LES PAYS ARABES ENTRE L'OCCIDENTALISATION ET L'ISLAMISATION
David Bensoussan – Les Éditions Du Lys
L'Occident a toujours eu une vision ambivalente des Arabes. D'une part, il est fasciné par l'exotisme oriental. De l'autre, il demeure encore un reste de méfiance envers celui qui fut l'envahisseur sarrasin. On associe souvent aux Arabes l'aura des Mille et une nuits. Mais ils représentent également ceux qui jadis ont fait plier Roland à Roncevaux et, n'eut été la zizanie entre les factions arabes et berbères, la bataille de Poitiers contre les Francs en 732 aurait pu connaître un autre sort.
L'expédition de Napoléon en Égypte puis la conquête de l'Algérie en 1830 allaient mettre en contact une puissance coloniale jouissant d'avantages technologique et militaire écrasants avec un monde féodal venu en droite lignée du Moyen Âge. Les puissances coloniales - la France, l'Angleterre et l'Italie - ont maintenu une emprise militaire et économique des pays arabes. Pour cela, elles ont composé avec les pouvoirs existants et les élites sociales. Les valeurs de liberté et de démocratie furent mises en veilleuse afin d'asseoir la mainmise des pays arabes par l'entremise de leurs élites et leaders traditionnels.
Bien que les relations avec les élites et dirigeants arabes aient été marquées de respect et de déférence, la plupart des colons ont regardé avec mépris l'indigène, la servante ou le boy. Il était impensable pour eux de vivre à pied d'égalité avec eux. Les guerres de décolonisation ont mis fin à la tutelle coloniale et un grand élan d'espoir a laissé entrevoir des jours meilleurs et des horizons nouveaux. Il y eut des grands mouvements populaires dans les pays arabes et aussi des volontés de réformes profondes.
Toutefois, en Égypte, la redistribution des terres et le nasserisme ont été accompagnés d'une volonté d'expansionnisme et des campagnes militaires désastreuses contre le Yémen et Israël. Le socialisme baathiste syrien s'est lancé dans une âpre compétition avec son équivalent irakien, quasiment jusqu'à la confrontation militaire. Le socialisme algérien qui se gargarisait de slogans à l'effet que tous les malheurs étaient imputables au colonialisme, n'a pas su répartir les richesses au sein de sa population ou encore donner espoir aux démunis de sa société. Quant aux richesses pétrolières, une grande partie a été gaspillée pour desservir les ambitions personnelles démesurées de Saddam Hussein en Irak ou encore les cliques familiales des régimes monarchiques du Moyen Orient. La croissance économique dans les pays arabes n'arrive pas à suivre l'explosion de la population et il existe toute une nouvelle génération qui doit encore trouver sa place dans le nouvel environnement socio-politique.
L'occidentalisation n'a pas fait que toucher les seules élites traditionnelles des pays arabes. Une nouvelle génération a fini par émerger, qui a graduellement comblé le fossé technologique et qui s'est initiée aux valeurs occidentales. Cette évolution n'a pas été suivie par une évolution démocratique dans les pays arabes. Un état proche de la schizophrénie a fini par se développer en raison du contact grandissant avec l'Occident, que ce soit dans les institutions d'enseignement ou encore au contact de touristes, et la suffocation qui prévaut dans leur pays même en raison de l'absence de démocratie, de la corruption ou de l'oppression de régimes despotiques. Par ailleurs et dans un autre ordre d'idées, autant la modernité attire par ses aspects libérateurs, autant elle est source de craintes, car la libération sociale n'arrive pas encore à rompre le cordon ombilical des habitudes sociales du passé.
Le discours de la nouvelle génération est bloqué et ses intellectuels frustrés à l'extrême. D'une part, il existe des régimes oppressifs qui jugulent toute tentative sérieuse de changement, et de l'autre, l'Occident continue de voir avec amusement les excentricités d'un Kadhafi et avec indifférence ou dégoût la mégalomanie d'un Saddam Hussein. La condescendance de l'Occident envers les structures sociales des pays arabes, tout comme le statut de la femme ou la démesure des magnats du pétrole laissent toute une nouvelle génération d'Arabes frustrée tant envers l'Occident qu'envers leurs propres dirigeants. Elle se sent prise dans une voie sans issue. Elle se sent intruse en Occident et muselée par les siens, chacun dans son pays respectif.
En outre, des considérations politiques non dénuées d'intérêt continuent à perpétuer le statu quo. L'Occident dépend de façon vitale des ressources pétrolières et veille à ce que l'approvisionnement en pétrole continue et qu'il se maintienne à un prix acceptable. D'où l'intérêt de maintenir en place les monarchies de la péninsule arabique et la complaisance devant certains agissements non démocratiques de ces dernières. Lorsque la guerre irako-iranienne battait son plein, bien des puissances occidentales approvisionnaient en armes les deux parties, récupérant ainsi un trop payé pour l'achat du pétrole. Quand Saddam Hussein décida d'armer son pays jusqu'aux dents, y compris en armes non conventionnelles, les marchands d'armes de la planète se muèrent en courtisans empressés. Après la Guerre du Golfe, il fut jugé préférable de laisser le dictateur irakien en place avec une bonne partie de son armée, car l'on craignait qu'autrement, l'Iran radical n'en soit renforcé outre mesure. Et la course aux armements continue de façon effrénée, au détriment des besoins pressants des masses arabes.
D'où le repli. Le repli des insatisfaits vers le fondamentalisme qui rejette le limbe des demi-mesures de libération sociale insatisfaisantes et qui permet de trouver un argument-choc qui puisse les mettre hors cause devant les dirigeants arabes qui brandissent l'étendard-paravent d'un islam officiel. La religion est l'ultime dignité de ceux dont l'avenir semble bloqué. Aussi, au sein des pays arabes unipartites, les islamistes s'imposent de plus en plus comme opposition officielle. D'où la dérive vers l'extrémisme qui va jusqu'à la révolte déclarée tout comme en Algérie. La séparation de l'islam de l'état dans le style de Mustapha Kemal Ataturk est encore impensable et nombreux sont les gouvernements arabes qui virent à l'oppression dans un cercle vicieux sans fin.
Bien des régimes arabes rallient leurs masses derrière la cause palestinienne voire même derrière la haine du juif. La nouvelle génération qui dérive vers le fondamentalisme va alors faire de la surenchère dans ce domaine. Or, il est bien plus facile de virer à l'extrémisme qu'à la modération. Il est bien plus facile de vilipender et d'injurier que de chercher à raison gagner. Peu de leaders arabes ont tenté de démystifier le conflit israélo-arabe. Le roi Hassan II prit quelques initiatives qui aboutirent à la paix israélo- égyptienne. Feux les présidents Sadate et le roi Hussein de Jordanie ont ouvert une nouvelle page. La nouvelle génération qui penche vers les solutions catégoriques n'a pas encore trouvé les forces pour entamer le dialogue sincère et libérateur avec des Israéliens. Les forums médiatiques présentent un grand éventail d'Israéliens de gauche et de droite, mais le discours de la plupart des Arabes est tristement uniforme.
La génération arabe émergente n'a pas encore réalisé qu'un tel dialogue pourrait contribuer à déminer la situation dans leur pays et confronter les leaders arabes avec l'immense tâche de s'attaquer à leurs vrais problèmes.
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