Re: Ensemble contre le nouveau totalitarisme
Posté par:
Berny (IP enregistrè)
Date: 12 mars 2006 : 13:12
En refusant de c?der ? la peur, l'hebdo satirique a montr? l'exemple ? tous les m?dias.
MERCI "CHARLIE HEBDO"
par Daniel LECONTE
QUOTIDIEN : jeudi 02 mars 2006
Il y a quatorze ans, nous recevions en direct Salman Rushdie. C'?tait sur Arte et c'?tait la premi?re fois qu'il s'exprimait depuis que le r?gime fasciste islamiste iranien avait lanc? la fatwa contre lui. Il y a sept ans, nous faisions une autre ?mission, toujours en direct, sur Arte, pour affirmer, en le prouvant bien s?r, que la plupart des crimes commis en Alg?rie pendant la guerre civile ?taient le fait des islamistes du GIA.
Il serait aujourd'hui difficile de refaire ces ?missions. En tout cas, de les faire de la m?me fa?on. Comme il serait difficile aussi de faire aujourd'hui, dans les m?mes conditions, autrement dit comme Charlie Hebdo le fait, sans transiger sur les valeurs d?mocratiques, une ?mission sur les caricatures de Mahomet. On trouverait toujours quelqu'un, forc?ment bien intentionn?, pour venir nous dire qu'il ne faut pas jeter de l'huile sur le feu, chez nous ou l?-bas. Devant tant de bon sens politique, comment en effet brandir sans avoir honte le droit ? la libert? d'expression ?
Eh bien, c'est tr?s simple. Il suffit de mesurer les cons?quences de nos petites l?chet?s sur les premiers int?ress?s ; pas fran?ais justement, pas danois ni norv?giens mais plut?t libanais, irakiens, alg?riens, ?gyptiens ou pakistanais qui, la?ques ou d?mocrates, sont pr?ts ? mourir pour des id?es qui font passerelle entre nos deux mondes. Apr?s avoir affirm? que la victoire contre le terrorisme islamiste passe par plus de d?mocratie, au nom de quelle pens?e tordue devrait-on dire maintenant qu'il faut renoncer ici ? ce que beaucoup de d?mocrates et d'intellectuels souhaitent voir se d?velopper l?-bas ? Quel abandon de poste aux yeux de ceux, libanais, qui ont pay? de leur vie pour avoir dit que ?le malheur arabe?, c'est avant tout la responsabilit? des ?lites arabes elles-m?mes.
Pour r?sister chez nous ? cette tentation munichoise de baisser les yeux apr?s avoir baiss? les bras, il suffit de mesurer l'impact de ce discours autocenseur dans nos t?tes. Si l'on en croit le journal la Croix, 54 % des Fran?ais sont contre la publication des caricatures de Mahomet. 54 %, c'est pour l'essentiel le score de la peur. Si on avait pu faire un sondage sous l'Occupation, nul doute qu'on aurait trouv? 54 % des Fran?ais, voire bien plus, pour d?savouer les r?sistants. Au nom de ?cessez vos provocations, ?a va nous retomber dessus?. Les circonstances, certes, sont aujourd'hui tr?s diff?rentes, mais en gros ce sont les m?mes ressorts qui sont ? l'oeuvre. Hier, peur des repr?sailles nazies. Aujourd'hui, peur que les ?Arabes en col?re? viennent semer la terreur comme ils l'ont d?j? fait ? New York, Madrid ou Londres...
Cette victoire de la peur dans l'opinion a une histoire. Apr?s le 11 septembre 2001, nous pouvions soit r?affirmer nos valeurs par un soutien sans ambigu?t? ? notre alli? am?ricain, soit retourner contre la victime, autrement dit les Etats-Unis, dont on n'avait rien ? craindre, les critiques qu'on n'avait pas le courage de faire aux tueurs, par peur des repr?sailles. C'?tait le calcul de Ben Laden. En France, ?a a march? !
