L’introduction de cette recherche veut qu’on donne un bref passage de l’histoire des Juifs, avec la destruction de la Judée qui exerça un rôle décisif lors de la dispersion du peuple juif à travers le monde, avec aussi le passage de l'autorité religieuse du Temple aux rabbins. Certains Juifs furent vendus comme esclaves et transportés, d'autres joignirent les diasporas existantes, pendant que d'autres commencèrent à travailler sur le Talmud. Ces derniers étaient alors généralement acceptés au sein de l'empire romain, mais avec la montée du Christianisme, de nouvelles restrictions apparurent.
Durant le Moyen Âge, les Juifs se divisèrent en groupes distincts qui sont aujourd'hui généralement classés en deux groupes : les Ashkénazes du nord et de l'est de l'Europe et les Séfarades de la péninsule ibérique et du bassin méditerranéen. Ces deux groupes partagent une série d'histoires parallèles de persécutions et d'expulsions.
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J’écris des Juifs du Maroc moins de mal que je n’en pense ; parler d’eux favorablement serait altérer la vérité. Mes observations s’appliquent à la masse du peuple : dans le mal général il existe d’heureuses excéptions. Le grand Rabbin de Fes était aux yeux des Musulmans mêmes, un des hommes les plus justes de son temps. Mais ces modèles sont rares et on ne les limite pas avec cet éclairage, on peut suivre l’auteur dans sa recherche. (De 1883 aux environs de 1950).
Les Israélites du Maroc se divisent en deux classes : ceux des régions soumises au Sultan :
Juifs de blad makhzen ; ceux des contrées indépendantes,
Juifs de blad siba.
Les premiers protégés des puissances européennes, soutenus par le sultan, qui voit en eux un élément necessaire à la prospéruté commerciale de son empire et à sa propre richesse, tiennent par la corruption les magistrats, auxquels ils parlent fort haut, tout en leur baisant les mains, acquièrent de grandes fortunes, oppriment les Musulmans pauvres, sont respectés des riches, et parviennent à résoudre le problème difficile de contenter à la fois leur avarice, leur orgueil et leur haine de ce qui n’est pas juif. Ils vivent grassement, sont paresseux et effeminés, ont tous les vices et toutes les faiblesses de la civilisation sans en avoir aucune des délicatesses. Sans qualités et sans vertus, plaçant le bonheur dans la satisfaction des sens et ne reculant devant rien pour l’atteindre, ils se trouvent heureux et se croient sages. Les Juifs de blad siba ne sont pas moins méprisables, mais ils sont malheureux : attachés à la glèbe (terre cultivée), ayant chacun leur seigneur musulman, dont ils sont la propriété, pressurés sans mesure, se voyant enlever au jour le jour ce qu’ils gagnent avec peine, sans sécurité ni pour leurs personnes ni pour leurs biens, ils sont les plus infortunés des hommes. Paresseux, avares, gourmands, ivrognes, menteurs, voleurs, haineux surtout, sans foi ni bonté, ils ont tous les vices des Juifs de blad makhzen, moins leur lacheté. Les périls qui les menacent à toute heure leur ont donné une énergie de caractère inconnue à ceux-ci, et qui dégénère en sauvagerie sanguinaire.
