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Poussieres d'Empires,Ces Marocains qui ont deserte en Indochine de Nelcya Delanoe
Posté par: anidavid (IP enregistrè)
Date: 23 avril 2005 : 19:27

Rabat, Saigon, Tours et retours
Avec Poussières d’empires, Nelcya Delanoë publie une enquête terrible sur la façon dont des soldats marocains, qui avaient participé aux combats contre le nazisme, refusèrent ensuite d’être enrôlés dans les troupes impériales françaises guerroyant en Indochine.
Une aventure humaine extraordinaire, qui traverse les années de la Seconde Guerre mondiale, puis celles de la décomposition de l’empire colonial français, voilà ce que conte le livre de Nelcya Delanoë (1), avec l’odyssée de ces soldats marocains et de leurs femmes vietnamiennes, revenus au pays ou exilés, là où on ne les attendait plus, un quart de siècle plus tard. La vie prend le dessus sur l’histoire officielle, pour laisser place à la complexité de l’histoire vraie. Au départ d’une anecdote confiée par un historien vietnamien, l’auteur, historienne également, nous emmène dans une enquête reportage sur ces oubliés, partis sous l’uniforme français, libérer l’Afrique, l’Italie, la France de l’occupation. Eux qui furent enrôlés par un occupant qui s’était approprié leur pays par le fer en 1912, soumettant la génération précédente à la loi coloniale, écrasant dans les années vingt, la révolte d’Abd el-Krim qui rêvait d’établir au Maroc une république laïque (héros, toujours banni de l’histoire officielle marocaine), contre lequel le pouvoir français joua - tactique habituelle - un camp opposé, celui d’une monarchie héritière du prophète. C’était le temps où un homme recevait une prime équivalant à son poids s’il quittait son village misérable pour l’armée. La balance pesait le poids de la chair à canon.
Quand, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces mercenaires furent envoyés en Indochine, comme on disait alors en 1946, se battre contre des hommes et des femmes qui voulaient s’affranchir du même maître arrogant, la motivation au combat se délita, d’autant plus troublée que, en face, une voix marocaine leur disait qu’ils seraient accueillis avec dignité de l’autre côté du front. Ce combat n’était pas le leur. La libération de tous les peuples ne figurait-elle pas dans les buts de guerre des alliés ? Des milliers de Marocains vont donc franchir la ligne crosse en l’air, mouchoir blanc au bout, pour connaître une vie de paysan, de ralliés - captifs volontaires ou malgré eux, selon leurs différents statuts, dans des villages ou des camps de regroupements. Deux cents s’installèrent de camps en villages, se marièrent à des Vietnamiennes, eurent des enfants, échappant aux canons français, puis aux B52 américains. Ils et elles racontent, témoignent, donnent une autre vision d’un drame dont on croyait connaître toutes les étapes. Les voici qui surgissent de l’ombre, qui disent ce que fut leur vie. Galerie de portraits d’hommes et de femmes surpris qu’on puisse aujourd’hui s’intéresser à eux, retrouvant la mémoire avec la dignité. On parle encore vietnamien dans des familles installées au Maroc avec des fortunes diverses. Les femmes se sont faites musulmanes. Certaines font des allers et retours entre Rabat et Hanoi. Ils ne sont plus ces " bui doï ", ces poussières de la vie, pour reprendre l’expression vietnamienne, dépassés par leur propre histoire. Tout cela est écrit à la première personne par Nelcya Delanoë qui a mené ses recherches du Maroc, où elle est née, au Vietnam, où elle a enseigné, livrant un récit vivant, passionnant.
Jacques Coubard
(1) Poussières d’empires, par Nelcya Delanoë, 222 pages, 19 euros. Du même auteur : l’Entaille rouge, terres indiennes et démocratie américaine, 1776-1980 (Maspero 1982, Albin Michel 1996), Nanterre-la-Folie, 1988. Nelcya Delanoë est professeur d’histoire américaine à l’université de Paris-X, Nanterre.


Re: Poussieres d'Empires,Ces Marocains qui ont deserte en Indochine de Nelcya Delanoe
Posté par: anidavid (IP enregistrè)
Date: 23 avril 2005 : 19:31

Poussieres d'Empires de Nelcya Delanoe. Couverture









Re: Poussieres d'Empires,Ces Marocains qui ont deserte en Indochine de Nelcya Delanoe
Posté par: anidavid (IP enregistrè)
Date: 23 avril 2005 : 19:34

Naufragés Des Guerres Lointaines.
SUR "POUSSIÈRES D'EMPIRE" DE NELCYA DELANOË. PAR FRANÇOIS MASPERO.


