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La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 08 mars 2011 : 00:35

La Shoah revisitée

L’Agence pour les réfugiés de guerre
« Trop peu, trop tard ». 1944-1945.

Marc-André Charguéraud



Début janvier 1944, Henry Morgenthau, le ministre américain des finances, rencontre le président Roosevelt. Il lui présente un rapport détaillant l’obstruction faite par certains fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères (Département d’Etat) aux secours et à l’accueil des Juifs d’Europe. Il informe aussi le Président du soutien apporté par la Chambre des Représentants à une motion recommandant « la création d’urgence par le Président d’une commission d’experts diplomatiques, économiques et militaires pour formuler et exécuter un plan d’action conçu pour sauver de l’extermination les survivants juifs d’Europe aux mains des nazis d’Allemagne ».

Roosevelt ne va pas se laisser imposer par le Parlement la mise en place d’urgence d’un si vaste plan de sauvetage. Le 22 janvier 1944, il signe un décret qui crée l’Agence pour les réfugiés de guerre, le fameux War Refugee Board (WRcool smiley. L’objectif est nettement plus limité. La motion est largement vidée de sa substance. Il évite, selon son habitude, d’employer le mot «juif».

Le décret interdit au WRB de prendre des mesures qui puissent gêner «la poursuite victorieuse de la guerre» ou qui «viole les lois d’immigration américaines et anglaises, y compris celles concernant la Palestine». Interdiction est faite au WRB de payer une rançon ou de négocier avec les Allemands directement ou indirectement. Pendant son existence, l’agence ne dépensera que la somme très modeste de $ 550 000.

Le WRB soulève immédiatement l’animosité du Département d’Etat qui estime qu’une partie de son autorité est usurpée. Un conflit oppose le WRB aux Britanniques qui désirent que le blocus soit strictement maintenu sur le plan financier comme sur celui de l’envoi de secours.
Dans ce contexte hostile, soumis à des contraintes qui semblent souvent irréalistes tant elles sont contraires à la mission confiée au WRB, John Pehle et sa petite équipe vont oeuvrer avec courage et persévérance.

Pour Arthur Morse, en un an le WRB aurait réussi le sauvetage de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Daniel Wyman est plus nuancé, il estime que le WRB joua un rôle capital dans le sauvetage d’à peu près 200 000 Juifs. Ce n’est pas ce que pense Bernard Wasserstein pour lequel les principales réussites du WRB semblent se situer dans le domaine de la rhétorique.

Le WRB n’a eu que trois représentants en Europe neutre, Iver Olsen en Suède, Roswell McClelland en Suisse et Ira Hirschmann en Turquie. Olsen a soutenu l’arrivée de Raoul Wallenberg en Hongrie, mais lui a interdit de se présenter comme envoyé du WRB. Le JOINT a assuré le financement de Wallenberg. Le WRB a obtenu que le gouvernement américain sursoie à l’application de l’embargo sur le transfert de certains secours financiers vers l’Europe.

McClelland en Suisse est chargé de suivre les négociations que Saly Mayer, un dirigeant juif suisse, mena avec les Allemands. Le 21 août 1944, Cordell Hull, le ministre d’Etat, envoie à McCelland un télégramme sans équivoques : « Si une rencontre (avec les Allemands) prenait place, Saly Mayer devra y participer comme citoyen suisse (...) et non (je répète non) comme représentant de quelque organisation américaine que ce soit ».

Le jugement de Yehuda Bauer sur Hirschmann en Turquie est sans appel : « Il se pose en homme providentiel; c’est lui qui aurait tout fait. En vérité, malgré ses bonnes intentions et son énergie, ses actions de sauvetage échouèrent lamentablement ». Le Département d’Etat est ici aussi intervenu auprès de son ambassadeur à Ankara pour lui demander de limiter les activités de Hirschmann. Elles risquaient de gêner d’autres négociations plus importantes.

N’a-t-on pas confondu dans de trop nombreux cas des appels à intervenir avec des actions réelles de sauvetage ? C’est sur place qu’il fallait agir pour avoir une politique de secours efficace. Son absence sur le terrain a constitué pour le WRB une grave difficulté à surmonter.

A défaut de pouvoir monter des opérations de sauvetage inopérantes, Pehle s’est donné pour but d’augmenter le nombre de réfugiés pouvant trouver asile en Turquie, au Portugal, en Suisse, en Espagne ou en Suède. Ces réfugiés devront être par la suite transférés outre-mer, en Afrique du Nord, Palestine, Amérique du Nord et du Sud, afin de faire place à de nouveaux arrivants des pays occupés par les nazis. Le WRB demande alors aux gouvernements des pays neutres en Europe de faire savoir qu’ils sont prêts à accueillir tous les réfugiés dès qu’ils arrivent à leurs frontières. L’Agence assure ces puissances qu’elle subviendra aux besoins de ces nouveaux réfugiés et se chargera aussitôt que possible de leur évacuation. Ces promesses sont restées sans lendemain, l’Agence n‘ayant ni l’autorité ni les ressources financières nécessaires pour s’engager formellement.

Parallèlement Pehle approche sans succès les pays du Commonwealth britannique et ceux d’Amérique du Sud pour qu’ils ouvrent leurs portes aux réfugiés. La réponse du Nicaragua est symptomatique : il n’autorisera l’entrée des réfugiés qu’ « aux mêmes conditions que les Etats-Unis et en nombre proportionnel à la population respective des deux pays ». La question est close. Il est hors de question que le WRB demande au gouvernement un assouplissement des sacro-saintes lois américaines sur l’immigration.

Deux possibilités d’accueil de réfugiés auraient pu donner un nouveau souffle au WRB. En avril 1943, la Conférence des Bermudes décide l’installation d’un camp pour les réfugiés en Afrique du Nord à Fedhala. Les premiers réfugiés y arrivent en mai 1944. Ils ne seront que 630, un nombre qui ne correspond pas aux besoins. Il aurait fallu qu’un représentant du WRB soit présent en Espagne pour assister les nouveaux arrivés qui sont internés dès leur arrivée dans l’horrible camp espagnol de Miranda. Carlton Hayes, l’ambassadeur américain à Madrid, s’y oppose sous prétexte que cela entraverait son programme de sauvetage des prisonniers de guerre. Le WRB n’est pas soutenu par Roosevelt qui dès la création du camp écrit : « Je me pose la question au sujet de l’envoi d’un grand nombre de Juifs. Ce serait très imprudent ».

En mars 1944, un directeur du Département d’Etat propose à Pehle de créer un refuge temporaire pour les victimes potentielles des nazis qui auraient pu s’enfuir. L’opinion publique s’enflamme pour ce projet de « Ports francs pour les réfugiés ». Roosevelt en bon politique suit le mouvement. Mais ne voulant pas risquer des reproches du Congrès, il limite le nombre d’arrivant à 1 000. Ils ne seront que 983 dont 818 Juifs à arriver. Une opération au potentiel d’envergure aboutit à ce score dérisoire mettant un terme à ce qui aurait pu constituer pour les WRB une activité concrète.

« La conclusion est certaine, le WRB ne fut que l’expression du soutien moral et politique de l’administration pour sauver les Juifs avec des moyens juifs ». Ce jugement de Yehuda Bauer est sans concession. Il mérite une explication. Pourquoi Roosevelt a-t-il attendu janvier 1944 pour lancer le WRB alors que 85% des Juifs qui sont morts pendant la Shoah ont disparu ? Pourquoi ne pas avoir soutenu Pehle et son équipe et rappelé à l’ordre son Département d’Etat ? La réponse est simple : le Président n’a jamais souhaité qu’une telle agence soit créée au profit des réfugiés. Il ne l’a mise en place que sous la pression de l’opinion publique et de la Chambre des Représentants.

Il n’en reste pas moins que pour les survivants juifs, dans la mesure où ils en ont été informés, la mise en place et les activités du WRB ont eu un impact positif sur leur moral, même s’ils n’ont pas constaté de résultats pratiques. Enfin l’Amérique s’intéresse à leur sort, reconnaît leur calvaire et intervient.

Contacts et commentaires à : a.chargueraud@gmail.com
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 Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2011

FINGER Seymour, M. ed. American Jewry during the Holocaust, New York, Holmes and Meier, 1984, annexe 6, p.3.
BRAHAM Randolph, The Politics of Genocide, The Holocaust in Hungary, Columbia University Press, New York,1981, p. 1103. BAUER Yehuda, A History of the Holocaust, Franklin Watts, New York, 1982, p. 414. Pour la Palestine, il s’agit du quota annuel d’immigration décidé par la Grande Bretagne, puissance qui dirige la Palestine à la suite du mandat qui lui a été confié par la Société des Nations.
PINSKY Edward D, Cooperation among American Organisations in Their Efforts to Rescue European Jewry during the Holocaust, 1939.1945, New York University Press, 1980, p. 13.
WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, Clarendon, Oxford, 1979, p. 323.
MORS Arthur D, While Six Millions Died : a Chronicle of American Apathy, The Overlook Press, Woodstock, New York 1983, p.. 381.
WYMAN David, L'abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, Flammarion, Paris, 1987, p. 368.
WASSERSTEIN Bernard in FURET Francois, ed. L'Allemagne nazie et le génocide Juif, Gallimard, le Seuil, Paris, 1985, p. 363. Tous sont des historiens de renom de la Shoah.
JOINT, la grande organisation caritative de l’American Jewish Committee. D’autres transferts des Fonds du JOINT eurent lieu vers l’Europe en cette dernière année complète de guerre.
BAUER Yehuda, American Jewry and the Holocaust : The AJJDC 1930-1945, Wayne State University Press, Detroit , 1981, p. 414. Saly Mayer représentait le JOINT en Suisse.
Yehuda BAUER a étudié en détail les « tractations » turques.
BAUER Yehuda, Juifs à vendre : Les Négociations entre nazis et Juifs, 1933-1945, Liana Levi, Paris, 1996, p. 256.
OFER Françoise, Ces Juifs dont l’Amérique de voulait pas, 1945-1950, Editions Complexes, Paris, 1995, p. 270.
MORS, Op. Cit. p. 314.
Turquie, Portugal, Suisse, Espagne, Suède.
WYMAN, Op. Cit. 1987, p. 275.
MORS, Op. Cit. p. 341.
AVNI Haim, Spain, the Jews and Franco, The Jewish Publication Society of America, Philadelphia, 1982, p. 101.
IBID. p. 118.
BREITMAN Richard et KRAUT Alan, American Refugee Policy and European Jewry , 1933-1945, Indiana University Press, Bloomington 1987, p. 199.
BAUER, Op. Cit. p. 407.
HILBERG Raul, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, Paris, 1988, p. 1046. Pourcentage calculé à partir du tableau B3.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 06 avril 2011 : 12:02

Marc-André Charguéraud


«Chrétiens allemands»,
une catastrophe protestante.
1933-1944

Jusqu’à la défaite, ils demandent l’élimination des Juifs.



On aurait dû les appeler « chrétiens nazis ». Les deux termes semblent antinomiques. C’est pourquoi, en 1933, Karl Barth, le célèbre théologien suisse, disqualifie XE "Barth Karl" sans appel ces protestants : « A côté des écritures sacrées qui sont la seule révélation de Dieu, ils réclament une seconde révélation, celle du peuple allemand et de sa politique actuelle. Nous devons donc admettre qu’ils croient à « un autre Dieu ».

Barth a raison, les professions de foi des « Chrétiens allemands » dépassent l’entendement. Ce sont des renégats dans toute la force du terme. Dans un guide publié en 1932, ils proclament que « la distinction entre les peuples et les races (…) est un ordre voulu par le Dieu du monde ». De ce fait, « le mariage entre les Allemands et les Juifs doit être interdit ». En 1933, leurs déclarations les égarent. Ils appellent les protestants à « participer à la grande heure qui vient de sonner (celle des nazis) et y reconnaître une mission de Dieu confiée à son Eglise ».

A leurs yeux, « l’Eglise doit s’intégrer dans le Troisième Reich, être mise au rythme de la révolution nationale, être façonnée par les idées du nazisme ». L’hérésie patente bascule dans le ridicule et l’absurde lorsque les « Chrétiens allemands » en appellent à Hitler XE "Hitler Adolf" pour interpréter les Ecritures et proclament que Dieu a marqué l’Allemagne de son sceau. Une attitude d’autant plus scandaleuse que les « Chrétiens allemands » ont adopté ces concepts païens nazis de leur propre initiative, sans avoir fait l’objet de pressions.

Après tant de blasphèmes et de ruptures théologiques, comment est-il concevable qu’en juillet 1933, lors de l’élection des dirigeants protestants, deux tiers des votes des paroissiens se soient portés sur des représentants des « Chrétiens allemands ? » Ces fidèles sont, sous la conduite de leurs pasteurs, descendus aux enfers. Ils sont marqués au fer, même si au sein de cette nébuleuse se croisent des participants plus ou moins radicaux.

Parmi les meneurs les plus engagés se trouvent les initiateurs, deux pasteurs de Thuringe, Siegfried Leffler XE "Leffler Sigfried" et Julius Leutheuser. XE "Leutheuser.Julius" Parmi les modérés on compte Wilhelm Niemöller XE "Niemöller Wihelm" , un sympathisant qui déclare à ses paroissiens : « En ce qui concerne ma position envers les Chrétiens allemands, j’en suis un membre et je le resterai ». Mais à la fin de l’été 1933, Wilhelm Niemöller coupe les ponts et rejoint son frère Martin à l’Eglise confessante qui, sous l’impulsion de ce dernier, s’élève avec succès contre cette théologie dévoyée.

Un feu de paille ? Un scandale éclate lors du rassemblement des « Chrétiens allemands » au Palais des sports de Berlin le 13 novembre 1933. Un orateur, le Dr. Krause XE "Krause, Dr." , n’hésite pas à demander en termes vifs que le protestantisme allemand déjudaïse l’Eglise ainsi que la Bible. Cela revient à abandonner l’Ancien Testament et à expurger le Nouveau de ses composantes juives. Les démissions se multiplient. Malgré ces importants revers, à la fin des années trente les « Chrétiens allemands » comptent encore 600 000 fidèles. Plus grave, ils conservent une position dominante au sein des Facultés de théologie. En 1937, 12 recteurs sur 15 sont affiliés aux «Chrétiens allemands», 14 sont professeurs sur 73 et 51 professeurs associés sur 102.

La situation est d’autant plus critique que les « Chrétiens allemands XE "Chrétiens allemands" » n’ont rien abandonné des principes païens nazis. Les déclarations aberrantes et inconditionnelles de leurs plus hautes autorités continuent. Un article paraît le 15 novembre 1936 dans Kommende Kirche XE "Kommende Kirche" , une publication dont le responsable est Heinz Weidemann XE "Weidemann Heinz, évêque" , l’évêque de Brême. « Dieu a envoyé Hitler au secours du peuple allemand (…) Adolf Hitler est le porte-parole de Dieu. Aider Hitler dans sa tâche, c’est servir Dieu, saboter son travail, c’est servir le diable ».

En avril 1938, Leffler affirme dans une allocution au Palais des Sports de Berlin : « Etre chrétien ne signifie pour nous rien de plus que de posséder la force de soutenir le programme national-socialiste ». De son côté, fin novembre 1938, l’évêque de Thuringe Martin Sass XE "Sass Martin évèque" écrit après la Nuit de cristal que « l’incendie des synagogues est le moment du couronnement du combat divinement béni du Führer pour l’émancipation définitive du peuple allemand ».

Six mois plus tard, le 4 avril 1939, les « Chrétiens allemands » fondent l’Institut pour la Recherche et l’Elimination de l’Influence Juive dans la Vie des Eglises Allemandes XE "Institut pour la Recherche et l’Elimination de l’Influence Juive dans la Vie des Eglises Allemandes" . Un intitulé en forme de programme que l’Institut résume de la manière suivante : « L’influence corruptrice juive a aussi été active dans le christianisme au cours de l’histoire. Le devoir obligatoire et sans échappatoires de l’Eglise et du Christianisme est de se débarrasser du Judaïsme. C’est une obligation pour le futur de la chrétienté ».

Jusqu’à la fin les « Chrétiens allemands » se déchaînent. Dans une lettre d’information datée du 29 avril 1944, ils insistent : « Il n’y a pas d’autre solution au problème juif que la suivante : (…) la bataille (…) jusqu’à ce que le monde soit totalement entre mains juives ou complètement purgé du judaïsme (…) nous pouvons fièrement proclamer devant le monde entier, le monde d’aujourd’hui et de demain, que nous avons saisi l’opportunité avec la ferme intention de résoudre la question juive une fois pour toutes ».

Le monde nazi s’écroule, mais la détermination, l’aveuglement devrait-on dire, des « Chrétiens allemands » reste intact. Cette page atroce du protestantisme allemand est trop souvent ignorée du grand public. On dénonce le vote massif des protestants qui a permis l’accession au pouvoir de Hitler mais on ne parle pas assez de leur soutien à l’élimination des Juifs et l’on évoque rarement le déviationnisme théologique insensé et la haine viscérale du judaïsme qui ont définitivement disqualifié de trop nombreux pasteurs et dirigeants de l’Eglise protestante allemande.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2010

Contact : « andre.chargueraud@bluewin.ch »

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Cet article est extrait d’un livre dont le premier tome paraîtra au premier semestre 2012 sous le titre :
La Shoah revisitée. 50 idées reçues et événements méconnus.

BERGEN Doris, Twisted Cross : The German Christian Movement in the Third Reich, Chapel Hill N.C. 1996, p. 20. Peuple allemand dans le sens du Volkstum germanique.
IBID. p. 23.
REYMOND Bernard, Une Eglise à croix gammée : Protestantisme allemand au début du régime nazi, 1932- 1935, L’Age d'Homme, Lausanne 1980, p. 117.
CONWAY J. S. La persécution nazie des Eglises 1933-1945, Editions France Empire, Paris 1969, p. 95.
LITTELL Franklin H. The German Church Struggle and the Holocaust, Wayne University Press, Detroit 1974, p. 137.
BERGEN, op. cit. p. 5.
IBID. p. 13.
REYMOND, op. cit. p. 122. HOCKENOS Mattew, A Church Divided. Protestants Confronts the Nazi Past, Indiana University Press 2005, p. 4. 41 millions d’Allemands étaient enregistrés comme protestants.
IBID. p. 121.
HOCKENOS, op. cit. p. 6.
BERGEN, op. cit. p. 177.
GUTTERIDGE Richard, Open thy Mouth for the Dumb : The German Evangelical Church and the Jews 1879-1950, New-York, Harper Row, 1976, p. 164.
IBID. p. 191.
IBID. p. 190.
BERGEN, op. cit. p. 142.
IBID. p. 26.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 juin 2011 : 19:10

Conférences sur les réfugiés,
une politique spectacle.
1938 et 1943.


Des gesticulations politiques pour calmer une opinion publique
choquée par les persécutions puis le massacre des Juifs.



Fin 1937, 130 000 Juifs allemands ont quitté le Reich. Ils sont encore près de 500 000 dépouillés de tous leurs droits qui cherchent à fuir. Déjà le 27 décembre 1935, James McDonald XE "McDonald James" , Haut Commissaire aux réfugiés venant d’Allemagne, alerte le monde : « Le programme du gouvernement allemand est conçu pour réduire les non-aryens à la misère (…) de façon à rendre leur situation intenable (…) et que ces importuns soient obligés de fuir l’Allemagne ».

Après le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne en mars 1938, les méthodes appliquées par les nazis aux Juifs pour les forcer à fuir font frémir. Le «candidat » obligé à l’émigration doit régler la taxe d’émigration et la taxe juive, abandonner son logement, donner un pouvoir à sa banque pour qu’elle puisse disposer de ses biens au profit du régime et ne partir qu’avec ses effets personnels. On lui donne alors un passeport qu’il doit utiliser pour quitter le pays dans la quinzaine, sous peine d’être interné dans un camp de concentration, explique Adolf Eichmann XE "Eichmann Adolf" . Une fois expulsés au-delà de la frontière autrichienne, ces Juifs sont souvent pourchassés d’un pays à l’autre par des autorités qui refusent de les recevoir.

Dans ce contexte, face à une opinion publique scandalisée, le président Roosevelt organise la Conférence d’Evian XE "Conférence d’Evian" en juillet 1938. Roosevelt XE "Roosevelt Franklin" précise que le but de la conférence est de faciliter l’émigration d’Allemagne et d’Autriche de réfugiés politiques. Il faut ici traduire réfugiés politiques par réfugiés juifs, car Roosevelt ne veut jamais en parler en tant que tels. Mais le président s’empresse de fermer la porte. Dans son invitation il précise « qu’il ne sera demandé à aucun pays de recevoir un plus grand nombre d’immigrants que celui permis par les lois existantes ». Il ajoute que « le financement de l’installation des réfugiés restera la responsabilité des organisations privées ». Ces organisations n’ont pas été invitées à Evian. On décidera pour elles. Elles n’auront plus qu’à régler la facture. On peut se demander quelle était la raison d’être de la Conférence : aucun engagement d’admettre un réfugié supplémentaire, ni de dépenser un franc de plus.

Que décide une conférence sans résultats qui veut se survivre ? Elle crée un comité. C’est ainsi que naît le fameux Comité Intergouvernemental XE "Comité Intergouvernemental" . Après la guerre, le sous-secrétaire d’état américain de l’époque écrit : « Le Comité aurait pu être responsable de succès exceptionnels avant et pendant les années de guerre, mais (...) les résultats ne dépassent guère zéro ».  Il faut dire à sa décharge qu’on ne lui a donné ni pouvoirs, ni financements.

Evian est la tribune où l’Occident annonce au monde désorienté l’abandon des Juifs du Reich à leurs tortionnaires nazis. Un abandon justifié pour les uns par le nombre de réfugiés qu’ils ont déjà accueillis, pour les autres par la crise économique et le chômage, pour d’autres encore par des déclarations antisémites. Evian aura servi à dire cyniquement tout haut ce que chacun pense et fait tout bas. Ce Munich juif préfigure le Munich diplomatique à venir.

