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La quête des origines chez les Juifs noirs
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 19 juillet 2012 : 07:33

La quête des origines chez les Juifs noirs.
Par Aurélien Mokoko Gampiot







Se donner pour objet d’étude la généalogie juive, c’est se poser la question : comment est-on juif ou comment devient-on juif ?

La réponse est connue : selon le droit rabbinique actuellement en vigueur, la judéité d’un individu est déterminée par celle de sa mère.

Mais comment fonctionne cette conceptualisation de la filiation dans son rapport à l’altérité et notamment à l’identité noire ? Que recouvre et que signifie être juif pour les Noirs originaires d’Afrique, des Antilles et d’Amérique ? Ce qui m’intéresse ici, c’est d’établir à partir de la judéité une grille de description, de compréhension et d’analyse qui puisse fournir un éclairage sur cette question fondamentale de la généalogie juive dans son rapport à l’autre en la personne du/de la coreligionnaire noir-e.

Il n’est pas question ici d’un témoignage personnel, mais d’une étude de terrain menée à partir d’enquêtes réalisées auprès de pratiquants juifs d’origine africaine, antillaise, voire africaine-américaine en France. Je me place ici sous un angle à la fois anthropologique et sociologique, en abordant la question de la filiation juive aussi bien sur le plan des représentations, des opinions et des subjectivités, qu’en amont de ce qui fonde l’identité juive chez les Noirs et la justifie.

Cet exposé se joue en deux temps : d’abord je vais remonter le temps pour restituer la place des Noirs et son rapport à la judéité au temps biblique. Ensuite, je vais m’intéresser au temps présent et notamment aux Juifs noirs en France : quelle est la place des Noirs en rapport avec la construction sociale de la judéité et comment s’exprime chez eux la quête des origines juives ?

Noirs dans le Judaïsme historique

L’identité juive noire a eu une place centrale et pour ainsi dire fondatrice dans la construction du judaïsme biblique. Car si l’on s’en tient au fait que la Bible a eu un impact sur le façonnage idéologique de la filiation et sur l’imaginaire généalogique juif, l’on ne peut pas ne pas reconnaître des ancêtres noirs de sexe féminin qui ont joué un rôle fondateur, du fait des usages matrimoniaux très significatifs, dans la conceptualisation de la judéité. On ne peut pas ne pas citer l’enjeu des alliances matrimoniales qui se déroulent au sein de la famille de celui qui va devenir Israël : j’ai cité Jacob. En effet, avant sa mort, Abraham, évitant les filles cananéennes, arrange le mariage d’Isaac avec Rébecca, fille d’un parent car c’est par leurs descendants que doivent se réaliser les promesses divines (Genèse 21/1-13 ; 24/1-5).

À son tour la femme d’Isaac, Rebecca, donne naissance à deux jumeaux qui sont aux yeux de Dieu la démarcation des peuples et des nations (Genèse 25/23). Jacob, l’un des jumeaux, qui est choisi comme symbolisant la race bénie (Génèse28/1), a non seulement la ruse d’usurper le droit d’aînesse et la bénédiction paternelle de son frère, mais aussi choisit d’épouser les femmes recommandées par Dieu ; alors qu’Ésaü a non seulement la maladresse de perdre son droit d’aînesse, sa bénédiction paternelle mais encore a le « malheur » d’épouser les filles chamites, suscitant ainsi l’amertume de sa mère (Genèse 26 : 34-35, 28 :1-5). Même Moïse, le grand prophète législateur d’Israël qui ordonna le Décalogue, ne manqua pas de susciter le racisme de sa famille en épousant Tsipporah, une femme éthiopienne (Nombres 12 :1).

Par ailleurs, le poème attribué au roi Salomon par la fille du roi d’Égypte abonde en ces termes : « Je suis noire mais je suis belle, fille de Jérusalem... Ne prenez pas garde à mon teint noir, c’est le soleil qui m’a brûlée » ;
« Qu’a ton bien-aimé de plus qu’un autre, ô la plus belle des femmes ? Qu’a ton bien-aimé de plus qu’un autre, pour que tu nous conjures ainsi ? » auraient réagi (imagine-t-on) les filles de Jérusalem « — Mon bien-aimé, répond la narratrice, est blanc et vermeil ; il se distingue entre dix mille » (Cantique des cantiques 1 :5-6, 5 :10).