Il est dans la campagne tonkinoise une étrange construction de style mauresque : un portique de 8 mètres de haut, composé de trois arches portées par des fûts cannelés et surmontées d'arabesques.
Comme si des hommes avaient transplanté au milieu des rizières "un Maroc ancestral grandeur nature". Et c'est bien le cas. Ils s'appelaient Jillali, Mohamed, Ben Tahar, Miloud, leurs femmes Thi An, Oanh, Maï, leurs enfants ont reçu un double prénom Haï, Chiên, Tchang, mais aussi Hajji, Kader, Darkaoui... A Son Tay, "centre de recherche d'élevage bovin et de pâturage", plus d'une centaine de Marocains déserteurs de l'armée française, "ralliés" et "prisonniers ralliés" ont vécu plus de dix ans, de la fin de la guerre d'Indochine (la française) aux débuts de la guerre du Vietnam (l'américaine), avant d'être transférés ailleurs du fait des bombardements intensifs de l'US Air Force.
Le petit peuple les appelait "les Européens noirs". Ils voulaient rentrer au pays, ils ne l'ont pu qu'en 1972, et au Maroc on appelle leurs familles "les Chinois". C'est à leur recherche qu'est partie Nelcya Delanoë. Dans les archives à Hanoï, Rabat, Paris, et sur les lieux mêmes, au Maroc auprès des survivants, au Vietnam auprès de témoins. Récoltant une poussière d'histoires individuelles (bui doi ou "poussières de la vie", ainsi sont nommés au Vietnam les enfants de soldats étrangers) d'hommes qui ont lutté pour n'être pas seulement des victimes ballottées par des forces supérieures : à preuve ce portique érigé en 1964, à la fois nostalgie et espoir, "qui dit d'hommes poussières qu'ils ont pris d'assaut les cieux". Histoires perdues dans les interstices d'une grande Histoire qui est encore largement à écrire, tant de tous les côtés - français, marocain, vietnamien - les versions officielles n'ont cessé d'occulter, de réviser, de nier.
Faut-il le rappeler ? C'était une des ressources de l'Empire que de faire appel aux "troupes indigènes". Dans les guerres coloniales : ainsi au Rif, en 1925-1926, ou pour la répression de la révolte malgache, en 1947. Et dans les deux guerres mondiales : la première envoya au front des centaines de milliers de Sénégalais, Malgaches, Nord-Africains, Vietnamiens. Dans la seconde, les goumiers marocains, entre autres, furent aux premières lignes en Italie et dans le débarquement de Provence. Le corps expéditionnaire français qui tenta de reconquérir l'Indochine compta plus de 50 % de non-Européens, dont 123 000 Nord-Africains. Dès 1945, Leclerc, que de Gaulle envoya faire la guerre en Indochine et qui la fit, avertissait qu'il ne pouvait y avoir de solution que politique. On connaît la suite.
De son côté le Viêt-minh avait compris le parti à tirer de la présence dans le corps expéditionnaire de ressortissants de pays coloniaux eux-mêmes agités par les mouvements d'émancipation. D'où un intense travail de propagande dans leur direction. D'où l'apparition dans les rapports des renseignements généraux français d'une mystérieuse "Armée de libération de l'Afrique du Nord" recrutée par le Viêt-minh, et dans l'histoire officielle vietnamienne d'un "détachement des indépendants nord-africains" affecté à l'action psychologique. D'où aussi la volonté vietnamienne d'aménager l'accueil des ralliés. Ainsi, le délégué envoyé auprès de Hô Chi Minh par Abdelkrim, émir vaincu de la "République du Rif" exilé en Égypte, pouvait-il noter : "Je cherche à créer de véritables villages pour mes prisonniers arabes et kabyles, j'arrive à leur donner une vie qui rappelle celle du pays..."
Qui étaient ces hommes, quelles fatalités historiques et quels choix personnels les ont poussés, que sont-ils devenus, eux et leurs familles "mixtes", quelle mémoire ont-ils gardée ou se sont-ils construite ? Et quelles marques, entailles souvent invisibles mais bien réelles, ont-ils laissées dans la mémoire collective de leur pays natal, dans celles du pays qui les a envoyés se battre et du pays qui les a "ralliés" ?
L'enquête va de découvertes en rebondissements au-delà des réticences, de la nostalgie ou de la résignation des uns, et des dénégations ou mensonges des autres. Des détours de destins personnels aux arcanes de raisons d'Etat et de stratégies mondiales. L'auteur n'hésite pas à mêler sa voix à la trame du récit dans "le chevauchement des paroles, la spirale des souvenirs, les interruptions du récit, les trous de la mémoire et les spéculations du silence". Ce qui aurait pu être un procédé apporte ici un ton d'authenticité peu courant. Nelcya Delanoë le rappelle, elle a vécu au Maroc - son père était de ces libéraux de "conscience française" opposés à la déposition de Mohamed V -, elle est restée solidaire du peuple marocain aux années de bagne et d'assassinats de Hassan II. Elle a aussi enseigné à Saïgon au pire moment de la guerre américaine.
Ainsi, tout en livrant une expérience précieuse aux chercheurs décidés à s'attaquer au domaine maltraité de l'histoire coloniale, elle dévide pour le lecteur le fil d'un beau récit où la recherche patiente et infiniment scrupuleuse est comme soutenue, tendue, par l'émotion.
POUSSIÈRES D'EMPIRE de Nelcya Delanoë. Préface de Trinh Van Tao, PUF, 224 p., 19 €.
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EXTRAIT
"Peut-être voulais-je, à travers l'aventure de ces hommes, restituer le trouble d'une terre et d'une histoire longtemps occupées par la France et dont ces déserteurs marocains me semblaient un précipité ? Après les catégories de la lutte et ses nécessités catégoriques, aborder celles de leurs méandres ? Certes il faudrait, je le pressentais, pour les saisir sans cesse contourner, chercher l'éclairage rasant, opter pour le biais, le détour tout en tramant archives et paroles pour faire émerger une autre histoire, celle dont la conscience n'avait pas encore touché terre et à laquelle mon livre offrirait peut-être un sol, comme elle réticulé." (Introduction, p. 27)