Les gouvernants occidentaux semblent ignorer les drames humains sur lesquels ils se penchent. Des centaines de milliers de damnés du Reich ont cru chaque jour que la Conférence d’Evian allaient abréger leurs souffrances et les sauver. Or ils ont vécu un espoir dont l’existence même n’était qu’une illusion, une tromperie. Peut-on jouer ainsi avec les tourments d’autrui ? C’est odieux, et sans excuses. Anne O’Mc Cormick XE "Mc Cormick Anne" , éditorialiste du New-York Times XE "New-York Times" , exprime le côté dramatique de ce théâtre absurde. « On a le coeur brisé à la pensée de ces queues d’êtres désespérés aux abords de nos consulats à Vienne ou dans d’autres villes, attendant avec impatience ce qui va arriver à Evian ».

On retrouve le même scénario lors de la Conférence des Bermudes XE "Conférence des Bermudes" en avril 1943. A la grande différence de celle d’Evian, elle a lieu en pleine guerre et plusieurs millions de Juifs sont déjà morts. Sans en connaître l’ampleur, l’opinion publique est consciente du drame et se manifeste. Les Parlements alliés emboîtent le pas. En Amérique, le Sénat et la Chambre des Représentants adoptent la même résolution condamnant « les atrocités infligées aux populations civiles des pays occupés par les nazis et particulièrement les massacres de masse des hommes, des femmes et des enfants juifs ». En mars également, en Grande-Bretagne, les Communes donnent « leur soutien le plus complet à des mesures immédiates d’aide et d’asile temporaire aux réfugiés, aussi généreuses que possible dans le cadre des contraintes des opérations militaires ».

Le même mois Stephan Wise XE "Wise Stephen" , président du Congrès Juif Américain XE "Congrès Juif Américain CJA" , écrit à Roosevelt : XE "Roosevelt Franklin"  « Je vous supplie, cher Président, en tant que leader reconnu des forces démocratiques et humanitaires, de lancer une action, qui, même si elle ne peut pas mettre fin au plus grand crime perpétré contre des gens, pourrait tout de même sauver ces gens d’une disparition complète en offrant aux survivants un asile dans des sanctuaires créés sous les auspices des Nations Unies ». En mars 1943, lors d’une conférence de presse, le président Roosevelt appelle « tous les peuples d’Europe et d’Asie à ouvrir temporairement leurs frontières à toutes les victimes de l’oppression. Nous trouverons un refuge pour eux... » 

Un sauvetage, un refuge, c’est le but affiché de la conférence des Bermudes, mais la réalité est bien loin des bonnes intentions. Richard Law XE "Law Richard" , représentant anglais à la Conférence, reconnaît sans ménagement que « les réfugiés et les personnes persécutées ne doivent pas être trompées (...) et avoir l’espoir qu’une aide va leur arriver, quand en fait nous sommes incapables de leur apporter le moindre secours immédiat ».

Que peut-on espérer de plus ? Les instructions reçues par les délégués américains et anglais sont si strictes qu’ils ne peuvent rien décider : impossibilité de modifier les lois sur l’immigration, de négocier avec les puissances de l’Axe, d’échanger des prisonniers, de lever le blocus, d’apporter des secours et d’utiliser des navires alliés pour le sauvetage. Comment s’étonner que dans une lettre à son ministre, Myron Taylor XE "Taylor Myron" , un représentant américain, conclue avec une pointe de cynisme : « La Conférence des Bermudes fut, comme je l’avais pensé, parfaitement inefficace ».

A l’exception d’une déclaration d’intention, la Conférence ne prit que deux décisions mineures : l’établissement d’un camp en Afrique du Nord pour les réfugiés et la réactivation du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, né à Evian. Il fallut attendre un an pour qu’un camp soit établi et il ne reçut que 630 personnes. Quant au Comité intergouvernemental XE "Comité Intergouvernemental" , c’est paradoxalement une organisation de sauvetage dont le mandat exclut toute opération de sauvetage. Son programme consiste à apporter des secours à ceux qui, ayant pu fuir les pays occupés par les nazis, sont déjà sauvés.

Peter Bergson, XE "Bergson Peter" chef d’un groupe de sionistes révisionnistes, fait figure d’outsider avec ses communications enflammées. Même s’il force le trait, sa pleine page dans le New York Times XE "New York Times" daté du 4 mai 1943 reflète assez fidèlement les sentiments du public. Sous le titre en gros caractères « Pour les 5 000 000 de Juifs pris dans les filets meurtriers des nazis, les Bermudes n’ont été qu’une moquerie cruelle », Bergson s’indigne : « Victimes infortunées et condamnées de la tyrannie de Hitler ! Pauvres hommes et pauvres femmes de bonne foi de toute la terre ! Vous avez caressé une illusion. Vos espoirs ont été vains. Les Bermudes n’ont pas été l’aube d’une nouvelle époque, d’une époque d’humanité et de compassion où la pitié se transforme en actes. Les Bermudes ont été une moquerie …. »

Que les Alliés n’aient pas pu monter des opérations de sauvetage, n’aient pas eu le courage d’ouvrir leurs frontières aux réfugiés, on peut le leur reprocher. Mais tenir deux Conférences sur ces sujets pour faire semblant, susciter des espoirs et ne rien décider, c’est inadmissible et immoral.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève mai 2011

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Cet article est extrait d’un livre dont le premier tome paraîtra au premier semestre 2012 sous le titre :

La Shoah revisitée. 50 idées reçues et événements méconnus.


BAUER Yehuda, American Jewry and the Holocaust : The AJJDC 1930-1945, Wayne State University Press, Detroit, 1981, p. 26. Calcul à partir des chiffres cités.
STRAUSS, Herbert A. Dir. Jewish Immigrants from the Nazi Period in the USA, K.G.Saur, New York, 1992, p. 291.
ROSENKRANZ, Herbert, The Anschluss and the Tragedy of Austrian Jewry, 1938-1945, in FRAENKEL Joseph, (direction) The Jews of Austria, Vallentine&Mitchell, Londres, 1967, p. 500.
WYMAN David, The Abandonment of the Jews and the Holocaust, 1941-1945, Pantheon, New York, 1984, p. 57.
SHERMAN Ari Johsua, Island of Refuge, Britain and Refugees from the Third Reich, 1933-1939, Paul Elek, Londres, 1973, p. 123.
WYMAN, op. cit. p. 51.
LEVIN Nora, The Jews in the Soviet Union Since 1917, Paradox of Survival, New York University Press, New York, 1988, p. 28.
LIPSTADT Deborah, Beyond Belief : the American Press and the Coming Holocaust, 1933-1945, Hartmore House, New York, 1985, p. 203.
FEINGOLD Henry L, The Politics of Rescue : The Roosevelt Administration and the Holocaus , 1938-1945, N J. Rutgers University Press, New Brunswick, 1970, p. 177.
DRUKS Herbert, The Failure to Rescue, Robert Speller and Sons, New York, 1977, p. 37. Lettre datée du 4 mars 1943.
IBID. p. 51.
FEINGOLD, op. cit. p. 53.
PENKOWER Monty, The Efforts of the American Jewish Congress and the World Jewish Congress in the Years of the Holocaust, in FINGER Seymour Maxwell, direction, American Jewry and the Holocaust : A Report by the Research Director, his Staff and Independent Research Scholars Retained by the Director for the American Jewish Commission on the Holocaust, Holmes Meier, New York, 1984, annexe 4-1.
FEINGOLD, op. cit. p. 214.
FRIEDMAN Saul, No Haven for the Oppressed : United States Policy Towards Jewish Refugees 1938-1945, Wayne University Press, Detroit, 1973, p.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 31 aot 2011 : 20:46

Sauvez les enfants !
Juillet-août 1944
Un désastre pour 250 enfants en France,
un triomphe pour 600 en Belgique

XE "Belgique"

A la fin du printemps 1944, de 350 à 500 enfants juifs se trouvent dans les onze centres de la région parisienne de l’Union Générale des Israélites de France XE "Union Générale des Israélites de France" (UGIF), 600 dans les sept homes dirigés par l’Association des Juifs en Belgique XE "Association des Juifs en Belgique" (AJcool smiley.

Entre le 21 et le 25 juillet, 250 enfants des centres de l’UGIF sont arrêtés par la Gestapo. 200 sont déportés et périssent. En Belgique aucune arrestation, les 600 enfants sont sauvés. Ce qui est un désastre pour les Français se révèle comme un grand succès pour les Belges. On a, à juste titre, vivement reproché leur inaction coupable aux premiers, pour citer les seconds en exemple. L’histoire n’est pas si simple.

Pourquoi les nazis ont-ils laissé libres pendant de longs mois plus de mille enfants en France et en Belgique ? Ils connaissent l’existence des maisons qui les hébergent et peuvent à tout moment sans le moindre problème rafler et déporter ces enfants. Alors que la Gestapo lance de laborieuses opérations de police pour débusquer les Juifs entrés dans la clandestinité, n’est-il pas plus facile d’envoyer quelques autobus pour ramasser ces enfants, les interner à Drancy XE "Drancy" ou à Malines XE "Malines" pour ensuite les envoyer à la mort ? Il n’y a pas de réponse satisfaisante aujourd’hui à ce comportement allemand. A l’époque il renforce le sentiment de sécurité des dirigeants juifs : les Allemands ne semblent plus s’intéresser aux enfants des centres d’accueil officiels.

Le 30 octobre 1942, la Gestapo rafle les 58 enfants du home de Wesembeek-Ophem XE "Wesembeek-Ophem" de l’AJB. Ils sont transférés à la caserne Dossin de Malines. Un front d’intervenants se constitue immédiatement et dès le lendemain, la Gestapo libère les enfants. Ce résultat renforce l’assurance des dirigeants de l’AJB. Il est inutile de disperser les enfants pris en charge. Le nombre important de 600 enfants hébergés en juin 1944 par l’AJB n’a pas d’autre explication. C’est un chiffre très élevé si on le compare aux 350 à 500 enfants des centres de l’UGIF à la même époque. Rappelons que les enfants juifs sont cinq fois plus nombreux en France qu’en Belgique. A l’échelle de la France ces 600 enfants belges correspondent à 3 000 enfants français. On mesure la taille démesurée de l’imprudence belge et l’ampleur qu’auraient prise les reproches à l’égard de l’UGIF si l’organisation française avait pris un tel risque.

Contrairement à l’AJB, l’UGIF est inquiète. En 1943, trois de ses centres ont été raflés par la Gestapo. Il s’agit de 16 enfants de l’Orphelinat Rothschild, de 32 des Centres Lamark XE "Lamark (centre)" et Guy Patin XE "Guy Patin (centre)" et d’une vingtaine du foyer de la Verdières. XE "Verdières.(Foyer)" Autant de signaux forts du danger dans lequel se trouvent ces enfants. Des organisations juives clandestines se mobilisent. Le 16 février 1943, l’organisation communiste Solidarité XE "Solidarité" enlève 63 enfants des maisons de l’UGIF et les fait entrer en clandestinité. Bien que la Gestapo n’ait pas réagi, cette opération d’envergure ne se répétera malheureusement pas.

L’UGIF n’est pas en reste. Ses dirigeants dispersent de nombreux enfants dans des institutions charitables et des familles à l’abri des nazis. Entre septembre 1942 et juin 1944, l’effectif dans les foyers de l’UGIF diminue de 2 000 à environ 350 à 500 enfants. C’est insuffisant mais ce sont autant d’enfants qui échappent à la Gestapo et ne seront pas déportés à Auschwitz XE "Auschwitz" .

Ces sauvetages résultent d’une collaboration entre organisations légales et clandestines. Elle se poursuit jusqu’en juillet 1944. Albert Akerberg, XE "Akerberg,Albert" secrétaire général du Comité d’Union et de Défense des Juifs de Paris XE "Comité d’Union et de Défense des Juifs de Paris" (CUD), en témoigne : «... J’étais en relation avec Juliette Stern XE "Stern Juliette" , membre du Conseil d’administration de l’UGIF. Elle nous aidait dans notre travail en nous fournissant les informations nécessaires pour que nous puissions kidnapper les enfants en péril (...) J’avais avec Juliette Stern une conférence hebdomadaire (...) C’est là que nous mettions au point les kidnappings à venir… » Il s’agit ici non pas d’opérations de groupe, mais d’évasions individuelles. Elles concernent principalement des enfants libres mais parfois aussi, bien que ce soit nettement plus délicat, quelques « enfants bloqués ».

Au printemps 1944, en Belgique comme en France, une partie importante des enfants des centres d’accueil sont ce que l’on a appelé des « enfants-bloqués ». Ce terme barbare désigne des enfants juifs remis à l’UGIF ou à l’AJB par la Gestapo. Ils viennent de Drancy ou de Malines où ils sont restés seuls, leurs parents ayant « disparu ». La Gestapo les a méticuleusement listés et ils ne peuvent quitter les foyers sans son autorisation. Des otages que les nazis peuvent reprendre à tout moment et dont l’UGIF et l’AJB sont responsables. Cette collaboration des organisations juives légales leur a été reprochée. Mais quel était le choix ? Refuser ces enfants, c’est les vouer à une déportation immédiate et à une mort certaine. Les accueillir, même dans des conditions intolérables, dépendantes de l’arbitraire allemand, c’est leur donner un espoir de vivre, une chance d’être sauvés qui pour nombre d’entre eux s’est réalisée.

L’UGIF et l’AJB sont réticentes à faire passer en clandestinité ces « enfants-bloqués ». Ces organisations estiment que cela conduira les Allemands à reprendre immédiatement les enfants-bloqués qui restent dans les foyers et à les déporter. Et tout aussi grave, les autorités allemandes décideront de ne plus accorder de libération à d’autres enfants qui sont détenus à Malines et à Drancy. Leur destin, dans ce cas, ne fait pas de doute, c’est la déportation vers la mort. Pouvait-on prendre ce double risque qui était bien réel, quasi inéluctable ? Un dilemme que l’on ne peut rayer d’un trait de plume.

Ce cas de conscience ne se pose plus en juillet-août 1944, alors que la libération est toute proche. Il faut alors impérativement disperser les enfants, ceci d’autant plus que parmi les enfants bloqués se trouvent également un certain nombre d’enfants libres qui n’ont pas été envoyés par la Gestapo. Jamais, jamais ils n’auraient dû se trouver dans les mêmes foyers ! C’est d’ailleurs le principal reproche que le jury d’honneur qui s’est réuni après la guerre adresse aux dirigeants de l’UGIF.

Les enfants des foyers de l’UGIF devaient impérativement être cachés avant que 200 d’entre eux ne soient déportés vers la mort par le convoi 77 du 31 juillet 1944. Ce qui s’est passé a fait l’objet de nombreux et longs développements. On se contentera de quelques remarques. Lorsque le CUD propose de faire disparaître les enfants avec l’accord de l’UGIF, son président Georges Ediger XE "Ediger Georges" refuse la participation de son organisation. Il est accusé d’agir de la sorte par crainte de son arrestation et de celle des autres dirigeants de l’UGIF. L’accusation est un peu courte. Après le débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944, ceux qui ont vécu sur place cette époque savent qu’il était d’autant plus facile de se cacher que ce n’était que pour quelques semaines. Les portes s’ouvraient et les Allemands isolés ne pouvaient que procéder à quelques opérations ponctuelles, très ciblées. Entrer en clandestinité n’aurait pas posé de problème. D’autres raisons ont motivé le refus de l’UGIF sans le justifier pleinement.

Pourquoi les forces clandestines juives n’ont-elles pas alors monté sans la participation de l’UGIF une action-commando, un kidnapping, comme elles le firent pour 63 enfants le 16 février 1943 ? L’opération est plus facile en juillet 1944. Les Allemands sont désorganisés et sur la défensive. Les effectifs de la résistance sont importants et leur marge de manoeuvre incomparablement plus large.

C’est la question que pose l’historienne Annette Wiervorka XE "Wiervorka Anette" en termes pragmatiques : « Pourquoi n’a-t-on pas envoyé les jeunes gens des milices patriotiques juives dans ces maisons avec ordre de faire sortir les gosses et de tenter de les planquer au lieu de les lancer dans des missions aléatoires et périlleuses pour voler des armes aux Allemands ? » La réponse tient dans la question telle qu’elle est formulée. L’enthousiasme, la soif de participer aux entreprises les plus dangereuses de la Libération, la décision des politiques d’occuper le terrain au maximum pour préparer l’après-guerre, expliquent qu’aucune priorité n’a été accordée à l’évasion des enfants de l’UGIF.

Contrairement aux Français, les Belges vont intervenir. Une réunion de l’AJB est organisée le 26 août 1944. Il est décidé de « faire disparaître les 600 enfants des homes. La directrice de l’Office national de l’enfance (ONE), Mme Yvonne Nevejean XE "Nevejean Yvonne" et les militants de la section enfance du Comité de Défense des Juifs (CDJ) se chargent de sauver les enfants de l’AJB d’une rafle imminente. » Le courage et la détermination doivent ici être salués. Dans les faits ils se sont avérés inutiles. Une semaine plus tard, le 4 septembre, Bruxelles était libérée. Les Allemands n’étaient plus en mesure de monter la moindre rafle. La chance, le hasard, le miracle, disent certains, c’est que les Allemands n’ont pas décidé l’arrestation des enfants un mois avant la Libération comme ils l’ont fait en France. Alors la décision de l’AJB serait arrivée trop tard et 600 enfants belges partaient pour Auschwitz. Comme leurs homologues français, les dirigeants belges de l’AJB auraient été accablés de reproches au lieu d’être félicités. Il n’en reste pas moins que les uns comme les autres ont pris envers tous ces enfants un risque inadmissible.




Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2011

Trouvez sur mon blog : La Shoah revisitée ( HYPERLINK "http://la.shoah.revisitee.org" [la.shoah.revisitee.org]) d’autres articles récemment publiés.


WIEVIORKA Annette, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Denoël, Paris, 1986, p. 175.
LAZARE Lucien, La résistance juive en France, Stock, Paris, 1987, p. 225 citent un chiffre de 500 enfants.
KLARSFELD Serge, La Shoah en France, vol. 3. Le calendrier de la persécution des Juifs de France. Septembre 1942-août 1944, Fayard, Paris, 2001. p. 1876 donne un chiffre de 350..
BRACHFELD Sylvain, Ils n’ont pas eu les gosses, Institut de recherche sur le judaïsme belge, Bruxelles, 1989, p. 44.
KLARSFELD, op. cit. p. 1876.
BRACHFELD, op. cit. p. 118 et ss.
Rappelons qu’en 1940, il y avait en France 84 000 enfants juifs contre seulement 15 000 en Belgique.
HAZAN Katy, Les orphelins de la Shoah : les maisons de l’espoir, 1944-1960, Editions des Belles Lettres, 2000, p. 38.
WIEVIORKA, op. cit. p. 176. Le Comité d’Union est une organisation clandestine créée à Paris en janvier 1944. Elle regroupe différents groupes juifs dont des communistes.
RAJSFUS Maurice, Des Juifs dans la collaboration, L’UGIF 1941-1944, Etudes de documentation internationales, Paris, 1980, p. 338.
LAZARE, op. cit. p. 225.
RAJFUS op. cit. p. 258.
Ce sont principalement les dizaines de milliers d’adultes juifs « officiels » qui ne survivent que grâce aux secours de l’UGIF.
WIEVIORKA, op. cit. p. 209. Wieviorka fait allusion à l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE) qui dispose de 60 groupes de combat. RAJFUS, op. cit. p. 258. Pour lui le CUD n’a malheureusement pas eu le temps et les événements ont été plus rapides.
BRACHFELD, op. cit. p. 44. ONE organisme étatique, CDJ mouvement clandestin.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 09 octobre 2011 : 23:05

La Shoah revisitée.

Marc-André Charguéraud


Les Alliés en guerre refusent
de sauver des Juifs.
1942-1944.



Fin 1942, le département d’Etat américain apprend qu’il existe une possibilité de sauver 60 à 70 000 Juifs en Bulgarie. Bucarest est disposé à « négocier » leur départ. Le 27 mars 1943 Eden et Roosevelt traitent du sujet à Washington au cours d’une rencontre. « Si nous faisons cela, dit Eden, alors tous les Juifs du monde entier voudront que nous fassions des offres similaires pour la Pologne et pour l’Allemagne. Hitler pourrait très bien nous prendre au mot et il n’y a tout simplement pas assez de bateaux dans le monde pour les évacuer ». Les Alliés refusent de participer au sauvetage de quelques dizaines de milliers de Juifs de peur que la voie ne soit ouverte au départ de centaines de milliers, ce qui aurait créé une situation difficile à gérer.

Au printemps 1943, Borden Reams, un haut fonctionnaire au Département d’Etat, franchit une étape dans l’argumentation. Il faut éviter, dit-il, d’entrer dans une négociation car « il y a toujours le danger que le gouvernement allemand accepte de livrer aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne (…) un grand nombre de Juifs. Ni la situation militaire, ni celle des transports maritimes n’auraient permis aux Nations Unies d’entreprendre une telle tâche. Dans le cas où nous aurions admis notre impuissance à prendre soin de ces gens, la responsabilité d’une poursuite de leur persécution aurait été, dans une large mesure, transférée du gouvernement allemand aux Nations Unies ».

Ce « transfert de responsabilité » et ses conséquences possibles peuvent-ils être avancés pour justifier un refus de négocier ? Le manque de transports maritimes semble une excuse inacceptable lorsqu’il s’agit de quelques dizaines de milliers de personnes. On manque de transports maritimes ? L’Angleterre et les Etats-Unis ne trouvent-ils pas à la même époque les moyens de transport, les sanctuaires d’accueil et les financements pour 100.000 réfugiés non juifs, polonais, yougoslaves et grecs ?

Le 13 février 1943 le New York Times publie un rapport selon lequel le gouvernement roumain est prêt à autoriser l’émigration de 70.000 Juifs qui ont été déportés fin 1941 dans un territoire occupé de l’Union soviétique connu sous le nom de Transnistrie. Ces Juifs pourraient partir par mer sur des bateaux battant pavillon du Vatican ou de la Croix Rouge à condition qu’une taxe de départ soit payée pour chacun afin de couvrir les frais de transport de Transnistrie à la destination finale.

