Turquie.
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Bravo (IP enregistrè)
Date: 09 septembre 2011 : 10:05
"La Turquie est-elle en position de force face à Israël ?"
Devant le refus d’Israël de s’excuser pour son raid contre le ferry turc Mavi Marmara, qui participait à la première flotille pour Gaza, et à bord duquel neuf passagers turcs ont péri en mai 2010, Ankara a multiplié les sanctions : expulsion de l’ambassadeur israélien, suspension des accords militaires bilatéraux, procédure devant la Cour internationale de justice pour contester le blocus de Gaza. Dorothée Schmid, spécialiste de la Turquie contemporaine à l’Institut français des relations internationales (IFRI), analyse les raisons qui poussent la Turquie à durcir sa position face à l’Etat hébreu.
Les relations entre Israël et la Turquie, pays alliés, se sont dégradées depuis plus de deux ans : cette crise diplomatique annonce-t-elle une rupture ?
Cette crise s’inscrit dans un contexte de refroidissement diplomatique progressif. Son expression la plus vive se manifeste aujourd’hui. Le refroidissement s’est amorcé fin 2008. Les deux pays sont passés à côté de la rupture pendant les offensives menées par l’armée israélienne à Gaza dans le cadre de l’opération "Plomb durci". Début 2009, au forum économique de Davos, le premier ministre turc, M. Erdogan, quitte en fureur une table ronde où il était associé au président israélien Shimon Pérès, après avoir accusé les Israéliens d’être passés maîtres dans l’art de tuer les gens. A l’été 2009, le nouveau gouvernement israélien mené par Benyamin Nétanhyahou met fin à la médiation turque entre Israël et la Syrie. Les signes de perte de confiance se multiplient. Survient alors l’incident du Mavi Marmara en mai 2010, qui a causé la mort de 9 nationaux turcs.
Mais il n’y a pas de rupture complète. Le gouvernement turc a décidé d’expulser l’ambassadeur israélien. En revanche, l’attaché militaire israélien est toujours en poste. Le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a également annoncé l’arrêt des relations commerciales, militaires et industrielles. Mais ceci ne vaut pour le moment que pour l’industrie de l’armement : le ministre a précisé que cette déclaration ne concernait pas le secteur privé. Le volume des échanges entre les deux pays a augmenté de 23 % au premier semestre 2011 par rapport à la même période, l’année antérieure : les liens économiques restent forts.
Le premier ministre turc souhaite se rendre la semaine du 12 septembre en Egypte, en Tunisie et en Libye : y a-t-il une influence du printemps arabe dans le durcissement de l’attitude turque vis-à-vis d’Israël ?
La crise se noue autour du rapport des Nations unies concernant l’affaire du Mavi Marmara, mais le printemps arabe est un élément de contexte essentiel pour comprendre ce qui se passe. En effet, le printemps arabe fragilise la position régionale de la Turquie : l’équilibre qu’elle avait construit avec les régimes de la région est actuellement défait, et il faudra beaucoup de travail pour rétablir un équilibre stable dans les relations avec les nouveaux pouvoirs.
Pendant le printemps arabe, la Turquie s’est montrée dans un premier temps plutôt embarrassée. Le gouvernement turc ne s’est exprimé que tardivement au sujet de la révolte égyptienne, bien qu’il ait finalement appelé Hosni Moubarak à la démission. Avec la Libye, on a observé un retournement complet : Ankara refuse d’abord l’intervention internationale, mais finit par y participer a minima, avant de se replacer, une fois la victoire des insurgés acquise, en première ligne pour soutenir le Conseil national de transition. Sa condamnation des violences en Syrie a également été tardive.
Les événements arabes sont comme un moment de vérité pour la diplomatie turque. Aujourd’hui, aller au clash avec Israël apparaît comme une solution simple pour protéger son image auprès du public arabe.