Re: Poussieres d'Empires,Ces Marocains qui ont deserte en Indochine de Nelcya Delanoe
Posté par: anidavid (IP enregistrè)
Date: 26 avril 2005 : 21:32

Aventure Vietnamienne des soldats Marocains.
Plusieurs soldats marocains du Corps expéditionnaire français au Vietnam ne furent rapatriés que 18 ans après la fin de la guerre à Diên Biên Phu en 1954. Nelcya Delanöe, écrivain et professeur à l'Université de Paris X, en a fait un livre.

J'avais appris avec beaucoup de tristesse que Nelcya Delanoë, écrivain et professeur à l'Université de Paris X - Nanterre, était portée disparue lors du bombardement terroriste de New York en septembre 2001. Et voilà qu'au dernier courrier, j'ai reçu de France son nouveau livre, dédicacé de sa main: "Poussières d'Empires" (PUF-2002, août). La nouvelle est fausse, mon amie est vivante, plus prolifique que jamais. Son ouvrage traite du sort des soldats marocains du Corps expéditionnaire français au Vietnam, qui ne furent rapatriés que 18 ans après la fin de la guerre à Diên Biên Phu.

C'est tout à fait par hasard que l'idée était venue à Nelcya Delanoë d'aborder un tel sujet. En 1996, à Aix-en-Provence, elle fit la connaissance du Professeur Trinh Van Thao qui lui fit savoir qu'à Fès vivaient quelques familles maroco-vietnamiennes rescapées de la Première Guerre d'Indochine (1946 - 1954). Elle se sent impliquée dans l'histoire de ces deux peuples. Elle est née au Maroc, de parents nés au Maroc; son père, médecin, était devenu très tôt militant de l'indépendance marocaine. Quant au Vietnam, elle y fut enseignante dans le Sud en 1968, au moment où l'Offensive du Têt lui fit pressentir la prochaine défaite des États-Unis. Elle devait visiter Hanoi dix huit ans plus tard.

Pour reconstituer l'aventure vietnamienne des soldats marocains, Nelcya a commencé au Maroc par une série d'entretiens avec ces anciens combattants, leur épouse vietnamienne et leurs enfants, entretiens suivis de quelques autres avec des responsables marocains. Ensuite, au Vietnam, elle a rencontré une dizaine de cadres jadis mêlés au séjour des Marocains. Enfin, ses recoupements furent éclaircis par les archives du Quai d'Orsay et de l'Armée française. Le résultat de cette enquête passionnée est un ouvrage micro-historique qui jette un jour cru sur certains aspects de l'Histoire: guerres de décolonisation et de l'indépendance au XXe siècle, choc et mariage des cultures musulmane et confucéenne, imbrication des événements mondiaux et des destins individuels.

