement.
Je pense aussi aux juifs d’Europe, une Europe où vivent plus de 20 millions de musulmans, attachés à leur pays, à leur foi et qui réagissent en fonction des évènements qui se déroulent ici.
Donc, les conflits entre communautés juives et musulmanes, particulièrement en France, ne découlent pas seulement d’un contexte particulier, mais aussi du conflit du conflit au proche-orient.
Source :
[
www.israelvalley.com]