Cette escalade intervient également peu avant la demande d’adhésion d’un Etat de Palestine à l’ONU, prévue le 20 septembre…
En effet, outre le printemps arabe, il s’agit sans doute du deuxième élément essentiel pour expliquer la crise. La perspective de la proclamation d’un Etat palestinien tétanise Israël, et la Turquie doit forcément soutenir la revendication palestinienne, suivant la ligne politique et de solidarité qu’elle privilégie depuis plusieurs années.
Demandes d’excuses concernant le raid contre le ferry en partance vers Gaza, condamnation du blocus : Gaza semble donc cristalliser les tensions. Quel rôle joue le territoire palestinien dans le discours diplomatique de la Turquie ?
M. Erdogan a bien compris l’usage électoral qu’il pouvait faire d’une position dure sur Gaza, devenu pour tout le monde un symbole d’injustice. Les Turcs sont massivement pro-palestiniens. Exprimer sa solidarité avec Gaza permet de travailler l’image du gouvernement, qui prône de plus en plus clairement la fraternité islamique. En outre, dans l’affaire du Mavi Marmara, le nationalisme turc a aussi été directement atteint.
Par ailleurs, sur le plan extérieur, la Turquie cultive depuis quelques années son image de soft power, de puissance bienveillante. M. Erdogan était devenu un héros auprès de l’opinion publique arabe après sa condamnation de l’opération "Plomb durci". Les sujets humanitaires sont en effet toujours considérés comme de bons tremplins diplomatiques. On l’a encore vu avec la visite de Tayyip Erdogan en Somalie, le mois dernier : une démonstration remarquable de l’usage de la charité islamique comme instrument d’influence extérieure.
M. Erdogan joue donc la stature internationale de son pays sur ce dossier…
Les Turcs veulent en effet être reconnus comme une puissance internationale de premier plan. La gestion des dossiers est donc très calculée, une initiative sert toujours à équilibrer une autre. Concernant la visite turque en Somalie, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’Ankara bombardait au même moment, et depuis plusieurs semaines, le Kurdistan irakien, faisant de nombreux morts. Dans le cas qui nous occupe, il faut tenir compte du fait qu’Israël est devenu très impopulaire à l’échelle mondiale. C’est donc un dossier sur lequel on peut se permettre de tenir une position dure.
En revanche, Israël a beaucoup à perdre, car la Turquie était un allié important dans la région. Tel-Aviv est dans une situation d’embarras et d’inquiétude dans un contexte régional précis : la Syrie est à feu et à sang ; depuis la chute de Moubarak, on entend de plus en plus de voix en Egypte remettre en cause les accords de paix et il y a eu récemment de graves incidents entre les deux pays [avec la mort de cinq policiers égyptiens, tués alors que les forces israéliennes poursuivaient des auteurs présumés d’attaques près de la frontière avec l’Egypte, le 18 août]. La perspective de voir la Palestine reconnue est un autre choc à venir. Enfin, l’Iran continue d’envoyer des messages anti-israéliens, et poursuit silencieusement, à l’écart des grands désordres du Moyen-Orient, son programme d’équipement nucléaire. Ankara prend certainement acte de la fragilité psychologique que ce contexte très difficile produit en Israël. Les autorités turques voient aussi les manifestations qui se déroulent à Tel-Aviv et constatent ainsi l’épuisement du gouvernement Netanyahu. La Turquie est dans une position de force.
Les Etats-Unis s’inquiètent des tensions entre la Turquie et Israël, qui sont deux alliés : quel rôle joue Washington dans cette crise diplomatique ?
Les Américains vont très certainement tenter de calmer le jeu, car ils ont besoin des Turcs dans la région. Dans le même temps, ces derniers savent que les Etats-Unis sont de moins en moins à l’aise avec ce gouvernement israélien : l’administration Obama est beaucoup moins sur un alignement pro-sioniste que l’administration Bush.
