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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 08 juin 2012 : 00:58

Humbert GURRERI

UN SICILIEN A TUNIS

Histoire d’une famille peu ordinaire


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UN SICILIEN A TUNIS

Histoire d’une famille peu ordinaire

Tous les évènements reproduits ici sont réels avec une part d’incertitude pour les dialogues.

Cette plongée dans le Tunis du XIX et XX siècles est le récit de la double aventure d’une famille et d’un pays. C’est avant tout l’histoire de notre famille, une famille modeste et laborieuse qui évolue dans un territoire en devenir. On perçoit la complexité d’une société multiculturelle, évoluant tantôt de manière cloisonnée, et tantôt dans une véritable osmose, tout en laissant leurs places aux hasards de la vie.

CHAPITRE 1 : LE DEPART DE SICILE ET L’ARRIVEE A TUNIS

CHAPITRE 2 : LA RENCONTRE AVEC SUZZA

CHAPITRE 3 : LES ANNEES GALERES

CHAPITRE 4 : L’ASCENSION DE VANNINO

CHAPITRE 5 : LE TEMPS DE GUERRE

CHAPITRE 6 : LA MAISON DE L’AEROPORT

CHAPITRE 7 : LE DEPART DE TUNIS


AVANT PROPOS

Pendant toute mon enfance quand je trainais dans les pattes des adultes, j’ai entendu très souvent ‘che bedda sta Sicilia’, ‘a mè Sicilia bedda’, sans y prêter attention, ne sachant pas que cette expression sous forme de plainte nostalgique exprimait la tristesse d’un rêve perdu de retour au pays. Cette plongée dans le passé familial m’a permis de mieux comprendre les petites douleurs qu’une âme d’immigré pouvait exprimer, comme j’ai pu mesurer l’extraordinaire faculté d’adaptation de toute cette famille.

J’ai écrit ces quelques lignes par jeu personnel, mais aussi pour les offrir aux plus jeunes d’entre nous, issus d’une même souche : Biagio Gurrieri. La famille au sens large s’est complètement francisée, aucun ne parle la langue de cet aïeul qui peut-être par défi, par goût ou bien par peur du lendemain quitta son pays natal pour tenter une aventure peu ordinaire.

C’est l’histoire d’une famille peu ordinaire qui vous est contée ici. Merci à la providence de m’avoir offert le plus beau des cadeaux, l’occasion de vous parler de ce passé.

Avant d’aborder cette aventure familiale, j’ai voulu essayer de comprendre sinon partager les sensations, les émotions, les angoisses, les peurs et les espoirs de ceux qui quittent leur pays pour un nouvel avenir, et j’ai trouvé deux citations, elles n’ont en rien, résolu mes interrogations, elles apportent un début d’explication à l’aventure humaine de nos parents.
‘Immigrant. Individu mal informé qui pense qu’un pays est meilleur qu’un autre.’
‘Quiconque a le malheur d’émigrer une fois – une seule ! – restera métèque toute sa vie et étranger partout, même dans son pays d’origine. C’est notre malédiction à nous, immigrants.’

Je remercie les nombreux sites internet auxquels j’ai fait appel et ceux qui les alimentent, ils m’ont permis de réunir une abondante documentation.

Petite règle lexicale : en italien le U se prononce OU

PETIT AJOUT A L’AVANT PROPOS

Depuis que j’ai terminé mon écriture et alors que j’étais dans la relecture et l’affinage du texte, des évènements importants se sont produits.

J’ai perdu ma sœur Gina, notre aînée, elle qui m’a donné mes premiers biberons et lavé mes couches, je dédie ce petit livre à Gina.
En ce début d’année 2011, le peuple tunisien avec un extraordinaire courage s’est débarrassé de son chef, à la fois dictateur et tyran. Au cours de mon trop bref voyage en terre tunisienne j’ai très peu parlé des Tunisiens pourtant à l’heure où je ressens très profondément tout mon attachement à mon pays natal, je tiens à exprimer ma joie, mon émotion et mon admiration au peuple tunisien.

CHAPITRE 1

LE DEPART DE SICILE ET L’ARRIVEE A TUNIS

Notre aventure familiale commence à Palerme, le vendredi 9 septembre 1892. Le petit Vannino écarquille ses yeux d’enfant, derrière les barrières du quai N° 5, sa petite main blottie dans celle de son père, il voit l’énorme paquebot accoster. Sur le quai des hommes s’affairent, ils ont dans leurs bras d’énormes cordages qu’ils déroulent.

En haut sur le bateau d’autres hommes préparent d’autres cordages, qu’ils lancent du pont arrière à d’autres hommes qui s’en saisissent ; les gestes sont sûrs et précis quelques cris sont échangés entre les marins et les hommes à quai, sans doute pour mieux coordonner la manœuvre. Deux énormes cordes sont très vite placées à l’avant et à l’arrière sur les bites d’amarrage et elles se tendent lentement, le bateau est désormais tout proche du quai, en quelques instants il s’immobilise.

Vannino totalement absorbé par la vue du mastodonte, n’avait pas aperçu la foule des curieux et le fourmillement des hommes : qui, poussant une charrette à bras, qui, portant des marchandises, qui, assis sur le plateau d’une charrette tractée par un cheval aux pattes frêles. Biagio se penche vers son fils et lui dit : «   tu vois ce bateau, demain nous reviendrons et nous emprunterons la passerelle qu’ils vont maintenant descendre jusqu’au quai ; » - Mais alors papa c’est ce gros bateau qui va nous emmener à Tunis ?

Ils quittent le port et reprennent le chemin de la pension, où ils sont logés depuis hier. Tout juste arrivés par le train de Ragusa, ils ont cherché dans les rues animées de Palerme, l’adresse que leur avait indiquée le cousin de Biagio. Aujourd’hui ils sont plus légers pas de valise, à porter, ils ont laissé leurs lourdes charges à la pension, ils se sont promenés et fait quelques emplettes.

Biagio est né à Comiso, petite ville du Sud de la Sicile, province de Syracuse (en Italie, c’est ainsi que l’on nomme les plus petites divisions administratives, du nom de la ville principale, cette province sera divisée après la 2ième guerre mondiale et Comiso rejoindra la province de Ragusa). Le jeune Vannino est né dans la même ville que son père, il n’a jamais connu d’autre, que les rues étroites de Comiso. Les grandes avenues de Palerme où se presse une foule bruyante et colorée lui donnent le tournis. Il voit passer les calèches richement décorées, les charrettes peintes et les chevaux portant le panache (le très fameux ‘carrettu sicilianu’).

Son père se dirige vers le quartier où se trouve la ‘Vucceria’ le marché le plus populaire de Palerme (le mot Vucceria nous rappelle que les Normands ont longtemps occupé la Sicile et que la rue des boucheries est devenu Boucheria puis Vucceria, la confusion des phonèmes B et V étant qualifiée du nom savant de bétacisme très fréquent dans les langues romanes) ; Vannino regarde le spectacle de la rue, tout l’intrigue et l’intéresse.

Ils tournent soudain dans une petite ruelle noire de monde, les échoppes étalent leurs marchandises jusque dans la rue, on entend un bruit de foule dont émergent parfois les cris des marchands ; des odeurs de viandes grillées, de poisson, de fruits se mêlent et se confondent ; ici c’est le poulpe que l’on fait bouillir dans d’énormes marmites, là c’est la ‘scacciata’ fumante que l’on coupe en tranches et là ce sont les citrons et les oranges que l’on propose aux clients ; la ‘Vucceria’ est le plus grand restaurant en plein air et en pleine rue que l’on puisse imaginer.

C’est là que Biaggio va acheter le repas du soir pour lui et son petit. Il se fait servir ‘una granfa di purpu’ (une tentacule de poulpe) qu’il fait découper et assaisonner d’oignon et persil. Plus loin il prend une demie ‘scaciatta cu miliciani ’ (la fougasse aux aubergines). Pour le dessert il prendra au café ‘la granita’. Assis sur un banc, ‘ Fontana Prétoria’ (appelée aussi ‘La piazza della Vergogna, la place de la honte, pour la nudité des statues qui ornent le pourtour), ils dégustent leur repas en silence. En sicile, c’est le père qui parle, l’enfant ne s’exprime que si on l’interroge.

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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 09 juin 2012 : 02:53

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Devant le père on ne dévoile pas ses sentiments on a la pudeur d’attendre que le père vous sollicite. Le jeune Vanino a un nœud à la gorge, il ne sait pas s’il doit être content de cette aventure qui s’annonce ou s’il doit craindre de découvrir un nouveau continent : l’Afrique, les arabes et leurs turbans, peut-être même les lions ; dans un livre illustré il a lu qu’il y avait des lions en Afrique.

Mais il a entendu son père déclarer à la famille qu’il préférerait mourir de soif en Afrique que de faim dans son propre pays, que celui-ci avait abandonné ses enfants et qu’il voulait gagner sa vie en travaillant. Vanino pensait au lendemain matin, à ce bateau immense qui devait l’enlever à cette terre qui l’a vu naître et qu’il ne reverrait peut-être jamais.

Il pensait aussi à cette Afrique où paraît-il, le soleil est si chaud que le sol vous brûle les pieds, en Afrique pourrait-il aller à l’école ? Quelle langue parlait-on ? Toutes ces questions s’entremêlaient dans son cerveau d’enfant, mais il n’aurait jamais osé le demander à son père.

Soudain Biagio se tourne vers son fils : « tu ne manges pas, tu n’as pas faim ? Je te préviens sur le bateau il n’y aura que du pain et du fromage alors manges un peu ce soir. » Vannino avait beau se forcer ça ne voulait pas passer. Le repas expédié Biagio se lève, il plie le sac en papier huilé qui avait servi à envelopper le pique-nique et le fourre dans son sac en attendant de s’en débarrasser dans la poubelle de la pension.

Il s’arrête au café qui faisait face à la place et se fait servir un grand verre de vin rouge il commande une granite pour le petit. Vannino déguste sa granite avec gourmandise ; c’était sa friandise préférée ; à Comiso son père, l’emmenait avec lui et lui achetait une ‘granita di lumiuni’, confectionnée avec ces citrons de Sicile qui ont un goût incomparable.

Cette glace rafraichissante pouvait aussi s’appeler ‘a granita di mennuli’ quand elle est préparée avec des amandes.

La nuit était tombée, les rues qui tout à l’heure étaient grouillantes et noires de monde sont presque vides, les passants pressent le pas comme si désormais l’heure de rentrer avait sonné.
Biagio se dirige vers la pension qui s’appelle ‘locanda Giovanna’ située non loin du port, ce n’est pas le luxe mais la chambre est confortable et il y a des draps propres.

Pour les besoins il y a le pot que l’on vide dans un trou d’aisance à l’extérieur.

Vanino se couche et se recroqueville comme s’il était rongé par l’angoisse de l’inconnu. Il ne tarde pas à trouver le sommeil, la nuit précédente son esprit vagabond l’a empêché de dormir et la journée a été longue et fatigante.

Lorsqu’il se réveille après une rude secousse de son père, il fait toujours nuit, mais il est temps de se préparer et de se rendre au port, ils ont de lourds bagages à porter, il a fallu être prévoyant pour ce départ sans retour. Après s’être légèrement débarbouillé à l’eau du puits Vanino boit un grand verre d’eau, ce matin ce sera son déjeuner.

Croulant sous leurs fardeaux, le père et le fils se dirigent vers le port, de loin ils aperçoivent le bateau qui doit les mener vers leur nouvelle patrie ; ils ont bien fait de se lever tôt, autour de leur bateau règne une grande effervescence les dockers vont et viennent ils transportent sur leur dos d’énormes colis, ils montent et descendent de la passerelle presque en courant, en effet ils sont payés à la tâche c'est-à-dire au poids transporté.

Biagio demande à l’un deux, où se trouve le bureau de l’émigration, en effet il faut que la police du port vérifie et tamponne le document que lui a fourni l’officier d’état civil de la municipalité de Comiso chargé de l’émigration.

Grâce à ce précieux laissez-passer il pourra acheter son billet pour faire la traversée. Non loin du bureau de l’émigration il dépose ses lourds bagages et demande à Vannino de ne pas bouger de là et de les surveiller pendant qu’il s’occupera du certificat d’émigration.