Au lendemain de la Révolution d'Août 1945 qui mit fin à quatre-vingts ans de colonisation, la guerre française de reconquête n'a pas tardé à éclater. En envoyant des troupes marocaines au Vietnam, dès 1947, le lobby colonialiste misait sur deux choses: le loyalisme des troupes coloniales envers la Métropole déjà testé par les deux Guerres Mondiales, et la possibilité de réprimer les révoltes d'une colonie par l'emploi des mercenaires d'une autre. On ne s'était pas douté que l'état d'esprit des peuples soumis n'était plus le même qu'à la fin du XIXe siècle-début XXe. Dans les années 20, Nguyên Ai Quôc (Hô Chí Minh) avait créé à Paris l'Union intercoloniale et écrit le Procès de la colonisation française. Le 4 avril 1949, en pleine guerre, le prestigieux leader nationaliste marocain Abdelkrim a répondu à une lettre de Hô Chí Minh (rédigée par le Dr P.N. Thach) en appelant les combattants maghrébins à se désolidariser de la guerre coloniale au Vietnam. Après la victoire de 1950 libérant la frontière sino-vietnamienne, un militant communiste marocain appelé Maarouf (Anh Ma) fut envoyé au Vietnam pour l'agit-prop auprès des goumiers actifs, prisonniers et ralliés.

Le nombre de Marocains se ralliant à "la cause Viêt Minh", sporadique après 1950, n'a cessé d'augmenter surtout depuis la déposition et l'exil du sultan Mohammed V (1951-1953). En 1950 fut constitué le DINA (Détachement des Indépendants Nord-Africains) regroupant pendant un certain temps une vingtaine de ralliés algériens, marocains et tunisiens; ils participaient aux activités paramilitaires, plutôt d'agit-prop.

Comme le montre l'enquête marocaine de Nelcya, les Marocains s'étaient engagés dans le Corps expéditionnaire français pour gagner leur vie. Le cas de Bouchaïb est typique: "Je me suis engagé en 1947 parce que je n'avais plus ma place à la maison... J'ai été mal traité par mes demi-frères et par la nouvelle femme de mon père. Je suis donc parti pour Casablanca. Sans travail, je me suis engagé. J'ai reçu une prime de 4500 F, 130 F tous les 15 jours, et des cigarettes pour le mois".

La guerre terminée en 1954, les Algériens et les Tunisiens furent rapatriés peu de temps après. Les Marocains ne purent partir qu'en 1972, 18 ans plus tard à cause des complications diplomatiques. Ils changèrent souvent de place à cause des bombardements américains, finissant par s'établir dans la province semi-montagneuse de Son Tây où ils menèrent avec leur famille mixte une vie de fellah. Chacun avait son lopin de terre, sa rizière, sa vache. Que reste-t-il de ce séjour de 25 ans au Vietnam ?

Comment la société vietnamienne, encore fortement confucianisée, avait accueilli ces musulmans et leur épouse vietnamienne ? Le professeur Trinh Van Thao opine: "être réduite à épouser un étranger, a fortiori un soldat sans grade ou un homme de couleur sans fortune, exposait une Vietnamienne aux mêmes discriminations et persécutions qu'ailleurs... Aussi, le fait que, par calcul politique ou même, mettons, par utopie révolutionnaire, le gouvernement de Hô Chí Minh ait encouragé la constitution de ces familles maroco-vietnamiennes d'infortune, leur permettant, aux frais de l'État, de vivre ensemble en toute légitimité, de résider, de travailler et de circuler en liberté, tient du miracle". À Nelcya, les rapatriés marocains ont raconté en 1999 que : "Malgré les sévères griefs de certains, les Vietnamiens les avaient reçus comme s'ils avaient été leurs enfants, leur assurant pendant 25 ans un toit, un travail, un revenu, des soins et la scolarisation de leurs enfants en somme, et surtout, l'égalité sociale". "Les enfants maroco-vietnamiens se sentent toujours vietnamiens, vietnamiens par leur mère, cette Vietnamienne absolue, de nationalité vietnamienne... Au fond, si les mères sont restées si vietnamiennes, ne serait-ce pas également parce qu'elles savent lire et écrire leur propre langue ?".

Par Huu Ngoc - Le Courrier du Vietnam - 24 Janvier 2003.