La réaction immédiate de Londres suit la même ligne de conduite que celle adoptée pour les Bulgares : « C’est un mode de chantage qui, s’il est couronné de succès, ouvrira les portes toutes grandes à l’Allemagne et à ses satellites d’Europe du Sud Est pour déverser dans les pays d’outremer, à un prix donné, tous les nationaux dont il veulent se débarrasser ». Le 15 décembre 1943, après des mois de discussions entre Alliés, Washington résume la position britannique. « Le Foreign Office estime qu’il est pratiquement impossible de prendre en compte des groupes importants comme les 70.000 réfugiés dont le sauvetage est envisagé (…) C’est pourquoi ils sont peu disposés à donner leur accord».

Scandalisé par ce refus, Henry Morgenthau, le ministre des finances américain, condamne : « En termes simples les Anglais sont apparemment prêts à accepter la mort de milliers de Juifs en territoires ennemis du fait des difficultés à recevoir un nombre considérable de Juifs s’ils pouvaient être sauvés ».

Morgenthau semble oublier que la politique du Département d’Etat est la même que celle de ses homologues britanniques. Dès novembre 1941, lors d’une première alerte, Cavendish Cannon de la section des affaires européennes du State Department avance les raisons d’une non intervention des Etats-Unis qui sont les mêmes que celles avancées par Londres. « Il ne faut pas soutenir un projet visant à faire sortir 30.000 Juifs de Roumanie (…) l’adoption d’un tel plan amènerait probablement de nouvelles pressions en faveur d’asiles dans l’hémisphère occidental (…) une migration des Juifs roumains soulèverait la question d’un traitement similaire accordé aux Juifs hongrois et par extension, à tous ceux de tous les pays où se sont déroulées d’intenses persécutions ».

Plus tard, le 7 mai 1943, Cordell Hull, le chef du State Department, confirme cette politique de non intervention dans une lettre à Roosevelt : « Le coût inconnu de transporter un nombre indéterminé de personnes d’un endroit non révélé vers une destination ignorée, un plan recommandé par certains, est évidemment hors de question ». On prend encore prétexte de l’immensité du problème pour l’ignorer.

Ces déclarations sont-elles sincères ou servent-elles simplement à se justifier envers une opinion publique américaine alertée par le groupe d’orthodoxes réformistes de Bergson ? Il a fait paraître en pleine page du New York Times du 16 février 1943 une annonce percutante : « A vendre à l’humanité 70 000 Juifs, garantis du genre humain à 50 dollars pièce ». Le 20 décembre 1943, malgré l’opposition britannique, le State Department autorise le transfert des capitaux nécessaires à une négociation. Trop tard, avant qu’un seul dollar ne soit envoyé, les pressions allemandes sur Bucarest font avorter le projet.

Le 19 mars 1944, les troupes allemandes occupent la Hongrie. Deux jours plus tard, Gerhart Riegner, le représentant à Genève du Congrès Juif Mondial, télégraphie à New York et à Londres : « Extrêmement anxieux au sujet du destin des Juifs hongrois. (...) Suggère un appel dans le monde entier de personnalités anglo-saxonnes juives et non-juives, y compris les chefs des Eglises protestante et catholique, au peuple hongrois. Il faut les (les Allemands et les Hongrois) inciter à ne pas admettre l’application de la politique d’extermination des Juifs ». Ce « destin » va conduire à Auschwitz en six semaines plus de 400 000 Juifs hongrois.

Les Alliés ne vont rien entreprendre alors que la victoire se profile. Ils se défaussent de toute responsabilité en demandant aux autres pays d’intervenir. Le 30 mars 1944, Eden appelle « tous les pays alliés ou soumis à l’Allemagne à s’opposer activement à de nouvelles persécutions et à coopérer à la protection et au sauvetage des innocents ». Deux jours auparavant, Roosevelt a demandé aux Hongrois de ne pas coopérer et d’aider les Juifs dans toute la mesure du possible. Aux nations neutres il demande d’ouvrir leurs portes toutes grandes aux réfugiés et leur promet que l’Amérique « trouverait des moyens pour assurer leur entretien et les aider jusqu'à ce que le tyran soit terrassé ».

Des appels platoniques et peu réalistes. Des promesses hypocrites quand on se rappelle les demandes réitérées d’assistance des pays neutres. Ils s’engagent à accepter un plus grand nombre de réfugiés s’ils peuvent compter sur les Alliés pour les soutenir financièrement et s’engager à leur trouver un lieu d’accueil définitif après les hostilités. Ce sujet est évoqué dans plusieurs réunions au sommet des Alliés sans jamais recevoir de réponse.

Une nouvelle occasion de sauvetage se présente. Le 18 juillet 1944 le Foreign Office reçoit un message de la légation britannique à Berne. Le gouvernement hongrois a informé les diplomates suisses à Budapest que tous les Juifs en possession d’un permis d’entrer dans d’autres pays, y compris la Palestine, pourraient quitter la Hongrie. Le gouvernement allemand donnerait des permis de transit à de tels émigrants. D’après le Comité International de la Croix-Rouge un premier contingent de 40 000 Juifs hongrois peut partir dès la mi août.

Eden est réticent pour les raisons habituelles. Le 4 août il écrit : « On ne sait pas si le chiffre de 40.000 ne sera pas beaucoup plus important. » Il rappelle la proposition de Brandt que le Comité étudia récemment et qui concernait 800.000 à un million de Juifs. Il estime de la manière la plus impérative qu’il est très urgent de prendre des mesures pour arrêter ce mouvement en attendant une décision sur notre ligne d’action générale ».

Il faudra attendre un mois et demi pour que le 17 août 1944 les deux gouvernements publient un communiqué par lequel ils acceptent la responsabilité de trouver des lieux d’asile pour tous les Juifs autorisés à quitter la Hongrie. Sans autres précisions. Trop tard, le soir du 24 août 1944, Himmler le chef de la Gestapo à Berlin, ordonne la suspension immédiate des préparatifs d’évacuation.

On a argumenté que de toutes façons les chances d’arriver à des sauvetages sont minces, pour certains inexistantes. Peut-être, mais on ne peut rien affirmer tant que des occasions n’ont pas été saisies rapidement et avec la volonté d’aboutir. N’a-t-on pas assisté à des sauvetages par des individus sans grands moyens qui ont pris tous les risques et ont évité la mort de milliers de Juifs ? Au nom d’une morale élémentaire les Alliés ne devaient-ils pas poursuivre activement toutes les voies de sauvetages qui se présentaient ? On ne leur demande pas d’intervenir militairement, ce qu’ils refusent constamment, mais de transporter et d’accueillir des hommes en danger imminent de mort.

Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2011

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Notes

1 - WYMAN David, L'Abandon des Juifs. Les Américains et la Solution finale, Flammarion, Paris, 1987, p. 135. Département d’Etat, le ministère américain des Affaires étrangères.
2 - HILBERG Raul, La Destruction des Juifs d’Europe, Fayard, Paris, 1988, p. 969.
3 - WYMAN, op. cit. p. 137.
4 - IBID. p. 134 et 432.
5 - WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, Clarendon Press, Oxford, 1979, p. 244.
6 - IBID. p. 245.Note du Foreign Office à l’ambassade d’Angleterre à Washington du 26 février 1943.
7 - WASSERSTEIN, op. cit. p. 247. Lettre de Washington à son ambassade à Londres du 15 décembre 1943.
8 - IBID.
9 - WYMAN. op. cit. p. 137.
10 - FRIEDMANN Saul, No Haven for the Oppressed: United States Policy towards Jewish Refugees 1938-1945, Wayne University Press, Detroit, 1973, p. 203.
11 - BRAHAM Randolph, Ed. Jewish leadership in the Nazi area : Pattern of Behaviour in the Free World . New York, 1985, p. 11
12 - RIEGNER Gerhart , Ne jamais désespérer : soixante années au service du peuple juif et des droits de l’homme, Editions du Cerf, Paris,1998, p. 138.
13 - BRAHAM Randoph, ed. The Destruction of Romanian and Ukrainian Jews During the Antonescu area, Columbia University Press, New York, 1997, p. 1103.
14 - FEINGOLD Henry, Bearing Witness : How American and its Jews Responded to the Holocaust, Syracus University Press, New York, 1995, p. 148.
15 - WASSERSTEIN, op. cit. p. 262 et 264. Le nombre passe de 8 000 à 40 000 car le CICR a inclus les familles.
16 - IBID. p. 264. Une déclaration dans le droit fil d’un mémorandum envoyé de Londres à Washington le 4 juin 1944, alors que les trains vers la mort de Juifs hongrois se succèdent à un rythme accéléré. « Si un million de personnes quittent les territoires sous contrôle allemand, il faudra suspendre les opérations militaires et les Allemands en profiteront pour retourner toutes leurs forces vers l’Est. D’autre part, font observer les Anglais, la libération d’un tel nombre de Juifs va déchaîner un tollé dans les pays alliés : l’opinion va exiger des comptes à propos des prisonniers de guerre et des détenus civils ». BAUER Yehuda, Juifs à Vendre : Les Négociations entre Nazis et Juifs. 1933-1945, Liana Levi, Paris, 1996, p. 248.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 02 novembre 2011 : 22:26

La Shoah revisitée.

Marc-André Charguéraud

Washington et Londres refusent la
constitution d’une armée juive.
1940-1944.

Les Juifs palestiniens interdits de combattre
sous leur propre bannière.



En septembre 1939, quelques jours après le début de la guerre, Chaim Weizmann, Président de l’Agence juive pour la Palestine déclare à Winston Churchill, Premier Lord de l’Amirauté, « qu’il est prêt à armer les Juifs de Palestine (…) convaincu que cela permettra aux troupes anglaises de quitter la Palestine pour le front de l’Ouest ». Churchill se déclare favorable à cette requête.

Churchill confirme sa position dès sa nomination comme Premier Ministre en mai 1940. « La solution de la situation (en Palestine) », écrit-il au Général Wawell, commandant en chef au Moyen Orient, « dépend d’un armement suffisant des Juifs colonialistes, pour qu’ils assument leur propre défense ». « C’est un vrai scandale qu’alors que nous nous battons pour nos vies », d’importantes forces britanniques « soient immobilisées (en Palestine) », écrit-il à Lord Lloyd, son Ministre des Colonies.

Un mois plus tard, en juin 1940, David Ben Gourion, directeur de l’Agence juive, intervient dans le même sens. Dans un message lors de la Convention des Sionistes d’Amérique (ZOA), il s’enflamme : « Jamais notre peuple, jamais notre pays ne s’est trouvé dans un danger aussi grand qu’aujourd’hui (...) Les armées nazies menacent la Palestine dont la conquête détruirait tous les succès sionistes des cinquante dernières années ». Les Juifs américains doivent faire « tout ce qui est possible pour donner au Yishouv la chance de se défendre lui-même ». Les 800 délégués à la Convention demandent d’urgence à Winston Churchill de permettre aux Juifs de Palestine de former des unités de combat pour la défense du Moyen Orient.

Le 6 août 1940 Weizmann reprend ce thème dans une lettre à Churchill : « Si on en arrivait à un retrait temporaire (des troupes britanniques) (…) les Juifs de Palestine se trouveraient exposés à un massacre massif par les Arabes, encouragés par les Nazis et les Fascistes. Cette possibilité renforce la demande de nos droits humains élémentaires d’avoir des armes ».

Les démarches de Weizmann auprès de Churchill vont se multiplier. Ce dernier continue à répondre favorablement, mais il se heurte à l’opposition de son administration. Le télégramme au Ministère de la guerre du Général Wawell daté du 26 février 1941 est significatif : « Je suis tout à fait opposé à la création d’une force armée (juive) pour le moment ». Un échange de notes avec Lord Moyne, le successeur de Lloyd au Ministère des colonies, questionne la sincérité du soutien de Churchill aux sionistes.

Répondant à un plan soumis par Weizmann, Churchill décide sur les recommandations de Moyne, de le remettre de six mois sous prétexte que l’on manque d’équipement. Dans une note à Churchill, Moyne se demande « s’il ne vaut pas mieux reconnaître la vraie raison (...) Elle est due à la situation au Moyen Orient et à la nécessité de ne pas risquer un soulèvement des Arabes en ce moment ». Un problème majeur confronte le Premier ministre. Si une armée juive est en charge de la Palestine, n’est-ce pas reconnaître de facto un Etat juif et provoquer des troubles sanglants et peut-être même l’entrée en guerre de l’Arabie Saoudite et de l’Irak ?

De leur côté, de nombreux Juifs américains répondent à l’appel de Vladimir Jabotinsky, le chef réformateur de la New Zionist Organisation. Ils le soutiennent pour la création d’une armée juive de 100.000 hommes. Jabotinsky a été le promoteur de la « Légion juive » qui combattit avec les Alliés pendant la première guerre mondiale. Sa mort, en août 1940, met le projet en sommeil.

Le mouvement est relancé par Peter Bergson et son Committee for a Jewish Army pendant un meeting à Washington le 4 décembre 1941. Il réclame la création d’une armée juive de 200.000 Juifs palestiniens et apatrides pour servir les Alliés en Palestine et dans ses environs. Son slogan « les Juifs se battent pour le droit de se battre » rencontre beaucoup de sympathie dans le public au moment où l’Amérique entre en guerre.

Avec la chute en juin 1942 de Tobrouk en Lybie occupée par l’Africa Corps du Général allemand Erwin Rommel, la route de l’Egypte et de la Palestine est ouverte. La situation des Juifs palestiniens devient critique. Le 25 juin Weizmann en appelle une fois de plus à Churchill pour qu’il permette aux Sionistes du Yishouv l’exercice de « droits humanitaires élémentaires » de self défense contre la menace de destruction de leur « existence physique elle-même ». Le 5 juillet 1942, Churchill demande à son ministre des Colonies une proposition. Il s’exprime clairement : « La force de l’opinion publique est très forte aux Etats Unis et nous souffrirons de nombreuses façons si nous cédions au parti pris des autorités militaires britanniques et du Colonial Office en faveur des Arabes et contre les Juifs. Maintenant que ces gens sont en péril direct, nous devons certainement leur donner une chance de se défendre eux- mêmes ».

Weizmann, le 7 juillet, rencontre Roosevelt qui l’assure de son soutien. « J’ai toujours désiré faire une déclaration à propos d’une armée juive, que j’estime être une bonne chose ». Le 1er août les ministres britanniques concernés (Colonies et Guerre) proposent au Cabinet la constitution d’un régiment de 10 000 hommes consistant en bataillons séparés d’Arabes et de Juifs. Cette proposition ne répond absolument pas au problème politique urgent. La déception des Sionistes tourne au désespoir.

La victoire d’El Alamein en novembre 1942 met heureusement Jérusalem complètement hors de portée des troupes de l’Axe. Une armée juive pour défendre la Palestine perd de son importance. Les Sionistes changent d’argument comme l’exprime en janvier 1943 Shertok, le chef politique de l’Agence Juive. Il demande la création d’une division ou au moins d’une brigade séparée qui utiliserait les 22.000 Palestiniens juifs qui servent déjà dans l’armée anglaise. Déjà le 11 mai 1942 à la Conférence sioniste de l’Hôtel Biltmore ce changement d’orientation s’est esquissé. Dans le compte-rendu de la Conférence on peut lire que les Juifs de Palestine doivent avoir « une force armée pour se battre sous leur propre bannière et sous les ordres du commandement en chef des Nations Unies ».

Les interventions sionistes se multiplient, les objections de l’administration fleurissent, rien ne se passe. Une fois de plus Weizmann revient à la charge. Le 26 juin 1944, il écrit à Sir James Percy Grigg, ministre britannique de la Guerre : « Une participation collective dans la bataille est une préoccupation importante des Juifs. L’Europe est maintenant le cimetière de millions de Juifs massacrés (…) Le monde a failli dans leur sauvetage. Le moins que nous puissions demander c’est qu’une force de Juifs libres puisse se battre de façon à maintenir l’honneur de son peuple, de venger ses martyrs et d’aider à libérer les survivants ».

Aux objections de Grigg, Churchill répond le 12 juillet 1944 : « J’aime cette idée des Juifs essayant de s’en prendre aux meurtriers de leurs coreligionnaires en Europe Centrale (...) C’est avec les Allemands qu’ils se disputent (...) Je ne peux pas admettre que l’on refuse à cette race dispersée à travers le monde et qui souffre comme jamais aucune autre race n’a souffert jusqu'à présent, la satisfaction d’avoir son propre drapeau ».

Le 17 août 1944, Briggs informe Weizmann de l’accord du cabinet pour la constitution d’une brigade juive sous la bannière de l’Etoile de David. Auparavant, pour éviter des émeutes arabes, Churchill a donné son accord à son ministre de la Guerre pour que la brigade ainsi constituée ne soit pas après la victoire ramenée telle quelle en Palestine. En octobre 1944, une Brigade est formée et entraînée en Italie. Forte de 5 000 hommes, elle entre en action contre les Allemands sur le front de l’Adriatique en mars 1945, quelques semaines avant la victoire finale.

On aboutit à une situation paradoxale. La politique d’atermoiement suivie par les Britanniques se révèle providentielle pour les Sionistes. En refusant la constitution d’une armée juive qui aurait remplacé les troupes anglaises en Palestine, Londres a évité une offensive arabe qui aurait tourné à la défaite d’une armée sioniste, sans expérience et à peine installée. Les régimes arabes voisins infiltrés par les Allemands n’auraient jamais accepté une armée juive au pouvoir en Palestine. Des décennies auraient été perdues pour le sionisme.

Opérationnelle in extremis, quelques semaines avant la victoire, la Brigade juive a pu participer au défilé de la victoire à Londres le 8 juin 1945. La seule unité militaire arborant un drapeau, bleu et blanc frappé à l’Etoile de David, qui n’appartient à aucun Etat existant. Cette exception frappe l’opinion publique et participe à la construction d’une crédibilité internationale pour le sionisme.

Cette Brigade juive autorisée dans les dernières semaines de la guerre n’a pas pu vraiment combattre aux côtés des Alliés. Par contre elle a joué un rôle de premier plan avant et après la proclamation de l’Etat d’Israël. Démobilisés, les 5 000 membres de la Brigade sont rentrés individuellement en Palestine. Un grand nombre de ces soldats formés par les Britanniques ont rejoint les rangs de la Haganah, la branche armée clandestine de l’Agence juive. Ils ont apporté une compétence guerrière de premier plan à une organisation qui lutte contre les troupes britanniques qui occupent le pays.

Des combats acharnés ont fait rage pendant les mois qui ont précédé et suivi la partition de la Palestine entre Arabes et Juifs qui aboutit en mai 1948 à la constitution d’un Etat juif. Les anciens de la Brigade ont été alors un appoint déterminant dans la victoire qui permit en mai 1948 la naissance de l’Etat hébreu. Une partition mal vue par les Britanniques qui se sont abstenus lors du vote du 27 novembre à l’Organisation des Nations Unies à ce sujet.

Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2011. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.


Notes

1. PENKOWER Monty, The Jews Were Expandable, Free World Diplomacy and the Holocaust, Chicago University of Illinois Press, 1983, p. 5. 20 000 soldats britanniques sont stationnés en Palestine .
2. WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, Clarendon Press, Oxford, 1979, p. 32
3. BERMAN Aaron, Nazism, the Jews and American Sionism, 1933-1945, Wayne State University Press, Detroit, 1990, p. 75.
4. WASSERSTEIN, op. cit. p. 276.
5. IBID. p. 279.
6. IBID. p. 280. Mars 1941.
7. PENKOWER, op. cit. p. 12.
8. IBID 284.
9. IBID. p. 284.
10. L’AXE, pacte liant le Reich, l’Italie et le Japon.
11. PENKOWER, op. cit. p. 21 et 13.
12. WASSERSTEIN, op. cit. p. 285.
13. PENKOWER, op. cit. p. 23.
14. WASSERSTEIN, op. cit. p. 287. En avril « le front Adriatique » fut inactif.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 16 novembre 2011 : 10:45

Marc-André Charguéraud

Washington et Londres refusent la
constitution d’une armée juive.
1940-1944.

Les Juifs palestiniens interdits de combattre
sous leur propre bannière.



En septembre 1939, quelques jours après le début de la guerre, Chaim Weizmann XE "Weizmann Chaim" , Président de l’Agence juive pour la Palestine déclare à Winston Churchill XE "Churchill Winston" , Premier Lord de l’Amirauté, « qu’il est prêt à armer les Juifs de Palestine (…) convaincu que cela permettra aux troupes anglaises de quitter la Palestine pour le front de l’Ouest ». Churchill se déclare favorable à cette requête.

Churchill confirme sa position dès sa nomination comme Premier Ministre en mai 1940. « La solution de la situation (en Palestine) », écrit-il au Général Wawell XE "Wawell Général" , commandant en chef au Moyen Orient, « dépend d’un armement suffisant des Juifs colonialistes, pour qu’ils assument leur propre défense ». « C’est un vrai scandale qu’alors que nous nous battons pour nos vies », d’importantes forces britanniques « soient immobilisées (en Palestine) », écrit-il à Lord Lloyd XE "Lloyd Lord" , son Ministre des Colonies.

Un mois plus tard, en juin 1940, David Ben Gourion, directeur de l’Agence juive, intervient dans le même sens. Dans un message lors de la Convention des Sionistes d’Amérique (ZOA) XE "Convention des Sionistes d’Amérique (ZOA)" , il s’enflamme : « Jamais notre peuple, jamais notre pays ne s’est trouvé dans un danger aussi grand qu’aujourd’hui (...) Les armées nazies menacent la Palestine dont la conquête détruirait tous les succès sionistes des cinquante dernières années ». Les Juifs américains doivent faire « tout ce qui est possible pour donner au Yishouv la chance de se défendre lui-même ». Les 800 délégués à la Convention demandent d’urgence à Winston XE "Churchill Winston" Churchill de permettre aux Juifs de Palestine de former des unités de combat pour la défense du Moyen Orient.

Le 6 août 1940 Weizmann reprend ce thème dans une lettre à Churchill : « Si on en arrivait à un retrait temporaire (des troupes britanniques) (…) les Juifs de Palestine se trouveraient exposés à un massacre massif par les Arabes, encouragés par les Nazis et les Fascistes. Cette possibilité renforce la demande de nos droits humains élémentaires d’avoir des armes ».

Les démarches de Weizmann auprès de Churchill vont se multiplier. Ce dernier continue à répondre favorablement, mais il se heurte à l’opposition de son administration. Le télégramme au Ministère de la guerre du Général Wawell daté du 26 février 1941 est significatif : « Je suis tout à fait opposé à la création d’une force armée (juive) pour le moment ». Un échange de notes avec Lord Moyne XE "Moyne Lord" , le successeur de Lloyd au Ministère des colonies, questionne la sincérité du soutien de Churchill aux sionistes.