Devant le bureau une longue queue est déjà formée, le bureau ouvre seulement dans une heure et des centaines de candidats à l’exil attendent patiemment. Biagio prend son tour. Deux heures après la queue s’est allongée de quelques dizaines de futurs émigrants, la colonne avance lentement. Deux heures passent encore et Biagio revient, il montre le précieux papier à son fils et lui dit d’attendre encore, il doit prendre les billets l’autorisant à faire le voyage. Après une heure Vanino voit son père, se frayant un passage au milieu de la foule qui a envahit le quai.

Cette fois ça-y-est ils vont pouvoir monter à bord, mais les deux passerelles sont prises d’assaut et il faudra encore patienter, jouer des coudes, se faire bousculer tout en portant les lourds bagages. Enfin ils se rapprochent de la passerelle, ils peuvent maintenant gravir les marches, en haut sur le pont un marin qui porte une casquette vérifie les titres de passage et oriente les passagers selon le type de billet.

Biagio s’est contenté de voyager dans la cale où sont aménagés d’immenses dortoirs avec des sortes de paillasses à même le sol, en effet la vie est dure en Sicile et l’argent manque ; mais pour un jour de traversée, ça fera l’affaire.

A dix heures, (Vannino a été réveillé à quatre heures du matin), on entend un sifflement strident, le bateau est prêt à partir, soudain Vannino est déséquilibré par une secousse, il ne peut pas voir ce qui se passe dehors ; dans la cale, assis sur une malle il attend le départ ; au bruit des moteurs et aux chocs qu’il entend sur les flancs du bateau il imagine que celui-ci quitte le quai et bientôt le port ; rivé à son siège il ne verra pas sa terre de Sicile s’éloigner ; comme les centaines d’émigrés qui partagent son sort et la cale où ils sont parqués, il ne verra pas une dernière fois sa ‘SICILIA BEDDA’

Le vrai prénom de Vannino est Giovanni mais les Italiens comme les Siciliens adorent employer des diminutifs. Depuis son plus jeune âge Giovanni fils de Biagio s’est appelé Vannino et il gardera ce prénom jusqu’à son dernier souffle. Maintenant le bateau a pris la mer il avance vers un nouvel horizon. Les passagers des cales sont autorisés à monter sur le pont mais seulement à l’avant du bateau. Au bout de quelques heures, Biagio et son fils se risquent à prendre l’air sur le pont. Le spectacle est magnifique, de l’eau à perte de vue, une eau violet foncé, des vagues qui viennent battre les flancs du navire, Vannino est immobile et contemplatif, on lui avait parlé de la mer, celle dans laquelle on se baigne à la plage, mais cette mer du large immense et sauvage c’était autre chose.

Il gardera pour la mer une grande passion au point de bâtir à l’âge adulte sa maison au bord de la mer, de telle sorte que du haut de sa terrasse, comme sur un bateau le regard puisse plonger dans l’immensité de la mer.

La journée se passe ainsi, le plus souvent allongés sur leurs paillasses les passagers de la cale tuent le temps, parfois ils remontent aspirer un peu d’air frais, certains jouent aux cartes sur une malle, on les entend se disputer ou commenter le jeu qu’il aurait fallu faire pour ne pas perdre. Vannino observe tous ces visages d’hommes mûrs, dans la force de l’âge, tous partent pour travailler dans ce pays lointain, plus tard quand ils auront gagné assez d’argent, ils feront venir femme et enfants.

Vannino accompagnait son père parce qu’il était orphelin ; lui ne savait pas de quoi serait fait son lendemain. Il savait seulement que Biagio devait rejoindre ses amis de Comiso, la famille Caruso dont un fils et deux filles avaient abandonné le moulin familial pour tenter leur chance en Tunisie.

Vannino attend avec impatience les moments où son père se lève pour rejoindre le pont ; là il retrouve l’air frais du large, et toutes ses sensations d’évasion et de liberté. A la dernière sortie il voit le ciel plus obscur, la nuit gagne l’environnement, on ne perçoit que le bruit des vagues sur la coque.

« Allez, on descend, il va bientôt faire nuit et c’est dangereux de marcher sur le pont sans lumière au milieu des cordages. »



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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 11 juin 2012 : 01:03

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Une fois arrivés à leur emplacement Biagio s’assoit, il demande à son fils d’en faire autant et sort de son sac la grosse miche qu’il a acheté la veille à la ‘Vucceria’ et un beau morceau de fromage dont on devine qu’il a été farci de grains de poivre. Vannino connait bien ce fromage parce que c’est celui que mange tout bon Sicilien, ce fromage au lait de brebis que les paysans font vieillir jusqu’à ce que l’huile suinte de tous côtés. Biagio coupe vigoureusement une tranche de pain qu’il tend à Vannino puis il coupe un bon morceau de fromage.

« Tiens, manges, tu as besoin de forces pour demain. »
Le morceau de pain est vite avalé, la journée a été longue et il n’a rien mangé depuis hier soir. Heureusement son père a apporté un fiasque de vin et une petite bonbonne d’eau et il a pu boire quelques verres d’un petit peu de vin allongé de beaucoup d’eau. Après avoir bu une nouvelle gorgée Vannino s’allonge sur sa paillasse pour la nuit, demain il se réveillera dans cet ailleurs qu’il ignore et qui l’angoisse.

Pas besoin de réveil, le bruit des passagers qui se lèvent, qui se parlent (on parle très fort en Sicile) qui vont et viennent a suffi pour annoncer la nouvelle journée. Vannino se frotte les yeux, pas besoin de s’habiller, il a dormi tout habillé, il salue respectueusement son père comme il en avait l’habitude à la maison et attend assis sur sa paillasse, il ne sait pas quoi, mais il attend. Comme la veille Biagio sort sa miche et son fromage et il sert son fils. La mer a été particulièrement calme et le bateau n’a pas beaucoup bougé, néanmoins Vannino a un peu la tête qui tourne, mais il a faim et éprouve une sensation de bonheur en avalant son pain et son fromage.

Au bout d’un long moment Biagio se lève et entraîne son fils sur le pont, le pont est mouillé, sans doute l’humidité de la nuit, une grosse boule rouge apparait à l’horizon, « il va faire beau dit Biagio ». Vannino n’avait jamais vu le soleil ainsi, et puis il découvre au loin une ligne un peu plus foncée, Biagio qui a compris que cette ligne intrigue son fils, lui dit aussitôt : « ce sont les côtes de l’île de  ‘Pantelleria’ on n’est plus très loin de la Tunisie. »

Ils redescendent, la prochaine fois qu’ils sortiront de la calle ils verront la côte de leur terre d’accueil. Vannino se recouche, on dirait que le temps s’est arrêté, maintenant il a hâte de découvrir tout ce qu’il a imaginé dans ses rêveries d’enfant. Au bout de quelques heures on s’agite autour de lui, petit à petit la calle se vide de ses occupants ; Biagio et Vannino montent à leur tour sur le pont, maintenant le pont est noir de monde, tout le long des bastingages les hommes regardent la mer, pas moyen de s’approcher, Vannino se penche et il aperçoit au loin une côte avec des collines et une terre rouge et grise.

Lui qui n’avait pas pu voir les côtes de la Sicile au moment du départ il découvre de loin la côte tunisienne, et alors qu’il devrait ouvrir de grands yeux curieux, il sent monter dans sa gorge un sanglot ; il vient de comprendre enfin que sa rue, sa maison, son école, ses camarades de jeu, ses oncles et tantes, il ne les reverrait plus. Mais en Sicile on ne montre pas ses sentiments, on ne montre pas cette tristesse inexplicable qui envahit tout le corps.

De tous temps les hommes se sont déplacés, de tous temps ils ont quitté maison, famille, amis pour chercher ailleurs ce que leur terre n’était plus capable de leur offrir ; mais connait-on seulement cette souffrance intérieure qui monte dans tout le corps et qui petit à petit envahit le ventre, les membres puis la tête au moment où le regard posé sur cette terre qui pourtant vous accueille, vous révèle que des liens se sont définitivement brisés avec ce que vous êtes au plus profond de vous-même et que vous ne serez jamais plus.

Il faudra désormais changer de peau et se fabriquer un nouveau soi-même, c’est souvent moins difficile qu’on ne le pense quand on a soif d’avenir, mais pour l’instant il faut souffrir en silence.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 12 juin 2012 : 16:34

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Le bateau a maintenant ralenti son allure, les passagers des cales qui tout à l’heure se pressaient sur le pont redescendent dans les entrailles du navire pour récupérer leurs bagages.

A nouveau il va falloir se charger lourdement pour aller où ? Vannino ne le sait pas. Le bateau a bien réussi sa manœuvre d’accostage. Le voilà immobilisé dans le port de la ‘Goletta’.

Les escaliers qui mènent de la cale au pont supérieur sont encombrés, il faudra encore patienter. On a enfin posé les passerelles, les premiers immigrés siciliens de ce jour : samedi 10 septembre 1892 débarquent en terre africaine ; ça-y-est ils sont sur le sol tunisien.

Le tour de Biagio et Vannino arrive enfin, ils empruntent avec leur chargement la passerelle et aussitôt ils se retrouvent à terre. Les voilà maintenant orientés vers une file qui attend patiemment les formalités de police, de douane, des services d’immigration. Il est près de onze heures malgré la chaleur encore si forte en septembre, la foule est silencieuse, on attend le fameux ‘bollo’ (tampon) qui fait de vous un nouveau citoyen.

Vannino nullement ennuyé par ces longues minutes d’attente ouvre grands ses yeux et bien grandes ses oreilles, il voit circuler des hommes portant une calotte rouge, vêtus pauvrement, ils portent tous la moustache cela ne l’étonne pas beaucoup, les Siciliens portent aussi la moustache ; par contre il ne comprend pas leur langage. La plupart s’affairent avec de lourds chargements autour de charrettes tirées par des chevaux qui lui paraissent plus frêles que ceux qu’il avait l’habitude de voir, le sol est jonché de détritus des restes de chargements de tomates, de courgettes et de melons ; ceci aussi ne le choque pas, à Comiso, après le marché il avait vu les mêmes tas d’ordures laissés par les marchands.

Bientôt le père et le fils sont devant une sorte de bâtisse, des soldats qui portent des fusils en gardent l’accès, un officier en casquette semble commander ce détachement ; Biagio et Vannino entrent dans le bâtiment un autre officier commande à deux hommes en uniforme de les fouiller, Biagio qui n’a pas compris le langage de l’officier, a un geste de recul, il est empoigné vigoureusement, il n’est plus libre; avant même qu’il puisse esquisser un mouvement , un homme s’approche de lui et lui parle en Sicilien : «  nu riri nienti è siempre acussi » (ne dis rien c’est toujours ainsi).

Ce fut le premier contact avec les autorités françaises ; mais après tout c’est une situation normale pour satisfaire aux procédures d’immigration. Le certificat reçu en Sicile fut transformé en un certificat en langue française, un coup de tampon vint officialiser le tout. Enfin les voilà complètement libres, mais livrés à eux-mêmes. A aucun moment ils n’ont vu les autorités italiennes, personne pour les accueillir.

Biagio déplie un papier qu’il a gardé précieusement enfoui dans une poche de son veston qu’il porte malgré une chaleur étouffante, c’est l’adresse que lui ont transmis leurs amis Caruso de Comiso.

Heureusement d’autres Siciliens lui expliquent que Tunis est éloigné de quelques kilomètres et que les charrettes chargées d’hommes et de bagages vont à Tunis. Avec son langage il se fait comprendre de l’homme qui conduit la charrette et ils montent avec leurs caisses et leurs sacs.

Biagio Gurrieri entame son aventure tunisienne.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 13 juin 2012 : 16:58

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CHAPITRE 2 : LA RENCONTRE AVEC SUZZA

L’histoire tunisienne de la famille de Biagio se confond avec celle des Italo-tunisiens ou plutôt des Siciliano-tunisiens, car l’essentiel de l’immigration italienne en Tunisie provient de Sicile.
Les premiers Italiens à s’installer en Tunisie sont les Génois qui occupent la région côtière nord-septentrionale et la petite ville d’origine phénicienne puis berbère de Tabarka. Du reste le fort génois domine le port de pêche (du nom antique de Thabraka qui signifie en berbère pays des bruyères). Une famille génoise les Lomellini, s’approprie la ville jusqu’au début du XVIIIéme siècle.