L’on ne peut pas ne pas céder à la tentation d’imaginer un racisme ambiant contre lequel se bat l’auteure du poème ; sinon pourquoi cette mise en garde « ne prenez pas garde à mon teint noir », si ce n’est pour dire qu’elle était noire et différente des autres, appelées ici fille de Jérusalem, qui sont non noires. La désolation et la prière d’Esdras à l’occasion des différents mariages entre les Israélites et les Chamites nous offre un bel éclairage de la démarcation des races : « Après que cela fut terminé, les chefs s’approchèrent de moi , en disant : le peuple d’Israël , les sacrificateurs et les lévites ne sont point séparés des peuples de ces pays, et ils imitent leurs abominations, celles des Cananéens, des Héthiens, des Phéréziens, des Jébusiens…des Égyptiens et des Amoréens. Car ils ont pris de leurs filles pour eux et pour leurs fils, et ont mêlé la race sainte avec les peuples de ces pays ; et les chefs et les magistrats ont été les premiers à commettre ce péché. » (Esdras 9 :1-3, 10-13).

Rappelons qu’Esdras est reconnu avec le prophète Néhémie, comme un réorganisateur de l’Etat juif après la captivité de Babylone. A en croire Edmond Fleg, dans Anthologie juive des origines au moyen âge, « Esdras poussa à la rigueur jusqu’à exiger des Hébreux demeurés en Palestine, la répudiation de leurs femmes cananéennes et des enfants nés d’elles ».

Ainsi, il ne fait donc pas de doute, que le métissage est au fondement du Judaïsme et qu’un Noir peut faire la preuve de sa judéité par le lien généalogique. Car loin de ne voir dans la Bible que l’histoire d’Israël, on y décèle bien la présence noire, notamment féminine et juive. La question peut donc être transposée dans le temps présent et en France : est-ce qu’un Noir qui se dit juif ou se revendique comme Juif peut faire la preuve de sa judéité par le lien généalogique ? 2- Etre juif et noir aujourd’hui en France

Il s’agit de restituer ici le Judaïsme dans sa diversité, à travers la présence des Africains et Antillais natifs ou convertis, qui transforme l’image traditionnelle de la religion juive, à l’instar des autres grandes institutions religieuses chrétiennes (catholiques ou protestantes) ou même musulmane en France. En effet, depuis les années 1980, les médias du monde ont fait écho des Opérations baptisées Salomon et Moïse, couvrant le rapatriement de Juifs éthiopiens en Israël. Ces Juifs noirs ne restent pas confinés en Israël ou même en Afrique, mais s’inscrivent dans une dynamique transnationale qui justifie leur présence en France. En parallèle à cette dynamique transnationale, s’ajoute l’expérience d’Africains et Antillais convertis au Judaïsme. Comment ces pratiquants se définissent-ils eux-mêmes en tant que Juifs et noirs ? Comment la question de la judéité se pose-t-elle chez eux notamment à travers des alliances matrimoniales dites « mariages mixtes », et comment sont-ils perçus par les autres, Juifs blancs ?

On observe des éléments de recomposition identitaire selon plusieurs axes : D’abord, par une identification historique au peuple juif (se basant sur la Torah) voire une appropriation ou une réinterprétation du passé biblique. En effet, selon certains travaux du très célèbre historien sénégalais Cheikh Anta Diop , les ancêtres bibliques, les Hébreux, furent des Noirs. Cette version de l’histoire du judaïsme a alimenté l’imaginaire des Africains, juifs ou non, sur leur identité historique. Ainsi, dans toute l’Afrique on trouve des groupes ethniques qui sont ou se disent juifs ou s’identifient aux Juifs : parmi les plus connus, on peut citer les Lembas du Mozambique ou d’Afrique du Sud, les Ibos du Nigéria ou les Tutsi du Rwanda et du Burundi ; les travaux d’Edith Bruder , The Black Jews of Africa : History, Religion, Identity, mettent en lumière les réalités de ce qu’il est convenu d’appeler le judaïsme africain. Elle a même organisé deux colloques internationaux sur ce concept. Sur le plan des parcours individuels, les récits des personnes rencontrées laissent percevoir trois tendances : les Juifs éthiopiens ou Ibos du Nigéria rencontrés, quand je leur pose la question : « depuis quand êtes-vous juif », la réponse est quasi-systématique : « depuis ma naissance ». Et cette réponse est souvent accompagnée d’un élément généalogique supplémentaire : « nous sommes Juifs depuis très longtemps » ; les Ethiopiens auront tendance à dire : « bien avant même la reine de Saba » et les juifs Ibos disent : « bien avant Jésus-Christ » et précisent qu’Ibos veut dire Hébreux.

