lu sur [
www.eljadida.ma]
Mazagan, le samedi de tous les dangers
Le samedi 20 août 1955 (coïncidence, le 20 août tombe aussi un samedi, en cette année 2011!), le soleil est au rendez-vous. Ce sont les vacances, et la cité s’assoupit dans les chaleurs de l’été.
Mais en tout début d’après midi, des centaines de jeunes gens se rassemblent place Moulay-Youssef, à Derb Ghalef, à Boucherit ; des drapeaux chérifiens sont brandis, des slogans réclament le retour du sultan, les cortèges se propagent dans la ville. Les you-you stridents de femmes se répercutent de ruelle en ruelle. Dans les derbs Hadjar, Ben Driss, El Arsa, Ghalef, Nelska, dans la rue Pasteur, la rue du Commandant-Lachaise etc… C’est là où les dégâts seront les plus importants…Car vite, la manifestation a viré à l’émeute. Des voitures ont leurs vitres brisées, des maisons sont incendiées, dont celle du correspondant du journal en langue arabe El Widad, qui passe pour avoir des sympathies arafistes ; place Moulay-Hassan et place Gallieni, des échoppes, notamment des débits de tabac considérés comme des concessions gouvernementales, sont détruites, des incendies et des saccages sont aussi signalés dans l’enceinte de la cité portugaise où vit une importante communauté juive. La police, sollicitée de partout, a du mal à venir au secours de familles d’Européens et d’Israélites inquiétées par les insurgés ; les pompiers n’arrivent pas à éteindre toutes les flammes d’autant que souvent, les émeutiers leur tendent des pièges. La panique s’empare de Mazagan.
De nombreux Juifs du mellah (près de 1400, soit la moitié de la population israélite) sont conduits par camion dans la salle des sports de la ville C’est Jack Benarroch qui organise le plus gros de cette opération. On peut toutefois se poser la question : le parti de l’Istiqlal, qui était derrière cette manifestation avait donné comme consigne stricte que l’on ne s’en prenne pas à la communauté juive, de tous temps marocaine. Qui donc a orchestré ces débordements ? Et dans quel but ? Appelé en renfort, un avion survole la cité pour signaler tout attroupement. Des manifestants sont arrêtés. A 20h, le couvre-feu est instauré.
Un calme bien fragile s’installe pour la nuit. La fumée des incendies plane sur la ville…Mais demain ?
Dimanche 21 aout 1955. Violences meurtrières
Les Mazaganais se réveillent au vrombissement de l’avion d’observation qui tournoie au dessus de la ville. Des rassemblements un peu partout. Des voitures sont caillassés ; des incendies embrasent à nouveau la ville et le mellah. Des snipers sont juchés sur les terrasses et tirent sur la police… Près du marché central, un mokhazni est tué ; plus loin, on retrouvera le corps du journaliste du Widad, Si Mohammed Mahaji, poignardé et égorgé. Son assassin, Ahmed Tijani, un restaurateur de la ville sera arrêté le 26 octobre avec trois de ses complices. Près de l’hôpital, la police doit utiliser ses armes pour disperser un groupe de manifestants ; là encore, des maisons sont saccagées et incendiées ; 450 émeutiers seront arrêtés et parqués dans un magasin du port, transformé en prison. Les rapports de police affirment que beaucoup d’entre eux sont originaires de Casablanca ! Les autorités françaises font appel à des commandos de parachutistes pour rétablir le calme ; le couvre-feu est à nouveau décrété à 20h…
La nuit sera longue pour la population mazaganaise !
Le lundi 22 Août. On fait le bilan. On compte les morts
La population de la ville se réveille choquée, meurtrie. Abasourdie. Il faut faire un bilan de ces journées tragiques. Un grand titre barre
la une du journal le plus populaire de l’époque, La Vigie : « Emeutes sanglantes hier à Mazagan » : « Incendies, pillages systématiques des maisons européennes et israélites, pièges tendus aux sapeurs-pompiers, tireurs embusqués sur des toits, Mazagan a vécu hier sa seconde journée d’émeutes »... Jamais, cette si gentille ville ne s’était trouvée sous les projecteurs de l’actualité, jamais les habitants, français du Plateau, juifs du mellah, marocains de la médina n’avaient imaginé défrayer ainsi la chronique, à l’instar des grandes métropoles du royaume.
Le bilan est lourd : sept morts, (dont cinq manifestants), une dizaine de blessés, près d’une cinquantaine de maisons incendiées, de très nombreuses boutiques saccagées. Certaines familles, notamment juives, affirment avoir tout perdu.
Mais la vie doit reprendre son cours… beaucoup de Juifs qui avaient fui leur mellah regagnent leur domicile, traumatisés… D’autres ont pris leur disposition pour quitter leur terre natale… Ils émigreront en Israël. Une délégation de notables musulmans de Mazagan demande à être reçue par le contrôleur civil, chef du territoire des Doukkala, M.Mirande, pour exprimer leur indignation après ces événements. Ils adressent aussi un télégramme au Résident général de France au Maroc, le général Boyer de la Tour, dans lequel ils « expriment leur tristesse et leur regrets des actes d’innommable sauvagerie contraires à toutes les lois morales et divines commis les 20 et 21 Aout dernier à Mazagan ». Beaucoup de Marocains, au plus fort des émeutes, n’avaient-ils pas protégé leurs voisins, juifs ou européens, contre des insurgés ! Des « Justes », à leur façon.
Désormais, il va falloir, pour la population vivant à Mazagan, intégrer le mot « indépendance » dans son vocabulaire. Certains étrangers s’en accommoderont, d’autres auront du mal à le faire et quitteront le pays. Cependant, beaucoup de ceux qui l’ont quitté, quelle que soit leur confession, ne l’ont jamais totalement oublié, car ces journées tragiques n’ont pas brisé les liens fondamentaux qui unissaient les différentes communautés.