Citation:L'hémorragie juive
Après la guerre des Six Jours en juin 1967, le Maroc n'est plus la terre où communautés juive et musulmane ont vécu une entente pluriséculaire. Du reste, il ne l'est plus depuis quelques années. Il est loin le temps où, pendant la Seconde guerre mondiale, le sultan Mohammed V déclarait qu'il n'y avait pas de Juifs au Maroc, qu'il n'y avait que des Marocains. Depuis la création de l'Etat d'Israël en 1948, les mesures anti-juives ainsi que des émeutes ont poussé les Juifs à émigrer en masse, démantelant ainsi la communauté de 265.000 personnes. Entre 1955 et 1957, 70.000 Marocains juifs s'installent en Israël, et 30.000 partent en France, au Canada et aux Etats-Unis.
Le mouvement a été brièvement freiné par l'interdiction, en 1956, d'émigrer en Israël. A la levée de l'interdiction en 1963, 100.000 personnes partent…
Pourtant la communauté juive n'a jamais fait l'objet, au Maroc, de persécutions émanant du pouvoir. Le roi Hassan II distingue entre « juifs » et « sionistes », une position rare à cette époque marquée par les guerres israélo-arabes. Il prône même le retour des Juifs au Maroc, et n'aurait pas été hostile à l'entrée d'Israël dans la Ligue Arabe. Mais si les juifs sont partis, c'est essentiellement pour des raisons économiques : l'introduction du travail industriel a paupérisé beaucoup de petits artisans, qui n'ont plus d'espoir. Pour Simon Lévy, le départ pour une raison politique ne concerne qu'une minorité.
Il ne faut toutefois pas minimiser la pression sociale. La vague de nationalisme post-indépendance a cassé l'entente séculaire. Le parti de l'Istiqlal a d'ailleurs joué un rôle non négligeable, avec ses slogans du style : « Donnez un dirham pour tuer un juif ». Ce qui fournit des arguments aux organisations sionistes semant la panique dans les quartiers juifs. Résultat : dès 1961, on enregistre 12.000 départs par an en moyenne, avec l'accord tacite des autorités marocaines. En juin 1967, malgré le racisme dont les Juifs marocains sont victimes en Israël, des provocations sionistes ont encore une fois suscité des départs. En 1976, les Juifs ne sont plus que 17.000 au Maroc.
Citation:Le massacre de Jerada
Le protectorat français avait tout fait pour détacher les juifs des musulmans, favorisant, très relativement, les uns pour qu'ils n'endossent pas publiquement l'appel des nationalistes à lutter pour l'indépendance. Il est inutile de rappeler les noms des résistants juifs puisqu'ils étaient en l'occurrence Marocains d'abord. Aussi, la Résidence passa à des actes plus conformes à son style. Après un échec d'une tentative de provocation au Mellah de Fès le soir de Mimouna, échec dû à la réaction immédiate de militants du Parti Communiste Marocain, le Contrôleur Civil Chennebault organisa à Oujda et Jerada les 7 et 8 juin 1948, le massacre de 44 marocains juifs. Il ne faut pas faire dans l'angélisme, ni passer sous silence les débordements imbéciles. Cela dit, il n'y a eu ni pogrom, ni chasse aux juifs. La Résidence réussit, dans le contexte de la création de l'Etat d'Israël, à la fois le premier choc massif en faveur du sionisme.
Choc qui entraîna une première vague d'émigration qu'André Chouraqui évalue à 10% de la population juive marocaine, ainsi que la dissolution de la fédération des mineurs dont les responsables étaient inculpés d'être les organisateurs de ces massacres. Le procès contre les auteurs présumés de cette tuerie a provoqué de très vifs remous dans l'opinion marocaine. Le verdict a été rendu le 25 février 1949. Pas de condamnation à mort, mais quatre peines de travaux forcés à perpétuité et plusieurs autres peines de prison.