Sueurs froides.
Vertigo 1958,un Film d'Alfred Hitchcock
Le Film comporte deux parties. La première partie va jusqu'à la mort de Madeleine, sa chute simulée depuis le haut du clocher. Et la seconde commence lorsque le Scottie croit voir Madeleine en chaque femme qu'il rencontre. Ce sera le cas pour Judy qu'il croise dans la rue.
La première partie combine des ingrédients du film policier (filature), du film fantastique (l'appel d'une morte) et du film d'amour (la constitution d'un couple). L'expressionnisme de la couleur, la musique et la figure de la spirale donnent une grande unité formelle à cette première partie.
Les trois couleurs primaires lumière : le rouge, le vert et le bleu sont utilisées de manière expressionniste et marquent le spectateur qui reste imprégné de cette expérience comme le sont les deux personnages principaux par leur histoire. Le filtre rouge est utilisé dès le générique, il réapparaît lors du cauchemar de la fin de la première partie, il est la couleur dominante du bar dans lequel Scottie rencontre Madeleine pour la première fois, c'est aussi la couleur du pont de San Francisco sous lequel tente de se noyer Madeleine c'est enfin la couleur du bijou fatal. Le vert est la couleur de la robe portée par Madeleine lors de cette première rencontre, la couleur de sa voiture. C'est la couleur des morts qui sera utilisée comme telle dans les fameuses séquences de la seconde partie éclairées par l'enseigne au néon de l'Hôtel Empire, c'est aussi la couleur du gazon du cimetière et de celui de l'église espagnole où auront lieu les deux chutes. Le bleu, couleur plus bénéfique du ciel et de l'eau, présente des occurrences moins nombreuses.
La musique de Bernard Hermann contribue fortement à créer ce sentiment d'amour impossible. Soulignant le romanesque de certaines scènes, elle se fait dissonante quand Scottie prend conscience qu'il aime une morte.
La figure de la spirale, utilisée comme telle dans le générique, revient comme un leitmotiv. C'est le chignon de Carlotta Valdes et de Madeleine, c'est l'escalier en spirale, c'est le parcours de la voiture de Madeleine se rendant chez Scottie en tournant autour d'une tour repère. C'est le tronc du séquoia où Madeleine situe sa propre mort. La spirale évoque le cheminement de la vie. Elle tourne autour de la vérité, du centre, s'en approche, puis s'en éloigne, selon le sens dans lequel elle se déroule. Elle provoque le vertige.
Mais ne plus souffrir du vertige de la spirale, c'est être mort, ou du moins ne plus aimer. Durant toute cette première partie, Scottie est loin d'en être là. Fasciné par le passé que porte Madeleine, il n'approche pas de la vérité mais se prend d'un amour véritable et puissant pour la jeune femme. Le vertige qu'il ressent pour Madeleine est aussi physique : il en tombe amoureux au premier regard et il l'a vu nue en lui retirant ses vêtements mouillés. Cette dimension mythique de l'amour est accrue par l'utilisation de filtres de brouillard. Ces filtres sont certes justifiés par la dimension fantastique de Madeleine aux prises avec les forces d'une morte. Mais plus simplement, ils isolent les amants au sein d'un monde hors du réel. A contrario, les discussions avec son amie Midge, la caricature de celle-ci en Carlotta Valdes apparaissent totalement dénués de romanesque.
Dans la seconde partie, Scottie obsédée par l'image de Madeleine qu'il voit partout, s'abandonne à la nécrophilie. Il assume l'idée de faire l'amour avec une morte. Scottie essaie de faire de Judy l'image vivante de Madeleine qu'il a tant aimée. C'est la réincarnation de celle-ci qu'il souhaite avoir sous les yeux lorsqu'il persuade Judy de s'habiller et de se coiffer comme elle, afin de faire l'amour avec l'une en pensant à l'autre.
Dans la scène au cours de laquelle Judy, par son maquillage devient tout à fait telle que le souhaite Scottie, Hitchcock la fait apparaître, au sortir de la salle de bains, nimbée de l'étrange lueur verte diffusée par l'enseigne au néon de l'hôtel où elle habite. Cette couleur façonne d'elle une image transparente et spectrale semblable à celle offerte par Madeleine lorsque Scottie l'avait vu pour la première fois. Pour cette scène avait été construit spécialement un décor qui, lorsque la caméra opère son travelling de 360° autour des amants, nous permet de voir ce que Scottie imagine à ce moment, à savoir l'intérieur de la mission du haut de laquelle Madeleine s'était jetée. Il n'y a ni fondu, ni surimpression, aucune astuce photographique qui vienne surcharger l'image, rien que le mouvement souple de la caméra décrivant une courbe harmonieuse.