Auparavant de nombreux juifs émigrent de Livourne vers Tunis et développent des échanges commerciaux avec l’Italie. Dans le dernier quart du XIXéme siècle de nombreux réfugiés et exilés dont Giuseppe Garibaldi viennent grossir les rangs des Italo-tunisiens. Mais une fois l’unité italienne réalisée ce sont les Siciliens qui émigrent en très grand nombre pour atteindre jusqu’à 70% des italiens de Tunisie. Le peuplement italien atteint les 100 000 âmes en 1900, ce qui en fait la communauté la plus nombreuse avec les Israélites.

Lorsqu’en 1881 la France occupe la Tunisie, l’immigration italienne est progressivement stoppée. Une méfiance réciproque s’installe entre l’Italie et La France mais les Italiens bénéficient d’un statut particulier grâce aux accords Franco-italiens de Paris signés le 28 septembre 1896, au terme desquels les Italiens disposeront d’écoles, d’un hôpital, de banques, de journaux et même d’une association culturelle la ‘Dante Alighieri’. La communauté italienne conservait sa nationalité d’origine, la liberté de commerce et l’extraterritorialité en matière de pêche et de navigation.

C’est donc tout naturellement que les pêcheurs siciliens traversèrent le bras de mer (70 km à partir de Pantelleria) qui les séparait de la Tunisie pour fonder le port de ‘La goletta’ qui trouve son origine dans gola (gorge) du fait qu’il entraine le visiteur dans un petit conduit fluvial. Autre interprétation le mot ‘Goulette’ pourrait venir de l’arabe ’Halk El Oued’ autrement dit le goulot du fleuve : c’est là que s’installe le gros des premiers immigrés siciliens et quelques maltais.

La ville devient quasiment une ville sicilienne, avec ses coutumes et ses évènements (le 15 Août on marche en procession derrière la vierge rapportée de Trapani). Le fait est qu’en cette fin de XIXéme siècle, la Régence de Tunis (c’est ainsi que la France a nommé juridiquement, son leadership sur la Tunisie, on emploie aussi le terme de protectorat) ressemble à une colonie italienne sous administration française.

Cette relative autonomie permit aux Italo-tunisiens de participer pleinement au développement du pays. En cette fin de siècle tout était à construire, églises, hôpitaux, écoles, routes, rues, réseaux, immeubles, bref le travail ne manquait pas et les capitaux tant français, qu’italiens affluaient ; la main d’œuvre aussi.

Une corporation était particulièrement appréciée : celle des ‘ scapellini’ (les tailleurs de pierres). Biagio était scalpellino, il prit très vite la mesure de l’énorme opportunité qu’il y avait à exercer cette profession. La plupart d’entre eux venait de Ragusa, et des villes voisines, Modica, Scicli, Noto, mais les plus réputés venaient de Comiso. Pourquoi cette corporation a-t-elle connu un tel essor, la raison essentielle en est l’important tremblement de terre du 11 janvier 1693 qui détruisit en Sicile, une grande partie de ces villes et de quarante autres centres urbains ; La reconstruction permit l’émergence d’un art architectural particulièrement flamboyant : ‘le baroque sicilien’. On eut recours à des centaines de maçons, de tailleurs de pierre et de sculpteurs ; dans chaque famille il y avait au moins un ‘scalpellino’, en sicilien ‘scarpellino’.

Revenons à cette journée du 10 septembre 1892, Biagio et son fils Vannino se retrouvent dans les ruelles de Tunis la foule très colorée et grouillante se presse vers le ‘bazar’, l’après-midi est bien entamée et tous deux se dirigent comme ils peuvent au milieu de ces hommes (il y a surtout des hommes) qui parlent une langue que Vannino n’a jamais entendu. Après bien des recherches, chargés comme des mules ils retrouvent la petite échoppe de leur ami Luciano Caruso ; les retrouvailles entre les deux amis sont particulièrement chaleureuses. Ils posent leurs bagages et Luciano leur offre à boire, puis il donne au petit Vannino un morceau de pain et une belle tomate qu’il a prélevé sur son étal, car Luciano tient une petite épicerie.

Les deux adultes discutent, pendant que l’enfant regarde avec curiosité le spectacle de la rue.

Luciano était l’un des enfants d’une famille de meuniers qui possédaient un moulin non loin de la petite bourgade de Comiso. Mais comme pour le moulin de ‘Maître Cornille’ qu’Alphonse Daudet nous a si bien conté, les moulins naturels à vent et à eau (celui des Caruso était à eau) périclitèrent jusqu’à voir leur activité disparaître complètement au début du XXème siècle.

Sans doute pour prendre les devants ou alors parce que le moulin ne pouvait nourrir toute la famille, Luciano décida de tenter sa chance en Tunisie comme des milliers de Siciliens.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 16 juin 2012 : 13:01

A mio Amico Umberto.


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Le début de soirée étant proche, Luciano entraîne Biagio chez lui.

Luciano habitait un modeste appartement dans une rue mal éclairée de la ville arabe. Cette dénomination de ville arabe prit tout son sens lorsque de larges rues et de belles avenues furent tracées au début du XXème siècle et constituèrent par opposition la ville moderne et européenne.

La ville arabe c’est la Médina. La plupart des Siciliens se regroupèrent ainsi dans de petits immeubles à deux niveaux qui se trouvaient dans les rues étroites de la médina. Un portail ordinaire donnait sur la rue, passé ce portail la maison s’ouvrait sur un patio autour duquel de petits appartements se serraient les uns contre les autres. Cette architecture est caractéristique des constructions d’habitations d’Afrique du Nord. Au Maroc ces habitations beaucoup plus grandes et richement décorées, s’appellent des Riads que les riches touristes se disputent encore aujourd’hui. Au premier niveau une petite galerie faisait le tour du patio et permettait à chaque famille d’accéder à son appartement.

Le patio outre le fait de servir de cadre à l’habitation, est un élément fondamental de la vie quotidienne, rien de ce qui se passe chez les uns et les autres n’échappe à l’œil curieux, perspicace et inquisiteur du patio. Tout ce qui ne relève pas de la stricte intimité, est happé par le patio : on s’y marie, on y danse, on y joue, on s’y dispute, on s’y entraide et on y pleure tous ensemble la disparition d’un être cher. Le patio est à la fois un lieu de passage et le centre névralgique de tous les évènements. Le patio a sa propre personnalité, le patio vit au rythme de ses résidants, il porte le nom de la personne la plus représentative, (qui ne connaissait pas dans la communauté sicilienne, le patio de ‘Donna Ninfa’, réputé pour la bonne humeur de ses soirées) ; il alimente enfin les rumeurs qui se propagent le plus souvent de patio en patio.

L’appartement de Luciano se trouvait dans une petite rue mal éclairée, la plus grande partie des Comisani (on dit aussi Cumisari) s’étaient regroupés dans la même rue. Il avait entraîné dans son aventure ses deux sœurs Biagina et Palma ; Biagina était célibataire, et habitait alors avec lui. On se serra un peu pour faire place à Biagio et Vannino, mais ça serait vraiment pour quelques jours, le temps pour Biagio de trouver du travail.

Le lendemain Biagio se rendit au rendez-vous des embauches, il se présenta à un représentant de la corporation des ‘scalpellini’ ou ‘scarpellini’, il n’y eut guère besoin de longs discours, on savait déjà que Biagio Gurrieri avait quitté Comiso pour venir travailler en Tunisie, la réputation des ‘scarpellini cumisari’ n’était plus à faire. On lui demanda s’il était prêt à se rendre immédiatement sur le chantier. Biagio demanda d’aller chercher ses outils à la maison. Il avait du, par obligation, abandonner bien des choses, mais un Sicilien ne se sépare jamais de ses outils de travail. Il eut tout juste le temps de confier son petit, à Biagina et il prit le chemin de son chantier.

Lorsque Biagio prit la décision de quitter Comiso, il venait de perdre sa femme qui lui laissa un enfant, Vannino. L’histoire de Biagio est peu commune, car lorsque son épouse, la mère de Vannino, expira, Biagio venait de perdre sa troisième femme. En effet il s’est marié trois fois et trois fois chacune de ses épouses s’est mis en tête de le laisser veuf. Comme il ne pouvait se résoudre à vivre seul il retenta chaque fois l’expérience sans succès. La troisième fois pensant que les Siciliennes de Sicile étaient fragiles, il voulut tenter sa chance ailleurs. Mais ne soyons pas sévères avec le pauvre homme, son but essentiel était de trouver du travail et nourrir son enfant Désormais il était exaucé et c’est sans état d’âme qu’il se rendit à son travail.

Les jours s’écoulaient ainsi, on avait inscrit Vannino à l’école et son père venait le retrouver après plusieurs jours. Un jour Biagio déclara qu’il avait une grande nouvelle à annoncer, l’entrepreneur qui l’employait lui avait déniché une chambre avec cuisine, non loin de la rue où logeait Luciano, ainsi il pourrait enfin remercier Luciano de l’aide qu’il lui avait apporté, il demanda seulement qu’on puisse s’occuper de Vannino, bien entendu il paierait pour sa pension. Il compta les pièces qu’il avait sorties du gousset de son gilet et trouva qu’il y en avait assez pour acheter un lit, quelques couvertures et régler la pension.

Quelques jours plus tard, Biagio s’installe définitivement ‘rue des teinturiers’ qui avait la particularité d’avoir accueilli l’essentiel de la colonie ‘cumissara’. Le petit Vannino est toujours accueilli chez Luciano. Lorsque Biagio revient de ses chantiers il récupère son fils, non sans avoir auparavant fait un brin de causette avec ses hôtes. Biagio est né le 29 juin 1850, lors de son départ pour la Tunisie c’est un bel homme mûr de 42 ans, il porte une belle moustache aux pointes légèrement relevées, et des cheveux bruns coiffés en arrière. Comme tous les Siciliens, pendant ses temps libres il aime s’habiller, et sous sa veste il porte un gilet de soie, duquel pend une chaine d’or reliée à la magnifique montre à gousset qui lui vient de son père.

Malgré sa petite taille il a plutôt tendance à plaire aux femmes. Malheureusement la vie ne lui a guère souri et ce veuf (trois fois veuf) est venu seul, seul mais libre.

Cet homme dans la force de l’âge ne pouvait guère rester longtemps célibataire. Au fil des rencontres avec la famille Caruso, des regards furent échangés avec l’une des deux sœurs. Petit à petit des sentiments naquirent et ainsi curieuse coïncidence Biagio et Biagina se plurent. Biagina avait un surnom on l’appelait Suzza, surnom ou diminutif difficile de le savoir, mais pour Biagio ce fut Suzza.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 17 juin 2012 : 13:38

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Mais à cette époque, il était hors de question d’établir des relations amoureuses hors mariage.

Biagio était libre de tout engagement Suzza également, rien ne s’opposait à un mariage mais pour mériter le qualificatif de famille peu ordinaire, il fallait rompre avec les habitudes, les conventions et les pesanteurs d’un contrôle social contraignant et pesant pour l’époque.

C’est ce qui fut fait, Suzza alla s’installer chez Biagio et c’est ainsi que commença leur vie de couple. (il faudra attendre 100 ans et une formidable évolution des mœurs pour voir se multiplier les couples hors mariage, à cette époque en Sicile ça n’existait pas). Cette situation fut cachée et devint très vite un secret de famille (le premier secret de famille).

Personne n’en parlait si bien que très rapidement tout se passa comme dans n’importe quel couple, et sans que Suzza fût considérée comme ‘déshonorée’ elle tomba enceinte. Entre-temps la vie s’écoulait paisiblement, Biagio alternait ses absences pour travailler sur des chantiers lointains et quelques rares moments de présence où il apportait une partie de son maigre salaire qui suffisait juste à subvenir au besoin de sa femme et de son fils.

Vannino allait à l’école italienne, malheureusement orphelin de mère, il avait du mal à trouver auprès de la femme de son père le réconfort que l’on trouve auprès d’une maman. La grossesse de Suzza parvint à son terme et elle donna naissance à un beau garçon qui ressemblait tout à fait à son père, il se prénomma Salvature qui se déclinait en Ture puis en Turiddo.

Cette naissance loin de réduire la précarité du couple ne fit que l’augmenter au point de la rendre insupportable. Suzza qui avait beaucoup de mal à joindre les deux bouts envoya même Vannino travailler en dehors de la période scolaire, chez un barbier du quartier. En attendant Vannino grandissait, il était un bon élève et il jouait avec le petit Turrido qu’il prit en tant que grand frère, sous sa coupe.