Disponible aux PUF en France et chez Tarik au Maroc










Re: Poussieres d'Empires,Ces Marocains qui ont deserte en Indochine de Nelcya Delanoe
Posté par: anidavid (IP enregistrè)
Date: 27 avril 2005 : 04:05

Metissages
par Daniel Bermond
Lire, octobre 2002


L'histoire peut cacher dans ses profondeurs des failles insoupçonnées. Ici, c'est celle, oubliée - occultée? - d'un colonialisme honteux que dévoile Nelcya Delanoë à travers le destin de ces Marocains partis combattre le Viêt-minh avec le contingent français et passés à l'ennemi par sympathie idéologique ou par opportunisme. Réfugiés dans le Viêt Nam de l'oncle Hô, ils firent souche et eurent des enfants malgré la répugnance de leurs hôtes pour les «Occidentaux noirs». Mais quand ils voulurent rentrer chez eux, dans ce Maroc émancipé de la tutelle coloniale, ils se heurtèrent à un imbroglio diplomatico-politique, contraints d'en appeler à l'arbitrage de la France, au risque pour eux de se retrouver en camp de rééducation. En 1972, vingt ans après leur désertion, ils purent enfin regagner leur terre natale mais l'accueil n'y fut pas à la mesure de leur attente. Imaginez: ces Vietnamiennes converties à l'islam mais qui ne lisaient pas le Coran et ces «chinouis» ni jaunes ni arabes, fruits d'amours insolites... Cette histoire, marginale, est aussi celle d'une marginalité produite par la fin de notre bel empire d'outre-mer.

Poussieres d'Empires par Nelcya Delanoe
Disponible en France aux PUF et au Maroc chez Tarik

Re: Poussieres d'Empires,Ces Marocains qui ont deserte en Indochine de Nelcya Delanoe
Posté par: anidavid (IP enregistrè)
Date: 02 mai 2005 : 08:45

Poussieres d'Empires par Nelcya Delanoe.

Introduction




Les dieux s'en sont mêlés.
Dieux de la guerre dieux de la terre, ils ont nom Hô Chi Minh, De Lattre, Leclerc, Abdelkrim, Sainteny, Roosevelt, Hassan II, Oufkir, Mendès France, Kissinger... L'arène où leurs guerriers sont enfermés, c'est le Maroc et le Viêt-nam devenus colonies de l'empire français, bientôt insurgées et finalement indépendantes. Etapes claires d'une histoire douloureuse et finalement résolue? Certes, et pourtant... l'empire aurait-il existé sans l'appoint militaire des hommes qu'il soumettait?
Au début du XXe siècle, Marocains et Vietnamiens sont ainsi requis par l'armée française aux fins d'asseoir sur leurs terres son contrôle et sur leurs épaules une France impériale. Si tous ne se soumettent pas sans broncher au calvaire infligé à vif au pays, nombreux sont ceux qui prennent les armes pour lui résister. Plus tard pourtant, alors que la France est à son tour envahie puis mise à genoux, des dizaines de milliers de Marocains et de Vietnamiens font don de leur bravoure guerrière pour sa libération, dont ils espèrent en retour la leur. Enfin relevée et debout sur les ruines de son hexagone, la France entreprend alors de restaurer son empire, ébranlé, dans toute sa funeste gloire coloniale. Et de requérir les mêmes braves, hier encore ses alliés, pour les asservir derechef.

Nous sommes en 1946. Avec la fin de la seconde guerre mondiale monte la fureur des peuples dupés qu'on veut continuer de dépecer et qui s'insurgent. Bientôt, derrière leur combat s'en profile un autre, non moins farouche, celui de la guerre froide. D'entre les replis du monstre glacé surgissent alors d'autres combattants et tous n'en font plus qu'un dans la mêlée furieuse.
Les voici pris sur des plaques tectoniques à la dérive dont les heurts hérissent monstrueusement la planète. Sur les flancs de jungles en feu et de cordillères éventrées, les hommes de la piétaille avancent glissent et recommencent, gagnent ou perdent. Quoi? Du périmètre, du terrain, du temps, de la survie, bientôt victoires ou défaites et apanage des stratèges. Plus haut encore, là-haut sur l'Olympe, les Dieux observent et de leur hauteur de vue scrutent l'échiquier qui des hommes fait des pièces.
Qu'ils aient combattu ou qu'ils aient soutenu l'empire français, dans cette arène, guerriers marocains et vietnamiens affrontaient et nouaient avec lui, en un combat équivoque, une histoire dont ils étaient les hérauts et les masques. Cette violence guerrière, fondatrice et fossoyeuse d'humanités en rage d'advenir, n'était pourtant charriée que par des armées d'anonymes, de soldats au cœur d'enfants-tigres et de femmes au corps de charbon-cristal. Bien qu'à peine décelables aujourd'hui, et vues des interstices, les traces qu'ils ont laissées racontent des mondes et un siècle labourés d'espérances, carnivores et libératrices.