Répondant à un plan soumis par Weizmann, XE "Weizmann Chaim" Churchill décide sur les recommandations de Moyne, de le remettre de six mois sous prétexte que l’on manque d’équipement. Dans une note à Churchill, Moyne se demande « s’il ne vaut pas mieux reconnaître la vraie raison (...) Elle est due à la situation au Moyen Orient et à la nécessité de ne pas risquer un soulèvement des Arabes en ce moment ». Un problème majeur confronte le Premier ministre. Si une armée juive est en charge de la Palestine, n’est-ce pas reconnaître de facto un Etat juif et provoquer des troubles sanglants et peut-être même l’entrée en guerre de l’Arabie Saoudite et de l’Irak ?

De leur côté, de nombreux Juifs américains répondent à l’appel de Vladimir Jabotinsky XE "Jabotinsky Vladimir" , le chef réformateur de la New Zionist Organisation XE "New Zionist Organisation (ZOA)" . Ils le soutiennent pour la création d’une armée juive de 100.000 hommes. Jabotinsky a été le promoteur de la « Légion juive » qui combattit avec les Alliés pendant la première guerre mondiale. Sa mort, en août 1940, met le projet en sommeil.

Le mouvement est relancé par Peter Bergson XE "Bergson Peter" et son Committee for a Jewish Army XE "Committee for a Jewish Army" pendant un meeting à Washington le 4 décembre 1941. Il réclame la création d’une armée juive de 200.000 Juifs palestiniens et apatrides pour servir les Alliés en Palestine et dans ses environs. Son slogan « les Juifs se battent pour le droit de se battre »rencontre beaucoup de sympathie dans le public au moment où l’Amérique entre en guerre.

Avec la chute en juin 1942 de Tobrouk en Lybie occupée par l’Africa Corps du Général allemand Erwin Rommel XE "Romme Erwin" , la route de l’Egypte et de la Palestine est ouverte. La situation des Juifs palestiniens devient critique. Le 25 juin Weizmann en appelle une fois de plus à Churchill XE "Churchill Winston" pour qu’il permette aux Sionistes du Yishouv l’exercice de « droits humanitaires élémentaires » de self défense contre la menace de destruction de leur «  existence physique elle-même ». Le 5 juillet 1942, Churchill demande à son ministre des Colonies une proposition. Il s’exprime clairement : « La force de l’opinion publique est très forte aux Etats Unis et nous souffrirons de nombreuses façons si nous cédions au parti pris des autorités militaires britanniques et du Colonial Office en faveur des Arabes et contre les Juifs. Maintenant que ces gens sont en péril direct, nous devons certainement leur donner une chance de se défendre eux- mêmes ».

Weizmann XE "Weizmann Chaim" , le 7 juillet, rencontre Roosevelt XE "Roosevelt Franklin" qui l’assure de son soutien. « J’ai toujours désiré faire une déclaration à propos d’une armée juive, que j’estime être une bonne chose ». Le 1er août les ministres britanniques concernés (Colonies et Guerre) proposent au Cabinet la constitution d’un régiment de 10 000 hommes consistant en bataillons séparés d’Arabes et de Juifs. Cette proposition ne répond absolument pas au problème politique urgent. La déception des Sionistes tourne au désespoir.

La victoire d’El Alamein XE "El Alamein" en novembre 1942 met heureusement Jérusalem complètement hors de portée des troupes de l’Axe. Une armée juive pour défendre la Palestine perd de son importance. Les Sionistes changent d’argument comme l’exprime en janvier 1943 Shertok XE "Shertok Moshe" , le chef politique de l’Agence Juive. Il demande la création d’une division ou au moins d’une brigade séparée qui utiliserait les 22.000 Palestiniens juifs qui servent déjà dans l’armée anglaise. Déjà le 11 mai 1942 à la Conférence sioniste de l’Hôtel Biltmore XE "Conférence sioniste de l’Hôtel Biltmore" ce changement d’orientation s’est esquissé. Dans le compte-rendu de la Conférence on peut lire que les Juifs de Palestine doivent avoir « une force armée pour se battre sous leur propre bannière et sous les ordres du commandement en chef des Nations Unies ».

Les interventions sionistes se multiplient, les objections de l’administration fleurissent, rien ne se passe. Une fois de plus Weizmann XE "Weizmann Chaim" revient à la charge. Le 26 juin 1944, il écrit à Sir James Percy Grigg XE "Grigg Percy" , ministre britannique de la Guerre : « Une participation collective dans la bataille est une préoccupation importante des Juifs. L’Europe est maintenant le cimetière de millions de Juifs massacrés (…) Le monde a failli dans leur sauvetage. Le moins que nous puissions demander c’est qu’une force de Juifs libres puisse se battre de façon à maintenir l’honneur de son peuple, de venger ses martyrs et d’aider à libérer les survivants ».

Aux objections de Grigg, Churchill répond le 12 juillet 1944 : « J’aime cette idée des Juifs essayant de s’en prendre aux meurtriers de leurs coreligionnaires en Europe Centrale (...) C’est avec les Allemands qu’ils se disputent (...) Je ne peux pas admettre que l’on refuse à cette race dispersée à travers le monde et qui souffre comme jamais aucune autre race n’a souffert jusqu'à présent, la satisfaction d’avoir son propre drapeau ».

Le 17 août 1944, Briggs informe Weizmann de l’accord du cabinet pour la constitution d’une brigade juive sous la bannière de l’Etoile de David. Auparavant, pour éviter des émeutes arabes, Churchill XE "Churchill Winston" a donné son accord à son ministre de la Guerre pour que la brigade ainsi constituée ne soit pas après la victoire ramenée telle quelle en Palestine. En octobre 1944, une Brigade est formée et entraînée en Italie. Forte de 5 000 hommes, elle entre en action contre les Allemands sur le front de l’Adriatique en mars 1945, quelques semaines avant la victoire finale.

On aboutit à une situation paradoxale. La politique d’atermoiement suivie par les Britanniques se révèle providentielle pour les Sionistes. En refusant la constitution d’une armée juive qui aurait remplacé les troupes anglaises en Palestine, Londres a évité une offensive arabe qui aurait tourné à la défaite d’une armée sioniste, sans expérience et à peine installée. Les régimes arabes voisins infiltrés par les Allemands n’auraient jamais accepté une armée juive au pouvoir en Palestine. Des décennies auraient été perdues pour le sionisme.

Opérationnelle in extremis, quelques semaines avant la victoire, la Brigade juive XE "Brigade juive" a pu participer au défilé de la victoire à Londres le 8 juin 1945. La seule unité militaire arborant un drapeau, bleu et blanc frappé à l’Etoile de David, qui n’appartient à aucun Etat existant. Cette exception frappe l’opinion publique et participe à la construction d’une crédibilité internationale pour le sionisme.

Cette Brigade juive autorisée dans les dernières semaines de la guerre n’a pas pu vraiment combattre aux côtés des Alliés. Par contre elle a joué un rôle de premier plan avant et après la proclamation de l’Etat d’Israël. Démobilisés, les 5 000 membres de la Brigade sont rentrés individuellement en Palestine. Un grand nombre de ces soldats formés par les Britanniques ont rejoint les rangs de la Haganah, la branche armée clandestine de l’Agence juive. Ils ont apporté une compétence guerrière de premier plan à une organisation qui lutte contre les troupes britanniques qui occupent le pays.

Des combats acharnés ont fait rage pendant les mois qui ont précédé et suivi la partition de la Palestine entre Arabes et Juifs qui aboutit en mai 1948 à la constitution d’un Etat juif. Les anciens de la Brigade ont été alors un appoint déterminant dans la victoire qui permit en mai 1948 la naissance de l’Etat hébreu. Une partition mal vue par les Britanniques qui se sont abstenus lors du vote du 27 novembre à l’Organisation des Nations Unies XE "Nations Unies ONU" à ce sujet.

Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2011. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

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PENKOWER Monty, The Jews Were Expandable, Free World Diplomacy and the Holocaust, Chicago University of Illinois Press, 1983, p. 5. 20 000 soldats britanniques sont stationnés en Palestine .
WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, Clarendon Press, Oxford, 1979, p. 32
BERMAN Aaron, Nazism, the Jews and American Sionism, 1933-1945, Wayne State University Press, Detroit, 1990, p. 75.
WASSERSTEIN, op. cit. p. 276.
IBID. p. 279.
IBID. p. 280. Mars 1941.
PENKOWER, op. cit. p. 12.
IBID 284.
IBID. p. 284.
L’AXE, pacte liant le Reich, l’Italie et le Japon.
PENKOWER, op. cit. p. 21 et 13.
WASSERSTEIN, op. cit. p. 285.
PENKOWER, op. cit. p. 23.
WASSERSTEIN, op. cit. p. 287. En avril « le front Adriatique » fut inactif.


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André Charguéraud




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
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Date: 03 janvier 2012 : 04:02

La Bulgarie a sauvé tous ses Juifs !
1940-1944
Une réalité ou une idée reçue ?



Pour certains historiens, le sauvetage des Juifs bulgares doit être considéré comme un sujet de fierté nationale. Dès 1966, Hannah Arendt XE "Arendt Hannah" donne le signal en écrivant à propos de la Bulgarie : « Pas un seul Juif n’a été déporté, aucun n’est mort de cause autre que naturelle ». Tzvetan Todorov XE "Todorov Tzvetan" , directeur de recherche au CNRS, de s’exclamer en 1999 « Comment expliquer (…) ce merveilleux accomplissement du bien ? »
Il est exact qu’aucun des 50 000 Juifs résidant dans la Bulgarie XE "Bulgarie" des frontières de 1918 n’a été déporté. C’est oublier les 11 343 Juifs envoyés à la mort en 1943 de Thrace XE "Thrace" et de Macédoine XE "Macédoine" , des territoires « libérés par l’armée bulgare » en 1941. Deux provinces qui faisaient partie de la Bulgarie avant 1918.
Alliée de l’Allemagne pendant la guerre de 1914-1918, la Bulgarie a dû céder sa province de Macédoine à la Serbie (qui deviendra la Yougoslavie) et celle de Thrace à la Grèce. En mars 1941, La Bulgarie rejoint l’Axe, l’alliance militaire de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon. Comme nouvelle alliée de Berlin, Sofia autorise les troupes allemandes à transiter par le pays, ce qui facilite la conquête de la Grèce, de la Yougoslavie et l’offensive contre l’URSS. Bien que n’ayant pas combattu, les troupes bulgares sont autorisées par les Allemands à reprendre possession de la Thrace et de la Macédoine. Ce ne sont pas des troupes d’occupation bulgares qui arrivent mais bien une armée de Libération.

Le 5 juin, ce retour à la mère patrie de deux provinces qui font partie du patrimoine ancestral bulgare est concrétisé par un décret le 5 juin 1942 : Tous les anciens citoyens yougoslaves ou grecs de ces territoires redeviennent bulgares à l’exception des personnes d’origine juive. Cette mesure discriminatoire antisémite grave sera fatale.

Les Allemands ne se préoccupent de la « solution finale » en Bulgarie qu’au début 1943, une année après le début des déportations en masse des Juifs dans le reste de l’Europe. Les Bulgares n’ont donc pas l’excuse de la surprise. Ils savent ce que signifie la livraison des Juifs aux nazis. Malgré cela, le 22 février 1943, Sofia signe un accord pour la déportation d’un premier groupe de 20 000 Juifs. Cet accord précise que « dans le cas où leur nationalité n’aurait pas été retirée aux Juifs désignés pour la déportation, ceci devra être fait au moment où ils quittent le territoire bulgare ».

Ce tour de passe-passe permet abusivement d’affirmer que pas un Juif bulgare n’a été déporté ! En fait près de 20% des Juifs de Bulgarie, soit 11 331, ont été envoyés mourir à Tréblinka XE "Tréblinka" et Auschwitz XE "Auschwitz" par le gouvernement de Sofia. Alors comment citer la Bulgarie en exemple ?

La Bulgarie XE "Bulgarie" n’a jamais été occupée par l’Allemagne. Jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge en septembre 1944, le roi a régné, le premier ministre a administré, le parlement s’est régulièrement réuni. Le passage de troupes allemandes ne signifie en aucune façon la prise en main de l’Etat par le Reich. Les arrestations, le regroupement en camps, la conduite à la frontière et l’expulsion sont entièrement et exclusivement l’oeuvre du Commissariat aux affaires juives, de l’administration et de la police bulgares.

Parler de pressions et de menaces allemandes qui auraient forcé les Bulgares à livrer des Juifs manque de sérieux. Le 21 mai 1943, quelques semaines à peine après la remise aux nazis des Juifs des territoires retrouvés, le Conseil des ministres décide de surseoir à la demande allemande de déportation des 50 000 Juifs restant dans le royaume. La réaction allemande à cette décision n’est qu’un constat d’impuissance. Un rapport allemand envoyé à Berlin le 31 août 1943 espère que le gouvernement bulgare « n’en croit pas moins qu’il sera possible un jour ou l’autre d’arriver à la solution finale juive », mais ajoute que ce ne sera possible qu’ « au moment où les Allemands enregistreront de nouveaux succès militaires qui refouleront l’offensive ennemie ».

Les victoires alliées en Afrique du Nord et plus encore la retraite des troupes allemandes vers les frontières de la Bulgarie à la suite de la défaite de Stalingrad XE "Stalingrad" font réfléchir Sofia. S’ajoutent les interventions auprès du roi Boris pour que cessent les expulsions. Celles du clergé orthodoxe emmenées par le Métropolite Stéphane, de l’ambassadeur de Suisse, du Comité International de la Croix-Rouge XE "Comité International de la Croix-Rouge CICR" qui envoie deux représentants dans ce but en Bulgarie et surtout celles de 43 députés, un tiers des parlementaires bulgares, dans une courageuse motion de protestation écrite au roi.

Si au printemps et pendant l’été 1943 les Allemands avaient été déterminés à éliminer les 50 000 Juifs restants, ils auraient pu y arriver en intervenant directement. Ils ne furent pas prêts à en payer le prix. La non participation d’un seul soldat bulgare sur les champs de bataille russes ou la non déclaration de guerre à l’URSS n’ont pas non plus été l’objet d’interventions. Ces défis lancés par la Bulgarie pesaient probablement plus lourd et pourtant Hitler n’a pas jugé utile de les relever.

Les 50 000 Juifs bulgares ont certes échappé à la mort mais leur sort a été terrible. Rien ne leur a été épargné. Calquée sur les lois antijuives nazies de Nuremberg, une loi sur la protection de la Nation de janvier 1941 enlève tous leurs droits civiques aux Juifs. Leurs biens sont confisqués. Ils sont privés de leur emploi. Outrage suprême les mariages mixtes sont interdits.

Non satisfait d’avoir fait des Juifs privés de ressources et de travail des « morts sociaux », le gouvernement envoie 12 000 Juifs dans des camps de travaux forcés. Des hommes qui vont travailler à la construction de routes et de voies ferrées dans les conditions dures et inhumaines que l’on peut imaginer. Puis c’est au printemps 1943 l’expulsion en quatre semaines des 20 000 Juifs de Sofia XE "Sofia" . Des familles entières hâtivement arrachées à leur domicile, dépourvues de tout, sont précipitées sur des routes inhospitalières. Elles sont regroupées en province dans des conditions de vie abjectes.

Il faut attendre le courant du mois d’août 1944 pour que les Juifs soient autorisés à rentrer chez eux à Sofia. Avec l’arrivée de l’Armée rouge, en septembre, le régime s’effondre. Pendant l’année qui suit les mesures antijuives sont progressivement abolies. On aurait pu penser qu’après le calvaire qu’ils ont vécu, ces dizaines de milliers de Juifs trouveraient le repos et la sérénité si nécessaires pour se reconstruire.
Il n’en a rien été. Les difficultés rencontrées à la reprise d’une vie journalière normale se sont multipliées, s’accompagnant de persécutions intolérables. La seule issue a été la fuite, principalement vers la Palestine, de 40 000 survivants juifs en 1946 et 1947. En 1952, il ne reste plus que 5 000 Juifs en Bulgarie, en 2002 ce chiffre tombe à 2 300. Autant dire que la Bulgarie, par des déportations vers les camps de la mort et par la maltraitance des survivants, a rendu le pays « Judenrein » (sans Juifs). La Bulgarie XE "Bulgarie" a éliminé pratiquement tous ses Juifs, l’objectif que s’était assigné Hitler pour l’Europe entière.

Qu’il y ait eu des manifestations de protestation et de sympathie de certains segments de la population bulgare, c’est certain. Ce fut le cas dans la plupart des pays de l’Europe occupés. Mais peut-on dire que « le sauvetage des Juifs bulgares est l’une des rares pages lumineuses de l’histoire des Juifs en cette sombre époque ?» N’est-ce pas nier la réalité que d’estimer que ce sauvetage fut « incontestablement un acte méritoire ? »  N’est-ce pas occulter un bilan terriblement noir dont l’Etat bulgare est le seul responsable ?


Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2012. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.



TODOROV Tzvetan, La Fragilité du bien. Le sauvetage des Juifs bulgares. Albin Michel, Paris, 1999, p. 9. Citant ARENDT Hannah, Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal, Gallimard, Paris, 1966.
IBID. p. 9. CNRS Centre National de la Recherche Scientifique.
IBID. p. 11 et 13.
TODOROV, op. cit. 13.
A l’exception du Danemark. En mars 1943, près de 70% des Juifs ont déjà été victimes de la Shoah
CHARY Frederick, The Bulgarian Jews and the Final Solution, 1940-1944, University of Pittsburg Press, 1972, p. 80.
SABILE Jacques, Le sauvetage des Juifs bulgares pendant la Seconde Guerre mondiale, in Mémoire du Génocide, recueil de 80 articles du « Monde juif », Centre de Documentation Juive contemporaine, Paris, 1987, p. 164.
48 000 Juifs de Bulgarie, plus 14 000 de Thrac et de Macédoine soit 62 000. 11 343 livrés aux nazis dont seuls 12 sont revenus. En fait 18,3% des Juifs bulgares ont disparu.
L’on blâme à juste titre la France défaite et sous contrôle allemand dont 25% des Juifs ont disparu dans les camps d’extermination nazis. 
Personne n’estime que la Suède a été occupée et pourtant Stockholm a autorisé le passage de centaines de milliers de soldats allemands à transiter vers et depuis la Norvège.
SABILE, op. cit. p. 167. Sofia aurait pu de la même façon surseoir à la livraison aux nazis des Juifs des deux provinces retrouvées.
CHARY, op. cit. p. 129 et 130. BEN-YAKOV Avraham, in Encyclopedia of the Holocaust, MacMillan Publishers, New York, 1990, p. 269
IBID. p. 198.
HILBERG Raul, La destruction des Juifs d’Europe, Fayard, Paris 1988, p. 643.
SHEALTIEL Shlomo, The Holocaust Encyclopedia, MacMillan Publishing Company, New York, 1990, p. 99.
TODOROF, op. cit. p. 14. Fin août 1942, un nouveau décret annonce une série de mesures supplémentaires réglementant la vie des Juifs
BEN-YAKOV, op. cit. p. 270.
HILBERG, op. cit. p. 654. TODOROV 1999, op. cit. p. 19. Opération conduite entre la fin mai et la fin juin 1943.
TODOROV, op. cit. p. 21.
CHARY, op. cit. p. 182.
SHEALTIEL 1990, p. 103.DELLA PERGOLA Sergio, World Jewish Population 2002, in American Jewish Yearbook, New York, 2002.
TODOROV 1999, p. 37 et 23.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 14 mars 2012 : 18:48

Cet article est extrait de “50 idées reçues sur la Shoah » un livre qui paraîtra le mois prochain.

Un curé champion américain de l’antisémitisme
1934-1942.

3 500 000 auditeurs suivent ses diatribes hebdomadaires.


En 1926 le père Charles Coughlin XE "Coughlin Charles" prend en charge l’Eglise de Little Flower, aux environs de Chicago. A peine quelques dizaines de fidèles la fréquentent. Le petit curé de banlieue va connaître une ascension fulgurante jusqu'à devenir un des principaux démagogues américains du vingtième siècle. En 1933, 55% des personnes interrogées par une enquête le nomment « le citoyen le plus utile politiquement aux Etats Unis ». Il réussit seul, avec ses propres moyens, sans le moindre soutien d’une organisation établie, qu’elle soit religieuse, politique ou sociale.

Diffusés d’abord sur une radio locale, ses sermons sont repris en 1930 par la CBS, la plus importante chaîne américaine qui couvre tout le pays. On estime alors que ses émissions touchent 40 millions d’Américains. Pour son biographe John Spivak XE "Spivak John" , « seul le Président (Roosevelt) a une audience plus importante. Mais le Président ne parle que dans certaines occasions, le prêtre (Coughlin) tous les dimanches ».Publié en 1932, Golden Hour of the Little Flower, un recueil de ses sermons se vend à près d’un million d’exemplaires. En 1933, plus de vingt mille personnes se pressent pour l’écouter à l’hippodrome de New York. L’année suivante Coughlin lance un hebdomadaire Justice sociale qui tire jusqu’à un million d’exemplaires. 2 000 églises participent à sa diffusion. Ce succès et cette popularité n’ont pas faibli jusqu’au début de la guerre malgré ses prises de positions violentes, imprévisibles et radicales. Elles ont dû perturber nombre de ses admirateurs et son public a dû se renouveler.

Au début des années trente ses sermons religieux se transforment en discours politiques. Coughlin évoquait le péché, le salut, le Royaume de Dieu, il ne parle plus que de morale, de justice et d’égalité. Il entre dans l’arène politique en soutenant vigoureusement Roosevelt XE "Roosevelt Franklin" pendant la campagne présidentielle de 1932. Il utilise des formules choc qui seront souvent reprises telles que « Roosevelt ou la ruine », « Le Nouveau pacte, c’est le pacte du Christ ». En janvier 1934, il témoigne devant le Congrès : « Si le Congrès ne soutient pas le programme monétaire du Président, je prédis une révolution dans ce pays qui rendra la Révolution française ridicule ». Il conclut : « Dieu tout puissant guide Roosevelt ».