La petite famille vivait difficilement, certes Bagio travaillait, le travail ne manquait pas. Tunis après plusieurs siècles d’immobilisme s’étendait et se développait, et la ville européenne en prenant de l’ampleur était toujours avide de main-d’œuvre ; toutefois celle-ci n’était pas très bien payée et les familles siciliennes avaient beaucoup de mal à survivre. Suzza pour essayer d’augmenter le budget familial vendait sur le marché quelques légumes qu’elle se procurait par l’intermédiaire de son frère Luciano.

Vannino était maintenant un jeune adolescent qui avait une belle prestance. Il était plutôt doué pour les études, pourtant son rêve était d’exercer le même métier que son père. Il s’essayait au burin et il avait appris à lisser la surface de la pierre. Les ‘scalpellini’ siciliens n’étaient pas de grands sculpteurs comme les illustres artistes que l’Italie a connu au cours des siècles, mais ils étaient de très bons ouvriers de la taille de la pierre, ils en connaissaient la structure profonde et au son de leur burin ils savaient comment l’appréhender, la maîtriser.

La plupart des grandes réalisations de Tunis furent l’œuvre des ‘scalpellini’ siciliens.

Biagio travaillait maintenant non loin de Tunis, absent la semaine, il pouvait rentrer le dimanche. Ce jour là c’était un peu la fête dans la maisonnée. Il venait les bras chargés de victuailles qu’il s’était procuré dans les environs. Parfois il avait dans son sac une poule ou un lapin, différents légumes et même des fruits ; il posait alors sur la table toutes ces denrées qui faisaient briller les yeux des enfants.

Turrido avait maintenant quatre ans ; il n’allait pas encore à l’école, mais il était plutôt dégourdi pour un enfant de cet âge, entre un frère plus âgé et une mère submergée par les tâches quotidiennes, il avait appris à se débrouiller.

Absent la semaine, Biagio ne restait pas inactif à la maison, certes il prenait le temps de rencontrer ses amis de ‘Comiso’, de s’enquérir des nouvelles du pays, mais il ne manquait pas d’assumer ses responsabilités qui conduisirent Suzza à connaître sa deuxième grossesse. Cette fois ce fut un petit ‘Peppino’ qui vit le jour. La famille s’est agrandie, désormais Suzza doit s’occuper de trois garçons, les salaires des ‘scalpellini’ n’ayant pas notablement augmenté la naissance de ‘Peppino’ en sicilien ‘Pippino’ ajouta de la difficulté aux autres difficultés.

Mais Suzza courageusement (et il fallait beaucoup de courage pour élever trois enfants avec l’incertitude matérielle du lendemain) assuma son rôle. Aujourd’hui à la lumière des évènements passés il serait difficile de dire que l’entreprise fut totalement réussie. Vannino souffrait bien sûr d’être le demi-frère de ‘Turiddo’ et ‘Pipino’, il souffrait au fond de ne pas être le fils de Suzza.

Plus âgé que ses deux frères il était bien souvent l’objet de réprimandes. Il en garda une certaine amertume qui le conduisit bien plus tard à prendre des décisions qui modelèrent de façon inattendue le cours de sa vie.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 21 juin 2012 : 00:59

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Cependant Luciano qui avait mal accepté le statut instable de sa sœur, pressait Biagio de régulariser sa situation. Biagio qui ne voulait pas déplaire à son beau-frère en fit la promesse, sans pour autant s’exécuter. Les mois passèrent, on changea bientôt de siècle.

La première année du nouveau siècle était passée, Suzza tomba enceinte pour la troisième fois. Luciano perdit alors patience et somma Biagio de respecter son engagement, mais surtout d’assumer toutes ses responsabilités familiales et de régulariser une situation qui n’avait que trop duré.

Biagio ne souhaitait pas entrer en conflit, il ne cherchait pas à s’opposer ouvertement, du reste en signe de gage il déclarait qu’il avait reconnu ses enfants, qu’il leur avait donné son nom et qu’il s’acquitterait de sa dette envers Suzza le plus tôt possible. Un petit ‘Paolo’ diminutif ‘Paolino’ en ‘cumissaro’ c’était ‘Paulino’, vint s’ajouter à la nombreuse famille.

Biagio reconnu ce nouvel enfant, mais dans la précipitation des évènements il ne corrigea pas l’erreur de l’employé de l’état civil qui rédigea le nom de famille Gurreri au lieu de Gurrieri. Ainsi le dernier enfant n’avait pas le même nom que ses trois autres frères.

A la naissance de ‘Paulino’ le conflit entre Luciano et Biagio prit un tour aigu. Luciano interpella très sèchement son ancien ami et le menaça de prendre toutes les dispositions qui s’imposaient. Biagio soit qu’il fut pris par son travail soit qu’il s’appliqua à faire traîner les choses, ne prit pas l’avertissement au sérieux.

Le coup de théâtre se produisit à l’initiative de Luciano, lassé du comportement pour le moins indolent de Biagio décida de faire en sorte que sa sœur ait une situation régulière et stable. N’étant pas en mesure d’obliger Biagio à s’exécuter, il prit des dispositions afin que sa sœur devint néanmoins et par le mariage : Biagina Gurrieri.

Pour les Italiens qui étaient sous statut particulier, il n’y avait pas de mariage civil. On se mariait à l’église qui enregistrait les actes pour les transmettre ensuite au consulat d’Italie, celui-ci transformait l’acte religieux en acte civil qui ne devenait officiel que lorsque l’autorité italienne adressait le document aux autorités françaises.

Il convient de préciser que jusqu’à la Révolution, la France était soumise à ces mêmes règles, seul le mariage religieux était reconnu.

Les registres paroissiaux tenaient alors lieu d’état civil. La loi du 20 septembre 1792 instaure définitivement le mariage civil qui devient le seul valable aux yeux de la loi ; il doit précéder toute cérémonie religieuse.

Le non respect de cette règle est constitutif d’un délit (sauf pour la Tunisie qui bénéficie d’une dérogation). Le baptême républicain fut également institué au nom du principe que seules les municipalités étaient habilitées à établir des actes civils (loi du 8 juin 1794-20 prairial an II).

Mais à l’inverse du mariage aucun texte législatif ne vint officialiser la mesure ; ce qui le rendit facultatif ; de fait il tomba en désuétude. En Italie les choses étaient plus compliquées, après l’unité italienne, le nouvel état s’intéressa à la reconnaissance d’une cérémonie strictement civile, notamment pour les athées; mais la pression exercée par l’église rendit la mesure inefficace officialisant le statut quo, jusqu’au concordat de 1929 qui reconnu le mariage religieux comme seul acte d’état civil.

L’obligation du mariage civil fut instituée bien plus tard au milieu du XXème siècle.

Luciano se rendit donc à la nouvelle belle cathédrale de Tunis, (appelée aussi cathédrale Saint Vincent de Paul, elle fut construite entre 1893 et 1897, Biagio contribua sans doute à son édification car les ‘Scalpellini’ furent largement mis à contribution). Elle se dressait magnifiquement belle au tout début d’une très grande esplanade : l’esplanade de la Marine qui à l’origine en 1885 n’était qu’un immense champ tout en longueur, boueux et mal odorant car des égouts à ciel ouvert (les khandaqs) le parcouraient et se déversaient dans le lac Bahira appelé aussi Chicly, du nom de l’île et du château en ruine qui se trouvait au milieu du lac et qui aurait été construit selon la légende lors de la conquête de Tunis par Barberousse ; en réalité la présence de vestiges romains rendent l’hypothèse improbable.

Il rencontre le curé et fait dresser à l’insu de Biagio, des actes de mariage au nom de Biagio Gurrieri et de Biagina Caruso. Les bans publiés il ne manquait plus que la cérémonie officielle qui fut fixée au samedi 16 mai 1903 jour de la St Honoré comme si symboliquement celui-ci rétablirait Biagina dans son honneur.

Le Curé était-il dans la confidence, il est difficile de le savoir, mais le coup fut préparé dans la plus totale discrétion. Ainsi ce samedi 16 mai par une très belle journée de printemps, Biagina au bras de son frère Luciano qui joua pour l’occasion le rôle du futur époux entra dans l’église pour épouser Biagio Gurrieri.

Pour la famille Caruso qu’importait cette entorse à la morale chrétienne puisque ‘Dieu reconnaitrait les siens’, néanmoins cet évènement devint le deuxième grand secret de famille.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 21 juin 2012 : 01:00

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En fait, lorsqu’il l’apprit, Biagio ne l’entendit pas de cette oreille, mais comme à son habitude plutôt que d’ouvrir la voie à un scandale caractérisé, il préféra rompre devant l’obstacle ; il rompit si bien qu’avec la même discrétion qui avait présidé au mariage blanc, il organisa en silence sa fuite.

Et quelques jours après cet évènement il prit un billet de retour sur le premier bateau en partance pour la Sicile. C’est là que se perd la trace de Biagio ou plutôt on suppose qu’après un retour à Comiso il préféra abandonner son passé à l’oubli. Pourtant lors d’un voyage en Sicile à Comiso deux de ses descendants rencontrèrent un autre fils de Biagio né après l’épopée tunisienne qui ressemblait à s’y méprendre à Turiddo.

Biagio avait-il encore sacrifié à son besoin inextinguible de procréer ? Comiso perd officiellement la trace de Biagio, aucun acte civil ou religieux ne nous informe sur ce que devint Biagio, le souvenir évanescent de ce qu’il fut, continue d’alimenter les échanges mi amusés, mi irrités de ses descendants.

Il laisse à Tunis une femme qui porte indûment son nom, quatre fils dont l’aîné provient d’un autre lit et toute une famille dans le plus grand dénuement.


CHAPITRE 3

LES ANNEES GALERES

Alors commencent les années les plus difficiles qu’une famille (on dit aujourd’hui monoparentale) puisse connaître. Suzza se trouve livrée à elle-même, sans la moindre ressource (les services sociaux sont, à cette époque, inexistants ou réduits à la plus simple expression). L’aide précieuse apportée par Luciano, son frère, n’y suffit pas. Suzza se lève aux aurores, pour vendre ses légumes au marché central.

Le marché central de Tunis est sans doute l’un des plus beaux marchés d’Afrique. Construit à la fin des années 1890, il allie son architecture de type colonial et la finesse de ses décorations faites de faïences richement colorées. Comme dans tous les marchés arabes les denrées sont regroupées par catégories, sur le milieu les légumes et les fruits, tout autour des galeries couvertes où l’on trouve les marchands d’épices, les poissonniers, les bouchers, les volaillers les fromagers et même les épiciers.

La vente a lieu exclusivement le matin. A ses débuts le marché constituait un lieu de rencontre et d’échanges, la saisonnalité des produits était parfaitement respectée, sauf pour la poissonnerie qui proposait à la vente la pêche de la nuit. Seul le mauvais temps en mer avait raison de la présence des marchands.

Le marché était également un lieu de brassage social, car du plus riche au plus pauvre, il manquait quelque chose à la journée, si l’on n’avait pas fait son tour au marché. Le Ramadan ne changeait rien aux habitudes, que l’on soit musulman ou non musulman le marché gardait sa traditionnelle animation où vendeurs et acheteurs toutes religions confondues échangeaient dans toutes les langues.

Suzza vendait des tomates, des pommes de terre et parfois des haricots ou des petits pois. Elle vendait pour le compte de son frère. Le travail était dur et pénible car il nécessitait des efforts physiques, trop importants pour une mère qui avait eu trois enfants. Plus tard, elle trouva une autre activité, elle pétrissait de la pâte qu’elle apportait à l’aube à un boulanger.

Sentant que néanmoins elle n’y arriverait pas elle mit au travail ses jeunes enfants. Vannino qui désormais était un jeune homme très près de l’âge adulte avait fait de bonnes études par rapport à l’époque et par rapport au milieu familial dont il était issu, il avait pris sous son aile protectrice Turiddo qu’il poussa le plus loin possible à l’école. Il finit par renoncer lorsqu’à l’adolescence il fallut rapporter de l’argent à la maison.