La deuxième tendance est constituée des juifs métis issus des unions mixtes entre Ashkénazes et Noirs ou entre Sépharades et Noirs. Ce qui s’offre à l’observation de cette tendance, c’est d’une part, la difficile mixité des couples formés entre deux conjoints, l’un juif blanc et l’autre juif et noir, et d’autre part la souffrance du métis.

En ce qui concerne les couples mixtes, deux éléments émergent des propos recueillis : d’une part, l’acceptation du conjoint juif noir par la belle famille juive blanche, lorsque l’union matrimoniale apporte le retour aux normes religieuses juives espérées. Tel est le cas d’un Juif éthiopien dont l’union avec une juive marrane a été très bien accueillie par la belle famille, d’autant que son épouse avait été auparavant éloignée de la religion juive par sa première union avec un musulman. D’autre part, on relève le rejet dû au racisme anti-noir de la belle famille juive blanche ; dans ce cas, c’est le rejet de la couleur qui l’emporte sur le besoin de préserver la filiation juive. En effet, j’ai rencontré une juive éthiopienne qui m’a confié que son conjoint ashkénaze, qui était auparavant très religieux, était devenu par réaction au racisme du milieu juif, un athée.

Par ailleurs, la conversion est parfois choisie délibérément, soit imposée dans le but de préserver la descendance juive. Tel est le cas d’une française d’origine guadeloupéenne mariée à un juif ashkénaze, qui choisit de se convertir par ce que selon elle, « ça permet au début d’avoir une base commune, une structure familiale solide et de savoir dans quelle direction on va, pour élever les enfants. Ce qui est plus difficile à son sens quand on est entre deux religions ». Un juif éthiopien marié à une femme martiniquaise, met au premier plan la judéité de sa descendance ; étant de sexe masculin, il a imposé la conversion à sa femme avant même la naissance de leurs enfants. J’ai aussi repéré un couple qui a choisi de rester chacun dans sa religion : lui étant ashkénaze, elle martiniquaise catholique. Ce qui saute aux yeux, lorsqu’on observe ce couple, c’est qu’ils sont tous les deux non pratiquants. Quant à la souffrance du métis, c’est le malaise identitaire rendu compliqué par le système consistorial.
J’ai ainsi recueilli le cas de deux jeunes femmes : l’une, issue d’une union entre une juive sépharade et un Guadeloupéen, est bien juive par sa mère, elle parle hébreu puisqu’elle a vécu en Israël comme juive sans problème depuis l’âge de 13 ans jusqu’à son retour en France à 30 ans. On lui impose de se convertir, parce qu’elle n’a pas fourni la Ketuba, la preuve du mariage religieux que le Consistoire avait refusé 30 ans auparavant à ses parents puisqu’il avait rejeté la demande de conversion son père, empêchant ainsi leur mariage religieux. A en croire l’intéressée, sa mère a abandonné sa foi juive par déception. Cette enquêtée a fini par se plier à l’exigence du Consistoire en acceptant de se convertir : sa conversion était en cours au moment où je l’ai rencontrée.
La deuxième métisse juive a 17 ans au moment où je l’interroge, elle est issue d’une union mixte entre un père ashkénaze et une mère martiniquaise. A la différence de la première métisse qui accepté de se convertir, celle-ci qui est moins juive que la première, puisqu’elle est juive par son père, refuse de se convertir. Elle me dit qu’elle s’est toujours sentie juive à part entière, et n’estime donc pas avoir besoin de conversion. Par conséquent elle va contourner le système consistorial pour demander une reconnaissance au Mouvement juif libéral malgré le fait que toute sa famille est de tradition orthodoxe.

La troisième tendance, constituée d’une part d’Antillais convertis, se base souvent sur un imaginaire généalogique renforcé par des recherches généalogiques. Tel est le cas d’une Juive d’origine martiniquaise qui me dit que le déclic lié à sa conversion vient des recherches qu’elle a faites sur sa généalogie, grâce auxquelles elle a découvert que ses ancêtres étaient juifs et non bretons comme elle l’avait toujours cru jusqu’alors. D’autre part, on y trouve des Africains convertis, qui se trouvent un peu extérieurs à l’historicité de l’imaginaire généalogique juif ashkénaze et sépharade, et mettent en avant, dans les discours recueillis, un élément généalogique d’ordre mythique pour affirmer leur appartenance historique au peuple juif.