Fin 1934, volte face de Coughlin. Il voue aux gémonies celui qu’il a adulé. Le 11 novembre il crée l'Union nationale pour la justice sociale (UNJS) et attaque Roosevelt qu’il traite, sans la moindre vergogne de « grand menteur et de traître ». Le programme de l’UNJS se démarque radicalement de celui du New Deal de Roosevelt. Il demande entre autre la nationalisation des principales industries et des chemins de fer, une redistribution de la fortune par la taxation des riches, une protection fédérale des syndicats ouvriers, une diminution du droit de propriété afin que le gouvernement contrôle pour le « bien du public » les actifs de la nation.

Cette politique radicale de Coughlin XE "Coughlin Charles" est vivement critiquée par d’importants membres de la hiérarchie catholique. Des pressions s’exercent sur l’évêque de Détroit Michael Gallagher XE "Gallagher Michael" , seul habilité à intervenir. Il s’y refuse, déclarant : « Je soutiens fermement ce prêtre  jusqu'à ce qu’un supérieur hiérarchique  en décide autrement ». La popularité de Coughlin a joué ici un rôle décisif. En 1937, Edward Cardinal Mooney XE "Mooney Edward. Cardinal" qui vient de succéder à Gallagher tente de diminuer les activités de Coughlin, mais le Vatican intervient en sa faveur.

Dans un article de Justice Sociale XE "Justice Sociale" Coughlin résume sa politique : « J’ai consacré ma vie à combattre contre le capitalisme moderne, pourri et criminel, car il vole les travailleurs des biens de ce Monde. Mais coup pour coup j’attaque le communisme, car il nous vole le bonheur du Monde futur ». Sa déclaration est paradoxale. Son programme est anticapitaliste, nettement communisant et il se contredit en condamnant le communisme.

Cette antinomie résulte de son antisémitisme. Jusqu’à présent discret, il devient un de ses thèmes favoris. Il estime que les banquiers juifs ont soutenu la Révolution russe. Il écrit : « Il n’y a aucun doute que la Révolution russe (…) a été fomentée et organisée par une influence distinctement juive ». Coughlin brandit sans cesse la "menace mondiale judéo-bolchevique", prétendant que l'ensemble des dirigeants soviétiques, y compris Lénine et Staline, était juif. Il s’en prend aux financiers internationaux juifs qui maintiennent les Américains dans les affres de la crise. En 1935 il dénonce l’influence néfaste des « Tugwells, Frankfurters et le reste des Juifs » qui entourent le président. Dans neuf articles intitulés « Suis-je un antisémite ? » il désigne les Juifs comme étant « une minorité puissante dans son influence, une minorité dotée d’agressivité » empêchant de façon permanente la restauration des idéaux américains.

Des voix de politiciens au plus haut niveau blâment l’attitude de Coughlin. Dans un discours du 18 février 1936, John O’Connor XE "O’Connor John" déclare : « Il fait honte à tout décent catholique en Amérique (…) Je ne connais pas un seul prêtre de l’Eglise catholique à une exception près (l’évêque Gallagher de Détroit) qui approuve sa désacralisation de l’habit (ecclésiastique) par son intrusion en politique ».

Coughlin franchit une étape dans sa phobie d’une conspiration juive mondiale en publiant dans son magazine Justice Sociale sous forme de série les Protocoles des sages de Sion XE "Protocoles des sages de Sion" . Un faux document tsariste qui se présente comme le compte-rendu d'une conférence de dirigeants juifs complotant pour prendre le contrôle du monde. Les Protocoles ont été largement utilisés par la propagande nazie, mais dénoncés par les Alliés. Coughlin faisait-il mine de croire à leur authenticité, car elle justifie sa politique, ou s’en sert-il comme d’un outil de désinformation ?

Sa croisade anticommuniste conduit Coughlin à appeler le 23 mai 1938 dans Justice sociale » à la constitution d’un Front chrétien unifié. Il est ouvert à d’autres formations tel que l’American Bund ( pro-nazi ). Dans ses rallyes le Front demande « la liquidation des Juifs d’Amérique ». Le curé n’en garde pas moins une popularité exceptionnelle. Un sondage d'opinion réalisé en 1938 montre que 25 pour cent des sondés soutiennent tout ou partie de ses idées.

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, la Nuit de cristal XE "Nuit de cristal" , un pogrom gigantesque organisé par les nazis met en émoi la population des démocraties occidentales. Alors que la compassion s’impose, Coughlin se déchaîne dix jours plus tard. Il se lance dans une diatribe antisémite. Il minimise la barbarie nazie, blâme les Juifs pour avoir imposé le communisme en Russie et note que les Allemands estiment à juste titre que les Juifs sont responsables des souffrances sociales et économiques dont leur pays a souffert sans discontinuité depuis le traité de Versailles. Le 18 décembre 1938, 2000 partisans de Coughlin défilent à New York pour protester contre des changements des conditions d’asile qui permettent l’entrée aux Etats-Unis d’un plus grand nombre de Juifs. Ils chantent : « Renvoyez les Juifs d’où ils viennent dans des bateaux pourris ». En décembre 1938 il reste toujours aussi actif. 45 stations de radio transmettent ses sermons hebdomadaires à des millions d’auditeurs. Il reçoit en moyenne 80 000 lettres par semaine.

Le 30 janvier 1939 Coughlin XE "Coughlin Charles" déclare : « Est-ce-que le monde entier doit aller à la guerre pour 600 000 Juifs allemands ? » En mars 1942, dans un article de Justice sociale, il va plus loin encore en accusant les Juifs d’avoir déclenché la guerre. Entre 1940 et 1942, il publie 102 articles antisémites. Toujours aussi provocateur, il écrit le 8 décembre 1939   « de nombreuses personnes se demandent ce qu’ils doivent craindre le plus, la combinaison Roosevelt-Churchill ou celle de Hitler et de Mussolini ».

Le gouvernement décide alors d’intervenir. Il rend difficile l’accès aux radios, malgré le Premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté de parole. Puis l’administration révoque la possibilité d’utiliser la Poste pour envoyer Justice sociale. Après l’attaque de Pearl Harbour et la déclaration de guerre en décembre 1941, il est considéré comme sympathisant avec l’ennemi. Roosevelt XE "Roosevelt Franklin" envoie un de ses conseillers demander au cardinal Mooney d’intervenir pour que cessent ses menées subversives. Mooney informe Coughlin que s’il ne met pas fin à ses activités non religieuses, il sera suspendu comme prêtre. Coughlin obtempère et met fin à sa carrière publique en avril 1942.

Il est plus que temps car comme John Cogley, l’éditeur du Chicago Catholic Worker XE "Catholic Worker" , l’écrit dans une lettre du 22 mai 1939 à Coughlin :  « D’une certaine manière vous (êtes) la plus puissante voix catholique aux Etats-Unis (…)Vos opinions captivent des millions mais consternent encore plus de millions. »

On peut s’étonner que les positions extrêmes de Coughlin aient pu séduire des millions d’Américains, même après le début de la guerre. Elles reflètent un antisémitisme fortement implanté dans l’esprit de trop nombreux Américains. Une enquête d’opinion de novembre 1942 en est l’illustration. La question : «  Quels sont les groupes que vous ne voudriez pas voir arriver dans votre voisinage ? » La réponse : les Nègres 72%, les Juifs 42%.


Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2012. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.


Maryland State Archives
CBS : Columbia Broadcasting System
SPIVAK John, A Man in His Time, 1967.
Maryland State Archives.
Nouveau pacte, le New Deal, nom donné à la nouvelle politique économique proposée par Roosevelt.
WASHNIGTON POST, 17 janvier 1934, p. 1 et 2.
UNITED STATES HOLOCAUST MEMORIAL MUSEUM, WASHINGTON, D.C. Traduction
Mémorial de la Shoah, Paris, France.
Le 6 avril 1936 Coughlin écrit « les classes laborieuses et agricoles d'Amérique sont contraintes de travailler pour moins d'un salaire de subsistance tandis que les propriétaires de l'industrie proclament sans vergogne que leurs profits sont en hausse."
DINNERSTEIN Leonard, Anti-Semitism in America, Oxford University Press, New York, 1994, p. 115.
KAZIN Michael, The Populist Persuasion. An American History, Basic Books, a division of HarperColliers, New York, 1995, p. 109.
27 novembre 1938.
BRINKLEY, Alan. Voices of Protest: Huey Long, Father Coughlin, and the Great Depression. Knopf Publishing Group, New York, 1982.
En novembre 1938, l’hebdomadaire The New Republic l’accuse d’être « cyniquement conscient de diffuser des mensonges. » Il ajoute qu’il n’y avait « pas de différences éditoriales entre les hebdomadaires nazis et Social Justice de Coughlin.
DINNERSTEIN, op. cit. p. 120 et 121.
IBID. p. 131.
En quelques heures 190 synagogues sont démolies, incendiées pour la plupart, 7.000 magasins et entreprises juives sont détruits, 30.000 Juifs seront arrêtés et internés.
DINNERSTEIN, op.cit. p. 116.
IBID. p. 118.
TULL, Charles, Father Coughlin and the New Deal, University Press, Syracuse, 1965, p. 233.
BRINKLEY, op. cit.
FOGARTY Gerald, The Vatican and the American Hierarchy from 1870 to 1965, Anton Hiersemann, Stuggart, 1982, p. 278
BRINKLEY, op. cit.
DINNERSTEIN, op. cit. p. 131.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 08 avril 2012 : 15:58

Mouvements occidentaux pro-nazis
et antisémites.
1920-1945

Des crimes commis sans pression allemande.



Dans les Etats démocratiques, les partis fascistes on eu un rôle important dans ce qu’un historien appelle « la rage antijuive ». Pendant l’entre-deux-guerres, presque dans tous les pays de l’Europe occidentale existe un parti fasciste antisémite qui se réclame du national-socialisme. Ils sont certes minoritaires, mais chacun connaît le danger de minorités bien organisées et déterminées, capables de déstabiliser un régime. Pour nombre d’entre eux, le parti nazi se trouve juste au-delà de la frontière, prêt à apporter son aide.

En Suède, c’est le[b]SN Folkparti XE "NS Volkpartie" , au Danemark le parti National Socialiste Danois XE "National Socialiste Danois", en Finlande le Mouvement agraire antisémite Lappo XE "Lappo" , en Norvège le Rassemblement Nationaliste avec à sa tête Vidkun Quisling XE "Quisling Vidkun" qui deviendra le chef du gouvernement lors de l’occupation. En Angleterre c’est Oswald Mosley XE "Mosley Oswald" qui dirige les Chemises noires de l’Union Britannique des Fascistes.
Le Nationaal-Socialistische Beweging (NScool smiley XE "Nationaal-Socialistische Beweging (NScool smiley" en Hollande regroupe 100 000 membres, soit 1,25% de la population. En Belgique, le Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV) XE "Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV)" compte également 100 000 membres. Pour se situer au même niveau, la France, dont la population est cinq fois plus importante que celle de la Belgique ou de la Hollande, aurait dû compter 500 000 fascistes. On est loin du compte. Les principales organisations fascistes, le Parti populaire français (PPF) XE "Parti populaire français (PPF)" de Jacques Doriot XE "Doriot Jacques" , le Rassemblement national populaire (RNP) XE "Rassemblement national populaire (RNP)" de Marcel Déat XE "Déat Marcel" , et le Mouvement national révolutionnaire ne dépassent pas ensemble 65 000 membres à la vieille de la guerre.


Aucun des partis français n’a adopté les thèmes politiques du National-Socialisme. Le fossé creusé vingt ans plus tôt par la Grande guerre dans l’opinion publique est bien trop profond. Déat et Doriot sont à l’origine des dirigeants marxistes militants. Or les pires ennemis des nazis ce sont les marxistes. Les deux hommes ont été les soutiens déclarés de la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme (LICA) XE "Ligue Internationale contre l’Antisémitisme (LICA)" , la grande organisation philosémite. « Doriot fut le héros et le leader des grandes campagnes antimilitaristes lancées par le parti communiste au cours de la décennie 1920 ». « Déat, pacifiste depuis toujours. Figure de proue du pacifisme français de la fin des années 1930 », écrit l’historien Simon Epstein. Tous les deux sont en 1938 « munichois ». C’est le fameux cri de Déat en 1939 : « Mourir pour Dantzig XE "Dantzig" , non ! » Paradoxalement, l’occupation de la France va les faire basculer dans le camp des mouvements fascistes pro-nazis antisémites.

Aux Etats-Unis le soutien aux nazis prend au seuil de la guerre sa forme la plus spectaculaire. Le nom même du principal mouvement fasciste, German American Bund XE "German American Bund" , affiche son allégeance à l’Allemagne. Des cohortes d’Américains, bottés de noir, uniformes bruns, portant brassards et drapeaux frappés de la croix gammée, descendent au pas de l’oie la cinquième avenue à New-York. Plus impressionnant encore, un rallye se tient le 20 février 1939 au Madison Square Garden XE "Madison Square Garden" à New-York. Plus de 22.000 manifestants conspuent Roosevelt et se lèvent aux cris de Heil Hitler. Des oriflammes à croix gammée flottent au vent. Les orateurs glorifient Hitler et l’Allemagne nazie, condamnent le communisme et appellent à l’élimination des Juifs.

Avec l’occupation allemande, les mouvements fascistes passent des déclarations et des manifestations à une action antisémite dure, souvent meurtrière. En Hollande et en Belgique, dès l’automne 1940, aux côtés de la police nationale, des unités fascistes nationales ont été le principal soutien des activités antijuives de la Gestapo. Le 11 septembre 1940 déjà, Mussert XE "Mussert" , le chef du Nationaal-Socialistische Beweging (NScool smiley XE "Nationaal-Socialistische Beweging (NScool smiley" , crée une formation de SS hollandais. En août 1944 ces SS nationaux comptent 4 000 membres et plus de 4 000 sympathisants.
En février 1941, près d’une année avant le début de la Shoah, des unités paramilitaires du NSB attaquent des restaurants et cafés juifs d’Amsterdam. La police n’intervenant pas, de jeunes Juifs organisent leurs propres groupes de défense. Le 11 février 1941, lors d’une bagarre entre les deux groupes, un membre du NSB est tué. La police allemande intervient et 389 Juifs sont envoyés à Mauthausen. Aucun ne survivra. Haans Albin Rauter XE "Rauter Hans Albin" , chef de la Gestapo en Hollande, crée en mai 1942 une Police volontaire auxiliaire sous ses ordres directs. Forte de 2 000 Hollandais, elle se compose de SS et de SA du NSB. Leur seule mission, traquer et arrêter les Juifs. Rauter est satisfait. Il écrit à Heinrich Himmler, le chef de la Gestapo à Berlin : « Les nouveaux escadrons de la police hollandaise font merveille en ce qui concerne la question juive et arrêtent des Juifs par centaines, jour et nuit ».

De leur propre initiative des groupes de membres du NSB se constituent dans le seul but de « débusquer » et de se « saisir » de Juifs qu’ils remettent aux Allemands contre paiement de primes. Leur capacité à produire un maximum de résultats est effarante. La Henneike Column XE "Henneike Column" avec seulement 35 hommes est arrivée à arrêter ou faire arrêter 3 400 Juifs en moins de six mois. Ses méthodes sont si brutales, mêlant chantages, tortures, extorsions, que les Allemands mettent fin à ses activités en septembre 1943.

En Belgique, des mois avant la Shoah, des centaines de militants du Vlaamsch National Verbond (VNV) XE "Vlaamsch National Verbond (VNV)" organisent un vrai pogrom à Anvers. Ils mettent à sac le quartier juif d’Anvers, incendient deux synagogues, brûlent les rouleaux de la Tora et mettent le feu à la maison du rabbin Rottenberg XE "Rottenberg Rabbin" .

Les « Mouvements de l’ordre nouveau », lisez pronazis, nombreux, particulièrement en pays flamand, comblent les insuffisances de la police régulière. Les plus radicaux sont les membres de la VNV. Une série d’organisations antisémites moins importantes les complète, telles que le Volksverwering, le Anti-Joodsch Front, le Nationaal Volksche Beweging. Ces activistes ne feront jamais défaut à la Gestapo. Les formations de combat du Rex de Léon Degrelle XE "Degrelle Léon" sont directement rattachées aux SS. Elles s’occupent d’abord du repérage des Juifs avant d’être autorisées à opérer des arrestations en fin 1943. « Une bande de crapules, traîtres à la patrie belge » seconde la Gestapo dans sa triste besogne, s’insurge en novembre 1943 Le Flambeau, une publication de la résistance.

En France les mouvements fascistes n’ont joué qu’un rôle secondaire dans les arrestations. Leur principale intervention, ce sont les 300 à 400 militants du PPF de Doriot qui, en uniforme, participent à la rafle du Vel d’Hiv XE "Vel d’Hiv" le 16 juillet 1942. Les fascistes français prêts à rejoindre des milices antijuives sont peu nombreux.


Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2012. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.


FRIEDLANDER, Saul, Les années d’extermination, l’Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945, Seuil, Paris, 2008, p. 161.
HIRSCHFELD Gerhart, Nazi Rule and Dutch Collaboration, Berg, New York, 1988, p. 285.
STEINBERG Maxime, L'étoile et le fusil, Volume 1, La vie ouvrière, Bruxelles, 1983, p. 138.
ZUCCOTTI Susan, The Holocaust, the French and the Jews. New York, 1993, p. 281. DREYFUS Francois George, Histoire de Vichy, Perrin, Paris, 1990, p. 686 cite un chiffre de 70 000 à 80 000 pour la zone occupée.
EPSTEIN Simon, Un paradoxe français. Antiracistes dans la collaboration et antisémites dans la résistance, Albin Michel, Paris, 2008, p. 368.
IBID. p.196.
LIPSTADT Deborah, Beyond Belief : The American Press and the Coming of the Holocaust, 1933-1945, The Free Press, New York, 1986, p.123. WYMAN David, Paper Walls : American and the Refugee Crisis, 1938-1941, Pantheon, New York, 1985, p.14-17.
HIRSCHFELD, op. cit. p. 287 et 288. 22 000 à 25 000 Hollandais rejoignirent les Waffen SS sur le front russe.
MOORE Bob, Victims & Survivors : The Nazi Persecution of the Jews in the Netherland : 1940- 1945, Arnold, New York, 1997, p. 66.
WARMBRUNN Werner, The Dutch under Occupation, Stanford University Press, Stanford, 1963, p. 107.
MOORE, op. cit. p. 71 et 72. Weerafdeling . Nom de ces groupes paramilitaires fascistes du NSB.
HIRSCHFELD, op. cit. p. 178 et 179. Proportionnellement aux populations respectives, ces 2 000 hommes seraient l’équivalent de 10 000 hommes en France.
FRIEDLANDER 2008 op. cit. p. 507.
HIRSCHFELD, op. cit. p. 176. MOORE, op. cit. p. 207. Il en va de même pour un groupe intitulé  « Département Juif » dirigé par un SS hollandais, membre du NSP, Dalmen von Buchholz.
BRACHFELD Sylvain, Ils n’ont pas eu les gosses, Institut de recherches sur le judaïsme belge, Bruxelles 1989, p. 14 au 17 avril 1941.
SAERENS Lieven, Antwerp’s Attitude Towards the Jews from 1918 to 1940 and its Implications for the Period of the Occupation, in MICHMAN Dan, Belgium and the Holocaust, Yad Vashem, Jerusalem, 1998, p. 193.
STEINBERG,1983, op. cit. p. 143.
STEINBERG Maxime, L'étoile et le fusil, Volume 2, La vie ouvrière, Bruxelles, 1986, p. 123. La Feldkommandantur actera plus tard : « Etant donné l’insuffisance des forces de police, l’arrestation de dizaines de milliers de Juifs (sic) à Anvers n’a pu s’accomplir sans le concours des mouvements d’ordre nouveau pour les dépister et les amener à la police de sécurité.»
IBID. p. 475.

Le financement des communautés juives d’Europe de l’Est réduit à néant par les régimes communistes
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 mai 2012 : 22:19

La politique généreuse mais vouée à
l’échec du JOINT.
1945-1952


Le financement des communautés juives d’Europe de l’Est
réduit à néant par les régimes communistes


L’American Jewish Joint Distribution Committee (JOINT) XE "American Jewish Joint Distribution Committee (JOINT)" est l’admirable et vaste organisation de secours financée et administrée par l’American Jewish Committee XE "American Jewish Committee " qui regroupe les Juifs les plus riches, la plupart d’origine germanique. Les programmes du JOINT en Europe dépassent en importance ceux additionnés de toutes les autres organisations caritatives présentes. Entre le début 1945 et la fin 1947, le JOINT a dépensé en Allemagne, Autriche et Italie, $ 17 millions et en Pologne, Roumanie et Hongrie $ 47 millions soit près de quatre fois plus.

Dans le premier cas il s’est agi de secourir les survivants de la Shoah. Dans l’autre le JOINT s’est principalement consacré à financer la renaissance des communautés juives nationales. Cet engagement considérable sera brutalement réduit à néant avec l’arrivée de gouvernements communistes dans ces trois pays. Un revers majeur peu connu du JOINT.

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut rappeler la politique constamment suivie par le JOINT : « Les Juifs ont le droit de vivre dans leur pays de naissance ou dans leur pays d’adoption. (...) Le succès du JOINT dépend de la vitesse avec laquelle il peut rendre ces Juifs et ces communautés juives économiquement indépendants, pouvant ainsi arrêter son assistance. »

C’est sur cette base que Joseph Schwartz XE "Schwartz Joseph" , le directeur du JOINT en Europe, décide d’apporter une aide massive sur plusieurs années aux populations juives survivantes de Pologne, de Roumanie et de Hongrie. Il ne s’agit pas seulement de secours ponctuels dans l’attente d’un départ ailleurs, mais de contribuer à une implantation en profondeur de ces populations pour qu’elles puissent aussi rapidement que possible devenir autonomes, indépendantes économiquement et rester dans leur pays d’origine.