Le rapport turco-américain est en cours de rééquilibrage à l’avantage des Turcs. Au sein de l’OTAN, ceux-ci essaient de se montrer comme des acteurs indépendants et valorisés. "Nous ne sommes pas le ’Yes-Man’ des Etats-Unis", peut-on lire dans la presse turque. Aujourd’hui, le discours turc envers Israël est aussi l’une des manières de faire passer ce message aux Etats-Unis. Dans le même temps, les Turcs leur donnent des gages : ils ont autorisé l’implantation sur leur sol de radars du bouclier anti-missiles de l’OTAN. C’est une façon de compenser la hausse de ton avec Israël.
Recep Tayyip Erdogan souhaite se rendre à Gaza : comment interpréter cette visite ?
C’est une provocation, mais aussi une tentative de dernière minute de regagner le terrain perdu sur les Egyptiens. Ces dernières années, les Turcs se sont laissé griser par leurs succès diplomatiques réels ou supposés. On sent aujourd’hui le gouvernement turc tiraillé entre l’envie de produire un discours plus islamique et plus religieux, aligné avec le Hamas, et la crainte que ses alliés occidentaux ne perçoivent négativement de tels signaux.
Gaza est symboliquement le lieu où l’islam politique a triomphé [avec la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006]. La question du dialogue avec le Hamas, mouvement arabe radical religieux, est le préalable à celle du dialogue avec l’islam politique dans la région. Or, le parti au pouvoir en Turquie, l’AKP, a toujours entretenu des liens avec les partis islamistes arabes, liens qu’il est aujourd’hui tenté d’activer. N’oublions pas que la Turquie est aujourd’hui largement présentée comme un modèle de démocratie islamique. C’est ce modèle qui pourrait être étendu au reste de la région [avec le printemps arabe]. L’équilibre est ici encore difficile à tenir, entre "l’islam modéré" cher à l’administration américaine, et un islam plus radical, qui inquiète immédiatement en Occident. En tout état de cause, la brouille avec Israël et la visite annoncée de M. Erdogan à Gaza posent le problème d’une radicalisation de la diplomatie turque.
Propos recuillis par Flora Genoux.
NDLR : L’analyse est biaisée, car elle ne prend pas en compte le fait que ce revirement de la Turquie n’est pas lié seulement à Israël mais aussi à l’Occident en général. Depuis que l’Europe a refermé ses portes à ce pays (depuis 2001), ce dernier a pris ses distances vis-à-vis de l’Occident. Les premiers à en faire les frais furent les Américains lors de la seconde guerre du Golfe, quand la Turquie a refusé l’emploi de son sol aux armées américaines les obligeant à attaquer l’Irak uniquement par le Sud au lieu des deux fronts (Nord et Sud) ce qui aurait modifié considérablement les résultats de ce conflit. Depuis les États-Unis Unis eux-mêmes se méfient des Turques, et les Européens font de même. Seuls des analystes de gauche ont la mémoire un peu courte.
Dorothée Schmid, spécialiste de la Turquie contemporaine à l’Institut français des relations internationales (IFRI) | LEMONDE.FR
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TURQUIE-ISRAËL : HAUTE TENSION DIPLOMATIQUE
La Turquie a annoncé mardi la suspension de tous ses échanges avec Israël en matière de défense, évoquant même une intensification de ses patrouilles navales en Méditerranée. Cette décision fait suite au refus de l’Etat hébreu de s’excuser d’avoir tué neuf Turcs en 2010, dans l’assaut lancé par son armée sur une flottille humanitaire tentant de rejoindre la bande de Gaza.
C’est un rapport de l’ONU qui a mis le feu aux poudres. Publié jeudi dernier, il évoquait l’assaut de l’armée israélienne sur une flottille tentant de rejoindre Gaza en mai 2010, qui avait causé la mort de neuf Turcs, sans pour autant le condamner. Dès la publication des extraits du rapport, l’administration turque décidait d’expulser l’ambassadeur d’Israël à Ankara, sommant son homologue de lui présenter des excuses officielles, excuses qui ne sont jamais venues.
