Au royaume de la coexistence
20/06/2010 à 11h:52 Par Gideon Levy
Article publié dans "Haaretz", quotidien israélien et repris par Jeune Afrique.
La synagogue Bet El, à Casablanca au Maroc.
J’ai rencontré peu de gens aussi admirables qu’André Azoulay, conseiller de longue date du roi du Maroc. Lui et sa femme, Katia, sont nés à Essaouira, la seule ville du monde arabe à avoir été majoritairement juive. L’attitude et les propos d’André Azoulay témoignent de sa noblesse et de sa perspicacité. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, il y a vingt-cinq ans, j’ai téléphoné à l’hôtel où il était logé, à Jérusalem, et demandé à parler à M. Azoulay. « Est-ce qu’il travaille à l’hôtel ? » m’a demandé le réceptionniste, visiblement incapable d’imaginer qu’un dénommé Azoulay puisse être un client.
Lors de notre rencontre en avril, il était abattu et perturbé. Pour la première fois au cours de sa longue carrière de conseiller de Hassan II, puis de son fils Mohammed VI, l’actuel monarque, Azoulay a été accusé d’être un agent du Mossad par un avocat local, Khalid Soufiani, un militant de la cause palestinienne.
Azoulay a un parcours impressionnant. Il a fondé le groupe Identité et Dialogue, l’un des premiers cercles à avoir appelé à des négociations entre Palestiniens et Israéliens dans les années 1970, et il a, tout au long de sa carrière, plaidé pour la paix entre Juifs et Arabes. Il s’est toujours senti fier de son identité juive tout en étant un patriote marocain. Tout compte fait, il est étonnant qu’il n’ait pas été accusé plus tôt de travailler pour le Mossad. Après tout, être juif et conseiller du roi dans un pays arabe n’est pas banal, d’autant qu’il a possédé une maison en Israël.
Les journaux du royaume ont immédiatement défendu Azoulay. De son côté, il n’a pas hésité à participer, en avril, au dîner annuel du Club Mimouna, une association qui a pour but de préserver l’héritage culturel juif au Maroc. L’entrée de l’auditorium était ornée d’une grande inscription en hébreu, et le secrétaire d’État au Tourisme était présent à la cérémonie d’ouverture. Je n’en croyais pas mes yeux. Décidément, le Maroc se révélait très différent de ce que j’imaginais. À Fès, par exemple, le cimetière juif est mieux entretenu que n’importe quel cimetière musulman d’Israël, et la synagogue de la ville a été restaurée, à l’initiative d’Azoulay, évidemment. Il ne reste que 60 Juifs à Fès, et le sacrificateur rituel qui me guide, Avraham Sabag, la soixantaine, fait partie des plus jeunes. Il envisage d’émigrer en Israël, où il contrôlerait les produits casher dans un hôtel d’Eilat.
Parmi les 3 000 Juifs qui vivent au Maroc, j’en ai rencontré beaucoup qui rêvaient que le modèle de coexistence marocain puisse inspirer une solution au conflit israélo-palestinien. Le peintre et journaliste Claude Senouf caresse même le projet d’inviter des groupes d’Israéliens et de Palestiniens au Maroc pour rapprocher les deux peuples. Mais d’autres, comme Simon Lévy, directeur du musée du Judaïsme marocain de Casablanca, comparent l’occupation israélienne au nazisme. Au Maroc comme ailleurs, il y a autant d’opinions qu’il y a de Juifs.