Trois cas importants sont particulièrement intéressants. En Basse Silésie polonaise en juillet 1946 après l’expulsion des Allemands, 70 000 Juifs polonais rapatriés d’URSS et 15 000 venus d’autres parties de la Pologne y sont regroupés par le gouvernement. Dans une perspective à long terme, le JOINT met en place des coopératives dont il assure le financement. Il installe des structures communautaires, hôpitaux, écoles, homes d’enfant, hospices pour vieillards… La même politique est suivie en Hongrie pour les 150 000 Juifs qui y vivent encore. Le JOINT y finance entre autres 119 entreprises agricoles et 60 entreprises industrielles. Il en va de même en Roumanie, mais avec plus d’assistance et moins d’investissements. Malheureusement la situation va rapidement tourner au cauchemar.

Le 31 juillet 1947, le ministre hongrois de la Protection sociale envoie un signal négatif fort. Il déclare que « le JOINT finance des coopératives industrielles, des usines et des coopératives agricoles qui constituent des centres d’infection pleins de pus sur le corps de la démocratie hongroise tant à Budapest que dans le reste du pays ». Puis, en décembre 1949, le régime communiste met fin aux investissements du JOINT en arrêtant et en expulsant pour espionnage son directeur américain Israel Gaynor Jacobson. XE "Gaynor Jacobson.Israel"

C’est la conséquence d’une politique de capitalisme d’état. Elle est brutalement exposée le 8 septembre 1949 dans Uj Elet XE "Uj Elet" , le journal juif hongrois d’obédience communiste : « Les classes moyennes en tant que telles ont désormais accompli leur mission. Que cela leur plaise ou non, elles doivent se retirer de la scène de l’histoire pour laisser la place aux classes sociales montantes : les ouvriers et les paysans…. Ceux qui s’accrochent au vieil ordre économique et au style de vie petit-bourgeois favorisent une situation qui ne peut conduire qu’à un nouvel Auschwitz XE "Auschwitz" , à de nouveaux massacres. » Les Juifs sont particulièrement touchés. Sur 1 721 magasins nationalisés en Hongrie en 1949, 1 504 appartiennent à des Juifs.

En Pologne, le 21 mai 1948, les coopératives juives passent sous le contrôle d’un organisme d’Etat, l’Union centrale des coopératives. Début 1949, les écoles juives sont reprises par l’école publique polonaise.
En octobre 1949, toute autonomie des services de santé et des organisations juives est supprimée. Fin 1949 le gouvernement de Varsovie ferme les bureaux polonais du JOINT. En Roumanie la situation est similaire. Fin 1947 la monarchie est remplacée sous l’influence de Moscou par une « République démocratique ». Une loi d’août 1948 abolit tous les crédits juifs. C’est la faillite programmée des entreprises financées par le JOINT. Avant la fin de l’année, les homes d’enfants, les hôpitaux, les écoles et d’autres structures communautaires juives sont nationalisés.

Dans les trois pays la politique du JOINT de reconstruction des communautés juives est un fiasco. Au-delà des pertes financières, des centaines de milliers de Juifs qui ont choisi de ne pas fuir leur pays au lendemain de la Libération vivent une tragédie. Ils avaient confiance dans les plans du JOINT pour un renouveau juif. Spoliés de nouveau des biens qu’ils viennent d’acquérir, victimes d’une vague d’antisémitisme meurtrière et violente orchestrée par Moscou, ils sont de nouveau réduits à la misère et aux persécutions.

Après un long processus de « déshumanisation », ces Juifs sont devenus des « morts sociaux », comme le furent leurs coreligionnaires allemands avant la guerre. Pour leur malheur, après la prise de pouvoir des communistes et l’établissement du « rideau de fer », ils ne peuvent plus émigrer que très difficilement. Des centaines de milliers de ces « morts sociaux » sont pris au piège. Ils vont devoir survivre, des mois pour certains, des années pour d’autres sous la dictature communiste, parmi une population hostile.

A la suite des accords de Yalta XE "Yalta" de février 1945, le monde occidental savait que les pays du Centre et de l’Est de l’Europe allaient tomber sous l’influence soviétique. N’était-il pas raisonnable pour le JOINT de prévoir que Moscou allait imposer progressivement son modèle politique et économique à ces pays ? Ce modèle, qui ne laisse aucune place aux investissements privés, vouait au désastre les efforts d’investissement du JOINT.


André Charguéraud


Notes
HYMAN Abraham S. The Undefeated, Gefen Publishing House, Jérusalem and Hewlett NJ, 1993, p. 386.
BAUER Yehuda, Out of the Ashes, The Impact of American Jews on Post Holocaust European Jewry, Pergamon Press, Oxford, 1989, p. XVIII. Chiffres dérivés du tableau des dépenses du JOINT.
BAUER Yehuda. American Jewry and the Holocaust : The AJJDC 1930-1945, Wayne State University Press , Detroit, 1981, p. 182. Déclaration de Moses Leavitt, secrétaire général du JOINT, en 1943.
HYMAN, op. cit. p.180.
FROJIMOVICS Kinga, in BANKIER David éd. The Jews are Coming Back: The Return of the Jews to their Country of Origin after WW II, Berhahn, New York, 2004, p. 287. Rapport du ministre au parti.
Ibid, p. 291.
WASSERSTEIN Bernard, Les Juifs d’Europe depuis 1945, Calmann Lévy, Paris, 2000, p. 67.
BAUER, op. cit. p. 165, 167 et 168.
BAUER, 1989, p. 156 et 157.

Cet article est extrait de “50 idées reçues sur la Shoah » un livre qui vient d’être publié.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 mai 2012 : 22:21

Cinquante idées reçues sur la Shoah

Par Marc-André Charguéraud






Depuis plus de dix ans, Marc-André Charguéraud traque les vérités non dites de la Shoah, en consultant les historiens les plus réputés du génocide, notamment anglo-saxons.
Sa connaissance des tenants et aboutissants relatifs aux massacres des Juifs dans la période de la Seconde Guerre mondiale lui permet de mettre dans des perspectives inédites certains épisodes trop rapidement interprétés.

Après la rédaction de huit livres sur le sujet, il propose ici de revisiter cinquante idées reçues sur la Shoah, une forme de dictionnaire thématique qui couvre les lettres A à J et qui sera suivi ultérieurement par un deuxième volume.

Sur les raisons pour lesquelles Auschwitz n’a pas été bombardé, sur la passivité des Juifs américains, la bravoure méconnue des Français à l’égard des enfants juifs ou le sort désastreux des rescapés juifs après 1945, Marc-André Charguéraud fait oeuvre nécessaire : il permet de confirmer que le désastre génocidaire de la Seconde Guerre mondiale a été rendu possible par un climat général de passivité dont l’Allemagne nazie a largement profité.

Marc-André Charguéraud a publié de nombreux ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. Diplômé de sciences politiques et de droit, MBA de Harvard, il s’est engagé en 1944 dans la Première Armée française.




SOMMAIRE


INTRODUCTION ………………………………………………………………… 15

1. ACCUEIL
CES SURVIVANTS DE LA SHOAH DONT PERSONNE NE VEUT, 1945-
1948……………………………………………………………………………… 19
Les pays victorieux restent antisémites et refusent
d’ouvrir leurs portes aux survivants juifs

2. AGENCE JUIVE
UN ACCORD AVEC LES NAZIS, 1933-1938 ……………………………. 24
Il sauvera 50 000 Juifs allemands

3. AGENCE POUR LES RÉFUGIÉS DE GUERRE
« TROP PEU, TROP TARD », 1944-1945 ……………………………….. 28

4. AIDE
PaS D’AIDE DES ALLIÉS POUR LES NEUTRES ACCUEILLANT LES
RÉFUGIÉS, 1942-1944 ………………………………………………………. 33
Des dizaines de milliers de Juifs auraient pu être sauvés
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8 CINQUANTE IDÉES REÇUES SUR LA SHOAH

5. ALIYAH
PAS POUR LES JUIFS AMÉRICAINS ! 1948-1952 ……………………… 38
Malgré les appels de Ben Gourion, peu de sionistes amériricains
iront en Israël rejoindre les survivants de la Shoah

6. ALLIÉS
EN GUERRE, ILS REFUSENT DE SAUVER DES JUIFS, 1942-1944 …. 42

7. ANTIJUDAÏSME
PIE XI ET PIE XII, UN ANTIJUDAÏSME COUPABLE, 1937-1965 …. 48

8. APPELS
APPELS AU SECOURS, 1936-1945 ……………………………………….. 53
Cris de désespoir et accusations des Juifs d’Europe

9. ARMÉE JUIVE
WASHINGTON ET LONDRES REFUSENT SA CONSTITUTION, 1940-
1944……………………………………………………………………………… 59
Les Juifs palestiniens interdits de combattre sous leur
propre bannière

10. ATTENDRE
LE SAUVETAGE DES JUIFS DEVRA ATTENDRE LA VICTOIRE, 1942-
1945……………………………………………………………………………… 64
Même si la Shoah continue ses massacres

11. AUSCHWITZ
DEVAIT-ON BOMBARDER AUSCHWITZ ? 1944 ……………………….. 68
Désaccords entre historiens

12. MOSES BECKELMAN
DEUX HOMMES SAUVENT 2 200 JUIFS POLONAIS D’UNE MORT
CERTAINE, 1939-1940 ……………………………………………………… 74
L’un devient légendaire, l’autre est oublié
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SOMMAIRE 9

13. BULGARIE
ELLE A SAUVÉ TOUS SES JUIFS ! 1940-1944 …………………………. 78
Une réalité ou une idée reçue ?

14. CATHOLIQUES ALLEMANDS
HITLER DÉMANTÈLE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ALLEMANDE, 1933-
1939……………………………………………………………………………… 83

15. CATHOLIQUES POLONAIS
HITLER ASSASSINE 2 500 000 CATHOLIQUES POLONAIS, 1940-
1945……………………………………………………………………………… 88
Un génocide majeur trop souvent oublié

16. CHAMBON-SUR-LIGNON
LE CHAMBON-SUR-LIGNON ET LES JUIFS, 1942-1944 ……………. 92
Pourquoi faire de cette belle page du protestantisme
un mythe en multipliant par dix le nombre de sauvetages
?

17. « CHRÉTIENS ALLEMANDS »
UNE CATASTROPHE PROTESTANTE, 1933-1944 ……………………… 97
Jusqu’à la défaite, ils demandent l’élimination des Juifs

18. CHURCHILL
AVOCAT POUR LA CRÉATION D’UN ÉTAT JUIF, 1908-1944 ………. 101
Pourtant en novembre 1944 il abandonne son soutien

19. CHYPRE
52 000 SURVIVANTS Y SONT INTERNÉS, 1946-1949 ……………….. 107

20. CINQUIÈME COLONNE
LA CINQUIÈME COLONNE ARRIVE EN AMÉRIQUE, 1940-1941 …… 112
Un frein important à l’accueil des réfugiés
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10 CINQUANTE IDÉES REÇUES SUR LA SHOAH

21. COMPROMIS
UN BANQUIER JUIF CROIT POSSIBLE UN COMPROMIS AVEC
HITLER, 1932-1938 …………………………………………………………. 116

22. CONFÉRENCES
CONFÉRENCES SUR LES RÉFUGIÉS, UNE POLITIQUE SPECTACLE,
1938 ET 1943 …………………………………………………………………. 121
Des gesticulations politiques destinées à une opinion
publique choquée par les persécutions puis les massacres
de Juifs

23. CHARLES COUGHLIN
UN CURÉ CHAMPION AMÉRICAIN DE L’ANTISÉMITISME, 1934-
1942……………………………………………………………………………… 126
3 500 000 auditeurs suivent ses diatribes hebdomadaires

24. CROATIE
L’ARCHEVÊQUE STEPINAC ET LE GÉNOCIDE EN CROATIE, 1941-
1942……………………………………………………………………………… 132
Un « bienheureux » pour Rome, un complice du massacre
pour les Serbes orthodoxes

25. CROIX-ROUGE
LES DÉTENUS DES CAMPS DE CONCENTRATION SANS PROTECTION,
1921-1945 …………………………………………………………….. 138
Pendant les vingt années précédant la guerre, les Occidentaux
refusèrent d’approuver les protections proposées
par la Croix-Rouge

26. CROIX-ROUGE
UNE CONDUITE HONTEUSE ? 1945 ………………………………………. 142
Un témoignage et l’histoire
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SOMMAIRE 11

27. DACHAU
PIRE QUE MAJDANEK ? 1944-1945 …………………………………….. 146
Ce que pensent à tort les Occidentaux après la victoire

28. DANEMARK
UN EXEMPLE POUR L’OCCIDENT ? 1940-1945 ………………………. 150
Un « protectorat modèle », disait Hitler

29. DÉSUNION
ENTRE JUIFS AMÉRICAINS ET ANGLAIS, 1942-1944 ……………….. 157
Aucune unité face à la Shoah

30. DRANCY
SECOURIR LES JUIFS DE DRANCY, UNE IGNOMINIE ? 1943-1944 …. 163
Pouvait-on les laisser mourir de faim sachant que personne
ne viendrait à leur secours ?163

31. ÉGLISE CONFESSANTE ALLEMANDE
1933-1945 …………………………………………………………………….. 168
Elle n’a dénoncé que tardivement et avec manque de
conviction la persécution des Juifs

32. ÉGLISE PROTESTANTE ALLEMANDE
UNE VOLONTÉ COUPABLE D’OUBLI, 1945-1950 …………………….. 173
L’antisémitisme et l’antijudaïsme toujours présents
retardent toute repentance

33. ÉGLISE SUÉDOISE
SES « SILENCES », 1939-1944 …………………………………………… 178

34. ENCYCLIQUE
« MIT BRENNENDER SORGE », UNE ENCYCLIQUE POUR RIEN ? 1937 . 182
En l’absence de déclarations de l’Occident, l’encyclique
de Pie XI est de première importance
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12 CINQUANTE IDÉES REÇUES SUR LA SHOAH

35. ENFANTS
LES FRANÇAIS EXEMPLAIRES DANS LE SAUVETAGE DES
ENFANTS JUIFS, 1941-1945 ……………………………………………….. 187
La France laisse les autres pays très loin derrière elle

36. ENFANTS
SAUVEZ-LES ! JUILLET-AOÛT 1944 ……………………………………… 191
Un désastre pour 200 enfants en France, un triomphe
pour 600 en Belgique

37. ERREUR
LE MONDE COMMET UNE ERREUR DÉSASTREUSE, 1933 …………… 196

38. ÉTATS-UNIS
LE SCANDALE DES COMPTES AMÉRICAINS DES VICTIMES DE LA
SHOAH, 1945-2001 …………………………………………………………. 201

39. ÉTATS-UNIS
L’AMÉRIQUE NEUTRE REFUSE LES RÉFUGIÉS JUIFS, 1940-1941… 205

40. EUROPE DE L’EST
LES COMMUNISTES ACHÈVENT L’ÉLIMINATION DES JUIFS, 1945-
2000……………………………………………………………………………… 209

41. FASCISTES
MOUVEMENTS OCCIDENTAUX PRO-NAZIS ET ANTISÉMITES, 1920-
1945……………………………………………………………………………… 214
Des crimes commis sans pression allemande

42. FRANCO
L’AMBIVALENCE DU GÉNÉRAL FRANCO ENVERS LES JUIFS,
1940-1944 …………………………………………………………………….. 220
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SOMMAIRE 13

43. GESTAPO
CES JUIFS QU’ELLE N’ARRÊTE PAS. PRINTEMPS 1944 ……………… 225
30 000 Juifs vivent alors à Paris, recensés et portant
l’étoile jaune

44. HISTORIENS
QUAND HITLER A-T-IL DÉCIDÉ LA SHOAH ? 1920-1941 ………….. 229
Hypothèses et réalités

45. HITLER
LES JUIFS ALLEMANDS PLÉBISCITENT SA POLITIQUE ÉTRANGÈRE.
NOVEMBRE 1933 ……………………………………………………. 234
Un piège destiné à montrer au monde que Hitler fait
l’unanimité dans son pays

46. HONGRIE
L’HOMME QUI LIVRA 450 000 JUIFS AUX NAZIS EN HUIT
SEMAINES. PRINTEMPS 1944 ……………………………………………… 238
L’amiral Horthy, en tant que chef de l’Etat hongrois,
en est responsable

47. INACTION JUIVE
L’INACTION DES JUIFS AMÉRICAINS, 1942-1944 ……………………. 242
Des « raisons » qu’il faut examiner

48. ITALIE
LA ZONE D’OCCUPATION ITALIENNE, UN SALUT TEMPORAIRE.
NOVEMBRE 1942, SEPTEMBRE 1943 ……………………………………. 247

49. IZIEU
UN DRAME AFFLIGEANT, 1943-1944 …………………………………… 252
Les 44 enfants assassinés n’ont pas été dispersés à
temps
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14 CINQUANTE IDÉES REÇUES SUR LA SHOAH

50. JOINT
LA POLITIQUE GÉNÉREUSE MAIS VOUÉE À L’ÉCHEC DU JOINT,
1945-1952 …………………………………………………………………….. 257
Le fi nancement des communautés juives d’Europe de
l’Est réduit à néant par les régimes communistes



OUVRAGES CITÉS …………………………………………………………….. 261
REPÈRES CHRONOLOGIQUES ………………………………………………. 275
INDEX ……………………………………………………………………………. 283
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La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 13 mai 2012 : 22:13

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud livre que j'ai lu avec une tres grande attention qui fournit des details extremement precieux et interessants sur cette funeste periode et dont je conseille vivement la lecture.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud/Le monde commet une erreur désastreuse. 1933
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 08 juin 2012 : 15:25

Le monde commet une erreur désastreuse.
1933





« Le jour du boycott a été le jour de la plus grande lâcheté. Sans cette lâcheté, tout ce qui suivit ne serait pas arrivé », écrit après la guerre Léo Baeck. Le rabbin se réfère au boycott des magasins et des affaires juives organisé par les nazis le 1er avril 1933. Il dénonce la passivité et le soutien à Hitler de la population allemande et des dirigeants étrangers pendant les six mois qui ont suivi sa nomination comme Chancelier du Reich, le 31 janvier 1933.

11 millions de protestants, soit près de 90%, ont voté pour les nazis en juillet 1932. Sans surprise, la plupart, regroupés dans le mouvement inféodé aux nazis des « Chrétiens allemands », ont continué dans la même voie l’année suivante. On aurait toutefois pensé que les pasteurs, qui allaient fin 1933 fonder « l’Eglise confessante » pour contrer les « Chrétiens allemands », se seraient montrés plus critiques. Il n’en fut rien.

Otto Dibelius XE "Dibelius Otto" , cofondateur avec Martin Niemöller XE "Niemöller Martin" de l’Eglise confessante, affirme à la radio le 4 avril 1933 que le gouvernement a bien raison d’organiser un boycott. «L’Eglise ne doit pas et ne peut pas empêcher l’Etat de maintenir l’ordre par des mesures sévères (…) et vous savez, mes amis, que nous sommes des gens d’ordre, de droit et de discipline ». Quelques semaines plus tard, Niemöller déclare dans le Völkischer Beobachter XE "Völkischer Beobachter"  : « Dans notre peuple, en de nombreux groupements, l’espoir a surgi d’une association nouvelle entre la nation et l’église chrétienne, entre notre nation et Dieu ». 

Les catholiques à l’appel de leur clergé ont massivement et constamment voté pour leurs propres partis contre les nazis. Ils vont cependant apporter les voix décisives au Führer lors du vote des pleins pouvoirs du 23 mars. Un changement de politique dicté par le pape Pie XI XE "Pie XI" qui constate que depuis les élections du 3 mars les nazis possèdent la majorité au Reichstag. Il s’estime obligé de composer. Hitler a plusieurs fois déclaré qu’il revendique la sphère politique mais qu’il garantit le religieux aux Eglises. Le Vatican, qui depuis longtemps cherche un accord formel avec le gouvernement allemand, pense qu’il faut saisir l’occasion pour négocier un Concordat, quitte à abandonner toute participation au pouvoir politique. Un Concordat s’appliquera dans la durée et Rome pense à tort que le gouvernement nazi n’est que transitoire.

Dans l’attitude de Pie XI, il ne faut pas négliger une phobie du bolchevisme. Il aurait dit à François Charles-Roux XE "Charles-Roux François" , l’ambassadeur français auprès du Saint Siège : « J’ai modifié mon opinion sur M. Hitler à la suite du langage qu’il a tenu ces jours-ci sur le communisme. C’est la première fois, il faut bien le dire, que s’élève une voix de gouvernement pour dénoncer le bolchevisme en termes aussi catégoriques et se joindre à la voix du pape ».

Les marxistes allemands ont eu un comportement étrange qui les a conduits à accepter dans les faits la mise en place du régime nazi. Ils sont pourtant 13 millions, bien organisés avec leurs milices entraînées et armées qui font le coup de feu chaque jour et des syndicats ouvriers puissants qui sont à leurs ordres. Entre leurs mains deux armes redoutables qu’ils ont déjà utilisées au début des années vingt : la grève générale et l’utilisation de la force.

Mais les marxistes obéissent aux directives de Staline XE "Staline Josef" . Comme Pie XI et de nombreux observateurs bien informés, Staline estime « que le régime nazi doit tôt ou tard s’effondrer et se briser entre les différents groupes qui le composent. Il a une base sociale diffuse, celle d’un parti de protestation, il n’a pas de programme politique clair à offrir ». L’historien Ian Kershaw XE "Kershaw Ian" donne une excellente analyse de la situation : « Son aversion pour les socialistes est à l’origine de l’invraisemblable politique que Staline impose au Parti Communiste allemand (...) Il aide Hitler à détruire la république de Weimar, comptant sur lui pour détruire les social-traîtres et ne croyant pas que le nazisme leur survivra. Ainsi la voie serait libre pour faire la révolution (…) Mais Hitler n’élimine pas seulement les socialistes, il se débarrasse aussi des communistes ... »

Hitler XE "Hitler Adolf" n’a pas de soucis à se faire du côté des démocraties occidentales. Déjà en décembre 1930 dans le Populaire XE "Populaire" , Léon Blum XE "Blum léon" écrivait : « Je crois que l’astre hitlérien est déjà monté au plus haut de sa course, qu’il a touché son zénith». D’ailleurs, ajoute-t-il, si un jour « l’absurde baladin du racisme arrivait tout de même au pouvoir, il sentirait tomber sur lui le lourd manteau de prudence et l’on pourrait s’attendre à l’une de ces métamorphoses opportunes comme il s’en produit souvent ». Après le boycott du 1er avril 1933, Léon Blum met publiquement en garde contre  «toutes réactions nationalistes». Dans la grande tradition de vœux pieux imprégnés de rhétorique humanitaire, il estime qu’il vaut mieux répondre à la force par la « révolte des consciences ».