Pipino et Paulino eurent moins de chance, Pipino accompagna son frère Turiddo sur les chantiers car ils entreprirent d’exercer le métier de ‘scalpellino’ comme leur père. Paulino quitta l’école à neuf ans et fut placé chez un barbier qui lui donnait deux sous par semaine pour nettoyer la boutique, balayer cheveux, barbe et moustaches.

Devenu plus tard coiffeur, il n’oublia jamais son expérience d’enfant ouvrier. Il racontait comment le ‘maître’ le rudoyait ; mais aussi de manière plaisante, ces séances douloureuses où le barbier se transformait en arracheur de dents, les cris de douleur des patients emplissaient tout le quartier ; une fois sa besogne d’arracheur de dents terminée le barbier reprenait son activité.

Il avait un rasoir qui impressionnait le jeune Paulino, le patron se saisissait de l’affuteur en cuir déposait un peu de pâte d’affûtage et alors commençait une longue séance de va et vient du rasoir sur la bande de cuir. L’affûtage du rasoir terminé, Paulino préparait la mousse dans un bol de cuivre jaune avec un blaireau et le barbier rasait la barbe de l’homme assis au fauteuil avec les gestes théâtraux d’un artiste. Le barbier affinait aussi les moustaches des clients. La plus grande partie des hommes mûrs portaient la moustache, celle-ci avait évolué au fil de l’histoire, dans ce début de XXème siècle elle était abondante mais remontait pour se terminer en forme de crocs.

C’était sans doute là, l’exercice le plus délicat : il fallait affiner la coupe jusqu’à ce que chacune des deux parties de part et d’autre de la bouche et du nez devienne aussi pointue qu’un dard. Lorsque le client le demandait Paulino allait chercher la boîte de cire pour que le ‘maître’ puisse cirer et tourner les pointes.

Turrido et Pipino sur les chantiers, Paulino chez son barbier, Suzza connut une période de répit. Mais devant la dureté de la tâche qu’ils devaient assumer alors qu’ils étaient à peine sortis de l’enfance ses fils finirent par cultiver un ressentiment à l’égard de leur mère ; plus tard adultes ils lui tournèrent le dos et l’abandonnèrent ; lorsque la vieillesse fit son œuvre, finit par l’atteindre, elle se trouva totalement démunie.

Seul le plus jeune des fils, Paulino resta attaché à sa mère et l’hébergea et la nourrit jusqu’à sa mort.



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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 22 juin 2012 : 01:33

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Paulino était donc coiffeur, hardi pour l’époque, il décida à vingt ans d’aller travailler en France, lui le petit sicilien sans études et sans culture. Deux ans de suite il honora plusieurs contrats d’abord à Paris puis dans une station thermale d’Auvergne : Châtel-Guyon.

Dans cette année de 1923 où le métier de coiffeur-barbier se résumait à couper les cheveux et la barbe des hommes, il découvrit en France la coiffure féminine surtout dans les beaux salons où la clientèle était issue de la bourgeoisie. Plus tard il devint un coiffeur pour dames très apprécié. C’est aussi à cette époque qu’il devint le coiffeur attitré du baron Rodolphe d’Erlanger et de sa famille dont le nom est définitivement lié à l’histoire de la Tunisie.

(Aujourd’hui la maison d’Erlanger située à Sidi Bou Saïd, est un musée national des instruments de musique du monde).

Pour mieux comprendre l’environnement dans lequel évoluent nos personnages, attardons nous un peu sur la description de ce ‘Tunis’ de 1900. Tunis a vécu de nombreux siècles et notamment dans l’antiquité à l’ombre de Carthage. Sans contestation la ville la plus célèbre dans le monde est Carthage et non Tunis.

Qu’est ce qui fit que Tunis devint petit à petit la Ville-Etat de ce petit pays qu’est la Tunisie (on remarquera la proximité orthographique entre la ville et le pays) ? Sans doute la punition que la Rome toute puissante infligea à Carthage en 146 av JC à l’issue de la troisième guerre punique et après 100 ans de combats acharnés.

(Enfant, je me suis souvent demandé d’où venait le mot punique, alors qu’aucune étymologie ne le rapproche de Carthage. En fait en latin on employait deux mots pour appeler les Carthaginois : Cartaginienses dans tous les écrits, mais plus facilement et verbalement Poeni dérivé raccourci pour désigner les Phéniciens dont sont originaires les Carthaginois, d’où le mot punique).

La puissance maritime de Carthage anéantie, alors qu’elle contrôlait la méditerranée occidentale, la circulation maritime redevint normale et accessible à tous et notamment aux peuples de la rive orientale. Tunes (ancien nom de Tunis) grâce à sa position privilégiée, nichée sur un promontoire rocheux permettant de contrôler l’étroit passage entre la Sicile et la Tunisie, devint au fil des siècles une proie enviée par tous les envahisseurs à commencer par les arabes qui dès le VIIème siècle s’emparèrent de la ville.

Puis plusieurs siècles durant elle fut l’objet de luttes fratricides entre musulmans de rites différents (sunnites et chiites). Tunis change de mains plusieurs fois, lorsque survient le conflit majeur entre Chrétiens et Ottomans pour le contrôle de toute la méditerranée qui connaît son épilogue au cours de la bataille de Lépante où la Turquie perd les trois quart de sa flotte et près de 30 000 hommes.

Musulmans andalous et juifs partis d’Espagne investissent Tunis avec la bénédiction de l’empire ottoman, et façonnent la médina telle qu’elle existe encore aujourd’hui. Ils complètent leur œuvre par la construction d’une kasbah sur les hauteurs (Une kasbah est une citadelle, à ne pas confondre avec médina qui veut dire le cœur de ville).

Au cours du XVIème siècle on assiste à une lente mais continue perte de souveraineté de l’empire ottoman sur la Tunisie, le système de contrôle du Maghreb par la ‘Sublime Porte’ (nom donné à la Turquie) se relâche au bénéfice des deys d’Alger et de Tunis eux-mêmes supplantés par le bey de Tunis.

En 1705 Hussein Bey crée un état à caractère monarchique avec une succession héréditaire qui va perdurer jusqu’en 1957 après l’indépendance de la Tunisie. De nombreux palais vont abriter les différents beys, l’un d’eux le palais du Bardo est transformé en 1888 en musée, sans doute le plus important du bassin méditerranéen pour la richesse de ses mosaïques romaines et les pièces rares trouvées sur les sites libyco-puniques.

Si les musulmans occupent presque exclusivement la médina, les juifs créent un quartier qui mord en partie sur la médina : ‘La Hara’.

Selon certains historiens la construction de ’la Hara’ aurait été commencée au XIIème siècle, mais plus sûrement sous l’empire ottoman aux XVème et XVIème ; les juifs bénéficient d’un statut favorable en tant que sujets du bey, sous leur impulsion, le quartier se développe jusqu’à atteindre 11 000 âmes dont 8000 juifs.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 23 juin 2012 : 02:08

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Lorsque les Européens débarquent en nombre à partir de 1860, ils découvrent une ville enserrée dans ses remparts avec 23 portes d’accès dont on a conservé les plus importantes.

A l’est et au sud une immense plaine insalubre et humide rejoint le lac Bahira, étendue d’eau salée créée par un triple tombolo. Les historiens et les géologues se perdent en conjectures, mais tout porte à croire que ce site est absolument naturel et non façonné par la main de l’homme ; même si plus tard l’homme a tenté de le réaménager.

C’est sur cette plaine insalubre que Français et Italiens vont bâtir une ville de type européen avec de larges avenues et boulevards à l’image, en réduction bien sûr, du Paris d’Haussmann. Le contraste entre ville européenne et ville arabe est saisissant. En l’an 1900, Tunis est un immense chantier ; pour permettre les échanges entre médina et la nouvelle ville les remparts sont progressivement abattus.

Contraste aussi entre peuplement des Italiens qui investissent dès leur arrivée les habitations disponibles dans la médina et peuplement des Français qui s’installent petit à petit dans les nouveaux quartiers. Cette différence tendra plus tard à s’estomper au fur et à mesure que la ville s’étendra.

La vieille ville étant saturée, les siciliens de Tunis vont créer, cependant, un quartier ‘la petite Sicile’ voici l’histoire de ce quartier telle que nous la relate Paul Sebag dans son livre ‘Tunis : histoire d’une ville’. « A la veille du protectorat une dame de la bourgeoisie italienne Gnecco par sa naissance, Fasciotti par son mariage avait obtenu du bey régnant, à titre gracieux, la propriété d’un terrain quasiment insalubre sur les rives du lac de Tunis.

Cette dame, fort avisée, eut l’idée d’agrandir sa propriété, en offrant deux caroubes soit le huitième d’une piastre (unité monétaire adoptée par plusieurs pays et qui avait cours dans l’empire ottoman), à chaque arabatier (charretier) qui viendrait déverser une tonne de gravats sur les rives du lac.

Certains se souvenaient avoir vu la dame assise sur un pliant, versant leur du à ceux qui lui permettaient de gagner des terres sur le lac. Sa propriété finit par atteindre les dix hectares. A l’instauration du Protectorat, le prix du terrain monta en flèche. Plutôt que de vendre la dame morcela puis loua le terrain aux nouveaux immigrants siciliens, leur permettant de bâtir une maison légère à condition de la démolir à la fin du bail.

Ainsi fut créé ce quartier de Tunis où se massèrent les familles les plus modestes. La municipalité de Tunis se trouva dans l’obligation de tracer des réseaux de rues et d’égouts. Les rues reçurent les noms de Palerme, Syracuse, Messine et Trapani. Ils bâtirent une église : Saint Joseph.

Une fois tout l’espace occupé, les Italiens tentèrent leur chance plus loin et créèrent ‘la Petite Calabre’ moins étendue et moins animée.

Autre particularité de cette ville de Tunis de ce début de siècle, chaque communauté crée son quartier ; ainsi les maltais comme les Italiens s’installent aux confins de la vieille ville et de la ville moderne tout au long d’une artère appelée ‘rue des Maltais’ et dans un périmètre appelé ‘Malta Srira’ (petite Malte)

La médina, l’habitat naturel des tunisiens (musulmans et juifs), là où aboutirent les premiers immigrants siciliens fut construite sur un ensemble de collines descendant progressivement vers le lac. Les premières constructions datent du VIIIème siècle autour de la mosquée Zitouna (l’une des plus réputées et des plus anciennes du monde arabe) construite en 732 (la même année que la bataille de Poitiers).

L’articulation des espaces n’est pas aléatoire, elle obéit à la codification complexe des rapports humains : architecture domestique (palais et maisons), officielle (administrations, bibliothèques), religieuse (mosquées, médersas), de service et de commerce (fondouks, souks). La ville s’ouvrait sur l’extérieur par plusieurs portes (bab), la plus ancienne est Bab Al Jazira la plus belle Bab El Bahr (appelée porte de France sous le protectorat) qui s’ouvre sur les fondouks (sortes de caravansérail), où se massaient les ouvriers siciliens.

C’est non loin de là qu’habitèrent Biagio et Suzza puis Suzza toute seule. C’est aussi de là que partaient les souks véritable réseau de ruelles couvertes et bordées de boutiques de commerçants et d’artisans.

La notion de propriété est vague et ambiguë car les étalages des marchands débordent très largement sur la voie publique. Il existe une hiérarchie codifiée des métiers, près de la grande mosquée (La Zitouna), les métiers propres, qui ne suscitent ni bruit, ni odeur, et ne font pas appel à l’usage de l’eau ; chaque corporation a son propre souk, on dénombre plus d’une trentaine de souks.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 24 juin 2012 : 18:33

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Le souk El Kmach des marchands d’étoffes, le souk Ech-Chaouachya des fabricants de chéchias, (dont la corporation est la plus ancienne du pays : selon les historiens sa fabrication remonte au IXème siècle ; la chéchia est le couvre-chef national), de parfums (souk El Attarine), , de la broderie et de la bijouterie : souk El Birka (le seul dont on ferme les portes la nuit) ; de marchands de tapis (souk El Leffa) à la périphérie sont relégués les tanneurs, les teinturiers, les selliers (souk Es-Sallaghine), les potiers les forgerons, les ferblantiers et les dinandiers (souk En Nahs) les fabricants de babouches, les poissonniers et les bouchers (souk El Blat) .

Le souk El Grana (vente d’étoffes et confection de vêtements) est occupé par les juifs livournais arrivés depuis le XVIème siècle (‘granas’ c’est ainsi qu’on nomme les juifs venus d’Italie).