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L'histoire que je m'apprête à rapporter est celle de quelques hommes de la piétaille. Dans un coin de l'Asie point encore embrasée, la France s'était taillée un fief qui avait fait des Cambodgiens, des Laotiens et des Vietnamiens les coolies de son enrichissement. Vint la résistance. Rampante d'abord, celle des Vietnamiens se prolongea de spasmes en spasmes sur des décennies jusqu'au soulèvement général du peuple et à son indépendance. En septembre 1945, celle-ci était proclamée dans le pays en liesse par un Hô Chi Minh dont le nationalisme le disputait au communisme.
A Paris, malgré les négociations entre Sainteny et l'oncle Hô pour trouver un compromis et malgré la victoire de la gauche, communiste compris, aux élections de novembre 1946, le gouvernement français décidait la reconquête du Viêt-nam. Dès 1947, le Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient était à pied d'œuvre, et le général Leclerc en définissait la vocation:
"La solution ne pourra être que politique, car la France ne jugulera plus par les armes un groupement de vingt-quatre millions d'habitants dans lequel existe une idée xénophobe et peut-être nationale. Plus l'effort militaire accompagnant notre politique sera puissant, plus cette solution sera possible et rapide. Elle devra consister à opposer au nationalisme viet minh un ou plusieurs autres nationalismes "
"La sale guerre" avait commencé: plus d'un million de morts et des centaines de milliers de victimes, dont celles de la torture, parmi les Vietnamiens tandis que les pertes du corps expéditionnaire français s'élevaient à 130.000 hommes . Derrière elle, cette guerre laissait un pays fendu en deux, de part et d'autre d'une ligne de démarcation plantée par la hache de la guerre froide.

De 1947 à 1954, des dizaines et des dizaines de milliers de Nord-Africains furent envoyés en Indochine alors que leur propre pays était en proie aux premiers soubresauts de la lutte pour l'indépendance. Une fois au Viêt-nam, des centaines d'entre eux, dont plus d'une centaine de Marocains, désertèrent et rallièrent le Viêt-minh, qui n'avait cessé de les appeler à la solidarité anticolonialiste.
Regroupés dans des camps-villages où ils furent à la fois pris en charge et pris en main par le Viêt-minh, ces ralliés marocains demeurèrent au Nord Viêt-nam presque vingt ans après la fin de la guerre d'Indochine, ce qu'ils n'avaient initialement pas prévu. Mariés à des Vietnamiennes dont ils eurent bientôt des enfants, ils devinrent paysans sur une ferme d'Etat (Son Tay) et se construisirent là, en cette improbable communauté maroco-vietnamienne, une vie inattendue, inespérée: les enfants étaient scolarisés, les hommes et les femmes travaillaient, étaient payés, leur santé était suivie par des gens de l'art. Alors qu'au Maroc du protectorat, féodaux et colonisateurs avaient définitivement consigné ces blédards à la misère et à l'ignorance, ceux-ci découvraient au Viêt-nam le droit à la dignité.
C'est alors que de nouveau surgit la guerre. Ébranlant villes et montagnes, la guerre américaine entraîna des déplacement de populations et les Marocains durent quitter la ferme tout juste apprivoisée. S'il les abritait des bombardements, cet exode vers l'arrière-pays (Yên Bai) constituait un nouvel arrachement et un nouveau recommencement, éprouvants. Plus gravement, il faisait craindre aux Marocains que c'en soit cette fois bien fini de leurs espoirs de retour au Maroc, auquel ils aspiraient depuis la paix de Genève. Ces craintes furent renforcées quand les autres ralliés regagnèrent les uns l'Algérie les autres la Tunisie dont l'indépendance avait pourtant été proclamée presque dix ans après celle du Maroc. Prisonniers des événements dans un pays qu'ils avaient pourtant rallié, ignorés du Royaume qu'ils rêvaient de retrouver, les Marocains s'acharnèrent néanmoins à chercher un moyen de rentrer chez eux. De tentatives infructueuses en démarches audacieuses, leur saga aboutit en 1972, et enfin un avion s'envola de Pékin pour Rabat avec son étrange communauté maroco-vietnamienne à bord.
Restait aux hommes, à cinquante passés, à refaire leur vie dans un Maroc fort différent de celui qu'ils avaient quitté -un pays qu'ils n'avaient jamais connu indépendant, un pays dont le père de l'indépendance était déjà mort, enfin un pays dont l'après-indépendance avait pris, avec son nouveau roi, une coloration particulière. Les Vietnamiennes devaient apprendre à devenir des musulmanes, leurs enfants à parler la langue de leur père.