Aux Etats-Unis, le 16 mai 1933, le président Roosevelt XE "Roosevelt Franklin" lance un appel au désarmement et à la paix. Le jour suivant, Hitler lui répond devant le Reichstag dans son fameux discours de paix. Il approuve l’appel de Roosevelt et ne réclame qu’une chose, l’égalité avec les autres nations sur le plan de l’armement. A Washington le porte-parole déclare : « Le Président a été enthousiasmé par la façon dont Hitler a accepté ses propositions ». Six semaines à peine après le boycott des affaires et magasins juifs en Allemagne, Roosevelt ne demande qu’à être rassuré.

En Grande-Bretagne, le ton est donné par Winston Churchill XE "Churchill Winston" qui, malgré son grand sens politique, montre qu’il n’arrive pas à saisir la personnalité de Hitler. En 1935 encore, il prend une position équivoque à l’égard du Führer. Il se demande si Hitler « va déclencher sur le monde une nouvelle guerre désastreuse pour la civilisation, ou bien s’il prendra sa place dans l’histoire comme l’homme ayant rendu l’honneur et l’esprit de paix à la grande nation allemande, sereine et forte, au premier rang du cercle de famille qu’est l’Europe ».

Paradoxe de ces temps troublés, face au danger bolchevique la communauté juive allemande est à l’unisson. Le rabbin Léo Baeck XE "Baeck Leo" déclare en public à la fin mars 1933 : « La révolution allemande et nationale que nous vivons en ce moment montre deux directions qui tendent à se rejoindre : la lutte pour surmonter le bolchevisme et celle qui vise à rénover l’Allemagne. Comment se situe le judaïsme face à ces deux objectifs ? Le bolchevisme étant un mouvement athée est l’ennemi le plus violent et le plus acharné du judaïsme (…) Un Juif qui se fait bolcheviste est un renégat. L’idéal et la nostalgie des Juifs allemands est bien la rénovation de l’Allemagne ».

Cette « nostalgie » pousse certains intellectuels Juifs à aller jusqu’à déclarer qu’ils auraient approuvé le régime nazi s’il n’avait pas été antisémite. En témoignent ces mots du rabbin Elie Munk XE "Munk Elie"  : « C’est à partir du judaïsme que je rejette la doctrine marxiste,  je me reconnais dans le socialisme national une fois ôtée sa composante antisémite. Sans l’antisémitisme, le socialisme national trouverait ses plus chauds partisans chez les Juifs fidèles à leur tradition ». Au vu de toutes ces prises de positions, est-il exagéré de conclure que pour la plupart des acteurs l’arrivée du national-socialisme au pouvoir a plutôt été considérée avec sympathie et pour le moins n’a pas été combattue ? Certes des voix se sont élevées pour dénoncer les emprisonnements d’opposants politiques, l’abandon de l’habeas corpus, les renvois arbitraires de fonctionnaires et autres dérives inadmissibles d’un régime totalitaire qui s’installe. Le soulagement de voir l’Allemagne s’éloigner d’un chaos total qui l’aurait détruite a relégué ces mesures scélérates au second plan.

Fin 1932, la gauche marxiste et les nationaux-socialistes totalisent les trois quarts des représentants du Reichstag. Il ne reste que deux choix de régime possibles, le marxisme ou le nazisme. Hitler a éloigné le spectre angoissant pour les occidentaux d’une Allemagne bolchevique. En juillet 1932, la droite et la gauche se battent à Hambourg : 19 victimes et 285 blessés. Rien qu’en Prusse, entre le 1er et le 20 juin 1932, il y eut 461 échauffourées qui firent 82 morts. Entre 1928 et 1932, la production industrielle allemande a chuté de 42%, une situation économique et sociale insupportable. Hitler a rétabli l’ordre, condition essentielle à la reprise économique. Quant aux mesures odieuses décidées par le régime nazi, un consensus se dégage pour penser qu’il ne s’agit que d’une situation momentanée car le régime ne durera pas. Cette erreur de jugement grave a eu des conséquences catastrophiques.

Marc-André Charguéraud




LEVIN Nora, The Holocaust Years,The Nazi Destruction of European Jewry, 1933-1945, Robert Krieger, Malabar Florida, 1990, p. 22. Léo Baeck deviendra en septembre 1933 président de la Reichsvertretung des Deutschen Juden, l’organisation faîtière des Juifs d’Allemagne.
REYMOND Bernard, Une Eglise à croix gammée : Protestantisme allemand au début du régime nazi, 1932- 1935, L’Age d'Homme, Lausanne, 1980, p.79.
GUTTERIDGE Richard, Open thy Mouth for the Dumb : The German Evangelical Church and the Jews 1879- 1950, Harper Row, New York, 1976, p.78.
CONWAY J.S, La Persécution nazie des églises 1933-1945, Editions France Empire, Paris, 1969, p. 89. 19 juillet 1933.
Parti du centre et Parti bavarois.
Il fallait pour les pleins pouvoirs une majorité des deux tiers alors que les nazis et leurs alliés n’avaient qu’une majorité simple.
CONWAY, op.cit. p. 61. « Le gouvernement national voyant dans le christianisme le fondement inébranlable de la vie morale de notre peuple, attache la plus haute importance au développement et au maintien des relations les plus amicales avec le Saint Siège (...). Les droits des églises ne seront pas touchés, leurs relations avec l’état ne seront pas changées.» Discours de Hitler au Reichstag le 23 mars 1933.
LACROIX-RIZ, Annie, Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la guerre froide, Armand Colin, Paris, 1996, p 154. Propos rapportés par l’Ambassadeur.
KERSHAW Ian, Hitler’s Myth’s, Images and Reality in the Third Reich, Oxford Clarendon Press, Oxford, 1983, p. 29.
JELEN Christian, Hitler ou Staline : le prix de la paix, Flammarion, Paris, 1988, p. 16 et 17. Une première fois Staline sous-estime Hitler.
GREILSAMMER Ilan, Blum, Flammarion, Paris, 1996. p. 272.
THALMANN Rita, L’Antisémitisme en Europe Occidentale et les réactions face aux persécutions nazies des Juifs pendant les années trente dans L’Allemagne et le génocide Juif, François Furet, (Direction) Gallimard, Le Seuil, Paris, 1985, p. 140.
SHIRER William, Le IIIème Reich, Stock, Paris, 1990, p.231.
FEDIER François, Martin Heidegger, Ecrits Politiques, 1933-1939, Gallimard, Paris, 1995, p. 60.
IBID, p. 15.
MUNK Elie, Le Judaïsme face à ce qui l’entoure, Frankfurt, 1933, cité par FEDIER, op. cit. p. 14 et 15.
SHIRER, op. cit. p. 184.
FEDIER, op. cit. p. 55.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 14 juillet 2012 : 13:28

3 200 00 Juifs polonais n’émigrent pas.
1933-1939

Plus de 90% seront assassinés par les nazis.



Entre 1933 et 1939, 50% des Juifs du Grand Reich ont fuit le régime nazi. En Pologne seuls 4% des Juifs polonais sont partis avant que le désastre ne s’abatte sur eux. Un déséquilibre fatal alors que pendant cette période les persécutions en Pologne ont été d’un niveau proche de celles qui ont sévit en Allemagne.

Les Juifs polonais ont été exclus de l’économie contrôlée par l’Etat. L’accès à la fonction publique à quelque niveau que ce soit leur est interdit. Le boycott de l’industrie, des professions libérales et des magasins juifs se généralise. Il y avait 9.500 boutiquiers en 1929, ils ne seront plus que 3.000 en 1938. La licence nécessaire leur a été retirée, alors que le nombre de leurs concurrents non juifs ne diminuait que de 2%.

En 1937 les associations professionnelles de docteurs, d’ingénieurs et d’architectes adoptent les « paragraphes aryens » qui interdisent aux Juifs d’exercer ces professions. L’accès aux universités est limité par l’établissement de quotas et par la violence que font régner des étudiants fascisants sur leurs condisciples juifs. Comme en Allemagne, le délit d’opinion soumet les Juifs à l’arbitraire le plus abject. Le délit d’injure à la nation polonaise fait son apparition en 1936. Seuls les Juifs s’en rendent coupables.

La politique du gouvernement est claire. En 1936 le premier ministre Slawoj Skladkowski déclare « un combat économique contre les Juifs par tous les moyens mais sans recours à la force ». Plus tard il ajoute : « Du point de vue du gouvernement, l’émigration est indispensable à la solution du problème juif » En octobre 1938, l’ambassade de Pologne à Londres renchérit auprès du Foreign Office : «le problème juif devient intolérable et il est vital de trouver un débouché pour les Juifs polonais ». Le directeur des nationalités au ministère de l’intérieur conclut : «Tout le monde est aujourd’hui antisémite en Pologne. Nous ne pouvons pas assigner un policier à chaque Juif et nous n’avons pas l’intention de pendre nos jeunes parce qu’ils sont antisémites ».

L’Eglise catholique n’est pas en reste. Dans une lettre pastorale du 29 février 1936 du Cardinal Hlond, primat de Pologne écrit : «il est vrai que les Juifs commettent des fraudes, pratiquent l’usure et la traite des blanches. Il est vrai que du point de vue religieux et éthique, l’influence à l’école de la jeunesse juive sur la jeunesse catholique est généralement satanique ... » Il continue : «Il est vrai que les Juifs se battent contre l’église catholique, qu’ils sont libres penseurs et constituent l’avant-garde de l’athéisme, du bolchevisme et de l’activité révolutionnaire ». Il conclue avec ce jugement terrible et sans appel : «Un problème juif existe et il existera tant que les Juifs resteront juifs ». Traduisez « Tant que les Juifs ne seront pas convertis au catholicisme ».

Toujours en 1936, un périodique jésuite appel à l’élimination des Juifs de la société civile : «On doit laisser les Juifs vivre, mais ils doivent être éliminés de la vie de la société chrétienne. Il est nécessaire de leur donner des écoles séparées (...) pour que nos enfants ne soient pas infectés par leur moralité douteuse ». Comment s’étonner qu’en fin 1936, plusieurs milliers d’étudiants polonais en pèlerinage fassent solennellement le voeu de « transformer la nation polonaise en un état purement catholique (...) et de n’avoir de cesse que le dernier Juif soit chassé de Pologne, mort ou vif ».

On comprend dans ces conditions qu’entre 1933 et 1939, le pourcentage des victimes juives en Pologne dépasse très largement celui des Juifs allemands. Un auteur estime à des centaines le nombre des victimes entre 1935 et 1937 seulement. Malgré cette situation catastrophique, aucun pays n’est prêt à recevoir une multitude de «Polaks » qui ne parlent que yiddish, s’habillent étrangement et sont pour plupart sans ressources.

La Conférence d’Evian ignora les Polonais et donna la priorité aux réfugiés Allemands. Myron C.Taylor, le représentant américain, écrivait le 10 juillet 1938 que la plupart des Etats participants estiment « qu’il serait fatal de donner le moindre encouragement aux Polonais, aux Roumains ou aux autres états d’Europe centrale, car ils commenceraient immédiatement à mettre une telle pression sur leurs minorités que nous nous retrouverions avec un problème monstrueux sur les bras ». On ouvrait la boîte de Pandore et risquait un raz de marée que l’on ne pourrait pas endiguer.

Un changement radical de la politique d’émigration des Etats-Unis illustre cet abandon des Juifs d’Europe centrale. Au tournant du vingtième siècle plus d’un million de Juifs d’Europe de l’Est sont arrivés en Amérique. La nouvelle politique américaine d’immigration de 1924 ferme la porte, elle n’accorde à la Pologne qu’un quota annuel dérisoire de 6.524 personnes par an. Il ne fut rempli entre 1930 et 1939 qu’à concurrence de 60% et ce n’était pas faute de candidats..
L’immensité du problème posé par 3 300 000 Juifs polonais effraie. Dans sa lâcheté, le monde baisse les bras. La peur d’avoir à sauver des millions de gens sert de prétexte pour ne pas en secourir des centaines de milliers.

Dans ces conditions, la Palestine reste pour certains une dernière possibilité. Un leader sioniste révisionniste polonais qui fera beaucoup parler de lui, Vladimir Jabotinsky, donne l’alerte : « les éléments déchaînés vont bientôt s’abattre sur l’ensemble de la population de l’Europe de l’Est, et avec une telle force que le désastre allemand en sera éclipsé ». Pour lui, la catastrophe est imminente et il est urgent d’évacuer 750 000 Juifs de Pologne.

Dans une conférence célèbre de septembre 1936 à Varsovie, Jabotinsky donne une seule destination possible : les deux rives du Jourdain, la Palestine, la patrie historique du peuple juif. Quelques semaines auparavant, le 2 août 1936, I. Grynbaum, membre du comité exécutif de l’Agence Juive, avait déclaré à la presse à Varsovie : « Nous devons partir. Pour la grande masse des Juifs de Pologne, l’heure de l’exode XE "exode" a sonné »..

Le seul enthousiasme que Jabotinsky soulève c’est paradoxalement celui du colonel Beck, le chef du gouvernement polonais. Il applaudi : un Juif confirme qu’il faut que les Juifs partent et c’est urgent. Un Juif cautionne la politique polonaise d’expulsion des Juifs qui a été l’objet de tant de critiques à l’étranger.

La communauté juive polonaise, elle, s’est violemment élevées contre le plan Jabotinski. Pour le Bund, la grande centrale syndicale, la solution du problème juif passe par la constitution en Pologne d’un état socialiste. C’est en Pologne que la bataille doit avoir lieu. Dans leur grande majorité les Juifs ne désirent pas émigrer malgré de terribles conditions de vie. Ils vivent dans ce pays d’accueil depuis des siècles et pensent que leur force est de rester ensemble en bravant l’adversité. Ils considèrent comme une trahison que Jabotinsky, comme le gouvernement antisémite, encourage leur départ de Pologne. Rester et mourir, voilà ce qui arriva, mais cela, ils ne pouvaient pas l’imaginer.

L’American Jewish Joint Distribution Committee, le JOINT, la grande organisation caritative américaine réagit de la même façon. Déjà, à la fin des années vingt, le JOINT avait décidé «qu’en aucune circonstance il ne financerait l’établissement des Juifs à l’étranger ». Pour elle « La solution au problème doit être cherchée là où les Juifs vivent ». Elle va accorder de généreuses subventions destinées à soulager les misères les plus criantes et à relancer un minimum d’activité économique par le biais de divers financements

A Evian, Lord Winterton, le représentant britannique dresse une barrière supplémentaire. Il oppose une fin de non-recevoir à toute discussion sur l’immigration juive en Palestine : «On a fait valoir dans certains milieux que l’ensemble du problème, tout au moins en ce qui concerne les réfugiés juifs, pourrait être résolu si seulement on ouvrait toutes grandes les portes de la Palestine aux immigrants juifs, sans restrictions d’aucune sorte. Je tiens à déclarer avec toute la netteté possible que je considère toute proposition de ce genre entièrement insoutenable ».

Le manque de vision des uns, le refus d’accueil des autres ont conduit[b] 3 000 00 de Juifs polonais à la mort. Ils représentent 52% des victimes de la Shoah alors que celles du Reich s’établissent à 3,7%. Des chiffres trop rarement articulés qui montrent qu’avant la guerre une priorité devait être donnée aux Polonais comme elle le fut aux Allemands.

Le Président Roosevelt écrivait en janvier 1939 à propos des Juifs de l’Est: « Je ne pense pas que le départ de 7 millions de personnes de leur domicile actuel et leur relogement dans d’autres parties du monde seraient possibles, ni qu’ils soient une solution au problème.» Roosevelt avait raison : tous les Juifs n’auraient pas pu quitter la Pologne mais le monde démocratique pouvait et devait se porter au secours de quelques centaines de milliers. Il s’y est lâchement refusé.

140 000 Juifs polonais sur un total de 3 300 000. 439 000 Juifs du Grand Reich (Allemagne, Autriche, Protectorat de Bohème-Moravie) sur un total de 869 000.

Notes

MARCUS Joseph, Social and Political History of the Jews in Poland 1919-1939, Mouton Publishers, New York,1983, p 388.
BAUER Yehuda, American Jewry and the Holocaust The AJJDC 1930-1945, Wayne State University Press, Detroit, 1981, p 29.
GUTMAN Israel, Encyclopedia of the Holocaust, Collier MacMillan, London, 1990, p. 1799.
MENDELSOHN Ezra, The Jews of East Central Europe between the World Wars, Indiana University Press, Bloomington, 1983, p.167
HELLER Celia, On the Edge of Destruction : Jews of Poland between the Two World Wars, Schoken Books, New York, 1977, p. 76
MARCUS, op. cit. p. 243.
DAWIDOWICZ Lucy, The Holocaust and the Historians, Harvard University Press, Cambridge, 1981, p. 92.
MENDELSHON, op. cit. p.71.
HELLER, op. cit. p.138.
KORZEC Pawel, Juifs de Pologne : La question juive pendant l'entre deux guerres, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1980, p.248. Déclaration début 1936.
MARTIN Gilbert, l’Atlas de la Shoah, Edition de l’Aube, Paris, 1992, p. 21.
HELLER, op. cit. p. 113.
HELLER, op. cit. p.110.
MARCUS, op. cit. p.356.
GUTMAN, MENDELSOHN, REINHARZ, SHMERUK, The Jews of Poland between the Two World Wars, University Press of New England, 1989, p.105.
ELISSAR Eliahu Ben, Le facteur Juif dans la politique étrangère du III èm Reich, 1933-1939, Julliard, Paris, 1969, p. 302. Chiffre à 500 le nombre de Juifs morts dans les pogromes entre 1934 et 1938.
STRAUSS Herbert, Immigrant from the Nazi Period to America, New York, 1987, p. 366. Près de 5 000 000 de Juifs habitaient en Pologne, Hongrie, Roumanie et Tchéquie.
MARCUS, op. cit. p. 516.
KOTZEC, op. cit. p. 315.
MARCUS, op. cit. p. 391.
Actes du Comité Intergouvernemental, 6-15 juillet 1938, Evian.
GUTMANN, op. cit. p. 1799.
FEINGOLD Henry L, The Politics of Rescue : The Roosevelt Administration and the Holocaust , 1938.1945, Rutgers University Press, New Brunswick N J, 1970, p. 53. Roosevelt à son ministre des Affaires étrangères le 14 janvier 1939.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud/Le refoulement odieux des Juifs par les démocraties occidentales. 1938-1939
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 02 novembre 2012 : 12:07

Le refoulement odieux des Juifs
par les démocraties occidentales.
1938-1939

Par Marc-André Chargueraud



A la suite de l’occupation de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, et de la nuit de cristal, l’immense pogrom dévastateur et meurtrier organisé par le régime nazi, les persécutions contre les Juifs dans le Reich s’intensifient dramatiquement. L’exode des Juifs à la recherche d’un refuge à l’étranger atteint un niveau encore jamais vue. Pleinement conscient de l’urgence d’intervenir dans ce drame juif, Roosevelt organise en juillet 1938 une conférence à Evian destinée à faciliter l’émigration d’Allemagne et d’Autriche. 32 nations y participent.

La conférence est un fiasco. Un journaliste de Newsweek, présent à la Conférence, rapporte : « Le président Myron Taylor, ambassadeur représentant les Etats-Unis, ouvrit la conférence. Le moment est venu où les gouvernements (...) doivent agir rapidement. La plupart des gouvernements agirent rapidement en claquant la porte aux réfugiés juifs. »-1- Tous les chefs de gouvernements des démocraties occidentales, passivement ou activement, vont refouler des Juifs d’Europe centrale aux abois qui frappent à leur porte.

Les pays frontaliers du Reich sont en première ligne. Ils ont tous procédé à des refoulements, difficiles à quantifier mais toujours dramatiques. La Belgique et la Suisse adoptent la même politique. Ils refoulent les réfugiés qui arrivent sans visa tout en prononçant à plusieurs reprises une amnistie pour ceux qui ont réussi à pénétrer dans le pays. « Depuis le mois de mars 1938 il est entré en Belgique 12.000 Juifs du Reich (...) pour enrayer ce mouvement la sûreté publique a renforcé la gendarmerie à la frontière et décide le refoulement de ceux qui entreront après le 28 août 1938 (...) »-2-

En Suisse, une circulaire du 7 septembre 1938 précise, univoque, que seront refoulés « tous les porteurs de ces passeports qui sont juifs ou très probablement juifs ».-3- Plus ambigu Rothmund, le chef de la police fédérale, écrit le 7 novembre 1939 : « Personne ne sera reconduit à la frontière s’il y va de sa vie, mais il faut mettre fin définitivement aux entrées illégales.»-4- Malgré cette politique insoutenable, la Belgique et la Suisse sont les deux pays qui proportionnellement à la taille de leur population ont de loin accueilli le plus grand nombre de réfugiés juifs.-5-

Pendant des mois la Hollande utilise une solution expéditive aux dépens de son voisin. Elle expulse vers la Belgique ses réfugiés clandestins.-6- Puis, à partir de la fin 1938, les Pays-Bas établissent des camps dans lesquels les réfugiés illégaux sont internés.-7- La politique de la France est considérée par les Anglais comme la plus libérale bien que tracassière et mal organisée.-8- Comme la Hollande, dès 1938, Paris ouvre des camps d’internement pour ses immigrés clandestins. On le leur reprochera. Et pourtant, un membre d’une association caritative américaine de retour d’Allemagne conclut en décembre 1938 que les Juifs allemands « ne demandent rien de plus qu’un camp de réfugiés et un morceau de pain ».-9-

Dernier pays démocratique ayant une frontière avec l’Allemagne, le Danemark n’admet des réfugiés juifs que s’ils peuvent prouver qu’ils ont des relations familiales proches avec des citoyens danois résidant dans le pays et que leur prise en charge est garantie d’avance. »-10- Tous les autres sont refoulés.

Isolés par des mers et des océans les pays anglo-saxons sont difficiles à atteindre. Seuls quelques centaines de Juifs fuyant les persécutions embarquent à destination de ces pays. Ils seront presque tous refoulés.