Israélites de blad makhzen :
Le Juif se reconnaît à sa calotte et ses pantouffes noires ; il ne lui est pas permis de les porter d’une autre couleur. Dans la campagne, il peut aller à âne et à mulrt, mais s’il rencontre un religieux ou une chapelle, il met pied à terre ou fait un détour. Aux péages et aux portes, il est soumis à une taxe comme les bètes de somme. En ville, il se déchausse et marche à pieds-nus ; les rues voisines de certains sanctuaires lui sont interdites. Il demeure hors contact des Musulmans, avec ses coreligionnaires dans un quartier spécial appelé Mellah. Le Mellah est entouré de murs ; une ou deux portes lui donnent entrée ; on les ferme à 8 heures du soir. Dans le Mellah, le Juif est chez lui ; en y rentrant, il remet ses chaussures. Il fait ses achats et, reprenant sa route, il gagne sa maison ; s’il est pauvre, il se glisse dans une chambrette où grouillent, assis par terre, des femmes et des enfants ; un réchaud, une marmite forment tout mobilier ; quelques légumes la semaine, des tripes, des œufs durs et un peu d’eau-de-vie le samedi, nourrissent la famille. Mais notre Juif est riche, au moment où il pousse la porte noire, surmontée de mains pour préserver du mauvais œil qui ferme sa demeure, il pénétre dans un monde nouveau. Voici le jour, la propreté, la fraîcheur, la gaieté, les faiences colonées dont tout est revêtu, murs, colonnes, sol de la cour, planche des chambres. Une odeur de bois de cèdre remplit et parfume la demeure. Le soleil vient de se coucher. Chaque homme se lève et, se plaçant devant un mur, récite en se balançant, sa prière : tantôt il remue les lévres en silence, tantôt il psalmodie à mi-voix ; le voici qui fait unr inclination profonde, la prière est finie : les causeries éclatent de nouveau à table, le diner est prêt. Le Juif a un hôte ; il s’assied avec lui sur un tapis ou sur des coussins, le reste de la famille mange à part, dans un coin ; on apporte le thé : il y a du thé à l’ambre, à la menthe, à la verveine : on en boit trois tasses, puis se succèdent un potage très épicé, des quartiers de mouton bouilli, des boulettes de viande hachée au piment, des tripes et du foie au piment, un poulet, des fruits confits dans le vinaigre, d’autres frais ; c’est un repas distingué. Une carafe pleine d’un liquide incolore est entre les deux Juifs ; ils s’en versent de grands verres et, tout en mangeant, en boivent un litre à eux deux ; on pourrait croire que c’est de l’eau ; c’est de l’eau-de-vie. Au milieu du diner entrent trois musiciens, le premier une flute l’autre une sorte de guitare et le dernier chante. Les chansons sont si légères qu’on n’en peut rien dire, pas même les titres. Les instruments accompagnent les femmes et les enfants répètent les refrains et battent des mains en cadence. Le bruit attire les voisins ; bientôt on est vingt cinq ou trente en cercle autour des artistes.
Les Juifs de blad makhzen dépendent des seuls gouverneurs du sultan et leur paient impôt. Ceux qui ont quelque fortune sont sous protection d’une puissance européenne ; les uns l’obtiennent par un séjour vrai ou fictif en Algérie. La plupart l’achètent des agents indigènes que les nations possèdent dans les villes de l’intérieur.
Les Israélites du Maroc parlent l’arabe. Dans les contrées où le tamazight est en usage, ils le savent aussi ; en certains points le tamazight leur est plus familier que l’arabe, mais nulle part ce dernier idiome ne leur inconnu. Tous les Juifs lisent et écrivent les caractères hébreux ; ils ne connaissent point la langue, épellent leurs prières sans les comprendre, et écrivent de l’arabe avec les lettres hébraïques. Les Rabbins seuls ont appris la grammaire et le sens des mots et, en lisant, entendent plus au moins. Les Rabbins se distinguent par leur coiffure : ils s’enveloppent la tête d’un long mouchoir bleu qui encadre leur figure et dont la pointe retombe sur leurs épaules. Les villes renferment plusieurs synagogues et de nombreux officiants. Il n’est pas de village ayant six ou sept familles israélites qui n’ait sa synagogue et son rabbin. Ils observent avec la dernière rigueur les pratiques extérieures du culte. Mais, comme nous l’avons dit, ils ne se conforment en rien aux devoirs de morale que prescrit leur religion : non seulement ils ne les suivent pas, mais ils le nient. Ils appellent sagesse la ruse, le mensonge, la violation des serments, justice la vengeance, la haine, la calomnie ; prudence l’avarice et la lacheté ; la paresse, la gourmandise, l’ivrognerie sont d’heureuses facultés données par Dieu aux mortels pour leur faire supporter les peines de la vie.
Les Juifs sont les enfants bien-aimés du Seigneur : qu’ils lui rendent les hommages dus, qu’ils prient, qu’ils observent le sabbat et les fêtes, qu’ils mangent seulement la nourriture licite, qu’ils se lavent et se baignent quand il faut, et ils seront toujours chéris de Dieu ; ils peuvent, pour les aytres choses, se permettre ce qui leur plaît. Le jour n’est pas loin où le Messie, tant de fois annoncé, viendra et mettra le monde sous les pierds du peuple d’Israel.