L’œil distrait, intéressé ou saturé du touriste contemporain découvre ces lieux avec détachement, il fait sa provision d’exotisme ; il ne peut imaginer qu’une foule colorée, cosmopolite, appliquée et laborieuse a fréquenté ces lieux, La ville arabe et les souks sont tels que nos parents les ont connus c’est pourquoi ils gardent intactes les marques de leur passage.

Nos parents vivaient modestement en Sicile, les familles parvenaient à se nourrir convenablement, mais sans excès ni folies et si la cuisine sicilienne est en général riche et variée, le repas était frugal. Lorsqu’ils débarquèrent à Tunis, ils purent s’apercevoir que la Tunisie regorgeait de la plupart des légumes et des fruits qu’ils consommaient chez eux. Tout au plus ont-ils introduit deux ou trois légumes qu’ils consommaient en abondance : ’ cucuzze longhe e tenerume’ (plante de courges vertes et longues), ‘broccoli’ (choux fleur), pour l’essentiel la végétation tunisienne était proche de celle qu’ils avaient chez eux. Ils développèrent en revanche certains fruits comme les ‘ficurigna’ (figues de barbarie) qui en réalité s’écrit ‘ficu d’Innia’, litéralement figue d’Inde (le d se prononçant r dans la région de Ragusa) ou encore ‘ficupala’ et s’étonnèrent de découvrir les grenades, pas très courantes en Sicile.

L’originalité de la Tunisie réside dans le fait que les influences des cuisines arabe, juive, sicilienne et française s’interpénétrèrent. Au bout de quelques années pâtes, couscous, frites et bien d’autres plats furent adoptées par les autres ethnies.

Le couscous est d’origine berbère mais il a été adopté par un grand nombre de pays du bassin méditerranéen. Il se décline en couscous arabe, couscous juif, couscous au poisson ; à cet égard, il convient de préciser que le couscous au poisson a connu ses lettres de noblesse tant en Tunisie dans la région de Djerba qu’en Sicile dans la région de Trapani, il se prépare essentiellement avec le mérou qui est un poisson endémique des côtes rocheuses méditerranéennes. Enfin le couscous sucré agrémenté de raisins secs, de grains de grenades ou de dattes.

Ces échanges culinaires firent qu’en très peu de temps, toutes ces cuisines qui sont toutes inspirées par les produits méditerranéens, donnèrent à cette mosaïque de peuples si divers par le langage, la religion, les mœurs et les coutumes, une unité étonnante.

Aujourd’hui l’accessibilité à petits prix des transports aériens et l’extraordinaire flux migratoire des peuples, des plus lointains aux plus proches, ont permis à nos concitoyens de connaître toutes les cuisines du monde ; pour peu que l’on souhaite faire provision d’exotisme, on se trouve transporté, le temps d’un repas, à l’autre bout du monde. Pour nos parents ce furent des découvertes de goûts, de saveurs, d’odeurs et de couleurs qui finirent par faire évoluer les habitudes alimentaires jusqu’à permettre à chacun de s’approprier avec brio la cuisine de l’autre.

Il n’en reste pas moins que chacune d’elle conserva son originalité et ses spécialités, à cet égard la cuisine juive prit le pas sur toutes les autres au point d’influencer encore aujourd’hui la cuisine populaire de France.

La cuisine juive tunisienne est l’une des plus raffinées et des plus abouties dans le monde. Mais si on veut rester sur les standards : la merguez, le couscous, les bricks tous originaires d’Afrique du Nord, tiennent une place de choix dans notre panthéon des mets venus d’ailleurs.

Un produit alimentaire en apparence inutile, pas vraiment nourrissant, difficile à consommer, bruyant quand il est mis en bouche, particulièrement gênant après consommation pour les déchets qu’il procure, mais absolument inoffensif pour la santé était particulièrement prisé : la ‘glibette’, il y avait la glibette blanche et la glibette noire (C’est la graine de la courge ou du tournesol, salée, cuite au four).

En Tunisie les ‘glibettes’ jouaient un rôle social de premier ordre, d’abord c’étaient une économie florissante pour ceux qui en assuraient la production et la préparation, c’était également le moyen pour les adolescents arabes d’en assurer la vente et de gagner ainsi quatre sous pour aider la famille, c’était aussi un formidable loisir familial, car du plus jeune au plus ancien, sans distinction d’origine, chacun avait son paquet de ‘glibettes’, les juifs particulièrement ; le vendredi soir juste à la veille du Shabbat lorsque le jour déclinait toute la famille se lançait dans un concert ininterrompu de bruit de ‘glibettes’ (car les coques sèches des glibettes font un bruit très caractéristique quand on les ouvre).

Lorsque d’aventure dans les familles on jouait aux cartes, l’enjeu devenait très vite l’achat des ‘glibettes’ à la charge des perdants.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 26 juin 2012 : 01:33

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Les petites vieilles assises sur le pas de la porte, à la fraîche consommaient leurs ‘glibettes’ et si allant au cinéma on avait le très grand malheur d’être assis non loin de mangeurs de ‘glibettes’ le bruit était tel qu’on pouvait faire son deuil du son du film.

Il ne restait plus aux exploitants du cinéma qu’à balayer, le lendemain, l’énorme tas de coques vides. On achetait les ‘glibettes’ dans un cornet en papier journal réalisé par le vendeur, tout était approximatif : le prix, la qualité, la quantité, mais personne ne se décourageait pour autant de se procurer son petit sachet.

Le lecteur non averti doit s’imaginer que les habitants de ce pays, pour se livrer à cette pratique curieuse, en groupe et sans distinction d’âge ou de niveau social, doivent être des simples d’esprit, pourtant à y regarder de près il s’agit plutôt d’une pratique spécifiquement tunisienne ; un véritable phénomène social.

Fait extrêmement piquant ; des biochimistes américains ont découvert récemment que les substances contenues dans les ‘glibettes’ venaient à bout du cholestérol le plus tenace. Je n’ose imaginer la progression de la consommation si nos ancêtres avaient reçu une telle information, mais je me demande si à cette époque on fabriquait du cholestérol.

Une autre vedette de la cuisine intercommunautaire tunisienne connaît très vite un développement transversal : le ftaïr (au pluriel ftaïri). Comme pour les ’glibettes’, le ‘ftaïr’ qui est un beignet tunisien franchit les frontières des communautés, et s’installe au centre de l’adhésion populaire.

Le ‘ftaïr’ a la particularité de désigner indifféremment l’objet et celui qui le façonne. Toutes les sources historiques font remonter le ‘ftaïr’ au moyen âge ; déjà au moyen âge le matin au lever du jour le ‘ftaïr’ (l’homme), pétrit sa pâte, une pâte molle qui colle aux doigts si on ne les mouille pas ; puis assis en tailleur devant une immense bassine remplie d’huile bouillante, il répète inlassablement les mêmes mouvements ; la réussite du beignet qui ressemble à une fine galette de 20 cm de diamètre, beaucoup plus épaisse qu’une crêpe, dépend du geste de rotation imprimé à la pâte.

Les Siciliens qui avaient dans leur tradition culinaire la confection des beignets ‘li sfinci’ (petites boules de pâte frite) adoptèrent les ‘ftaïri’, sauf que pour manger un bon beignet il fallait se rendre dans l’échope enfumée dont s’exhalait l’âcre odeur de l’huile, personne ne confectionnait de ‘ftaïr’ à la maison.

Le ‘ftaïr’ (le beignet) avait un petit frère le ‘bambalouni’ sorte de boyau circulaire que l’on sucre abondamment une fois sorti de la friture ; petite variante cependant : le ‘bambalouni’ était préparé avec une moitié de farine et une moitié de purée de pomme de terre.

Ces denrées simples, faciles à réaliser, n’ayant pas une saveur très raffinée, peu chères, ont constitué un facteur d’intégration évident non seulement pour les différentes communautés mais aussi pour les différents niveaux sociaux.

Quel habitant de la Tunisie riche ou pauvre, français, italien, maltais, russe (il y en avait aussi), juif ou musulman n’a jamais mangé de ‘glibettes’ ou de ‘ftaïr’ ?

Ma distinction des communautés peut paraître étrange, car elle mélange nationalités et religions, mais cette classification est celle qui paraissait normale aux yeux des habitants, et c’est celle qui figure sur les registres officiels de l’époque.

Ainsi j’ai relevé dans le cahier d’inscription historique de l’école de Oum Souk à Djerba, pour l’année 1906 : Français. Italiens, Maltais, juifs, indigènes (ce qui désignait les musulmans tunisiens) au Lycée Carnot de Tunis pour l’année, 1912 la classification est la suivante : français, musulmans, israélites, maltais, italiens, grecs (en fait on désigne par ce terme, indifféremment tous les orthodoxes qui se rendent dans une église orthodoxe grecque).

Pourtant les différences entre communautés, existent bel et bien notamment à propos des mariages. Il y a très peu de mariages mixtes.
Les mariages mixtes les plus courants sont ceux pratiqués au sein de la religion chrétienne. Autant dire que seuls les mariages entre français, italiens, maltais et russes (à un degré moindre) se pratiquaient, et encore, à très petite échelle.

Les mariages entre chrétiens et juifs, chrétiens et musulmans étaient rarissimes, les mariages entre juifs et musulmans étaient proscrits.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 27 juin 2012 : 02:14

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CHAPITRE 4
L’ASCENSION DE VANNINO

Lorsque son père, quitte la Tunisie, Vanino entre dans sa vingtième année, il a entrepris et réalisé des études sérieuses, et il a pris ses distances avec le cadre familial qu’il a connu depuis l’âge de huit ans.

Ses relations avec Suzza n’ayant jamais été bonnes il a eu d’autant moins de mal à prendre une totale indépendance avec la mère de ses frères. Mais il a gardé à leur égard un ascendant et une sensibilité de grand frère dont il ne s’est jamais départi, les frères acceptèrent volontiers l’autorité du grand frère et lui témoignèrent, en tout cas dans cette période de perte du repère masculin qu’est le père, respect, confiance et affection.

Vannino a fréquenté l’école italienne, il y a acquis une solide formation. C’est muni de ces outils qu’il aborde la vie professionnelle. Son itinéraire ne ressemble pas tout à fait à celui des autres immigrés venus de Sicile, il connait une ascension proportionnelle au développement naissant de Tunis.

Au fur et à mesure que les projets d’aménagement se multiplient et se concrétisent, Vannino s’installe dans une vie d’entrepreneur en maçonnerie et en travaux publics, reconnue et réputée.

Historiquement Tunis (Tunes pour les premiers musulmans qui vont façonner la ville arabe : étymologiquement, l’endroit où l’on peut se reposer) vit dans l’ombre de Carthage jusqu’au moyen-âge. C’est en 1159 (année 554 du calendrier musulman) que Tunis devient la capitale du territoire qui comprend outre la Tunisie actuelle, la Lybie c’est ce qu’on appelle l’Ifriquiya, puis sera confirmée en 1228 et beaucoup plus tard le 20 mars 1956 jour de l’indépendance.

Au début du XXème siècle, la ville n’est pas très éloignée de celle du XVIIème siècle, elle est construite sur un ensemble de collines qui descendent en pente douce vers le lac de Tunis à l’est et qui donnent sur une zone lagunaire au nord la ’sebkha’ de l’Ariana, au sud la ‘sebkha’ Séjoumi. Une fois l’arabisation et l’islamisation accomplie dès le VIIème siècle, Tunis va connaître d’incessants faits de guerre de la part des différentes factions islamiques, sa position stratégique constitue un enjeu permanent, ce qui explique la construction d’une Kasbah (quartier fortifié)

Nos parents trouvent donc à leur arrivée une ville arabe avec un début de construction sur les zones les moins insalubres. Il y a un problème d’approvisionnement en eau. La Carthage phénicienne avait résolu le problème de l’eau en construisant pour chaque maison de profondes citernes et en utilisant la nappe d’eau douce qui se trouvait dans son sous sol.

La ville était d’ailleurs ornée de fontaines dont la monumentale ‘fontaine aux mille amphores’ découverte récemment. Les romains construisirent au IIème siècle ap JC (sous l’empire d’Hadrien) un aqueduc qui reliait le Djebel Zaghouan à Carthage sur près de 132 kilomètres (l’aqueduc de Carthage), il serpentait le long de l’oued Miliane donnant au lieu un petit air de campagne romaine. L’eau coulait abondamment ce qui permit de créer les plus grands thermes de l’empire romain (les thermes d’Antonin).