En réaction à ce qu’il considère comme un nouvel affront envers son pays, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé mardi la suspension des échanges entre les deux pays, dans le domaine de la défense. « Nous suspendons complètement les liens commerciaux et militaires avec eux concernant l’industrie de la défense », a-t-il clairement expliqué, ajoutant que « ce processus sera suivi de différentes mesures ». La veille pourtant, le ministre de l’Economie, Zafer Caglayan, déclarait que la Turquie ne ferait rien « pour le moment » de nature à bouleverser ses relations économiques avec Israël. Les échanges commerciaux entre les deux pays dans leur ensemble ont atteint en 2010 3,5 milliards de dollars.
VERS UNE INTENSIFICATION DES PATROUILLES EN MÉDITERRANÉE
Il y a quelques jours, le gouverneur de la Banque d’Israël, Stanley Fischer, mettait en garde contre les conséquences économiques qu’entrainerait une rupture prolongée du commerce avec la Turquie. Selon lui, l’économie de la Turquie surpasse de loin celle d’Israël. « L’économie turque connait une croissance exceptionnelle », expliquait-il, cité par le journal « Hürriyet ». « Ils ont de grands entrepreneurs et une main d’œuvre formée à l’européenne. La Turquie deviendra un marché important dans la région et un exportateur majeur. Les conséquences d’une rupture du commerce avec la Turquie seront coûteuses ». Les « différentes mesures » promises par Erdogan pourraient aussi concerner une intensification des patrouilles des navires de guerre turcs dans l’est de la Méditerranée, sur laquelle donne le littoral israélien.
Depuis quelques jours, certains responsables de l’Etat hébreu marchent sur des œufs, refusant d’irriter plus l’administration turque tout en maintenant leurs positions, à l’image d’Ehoud Barak. Le ministre de la Défense israélien a reconnu les « divergences » existant entre les deux pays, invitant les forces en présence à agir « avec leur tête et non de façon viscérale ». « Ce sera mieux pour nous tous et pour la stabilité régionale », a-t-il assuré.
Le divorce entre les deux anciens alliés semble clairement consommé, et des ressortissants turcs et israéliens en l’ont déjà subi. Le ministère israélien des Affaires étrangères a en effet annoncé mardi qu’une quarantaine des leurs ont été retenus une heure et demie à l’aéroport d’Istanbul, y subissant des interrogatoires détaillés. Mais dans le même temps, l’agence de presse turque Anatolie relatait des scènes comparables à l’aéroport de Tel-Aviv. Un touriste interrogé expliquait même avoir dû retirer son pantalon pour être fouillé.
INQUIÉTUDE DES ETATS-UNIS
Cette crise diplomatique entre les deux plus grandes puissances du Proche-Orient met aussi les Etats-Unis dans une position inconfortable, Israël et la Turquie comptant aux rangs de leurs alliés les plus influents. Victoria Nuland, porte-parole du département d’Etat, a reconnu que l’administration Obama était « préoccupée ». « Nous avons, au cours des derniers mois, travaillé avec nos deux alliés au renforcement de leurs relations bilatérales. Nous pensons toujours qu’un retour à un partenariat est dans leur interêt commun. Mais l’état actuel de leurs relations nous préoccupe ».
OPPOSITION IDÉOLOGIQUE
La crise diplomatique naissante entre l’Etat turc et Israël prend avant tout cette ampleur du fait du désaccord des deux administrations quant à la question de la reconnaissance l’Etat palestinien. Recep Tayyip Erdogan a évoqué mardi la possibilité de se rendre dans la bande de Gaza à l’occasion de son prochain voyage en Egypte, expliquant devoir d’abord consulter les autorités du Caire. Le chef du gouvernement turc se rendra aussi à New York ce mois-ci, pour la session de l’Assemblée générale de l’Onu, où il devrait prendre position pour la reconnaissance d’un Etat palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, une initiative à laquelle s’oppose évidemment Israël. Le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, a déclaré devant la presse à Ankara aux côtés d’un émissaire du président palestinien Mahmoud Abbas, qu’une telle reconnaissance était « le droit le plus naturel des Palestiniens, une dette que le monde doit verser au peuple palestinien ».
Antoine Delthil - Parismatch.com