Pass? en effet les quelques jours de service minimum dans la compassion, beaucoup de Fran?ais, aid?s par une classe politique inconsciente ont tr?s vite, ?apr?s une g?nuflexion h?tive, retrouv? leurs veilles antiennes?, comme l'?crivait dans le Monde Claude Lanzmann. Dans l'affaire irakienne par exemple, Villepin a organis? l'?chec des Etats-Unis devant l'ONU. Au lieu de marquer le d?saccord de la France avec Bush et de prendre date, sa tourn?e dans les pays amis de la France pour isoler l'Am?rique devant le Conseil de s?curit? laissait entendre que, de victime, les Etats-Unis ?taient devenus les fauteurs de troubles, l'ennemi principal. Et pour quel r?sultat ? Les enl?vements d'otages fran?ais en Irak et les manifestations antifran?aises de la rue arabe... bref, le d?shonneur et la guerre.
Nous payons aujourd'hui en France les fruits de cette inaptitude ? identifier le mal. Comme nous payons aussi le prix du travail d'occultation du r?le des islamistes dans le drame alg?rien. R?sultat : aucune p?dagogie sur la nocivit? de l'islam radical. Ou, plus pr?cis?ment, ce travail, qui n'aurait d? souffrir aucune discussion comme pour le nazisme ou le fascisme dont rel?ve le totalitarisme islamiste, a suscit? en France d'?tranges objections et de curieux d?tracteurs.
Ainsi, sur France 5, un sp?cialiste de l'islam est venu nous dire que, chez nous, on traite mieux le pape que Mahomet. Cette contre-v?rit? flagrante fait probl?me quand le probl?me, justement, c'est de ne pas en rajouter des tonnes sur la victimisation que certains leaders musulmans cultivent sans nuances pour mieux creuser le foss? de civilisation. Elle fait probl?me quand il est plut?t question de convaincre l'islam de couper les liens avec l'islamisme radical pour se transformer en islam paisible. Quand il s'agit, ni plus ni moins, de lui rappeler les lois de la r?publique et de l'amener ? respecter les r?gles du jeu que les autres religions respectent depuis des lustres.
Comment s'?tonner dans ces conditions si, aujourd'hui, certaines organisations musulmanes peuvent essayer de faire croire qu'elles d?fendent l'islam quand, dans l'affaire des caricatures, elles ne font en fait que d?fendre, au sein de l'islam, les int?gristes qui tentent de prendre en otage l'ensemble du monde musulman? Comment s'?tonner si ces m?mes organisations tentent, ? travers cette affaire, de d?fier les soci?t?s la?ques et, par le chantage ? la peur, de prendre leur revanche apr?s leur d?faite du voile ?
Ne parlons pas de Chirac. C'est malheureusement devenu une quasi-habitude chez lui de parler quand il faut se taire et de se taire quand il faut parler. O? est la gauche de la d?fense des libert?s fondamentales ? On ne l'a pas beaucoup entendu soutenir Charlie Hebdo. Comment peut-elle pr?tendre gouverner la France sans prononcer des paroles fortes sur une question aussi d?cisive ?
Quant ? l'extr?me gauche, ses silences dans cette affaire en disent long sur sa strat?gie. Apr?s avoir invit? Tariq Ramadan au Forum social de Saint-Denis, apr?s avoir h?berg? des attitudes antis?mites dans les manifestations contre l'intervention am?ricaine en Irak, elle ne veut sans doute pas sacrifier ses int?r?ts de boutique ?lectoraux contre un soutien ? Charlie. Bourdieu, r?veille-toi ! O? est le temps o?, pour accueillir Rushdie sur le plateau d'Arte, tu te trouvais en compagnie de Derrida, Susan Sontag ou Toni Morrison ?
Alors, oui, merci, Charlie. Face ? ces renoncements en cascade, merci de ne c?der ni ? la peur, ni ? la confusion, ni au repli. Merci de t?moigner que la France n'est pas seulement cet assemblage de volont?s molles. C'est aussi cet esprit des Lumi?res que vous incarnez. Merci, Charlie, de d?fendre en ces temps troubles l'honneur du journalisme. Et, puisque la grandeur de ce m?tier est de porter la plume dans la plaie, j'?mets le voeu que les confr?res fassent de vous les laur?ats du prix Albert-Londres.