Plusieurs fois abandonné notamment après le passage des vandales puis des arabes il fut néanmoins restauré pour alimenter Tunis en eau potable sous l’impulsion du Consul de France en 1852. Dès le début du protectorat il fut abandonné et remplacé par des conduites métalliques.

Le problème de l’eau résolu, il fallait désenclaver Tunis.

Le projet le plus ambitieux est de créer à Tunis un port maritime et de relier Tunis à la pleine mer. Dès la conquête arabe un premier chenal est créé il relie le lac à la mer à Rades sur une très courte distance. Le témoignage de la réalisation de ces travaux qui datent de l’an 700 est rapporté par le géographe ethnologue El Behri en 1068.

Mais c’est en 1888 que les autorités françaises décident le percement d’un chenal de 9 km de long de 40 mètres de large et de 6.5 mètres de profondeur qui relie Tunis à la Goulette, c’est la Société de Construction de Batignolles qui en est chargée.

Les matériaux d’excavation sont utilisés pour consolider les deux berges et permettent la création d’une digue, sur laquelle on va ouvrir une voie de chemin de fer et réaliser bien des années plus tard une route. Le Port de Tunis est désormais créé Pour désenclaver Tunis les autorités se donnent un autre objectif important, développer le transport ferroviaire.

En fait un embryon de ligne avait été créé entre 1870 et 1880 reliant la Goulette au Kram sur 5 kilomètres environ, puis un tronçon Tunis la Goulette après le percement du chenal ; mais c’est en 1905 qu’est inauguré le TGM (Tunis-Goulette-Marsa), il est long de 19 kilomètres, et son importance est de premier ordre.

D’abord utilisant la traction vapeur il adoptera très vite la traction électrique lorsque la centrale de la Goulette doublera sa capacité.

Vannino commence sa vie professionnelle comme ‘scalpellino’, il veut exercer le même métier que son père ; il apprend le métier. La profession est organisée en corporation, mais en ce début de vingtième siècle, les ‘scalpellini’ ne sont pas très instruits, ils ont commencé à travailler très jeunes, la plupart n’ont pas suivi d’études et parfois ne sont même pas allés à l’école. Vannino est dans ce monde, un cas particulier ; avoir fréquenté l’école jusqu’à l’adolescence est peu commun ; très vite il est repéré, il apprend à lire un plan, il peut même dessiner des schémas, il saute vite dans la catégorie de ceux qui peuvent interpréter la conception d’un ouvrage et le voilà propulsé chef d’une petite équipe de maçons et ‘scalpellini’.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 28 juin 2012 : 02:37

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Cette première ascension s’accompagne dans sa vie privée d’un évènement considérable. On a relaté l’arrivée de Biagio et son fils Vannino à Tunis, on a aussi raconté les circonstances dans lesquelles Biagio abandonna femme et enfants pour repartir en Sicile sans plus donner de nouvelles. On a aussi assisté au délitement de la famille.

Toutefois, Vannino bien qu’étant opposé à sa belle mère, n’a jamais rompu les liens avec la famille Caruso. Luciano avait deux sœurs l’une Suzza qui avait vécu avec Biagio et lui avait donné trois fils, la seconde s’appelait Palma, en ‘Cumissaro’ on disait Parma (la différence de prononciation est un artifice de langage). Parma était une veuve, mère de cinq enfants.

On ne sait comment les choses se passèrent, car on ne sait jamais jusqu’où le diable peut aller se nicher, mais l’aventure qui se noua entre Parma et Vannino prit une tournure très inattendue puisque Parma tomba enceinte et donna naissance à un garçon qui se prénomma Eugenio. La très grande différence d’âge d’une part et le verrouillage des mœurs et des conventions dans la société sicilienne d’autre part en firent un évènement considérable. Pour sauver les apparences, Vannino épousa l’une des filles de Parma, Concettina, laissant entendre que l’enfant était d’elle.

Ainsi fut scellé ‘notre’ troisième secret de famille. Un secret si bien gardé que pendant près de soixante ans la plupart des membres de la famille n’en ont rien su, et ceux qui savaient ont fini par l’effacer de leur mémoire.

Annoncer en avant propos que notre famille a été dépositaire d’un destin peu ordinaire, pouvait passer pour prétentieux ; les évènements des quinze années qui vont de 1895 à 1910 sont pour l’époque complètement surréalistes.

Alors commence pour Vannino une nouvelle vie, père d’un enfant, lié à une mère et sa fille il décide de prendre à sa charge la famille de Parma dont le nom d’épouse était Villadoro. Désormais sa vie privée et familiale sera toute entière consacrée à la subsistance et l’existence de la nouvelle famille (au sens large) ainsi créée.

Pendant ce temps sa situation professionnelle évolue très favorablement. Il devient le conseiller et le bras droit d’un très grand entrepreneur de travaux publics d’origine corse : l’entreprise Pérotti est connue et respectée elle joue un rôle important dans la construction de la ville nouvelle, les voiries, les réseaux, les adductions d’eau tout est à faire.

Vannino maîtrise désormais la conduite des travaux. Mais M Pérotti est âgé, il a un seul fils qui n’est pas en mesure de prendre la relève, tout naturellement, il demande à Vannino de poursuivre son action il pourra l’aider : l’un pourvoyant aux financements, l’autre apportant savoir, volonté et esprit d’entreprise et c’est ainsi que des ouvrages majeurs furent réalisés.

Pour comprendre la réalisation de la ville nouvelle, il faut revenir à la configuration géographique de Tunis. Tunis a été construite par les arabes et les ottomans de telle sorte que la ville s’élève progressivement sur l’une des collines pour permettre la création d’une place forte (la kasbah), promontoire à partir duquel il était possible de prévenir d’éventuelles attaques. Tunis compte d’autres collines dont l’une d’elle devint sous le protectorat un vaste et merveilleux jardin : ‘le belvédère’.

De part et d’autre de ces collines orientées nord-ouest sud-est s’étendaient des zones lagunaires à l’est en direction du lac de Tunis à l’ouest vers la sebkha Ariana au sud vers la Sebkha El Sejoumi (sebkha : zone lagunaire asséchée).

La ville nouvelle va se construire sur tous ces territoires asséchés et assainis connus auparavant pour la prolifération des moustiques et exhalant l’été des odeurs nauséabondes. D’abord en direction du lac de Tunis par la réalisation de deux grandes artères structurantes l’avenue Jules Ferry qui emprunte l’ancienne esplanade de la Marine ; perpendiculaire à cette voie, l’avenue de Paris côté nord et l’avenue de Carthage dans le prolongement côté sud, enfin parallèle à l’avenue de Carthage et perpendiculaire à l’avenue Jules Ferry l’avenue Gambetta qui se prolonge tout au long du lac.

Le long de l’avenue Jules Ferry seront construits ou restaurés la Résidence 1890-1892 (aujourd’hui l’ambassade de France), la cathédrale St Vincent de Paul (vendu comme esclave au bey de Tunis au début du 17ème siècle) 1893-1897, enfin le théâtre municipal de style ‘Art Nouveau’ réalisé par l’architecte Jean-Emile Resplandy en 1902 dans sa première version et restauré en 1911 dans sa version 1350 sièges.

A ces constructions, il faut ajouter d’autres réalisations parfois plus anciennes parfois plus modernes mais tout aussi prestigieuses : le Lycée Carnot réalisé sur le modèle des grands lycées français à partir de 1882 et terminé en 1894, les hôpitaux, français Charles Nicolle en 1897 (directeur de l’institut Pasteur de Tunis) dans le quartier Bab Saadoun et italien Giuseppe Garibaldi en 1899 sur la colline de Montfleury, la gare ferroviaire fin du 19ème siècle.

Tout un réseau de voies tirées au cordeau tantôt parallèles, tantôt perpendiculaires aux deux grandes avenues complète le maillage urbain, au nord la ville s’étend jusqu’au ‘bevédère’, au nord-est elle s’étend jusqu’au Borgel, derrière les collines ce sont les quartiers de l’Ariana, de Monfleury et de la Manouba (où se trouve l’hôpital psychiatrique). Avec cette urbanisation la ville arabe est désormais entourée de tous ces nouveaux quartiers.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: fredo (IP enregistrè)
Date: 28 juin 2012 : 13:05

BRAVO, TRÉS INTERÉSSANTE CETTE HISTOIRE !!!!


Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 29 juin 2012 : 02:17

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Vannino est appelé à évaluer les conditions de réalisation d’un pont au dessus des voies de chemin de fer qui traversent l’avenue de Carthage, après réflexion il se prononce pour la faisabilité du projet, toutefois ne disposant pas de finances il est sur le point de décliner l’offre lorsque l’ingénieur en chef des travaux et l’ingénieur des ponts et chaussées directement liés à la Résidence lui proposent le préfinancement du projet.

Il crée sa propre entreprise et réalise l’ouvrage. Sa réputation ainsi que sa fortune sont faites, désormais il va pouvoir entreprendre des travaux de grande ampleur.

Le cimetière du Borgel est le grand cimetière de Tunis appelé aussi ‘Beth a Haïm’ (maison des vivants), il est créé en 1894 et inauguré par le Grand Rabin de Tunis Elie Borgel.

L’importance de la communauté juive évaluée à 100 000 personnes tant ‘tounsia’ (tunisienne) que ‘grana’ (livournaise) nécessite une telle réalisation. En 1926 la décision est prise d’adjoindre au cimetière juif un cimetière chrétien, l’inauguration a lieu en 1927. Dès lors tout naturellement autour de cet espace, un nouveau quartier va naître.

L’entreprise de Vaninno est choisie pour créer les réseaux et les voies. Il fait entre autre appel à ses frères, son ami Biaggio Bascetto et un certain nombre de ‘scarpellini’ ‘cumissari’. Dans ce vaste espace les terrains ne sont très chers, il en achète un sur lequel il fait construire une villa dans laquelle il loge la famille de Palma et la famille de son frère Paulino. La vie dans la maison du Borgel est assez heureuse, c’est un univers de femmes, on rit, on chante, on danse parfois.

Les grands travaux du quartier se terminent dans les années 1930. Peu de temps après Vannino est engagé pour entreprendre la liaison routière depuis La Goulette jusqu’à Carthage. Une fois encore il découvre un terrain entre Khéréddine et le Kram ; il va pouvoir exhaucer un rêve : construire sa maison au bord de la mer.

Avec la réalisation de ces ouvrages : adduction d’eau, égout, route il clôturera sa dernière grande œuvre. La crise financière de 1929 produit ses effets jusqu’en 1936, peu de temps après des bruits de bottes se font entendre dans toute l’Europe, le danger menace, le rythme du développement se ralentit, désormais il faudra compter avec les évènements politiques.

CHAPITRE 5

LE TEMPS DE GUERRE

La colonisation française en Afrique du Nord a été concurrencée à l’ouest (Maroc) et au centre (Algérie) par la colonisation espagnole, à l’est (Tunisie) par la colonisation italienne.

Alors que la présence française est surtout liée à l’aventure coloniale (plus stratégique en Tunisie), les immigrations espagnoles et italiennes sont liées à des facteurs strictement économiques.

Chassés par la misère et les conditions économiques déplorables, Les Siciliens se portent en Tunisie d’un mouvement spontané et naturel. Il n’y a aucun plan du gouvernement italien. Que l’Italie se soit senti humiliée de la ‘gifle’ (en italien : schiaffo di Tunisi, entraînant la démission de Benedetto Cairoli le Premier Ministre de l’époque) que lui inflige la France en occupant militairement la Tunisie et en signant un traité de protectorat avec le Bey en 1881 (traité du Bardo), cela ne fait aucun doute.

Pourtant l’expédition militaire française n’a pas comme seule motivation d’occuper un nouveau territoire ou de damer le pion à un concurrent européen, il s’agit avant tout d’empêcher les incursions-razzias qui du sud de l’Algérie viennent perturber l’installation des colons français (en Tunisie le mot colon désigne le propriétaire d’un vaste domaine agricole).

Ces escarmouches sont l’œuvre de nomades qui remontent du sud et des ‘Kroumirs’ qui vivent dans une zone montagneuse de la Tunisie appelée la Kroumirie.