Israélites de blad siba :
Tout Juif de blad siba appartient corps et biens à son seigneur, son sid. Si sa famille est établie depuis longtemps dans le pays, il lui est échu par héritage, comme une partie de son avoir, suivant les règles de droit musulman ou les coutumes imazighen (berbères). Si lui-même est venu se fixer au lieu qu’il occupe, il a dû, aussitôt arrivé, se constituer le Juif de quelqu’un : son hommage rendu, il est lié pour toujours, lui et sa prospérité, à celui qu’il a choisi. Le sid protège son Juif contre les étrangers comme chacun défend son bien. Il use de lui comme il gère son patrimoine, suivant son propre caractère. Le Musulman est-il sage économe ? Il ménage son Juif, il ne prend que le revenu de ce capital ; une redevance annuelle, calculée d’après les gains de la saison, est tout ce qu’il demande ; il se garde d’exiger trop, il ne veut pas appauvrir son homme ; il lui facilite au contraire le chemin de la fortune : plus le Juif sera riche, plus il rapportera. Il ne le moleste pas dans sa famille, ne lui prend ni sa femme ni sa fille, afin qu’il ne cherche pas à s’échapper à la servitude par la fuite. Ainsi le bien du sid s’accroît de jour en jour, comme une ferme sagement administrée. Mais que le seigneur soit emporté, prodigue, il mange son Juif comme on gaspille un héritage : il lui demande des sommes excessives : le Juif dit ne pas les avoir ; le sid prend sa femme en otage, la garde chez lui jusqu’à ce qu’il ait payé. Bientôt c’est un nouvel ordre et une nouvelle violence : le Juif mène la vie la plus pauvre et la plus misérable, il ne peut gagner un liard qui ne lui soit arraché, on lui enlève ses enfants. Finalement, on le conduit luièmême sur le marché, on le met aux enchères et on le vend, ainsi que cela se fait en certaines localités du Sahara, mais non partout ; ou bien on pille et on détruit sa maison et on le chasse nu avec les siens. On voit des villages dont tout un quartier est désert. Le passant étonné apprend qu’il y avait là un Mellah et qu’un jour les sid d’un commun accord, ont tout pris à leurs Juifs et on les ont expulsés. Rien au monde ne protège un Israélite contre son seigneur ; il est à sa merci. Veut-il unir sa fille à un étranger qui la conduira dans son pays, force est au fiancé de la racheter du seigneur au prix qu’il plaira à ce dernier de fixer : la rançon varie suivant la fortune du jeune homme et la beauté de la jeune fille. Le Juif, tout enchainé qu’il est, peut s’affranchir et quitter le pays, si son sid l’autorise à se racheter ; le plus souvent celui-ci repousse sa requête si parfois il consent, c’est lorsque le Juif, par la suite d’opérations commerciales, a la majeure partie de sa fortune hors de son atteinte. Il fixe alors le prix du rachat, soit en bloc pour toute la famille, soit pour chaque membre en particulier : la somme exigée est la plus grande partie de la fortune présumée du Juif. Le marché conclu : la rançon payée, le Juif est libre. Et, s’il ne peut donner ce qu’on lui demande, et s’il a la ferme volonté de s’en aller coûte que coûte, il ne lui reste qu’un moyen, la fuite. Il la prépare d’avance, l’exécute dans le plus grand secret. On gagne d’un pas rapide la limite du blad makhzen ; là enfin on respire, on est en sûreté complète qu’arrivé dans une grande ville. Le Juif qui se sauve est en danger mortel. Son seigneur, dès qu’il apprend son départ, se jette à sa poursuite ; s’il le rejoint, il le tue comme un voleur qui lui emporte son bien. Lorsque la fuite a réussi, le Juif évitera, lui et ses descendants pendant plusieurs générations, d’approcher même de loin de son ancienne résidence ; il s’en tiendra au moins à trois ou quatre journées, et la même il sera inquiet.
Dans les tribus dont l’organisation est démocratique, chez les Berbères par exemple, chaque Israélite a un seigneur différent. Dans celles qui sont gouvernées par un chef absolu comme le Mezguita, le Tazeroualt, les Juifs appartiennent tous au Chikh et n’ont pas d’autre sid que lui. Aux lieux où le chikh existe, mais avec une autorité limitée, à Taznaght, chez leZénaga, le Juif doit un tribu annuel, ne peut déménager sans se racheter de lui, mais n’en appartient pas au moins à un seigneur particulier qui a sur lui les droits ordinaires.
En conclusion, les Juifs ont occupé des territoires importants à travers le pays puis le nouveau monde, et existent depuis le Ier millénaire avant l'ère commune. Des cultures juives extrêmement diversifiées ont donc existé, s'exprimant dans de nombreuses langues.
Si le coeur qui bat pouvait parler