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Ces anciens combattants-ralliés étaient restés vingt-cinq ans en dehors du pays et ce n'est que vingt-cinq ans après leur retour au Maroc que j'entendis parler d'eux, soit cinquante ans après ces événements, infinitésimaux dans la guerre d'Indochine. Nous étions en 1996, à Aix-en-Provence. Au cours d'une conférence consacrée à des romanciers vietnamiens où je fis la connaissance du Professeur Trinh Van Thao, celui-ci me conta l'anecdote suivante, qui l'avait frappé.
Il rentrait de Fès où Abderrahmane Maliki, un collègue marocain qui avait jadis été son étudiant en France, l'avait invité à siéger à un jury de thèse. Le lendemain de cette soutenance, A. Maliki l'avait conduit, sans explication préalable, dans une famille qui vivait à la sortie de Fès. Quelle ne fut pas la stupeur de Thao quand il se trouva en face d'un jeune métis maroco-vietnamien, Kader, qui s'adressa à lui dans la langue qui avait cours à Hanoi... dans les années 1950! D'après ce que Kader avait dit à Thao, sa mère vietnamienne (absente ce jour-là -elle s'était rendue chez une amie pour préparer les gâteaux du Ramadan) était l'épouse d'un ancien combattant marocain de l'armée française qu'elle avait connu au Nord Viêt-nam après qu'il avait rallié le Viêt-minh. A côté de chez eux vivaient deux autres familles composées sur ce modèle et il en existait bien d'autres au Maroc. Lui-même était né non loin de Hanoi...
C'est ainsi que j'entendis parler pour la première fois de cette épopée. Si maigres qu'aient été ces informations, elles avaient pourtant suffi à émouvoir mon imagination. Des pas s'étaient croisés dont je ne savais rien et des cycles de vie dont j'ignorais tout mais également des espaces dont je connaissais quelques lois, des pans du temps dont j'avais appris les marques, celles de l'histoire de deux pays, le Maroc et le Viêt-nam, où j'avais tour à tour été impliquée bien que tout les séparât. Ce jour-là, je sus qu'il me faudrait retrouver ces familles et, avec leur aide, tenter de reconstituer leur histoire.

Peut-être voulais-je, à travers l'aventure de ces hommes, restituer le trouble d'une terre et d'une histoire longtemps occupées par la France et dont ces déserteurs marocains me semblaient un précipité? Après les catégories de la lutte et ses nécessités catégoriques, aborder celles de leurs méandres? Certes il faudrait je le pressentais pour les saisir sans cesse contourner, chercher l'éclairage rasant, opter pour le biais, le détour, tout en tramant archives et paroles pour faire émerger une autre histoire, celle dont la conscience n'avait pas encore touché terre et à laquelle mon livre offrirait peut-être un sol, comme elle réticulé.
Sans doute ce sol auquel je prétendais comme à un socle m'était-il déjà familier. Par familier j'entends amour quotidien, sempiternel, éternel, celui que j'ai pour les Marocains et le Maroc, où je suis née de parents nés au Maroc. Fils de médecins et médecin lui-même, mon père était très tôt devenu, à ses (graves) risques et périls, militant de l'indépendance marocaine. Cette difficile période de sa vie a marqué l'adolescente que je devenais d'un signe rare, à l'époque rendu illisible par la douleur. Celle-ci dissipée, subsiste ce sol-amour, en traverse, de travers, transversal.
Plus tard, à un carrefour majeur de ma vie, j'obtins un poste d'enseignante au Sud Viêt-nam de 1967 à 1968. Tout a été écrit sur la guerre américaine dans ce pays. Et sur l'année 1968. Rappel pourtant: cette année, fameuse Année du Singe, a été et reste pour des millions de gens, comme pour moi-même, celle de "L'Offensive du Têt". Temporairement conclue par le broiement des forces de la résistance vietnamienne à l'assaut de la techno-guerre américaine, cette offensive disait pourtant la prochaine défaite des États-Unis. Malgré son prix, exorbitant, le pressentiment de la victoire du Viêt-cong et des Nord-Vietnamiens retentit de Berkeley à Prague et illumina le mois de Mai des bords de Seine.