Il convient de préciser que depuis les débuts de la colonisation en Algérie, la France est en conflit armé avec des tribus nomades et Touareg qui lui disputent de vastes territoires. Ces actions militaires ont pris le nom de ‘pacification’

La France comprend très vite que la colonisation française en Tunisie ne peut réussir sans l’apport considérable de la communauté italienne. Tous les historiens s’accordent à dire que tous les dénombrements de population établissent un rapport très favorable en faveur des Italiens (à la fin du XIXème siècle, on compte 85 000 Italiens pour 5000 Français).

Le classement des immigrants italiens par profession fait apparaître une très forte majorité de manœuvres et d’ouvriers dans tous les domaines près de 75%, les agriculteurs (surtout viticulteurs) ne représentent que 8%, alors que les commerçants sont 11%, les 6% restants se partageant dans des professions plus valorisantes : avocats, médecins ou employés.

Quand on parle de la colonie italienne en Tunisie, il ne faut pas négliger les juifs livournais qui font partie intégrante de la communauté italienne. Leur histoire est longue à raconter elle est liée à celle des juifs chassés d’Espagne en 1492 par Isabelle La Catholique et Ferdinand d’Aragon par le décret de l’Alhambra.

Le sultan Bayezid II accueille les juifs dans l’empire ottoman, sauf une minorité qui trouve refuge en Toscane non loin de Pise et de Florence, à Livourne. Les mouvements des juifs livournais en direction de la Tunisie commencèrent bien avant l’immigration sicilienne.

Les juifs livournais (les ‘grana’), se mélangeaient peu avec la communauté des juifs autochtones (les twansa ou tounsia), et leur nombre reste marginal. Mais ils constituent une élite économique et culturelle (médecins, avocats, enseignants) très influente dans la communauté italienne, ils parlent le toscan et leurs patronymes rappellent leurs origines espagnoles et portugaises (Calo, Boccara, Lumbroso)


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 06 juillet 2012 : 20:03

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La guerre vint frapper la Tunisie par surprise, car la coexistence entre communautés était paisible, et rien ne laissait supposer que Français et Italiens puissent devenir des ennemis en important un conflit qui n’était pas le leur.

Mais la perte de nombreuses unités navales par la marine anglaise de méditerranée (Le porte-avion Ark Royal , les cuirassés Barham et Queen Elisabeth et des croiseurs York et Gloucester), justifièrent pour les alliés, le besoin de contrôler l’étroit canal qui séparait les bases italo-allemandes installées en Sicile d’où partait l’approvisionnement des troupes d’Afrique. La Tunisie devenait un territoire stratégique de première importance.

Les Italiens de Tunisie n’étaient guère politisés, venus pour la plupart de Sicile, exerçant surtout des métiers manuels, peu instruits, ils n’avaient aucune notion des attributs naturels qui fondent une démocratie moderne (associations, syndicats, partis politiques.) Leur souci principal était de nourrir la famille ; mais après tout, n’étaient-ils pas venus pour çà ?

C’est donc avec une grande naïveté qu’ils accueillirent la propagande exercée par l’Etat italien qui venait de connaître l’avènement de Mussolini. Il a été précisé plus haut qu’après le débarquement du corps expéditionnaire de 1881, la France souhaitant normaliser et apaiser ses rapports avec le voisin italien consentit par le traité de 1896 de reconnaître à la communauté italienne des droits considérables : conserver la nationalité italienne, voir s’ouvrir des écoles (18 au total), accepter une presse indépendante en langue italienne (principal journal ‘l’Unione’), voir se développer des associations culturelles, autoriser l’ouverture d’un hôpital italien (l’hôpital Garibadi à Halfaouine), et de la ‘Banca Italiana di Credito’.

Cette très grande autonomie de la communauté italienne donne des idées aux promoteurs de la politique d’agression et aiguise l’appétit des autorités italiennes.

Avec Mussolini, l’Italie se lance dans une aventure coloniale et se prend à rêver d’arracher la Tunisie à la France. Rêve de grandeur bien sûr, notamment reconquérir Carthage comme l’on fait les empereurs romains dans l’Antiquité.

Mais en arrière pensée il y a aussi la volonté de peupler la Libye voisine qu’il occupe militairement, avec une main-d’œuvre importante et qualifiée, tout de suite disponible : les Italiens de Tunisie. (La Tripolitaine a été occupée par l’Italie en 1911 et lui a été attribuée après la défaite et le partage de l’empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale, toutefois elle est en révolte permanente ; Mussolini envoie des troupes en 1932, et en 1934 nomme un gouverneur militaire le général Italo Balbo).

C’est ainsi que le fascisme vient télescoper cette population laborieuse.

La propagande fasciste s’insinue puis se propage très vite parmi la population italienne et sicilienne. Les enfants d’italiens nés en Tunisie fréquentent les écoles italiennes, c’est donc là que l’on va commencer le travail de propagande.

Les cours d’instruction civique se transforment en discours et propos savamment distillés en faveur de la gloire mussolinienne. Puis on crée les mouvements de jeunesse, les démonstrations de gymnastique collective sur les stades, les poèmes qui exaltent la patrie, les chants patriotiques. On offre aux adolescents des séjours de colonies de vacances en Italie, tous terminés par une rencontre avec le Duce, parmi les jeunesses fascistes réunies par milliers ‘Piazza Venezia’ à Rome.

Ces moments d’exaltation ne peuvent laisser insensible une jeunesse qui a toujours vu en ses parents, des travailleurs modestes, attachés à leur dur labeur. En même temps les Italiens de Tunisie se prennent à rêver à une totale reconquête de leur dignité qu’ils ont le sentiment d’avoir perdu au fil des ans et au fur et à mesure que le peuplement français vient équilibrer la colonie italienne, et s’approprier les terres les plus fertiles et les négoces les plus lucratifs.

Ceci se traduit par un arrêt brutal des demandes de naturalisations des Italiens en direction de la France,, qui étaient régulières depuis 1920 même si elles restaient peu nombreuses.

Un hyper nationalisme italien se développe, les sources de conflit entre Français et Italiens se multiplient, et dans les familles italiennes, où l’un des membres a acquis la nationalité française, on se déchire à belles dents.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’y a pas d’exactions entre communautés, chacun restant campé dans sa sphère. Seules les vexations fusent de part et d’autre, et la fierté d’appartenir à un camp est exprimée et exhibée.


Curieusement les juifs livournais, sans adhérer franchement au fascisme, se prennent à adopter un certain nationalisme qui les entraîne à se mêler aux manifestations ‘d’italianisme’ prononcé.
Nos parents, tout naturellement, sont devenus fascistes comme plus de 90% des Italiens de Tunisie, mais surtout n’allons pas leur demander d’exprimer une doctrine ou une orientation politique, ils n’en avaient pas, car ils ne savaient rien de la politique. Tout au plus, victimes de la propagande officielle, ils confiaient leur sentiment que Mussolini faisait du bien à son pays.

Les Siciliens de Tunisie étaient nationalistes sans aucun doute, fascistes ils l’étaient de fait, par adhésion à la parole du Duce, mais racistes sûrement pas, car ils ne se sont jamais livrés collectivement, à la moindre exaction à l’encontre de quiconque.
Les Italiens vont vivre la campagne de Tunisie appelée bataille de Tunisie en spectateurs passifs, résignés et préoccupés de leur survie.

Certes il y aura des échanges avec les militaires venus d’Italie mais pas à proprement parler de jonctions, d’enrôlement ou de mouvements significatifs en direction des troupes de ‘l’Axe’ (c’est ainsi que l’on nomme l’alliance italo-germanique).

La bataille proprement dite va durer environ sept mois, de novembre 1942 à mai 1943. Notre objectif n’est pas de la décrire dans le détail, historiquement on connaît aujourd’hui, parfaitement le déroulement des opérations Ce qui est moins connu c’est comment elle fut vécue de l’intérieur par la communauté italienne et par nos familles.

Il y a trois phases : la période qui précède la guerre et qui se traduit pas les éléments qui ont été déjà commentés, la période de guerre, et l’après guerre notamment après la signature de l’armistice de 1945.


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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: derka (IP enregistrè)
Date: 07 juillet 2012 : 00:15

j'attends la suite Bravo
et merci

Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 08 juillet 2012 : 01:42

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Vannino qui voit ses activités s’arrêter, se réfugie dans sa maison de l’aéroport, la maison est sûre car éloignée du théâtre des opérations.

Il accueille comme à son habitude toute la famille Villadoro (nom du mari décédé de Parma), à laquelle vient s’ajouter la famille de Paulino, réfugiée pendant que les bombardements de Tunis font rage. Paulino essaie de braver le danger en se rendant à Tunis pour son travail.

Les risques sont réels car les bombardements des positions allemandes et italiennes comme des positions alliées n’épargnent pas la population civile. Les forteresses volantes américaines ciblent l’aéroport d’El Aouina et le port de La Goulette points stratégiques où sont cantonnés les systèmes de défense italo-allemands.

Pour ne pas s’exposer aux tirs de la DCA ennemie, ils lâchent leurs cargaisons de bombes à plus de 10 000 mètres d’altitude rendant leurs tirs imprécis et aléatoires. Que d’immeubles furent détruits et que de familles furent décimées au cours de ces tirs.

On a beaucoup de mal à évaluer le nombre exact des victimes civiles mais selon des estimations émanant de plusieurs sources on peut avancer sans risque de se tromper qu’elles se chiffrent à plus de sept cents tués et mille deux cents blessés dont un grand nombre de tunisiens musulmans, car la médina ne fut guère épargnée.

Les autres frères Turiddu et Pipino de leur côté essaient de trouver quelques chantiers. Mais tout le monde a beaucoup de mal à joindre les deux bouts. D’autant que la Résidence (c’est ainsi que l’on nomme le centre névralgique de l’administration française) vient de décréter le rationnement et a distribué des cartes de rationnement qui rendent l’approvisionnement de plus en plus difficile.

Le marché noir se développe. Et la population vit en quête d’alimentation. Quelques heureux dont un membre de la famille est paysan parviennent à se tirer d’affaire, mais ces quelques exemples ne doivent pas faire oublier que l’ensemble de la population tunisienne est entrée dans une phase de privations.

Paulino qui a conservé son emploi de coiffeur parvient grâce à ses différents contacts, notamment sa clientèle française à bénéficier de quelques approvisionnements parallèles qu’il partage avec la famille et notamment son frère Vannino.

Mais surtout la guerre va modifier sensiblement les rapports entre la communauté française désormais aussi importante que la communauté italienne. En novembre 1942 le sort de la bataille est incertain, les troupes germano-italiennes bénéficiant d’un bien meilleur approvisionnement (pour déjouer les avions de la RAF, les bateaux quittent la Sicile de nuit et parviennent en Tunisie au petit matin) prennent le dessus ou tout au moins maintiennent leurs positions.

Mais très vite la marine anglaise en imposant sa supériorité sur mer coupe l’approvisionnement ennemi, dès lors la bataille de Tunisie va très vite évoluer en faveur des alliés. En novembre 1942 Le général Anglais Montgomery remporte la bataille d’El Alamein (A l’ouest d’Alexandrie et proche de la Lybie).

Ce succès lui ouvre les portes de l’Afrique du Nord et de la Tunisie qui est l’objectif principal avant la campagne d’Italie. Après sept mois de combats acharnés livrés par les deux camps, les alliés remportent la victoire, ils font 250 000 prisonniers qui auraient été utiles sur le front européen.

Les pertes de part et d’autres sont lourdes : les américains, les anglais et à un degré moindre les français laissent sur le terrain 10 500 soldats, morts au combat, les allemands et les italiens quand à eux déplorent la perte de 8 500 soldats. La bataille de Tunisie fut acharnée sur le plan militaire. Elle va laisser des traces sur le plan politique et social.

Une précision d’importance, de 1939 à la fin de 1943, les autorités françaises de Tunisie ont du mal à choisir leur camp, le Résident Général qui est l’autorité suprême sous le protectorat obéit aux ordres du gouvernement de Vichy, si bien que pendant les opérations militaires de la campagne de Tunisie, les troupes françaises très peu nombreuses par rapport aux Anglais et aux Américains, sont essentiellement constituées de partisans venus souvent d’Alger ; ils portent pour bon nombre d’entre eux l’uniforme britannique, car la logistique et l’approvisionnement manquent cruellement depuis la débâcle de 1940.


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