LA COMMUNAUTE JUIVE DE MAZAGAN, MESSAGES et PHOTOS Chapitre II
Posté par:
Requiston (IP enregistrè)
Date: 26 mai 2010 : 13:10
Pour vous relater le ressenti de ces émeutes, à l’époque, par un soldat du contingent, j’ai recherché les lettres que j’écrivais à ma fiancée de manière que le filtre de la mémoire ne soit pas trop sélectif. J’espère ne pas réveiller de mauvais souvenirs auprès de ceux qui ont vécu ces événements, il y a 55ans
J’avais été incorporé directement à Mazagan, venant de métropole, le 29 avril 1955 avec comme tout bagage culturel quelques clichés : Lyautey, bâtisseur du Maroc moderne, Mazagan, le Deauville marocain, le sultan Ben Arafa est contesté, d’où les troubles, mais nous avons le soutien d’El Glaoui de Marrakech.
Mais venons en au samedi 20 aout ;
14h, l’alerte sonne. Première réaction : encore un exercice et pendant la sieste ! Mais en sortant des baraquements on aperçoit des colonnes de fumées et on entend des rafales d’armes automatiques, dont certaines balles perdues finiront dans notre camp. On entend parler d’incendies de véhicules, de maisons et de bureaux de tabac.
Nos 2 half-tracks (véhicule semi chenillé blindé), avec 8 à 10 hommes partent en patrouille avec pour objectif d’empêcher les rassemblements. Ces véhicules n’étaient pas très maniables dans les rues de la médina et étaient vulnérables aux grenades et cocktails Molotov (pas de toit). De mémoire, il y avait un petit avion (civil ou militaire ?) qui survolait la ville pour signaler par radio la formation des groupes.
A 22h, ma section qui était jusqu’alors de garde au camp, se met en place dans une rue pour interdire l’accès de la ville européenne aux émeutiers. Par groupe de 2, nous relayant, nous passerons la nuit au pied d’un palmier. R.A.S.
Dimanche, patrouille en ville pour dégager les barricades puis nous sommes désignés pour la protection de la centrale électrique. 2 fusils mitrailleurs en batterie pour prendre la rue en enfilade. Un moment de tension quand un groupe de manifestants, drapeaux et hurlements, s’est approché, d’autant que notre chef de section était un dur. Heureusement après un certain flottement le groupe a pris une route transversale.
Lundi, calme plat, patrouille, contrôles des papiers et fouille. Les cas douteux étaient remis à la police car nous ne parlions pas l’arabe. Jamais nous n’avions été aussi bien accueillis par les « pieds noirs ». Cigarettes, thé à la menthe, rafraichissement, « si vous faites une patrouille cette nuit, passez par chez nous » Au Noël suivant, nombre d’appelés ont été conviés au réveillon.
Mardi, 4 h du matin, encerclement de la médina, des commandos de marine montés en renfort fouillent les maisons à la recherche d’armes ou d’explosif. Le soir, posté sur une terrasse, nous montons la garde à l’aide d’un projecteur. Sur 3 nuits, 8 heures de sommeil. Aucun coup de feu tiré, aucun blessé de notre coté. Nous avons ouï-dire qu’il n’en avait pas été de même avec la police.
Ensuite ce fut calme dans l’attente de la fin des négociations franco-marocaines fixées au 12 septembre. Le couvre-feu était fixé à 20h mais son contrôle tournait à la guignolade quand avec notre casque lourd, notre fusil, chaussés de chaussures ferrées, sautant d’un GMC, nous devions courir après de jeunes marocains, pieds nus, connaissant parfaitement la médina ! Le comble fut atteint une nuit quand une patrouille a ramené dans la cour de la caserne, un chamelier qui ne devait pas être au courant, et que nous avons été réveillés par le blatèrement de son chameau.
J’ai quitté le Maroc, et Mazagan le 4 juin 1957, après avoir passé 2 mois dans une ferme, la ferme Serres, au-delà d’Azemmour.
A votre disposition si vous souhaitez des précisions que ma mémoire pourrait retrouver.