Cette année de convulsions et de tremblements de terre m'avait emportée comme une aurore tropicale. La pluie portait la mort et le soufre, le vent l'odeur des fruits et des épices, la rue l'appel des mendiants, des ambulances et des prostituées. Dans les villes et les campagnes, les bars les marchés et les jardins retirés, au bord des arroyos, je rôdais interminablement pour décoder les gestes de la main et l'équilibre des corps, les odeurs du trottoir et les saveurs d'un plat, les comptes des marchands et la parole des enfants. La nuit, sur les ondes s'installait la guerre des communiqués triomphalistes. Sous les ventilateurs de l'hôtel Continental, venus du monde entier, des photographes révélaient la glaise et le sang des combats, des journalistes en décortiquaient la routine et les dédales. A Saigon comme partout au Viêt-nam, tous les jours tout le monde faisait la guerre, lisait la guerre, regardait la guerre, voyait la guerre, racontait la guerre -explosion des rizières et conflits à Washington, comme contigus. Passaient des militaires sud-coréens, australiens, néo-zélandais, philippins, alliés des Américains et des Sud-Vietnamiens -ils revenaient ils étaient en partance.
J'absorbais ainsi des bribes du monde en tourmentes et avec elles, malgré l'émiettement, perspectives et amitiés rares. Je reconnus bientôt quelque chose de familier dans ces jours au fil du rasoir, quelque chose d'amical et de quotidien, une respiration régulière, obstinée, perpétuelle. La mort tombait en cadences effrayantes. Aussitôt après pourtant, les survivants arpentaient les champs de ruines au-dessus desquels j'entendais flotter leurs voix, des voix droites et noires comme les pyjamas des femmes et des combattants, la voix de la résilience. Ils retournaient chaque pierre, fouissaient chaque tas de cendres et de cette récupération méticuleuse et pieuse, faisaient leur lendemain. A veines ouvertes, j'en avais maintenant la conviction, la vie coulerait quand même dans le corps de ces hommes et de ces femmes qui ignoraient, pour trop bien le connaître, le cadavre en eux. De cette vie comme corps mental, de la vie comme corps de cette trempe-là je voyais partout le décalque, jusque sur les paysages de rizières. A l'évidence, des Américains ne pouvaient gagner contre des Vietnamiens. Mais des Vietnamiens contre des Vietnamiens? Les États-Unis finirent par partir, les Vietnamiens de la résistance avaient gagné. Restait, avec la réunification du pays, à remporter l'épreuve de la réconciliation nationale.
Je me promis de retourner un jour dans ce Viêt-nam-là et de l'aller saluer à partir de Hanoi l'inaccessible, dont j'avais des mois durant suivi la lutte. Je m'y rendis dix-huit ans plus tard et c'est au retour de ce second séjour au Viêt-nam que je rencontrai le Professeur Trinh Van Thao.
Cette enquête s'imposa donc d'elle-même. Elle s'installa dans le chevauchement des paroles, la spirale des souvenirs, les interruptions du récit, les trous de la mémoire et les spéculations du silence. Parce que "la réalité est la moins saisissable des vérités", la vérité des ralliés -double? triple?- se révéla plus insaisissable encore. Très vite d'ailleurs, elle m'importa presque moins que l'étrange récit que ces hommes en faisaient. Racontée, l'aventure demeurait indicible. Faisant en effet apparaître la crudité et l'ambiguïté de l'histoire coloniale, elle débouchait nécessairement sur une question plus crue et ambiguë encore: l'indépendance, quels résultats?


Ce voyage sur leurs pas a commencé au Maroc par une série d'entretiens avec ces anciens combattants marocains, leur épouse vietnamienne et leurs enfants. Il a été suivi de quelques entretiens avec des responsables marocains. Il s'est terminé par un séjour au Nord Viêt-nam, où j'ai rencontré une petite dizaine de cadres jadis mêlés au séjour des Marocains dans leur pays. Par recoupements apparurent ainsi contradictions, compléments d'information, confirmations. Le recours aux archives du Quai d'Orsay et de l'armée française me permit par ailleurs de rabouter des continuités rompues, de rétablir des causalités perdues, de retrouver des voix disparues. Il suffisait alors parfois de peu pour que la perspective, mouvante, de ma reconstruction en soit modifiée d'autant. Mais si cette aventure s'est ainsi éclaircie en se ramifiant, elle n'est pour autant jamais devenue limpide. Cette opacité ultime en fait toutefois la dimension puisqu'à simplement vouloir la percer, on mesure l'aveuglement de celui qui prendrait pour son écorce le limon du sens.

Disponible en France aux PUF
au Maroc chez Tarik



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