Rappelons que l’une des influences juives en Afrique c’est par le canal de l’évangélisation coloniale chrétienne, des Africains ayant découvert la Bible on été marqué par le concept de tribus perdues de la Maison d’Israël, ainsi il y a en Afrique bien de groupes ethniques qui se disent tribu perdue. Ainsi, certains Africains interrogés, bien que convertis, affirment leur appartenance au judaïsme non pas par la conversion mais par une identification ethnique d’ordre subjectif au passé historique du peuple juif.

Par ailleurs, l’un des marqueurs identitaires lié à la quête des origines juives est le patronyme. Ainsi, des Juifs sont connus comme tels dans la société française ou ailleurs en Europe parce qu’ils portent des noms tels que Levy, Cohen ou David. Oui, parmi des Juifs noirs rencontrés, notamment métis, certains portent des noms juifs tels que Cohen, David, Abraham etc. ou encore des noms juifs à consonance africaine éthiopienne tels que Yerdaï ou Hannah qui veut dire Dieu fait grâce, ou encore d’origine ibo du Nigéria tels que Emeka Chukwu, Alo Chukwu voulant dire l’idée de Dieu. Quant aux convertis, on y décèle toute un besoin de recomposition identitaire lié au besoin de se situer dans l’imaginaire généalogique biblique : ainsi les femmes converties choisissent souvent le prénom de Tsipporah (qui est un personnage emblématique de la Bible car épouse de Moïse) ou Ruth s’identifiant à elle du fait de son expérience de conversion ou encore Esther du fait de sa force de caractère.
Les hommes convertis laissent percevoir aussi ces éléments d’ordre généalogique biblique : ainsi on trouve des prénoms tels que Guershon qui est le fils de Moïse dans la Bible et voulant dire étranger ; ou Pinhas, descendant d’Aaron le prêtre, personnage biblique qui s’est illustré par l’assassinat d’un Prince de tribu d’Israël, Moshe aussi très porté par des personnes interrogées. En dernier lieu, on ne peut pas ne pas évoquer la mémoire de la Shoah, qui s’inscrit comme le paradigme de la place du trauma de type collectif dans la construction de l’identité et, en particulier de la transmission transgénérationnelle du traumatisme . Aussi l’on pourrait croire que des populations d’origine africaine et antillaise, ne seraient nullement concernées par la transmission transgénérationelle du traumatisme de la Shoah ; mais parmi les personnes rencontrées, notamment métisses, le trauma est mis en évidence comme une douleur héritée. Ainsi, l’adolescente de 17 ans de mère martiniquaise et de père ashkénaze est bien placée pour évoquer les deux mémoires, puisqu’elle est à la fois descendant d’esclaves et de déportés : « Je suis plus proche de la mémoire de la Shoah que de l’esclavage, en fait. La mémoire de l’esclavage est plus lointaine, alors que la mémoire de la Shoah est plus récente avec mon grand-père qui m’en parle souvent. Mon grand-père avait été déporté à Auschwitz. Ma mère ne me parle jamais de l’esclavage » (Rebecca, 17 ans lycéenne). J’ai pu remarquer chez cette jeune adolescente une véritable passion pour la Shoah, car elle collecte des journaux des années 1930 et 1940, ses films préférés étant tous centrés sur cette cause : La Liste de Schindler réalisé par Steven Spielberg, La vie est belle de Roberto Benigni. D’autres enquêtés, notamment d’origine antillaise, à l’instar de la mère de l’adolescente ci-dessus, m’ont fait remarquer le silence qui entoure la mémoire de l’esclavage au sein de leur famille.

Conclusion

En conclusion, l’importance de la filiation juive, qui est cruciale comme facteur d’inclusion interne au peuple juif, fonctionne également comme un obstacle de taille pour ces Juifs noirs, car ils sont confrontés au racisme qui est à définir ici comme « une organisation de l’exclusion ». L’absence de Juifs noirs dans le paysage religieux juif de France conduit aujourd’hui des Africains et Antillais natifs ou convertis à s’identifier à leurs coreligionnaires blancs en s’affirmant à travers une quête d’origine juive qui est au fait une quête de la judéité . Certains le font de façon isolée, en silence, dans l’anonymat voire dans la souffrance ; d’autres ont choisi, en réaction à une situation d’invisibilité imposée, de se manifester à travers des mouvements associatifs tels que la Fraternité Judéo-noire, créée depuis 2007, qui se révèle être un lieu de conceptualisation de la judéité par la valorisation de l’identité juive noire.



Publié le lundi 16 juillet 2012 sur Fraternite Judeo-Noire de France.

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