Les forces navales britanniques interceptent et renvoient à leur destin funeste dans leur port de départ, en général Constantza en Roumanie, les bateaux chargés de Juifs pour lesquels la Palestine est le dernier espoir. Le 25 mars 1939, le Sandru avec 269 réfugiés, le 6 avril 1939 l’Astir avec 698 réfugiés, le 23 avril 1939 l’Assimi avec 250 réfugiés... Indigné, le député Noel-Baker s’exclame aux Communes : « Est-ce à dire que les réfugiés sont en fait renvoyés dans les camps de concentration ? » La réponse de Malcom MacDonald, ministre des colonies, fuse : « La responsabilité de cette affaire incombe à ceux qui ont organisé ce trafic.» -11- La question est entendue.

Cette politique insensible s’étend à l’Angleterre même pour ceux qui arrivent sans visa. Lorsque des Juifs autrichiens arrivent en mars 1938 en avion de Prague à Croydon au moment de l’occupation allemande de ce qui restait de la Tchécoslovaquie, l’Angleterre les renvoie à leur perte par l’avion suivant .-12- Même la Finlande lointaine se montre inhumaine. En août 1938, elle renvoie en Allemagne 53 Juifs autrichiens arrivés à Helsinki munis de visas réguliers délivrés par l’ambassade finlandaise de Vienne, mais que le gouvernement finlandais n’avait pas approuvés au préalable.-13- Ces pays sont d’autant plus condamnables que contrairement aux pays voisins de l’Allemagne ils n’ont pas à craindre le moindre déferlement de réfugiés.
Les Etats-Unis ont le même comportement inadmissible. Lorsqu’un navire chargé de réfugiés sans visas s’aventure près de leurs côtes, ils envoient les garde-côtes pour les forcer à faire demi-tour. L’odyssée des 743 Juifs allemands embarqués sur le trop fameux paquebot Saint Louis a été décrite en détail par de nombreux auteurs.-14- Arrivés à La Havane le 30 mai 1939, les passagers se voient refuser de débarquer, leur visa cubain ayant été vendu frauduleusement par le directeur des douanes cubaines. Ils croisent alors au large des côtes américaines. Les appels et télégrammes pressants pour débarquer seront ignorés. A la mi juin, c’est le retour en Europe. L’Angleterre, la France, la Hollande et la Belgique les accueillent. Pour ceux arrivant sur le continent, ce n’est qu’un court répit avant la Shoah.-15-
Le Saint Louis n’est pas un cas isolé. On peut citer les 72 réfugiés du paquebot britannique l’Orduna, le SS français Le Flandres dont 96 passagers juifs doivent retourner en France ou l’Ornoco allemand avec ses 200 Juifs.-16- Et que dire de ces bateaux surchargés de réfugiés qui à la même époque vont d’un port à l’autre des Amériques sans trouver de havre d’accueil ? Leurs noms évoquent autant de drames : Le Koenigstein, le Caribia, le Comte Grande, le Cap Norde, le General Artigas..., tous de véritables radeaux de la méduse livrés aux caprices de l’indifférence et de l’égoïsme.
Le drame prend une autre dimension lorsque l’on parle des visas qui sont refusés à ceux qui veulent fuir le Reich nazi pour sauver leur vie.
En refusant un visa, un pays d’asile précipite sur les routes des Juifs qui cherchent alors à forcer les frontières des pays avoisinants. Les refoulements des Juifs commencent dans les consulats. L’application du règlement par un fonctionnaire consulaire qui refuse un visa est un acte impersonnel dans l’anonymat d’un bureau. On ne peut le comparer au drame du policier qui arrête un clandestin à la frontière et le remet au douanier nazi. Et pourtant les conséquences sont finalement les mêmes. Dans un cas comme dans l’autre le Juif est livré aux tortionnaires de la Gestapo. Toutes les démocraties occidentales partagent cette responsabilité. Combien de visas ont été refusés ? Chacun correspondait à une vie sauvée.

Un chiffre donne l’ampleur du drame. Des êtres désespérés qui font la queue aux abords des consulats. Au 30 juin 1939, 309.782 demandes de visas ont été déposées dans les consulats américains en Allemagne.-17- Au rythme du quota annuel d’immigration d’Allemagne, il aurait fallu plus de dix ans pour satisfaire les demandes. Les Juifs seront nombreux à attendre cloîtrés, sans ressources, dans l’angoisse le visa sauveur. Arrivera-t-il avant qu’au petit matin on ne frappe à leur porte pour les arrêter ?




Notes


WYMAN David, Paper Walls : American and the Refugee Crisis, 1938-1941, Pantheon, New York, 1985, p. 50.
GARFINKEL Betty, Belgique terre d'accueil, 1933-1940, Bruxelles, 1974, p. 131.
LASSERRRE André, Frontières et camps. Le refuge suisse de 1933 à 1945, Editions Payot, Lausanne, 1995, p. 57.
LASSERRE. Op.cit. p. 119.
CHARGUERAUD Marc André, Tous coupables, Les démocraties occidentales et les communautés religieuses face à la détresse juive, 1933-1940, Ed.du Cerf, Labor et Fides, Paris/Genève, 1998, p. 193.
SIMPSON Hope John, The refugee problem : report of a survey, Oxford University Press, New York, 1939, p. 350
Ibid. p. 322 et 347.
Ibid. p. 296 et 298.
BREITMAN Richard , KRAUT Alan, American Refugee Policy and European Jewry , 1933-1945, Indiana University Press, Bloomington, 1987, p. 107. Un membre de l’American Friend Service.
YAHIL Leni, The Rescue of Danish Jewry. Test of a Democracy, The Jewish Publication Society of America, Philadelphia, 1969, p. 19.
ELISSAR Eliahu Ben, Le facteur Juif dans la politique étrangère du III ème Reich , 1933-1939, Julliard, Paris, 1969, p. 424 et 425.
GILBERT Martin, The Holocaust . The Jewish tragedy, Harper Collins publishers, Londres, 1987, p. 79.
Ibid. p. 65.
MORS Arthur, While Six Millions Died : a Chronicle of American Apathy, Random House, New York, 1968. Pendant que six millions de Juifs mouraient, Laffont, Paris, 1969, p. 70.
GROSSMANN Kurt, Emigration Geschichte der Hitler's Fluchtlinge , 1933-1940, Europäische Verlaganstalt, Frankfurt, 1969, p. 120, Sur les 623 réfugiés qui trouvèrent asile en Hollande, Belgique et France, 583 seront exécutés par les nazis lorsque ces pays seront quelques mois plus tard occupés par la Wehrmacht.
LOOKSTEIN Haskel,Were We our Brothers' Keepers ?: A public Response of American Jews to the Holocaust 1938-1944, Hartmore House, New York, 1985, p. 232 et 234.
BREITMANN et KRAUT, op. cit. p. 66. Parmi lesquels un grand nombre de Juifs.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 dcembre 2012 : 04:16

La Suède est responsable de la mort de
centaines de milliers de personnes.
1940-1944



Dans son ouvrage monumental sur le IIIème Reich, une référence reconnue, William Shirer estime que « l’existence même de l’Allemagne dépendait des importations de minerai de fer suédois. Pendant la première année de guerre, 11 millions de tonnes furent importées pour une consommation allemande totale de 15 millions de tonnes. » La production de matériel militaire allemand n’était possible qu’avec une production d’acier considérable. Elle se serait écroulée en quelques mois sans l’apport massif de minerai à haute teneur en fer suédois.

Les Alliés sont dès le début de la guerre pleinement conscients que cette dépendance constitue une faiblesse fatale pour le Reich. Pour eux « couper la route du fer » devient la priorité pour réduire définitivement la machine de guerre allemande et gagner plus rapidement la guerre. Pendant les mois chauds le minerai part en toute sécurité du Nord de la Suède par la Baltique, une mer fermée aux sous-marins et aux navires de surface britanniques. En raison des glaces sur la Baltique en hiver le minerai est acheminé par voie ferrée à Narvik en Norvège septentrionale puis par bateau le long des eaux territoriales norvégiennes, échappant ainsi aux navires de guerre et aux bombardiers ennemis.

C’est ce qui décide, en avril 1940, les Français et les Anglais à débarquer et à occuper Narwick. Les Allemands qui occupent Oslo depuis le début du mois font mouvement vers le nord du pays et repoussent les Alliés à la mer. Cette première bataille perdue, celle du fer, va avoir des conséquences dramatiques. La guerre dure encore cinq années au cours desquelles 13,8 millions de personnes dont 4,6 millions de Juifs vont mourir. Plus de 8 000 personnes par jour dont 2 550 Juifs. A ces chiffres terribles s’ajoutent des dizaines de millions de veuves, d’orphelins et des destructions apocalyptiques. C’est dire que chaque mois, chaque semaine, chaque jour de guerre compte et la Suède a sa part de responsabilité dans ce massacre.

Une responsabilité d’autant plus lourde que l’aide apportée par la Suède ne s’est pas limitée au minerai de fer. Les usines suédoises de production de roulements à billes ont contribué dans une très large mesure aux besoins absolument essentiels de la fabrication d’avions, de tanks et de camions destinés à l’armée allemande.

La collaboration avec les nazis est surprenante pour un pays qui se proclame « neutre ». Le 19 juin 1940, la Suède accorde aux Allemands un droit de passage pour acheminer des troupes fraîches et du matériel militaire en Norvège. Ils évitent ainsi de passer par la mer du Nord dominée par les Anglais. De 1940 à 1943, 10% du trafic ferroviaire suédois sera consacré au transport de plus de 250 000 soldats allemands et de 250 000 tonnes d’équipement. Puis, le 24 juin 1941, le gouvernement suédois autorise les troupes allemandes stationnées en Norvège à passer par la Suède pour aller aider les troupes finlandaises à combattre les Russes. Enfin, la Suède accorde à l’Allemagne l’utilisation de son espace aérien et de ses eaux territoriales. Elle va même plus loin. L’Allemagne manquant de fret pour le transport du minerai de fer, des navires et des équipages suédois prennent le relais. Peut-on encore parler de neutralité ?

Oui pour le gouvernement suédois qui considère que le commerce avec l’Allemagne est un droit national sur le plan des lois internationales. En fait, la Suède craint une attaque directe de l’Allemagne comme ce fut le cas au Danemark, en Norvège, en Hollande et en Belgique et elle sait après la défaite française que l’Angleterre est incapable d’intervenir. Mais comme le reconnaît l’historien suédois Stephen Koblik : « Tous les doutes concernant l’issue de la guerre disparurent dans l’esprit des dirigeants politiques après le mois de novembre 1942 ». Une conquête de la Suède par les Allemands était devenue très hypothétique étant donné leurs difficultés majeures rencontrées ailleurs et le risque d’avoir à affronter 400 000 Suédois entraînés et bien armés. On aurait pu penser dès lors que les exportations vers l’Allemagne allaient rapidement diminuer et même s’arrêter. Il n’en fut rien.

Dès le début 1943, les Américains exigent sur un ton de plus en plus ferme la fin immédiate de ce qu’un représentant américain appelle «  l’aide très substantielle que la Suède donne aux Allemands chaque jour ». Les rencontres se multiplient, mais Stockholm ne réagit qu’avec une extrême lenteur. La fin du transit allemand vers la Norvège n’est décidée qu’en août 1944. Il faut attendre septembre pour que les exportations de minerai de fer cessent.

En 1944 la seule usine d’importance de fabrication de roulements à billes en Allemagne, Kugelfischer à Schweinfurt, est bombardée et détruite. Les importations de Suède deviennent vitales pour l’industrie d’armement nazie. Les Américains menacent alors de bombarder l’usine de SKF à Göteborg en Suède par « accident » si les exportations ne cessent pas. Tout ce qu’ils obtiennent, c’est la cessation des exportations de roulements à billes à partir de janvier 1945 !

Ce n’est qu’au début de l’été 1944 que Winston Churchill élève le ton. Il écrit à son ministre des Affaires étrangères Anthony Eden : « Pendant la dernière guerre, les Suédois étaient sans conteste pro-allemands. Dans la présente guerre ils ont montré qu’ils ne donnaient priorité qu’à leur “sécurité”. J’aimerais qu’ils soient mis discrètement sous forte pression par nous et prévenus des dangers qu’ils encourent s’ils sortent de la guerre comme neutres n’ayant pas contribué à notre victoire. » Mais il intervient sur le mode confidentiel et n’envisage aucune action avant la fin de la guerre.

Cordell Hull, le ministre américain des Affaires étrangères, résume bien la politique alliée dans une note datée du 9 avril 1944. «  Nous ne pouvons plus donner notre assentiment à ces nations qui bénéficient des ressources des pays alliés et en même temps contribuent à la mort de troupes dont le sacrifice protège pourtant leurs vies autant que les nôtres. Nous avons scrupuleusement respecté la souveraineté de ces nations… Nous avons dit à ces pays qu’il n’était plus nécessaire pour eux de se protéger contre l’agression en fournissant de l’aide à notre ennemi…. Nous leur demandons seulement, mais avec beaucoup d’insistance, de cesser d’aider notre ennemi. »

Le scandale des livraisons de produits stratégiques suédois essentiels aux Allemands est clairement exposé. Mais conclure par un appel à l’arrêt des exportations sans l’assortir de menaces que l’on est prêt à mettre à exécution n’est absolument pas à la hauteur du problème et de ses conséquences catastrophiques sur la durée de la guerre.

Un historien suédois estime « qu’en 1943-1944, le gouvernement suédois craignait que s’il prenait trop position pour les Alliés, Hitler dans un geste irrationnel décide d’envahir le pays comme il venait de le faire en Italie et en Hongrie ». Deux pays dont la situation politique est radicalement différente. Il est indéniable qu’un risque ait existé, mais il était minime et, étant donné les enjeux, la Suède devait le prendre. Sa position n’était pas si faible. Contrairement à la Suisse, au Danemark et au Portugal, la Suède n’a fait aucun crédit au Reich et a exigé et obtenu que ses exportations soient payées en devises fortes ou en or. Berlin s’est incliné, les exportations suédoises étant essentielles à la poursuite de la guerre.

Une entorse au respect de la « neutralité » suédoise se limitant à des bombardements des navires transportant les roulements à billes et le minerai de fer vers l’Allemagne, ne se justifiait-elle pas, étant donné les centaines de milliers de morts qui auraient été épargnés grâce à elle?


Notes

SHIRER William, Le IIIème Reich, Stock, Paris, 1990, p. 753
IBID. p. 716
Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, 1983. P. 5040. Encyclopedia of the Holocaust, 1990, p. 1799. Chiffres à l’exclusion der l’URSS, de la Chine et du Japon.
Ibid. p. 753. Des transits que l’Espagne de Franco et la Suisse ont refusé.
KOBLIK Steven, op. cit. p. 27.
Les Suédois accordaient à l’Allemagne ce qu’ils avaient refusé aux Alliés en 1940 pour aller au secours de la Finlande envahie par l’URSS.
KOBLIK, p. 30.
LEVINE Paul, A. From Indifference to Activism : Swedish Diplomacy & the Holocaust 1938-1944, Uppsala University, Stockholm, 1996, p. 69.
KOBLIK, op. cit. p. 23.
Ibid. p. 35.
LEVINE. op. cit. p. 69.
EIZENSTAT, op. cit. p. 66.
LEVINE p.69
EIZENSTAT, op.cit. p. 40.
KOBLIK, op. cit. p. 34.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud/Appel au secours 1936-1945
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 avril 2013 : 11:09

Voici l article du mois d’avril 2013 de Marc-André Charguéraud.
Il est extrait du deuxième tome de « 50 idées reçues sur la Shoah » qui sera publié début mai 2013.

Poignantes revelations sur les vains et nombreux appels au secours et l'indifference et l'abandon de tous suite a leur liberation.

Pour lire les nombreux articles sur le sujet rediges par Marc-André Charguéraud suivre le lien :
[la-shoah-revisitee.org]




Appels au secours.
1936-1945.

Cris de désespoir et accusations des Juifs d’Europe.

.

Les Juifs d’Europe désespérés appellent au secours les Alliés et leurs frères du monde libre. Les citations qui suivent sont d’autant plus poignantes qu’elles proviennent de leaders juifs sur le terrain, eux-mêmes victimes des nazis. Plus que les commentaires écrits depuis, elles reflètent directement ce que les contemporains ont vécu et ressenti.

***


3 juillet 1936 : Hitler est depuis trois ans et demi au pouvoir, et ses lois antijuives ont privé de leur emploi et réduit à la misère des dizaines de milliers de Juifs allemands. Le désespoir s’installe. Ce jour-là, un producteur de films, chassé des studios cinématographiques de Berlin parce qu’il est juif, entre dans la salle où siège l’Assemblée générale de la Société des Nations à Genève (SDN). En pleine session, entouré de journalistes de la presse mondiale, il se suicide. Stephan Lux a 48 ans.
Une lettre explique son geste. Anthony Eden, le ministre représentant la couronne britannique à la SDN, la reçoit. Lux y dénonce les tragiques persécutions nazies qui n’ont pas vaincu « l’indifférence inhumaine du monde ». Il conclut : « Je ne vois aucun autre moyen de toucher le coeur des hommes ». Le sacrifice suprême, il ne peut faire plus. Le monde restera sourd à ses appels. Les athlètes de la terre entière participeront aux jeux olympiques qui ont lieu cette année-là à Berlin sous la présidence du Führer.

***


L’éditorial du 3 février 1940 du Brethen Missionary Herald cite le déchirant appel reçu de Pologne occupée par les Allemands. Dans une lettre datée du 12 décembre 1939, on peut lire : « La misère de notre peuple juif en Europe centrale ne peut pas être décrite. (...) Pensez aux 450 000 Juifs du ghetto de Varsovie. Pensez (...) aux milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui errent dans les forêts et les champs en plein hiver, en haillons, à moitié nus, malades, affamés, désespérés, à moitié fous de douleur. Comme dit un témoin oculaire : les vivants envient ceux qui sont déjà morts ». La Shoah n’a pas commencé, mais déjà l’horreur s’est abattue sur les Juifs polonais sans que le monde neutre et au premier rang les Etats-Unis ne réagisse.

***

Eté 1942, Emmanuel Ringelblum est enfermé dans le ghetto de Varsovie. Il lance un pathétique cri de détresse : « Le monde connaît-il nos souffrances ? Et s’il les connaît, pourquoi est-il si silencieux ? Pourquoi le monde n’intervient-il pas, lorsque des dizaines de milliers de Juifs sont tués ? Pourquoi le monde est-il silencieux quand des dizaines de milliers de Juifs sont empoisonnés à Chelmo ? Pourquoi le monde est-il silencieux quand des centaines de milliers de Juifs sont massacrés en Galicie et dans les nouveaux territoires occupés ? » Si le monde libre ne peut intervenir directement, au moins doit-il multiplier les condamnations verbales.
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Samuel Zygielbojm passe les premiers mois de l’occupation allemande à Varsovie, puis il devient Membre du Conseil national du gouvernement polonais en exil à Londres. En février 1943, il dénonce le silence des Alliés qui abandonnent les survivants juifs d’Europe à leur sort. Il écrit : « Le monde se cache derrière un masque d’incrédulité bien pratique et ne fait rien pour secourir ceux qui sont encore en vie ». Tourmenté par le manque de réaction des Alliés, Samuel Zygielbojm se suicide le 12 mai 1943.

On peut lire dans la lettre qu’il laisse : « La responsabilité de la crise que constitue le massacre de toute la population juive de Pologne retombe en premier lieu sur ceux qui le commettent, mais ce crime est aussi le fardeau qui pèse indirectement sur l’humanité entière, sur les peuples et les gouvernements des nations alliées, qui n’ont jusqu’ici aucunement tenté de prendre des mesures concrètes dans le but de faire cesser ce crime. (...) En observant passivement le meurtre de millions d’êtres sans défense et les sévices infligés à des enfants, des femmes, des vieillards, ces pays sont devenus complices des criminels. (...) Incapable durant ma vie de faire quoi que ce soit, peut-être pourrai-je contribuer par ma mort à briser cette indifférence ». Une mort accusatrice.

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5 novembre 1943, le Comité National Juif, représentant des combattants juifs en Pologne, écrit au Dr. Schwarzbart, membre du gouvernement en exil à Londres, un sévère avertissement : « Le sang de 3.000.000 de Juifs polonais se vengera, non seulement des meurtriers nazis, mais aussi des indifférents qui se sont contentés de mots et n’ont rien fait pour secourir des mains des bêtes sauvages ceux qui étaient condamnés à l’extermination. Cela, nous ne l’oublierons ni ne le pardonnerons jamais... » Aux accusations succèdent les menaces.

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10 juillet 1944, à l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Theodor Herzl, le fondateur du sionisme moderne, Ben Gourion accuse : « Qu’avez-vous fait pour nous, vous, peuples épris de liberté, défenseurs des grands principes de démocratie et de fraternité entre les hommes ? Que de crimes n’avez-vous pas permis contre un peuple sans défense, vous qui assistez sans bouger à son agonie, qui n’avez offert ni aide, ni secours, et n’avez pas demandé aux monstres d’arrêter, dans le seul langage qu’ils pouvaient comprendre, celui du talion ? Pourquoi venir profaner notre douleur et notre colère avec vos creuses formules de compassion, qui sonnent comme une raillerie aux oreilles de millions de damnés des chambres de tortures de l’Europe nazie ? Pourquoi n’avez-vous même pas fourni d’armes à nos révoltés des ghettos, comme vous en avez donné aux combattants clandestins des autres nations ? Pourquoi ne nous avez-vous pas aidé à nous associer avec eux, comme vous l’avez fait pour les partisans de Grèce et de Yougoslavie, et pour les autres mouvements de résistance ? Si, au lieu des Juifs, c’étaient des milliers de femmes, d’enfants et de vieillards anglais et américains ou russes qu’on avait jour après jour torturés et brûlés vifs et asphyxiés dans des chambre à gaz, auriez-vous agi de la même façon ? » Une accusation étayée du futur président d’Israël.


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La guerre est gagnée par les Alliés, les survivants juifs sont libérés. A juste titre, ils continuent à se sentir abandonnés.

Le 27 mai 1945, le docteur Zalman Grinberg, un survivant qui dès la Libération dirige un hôpital à Saint-Ottilien, s’exclame devant une assemblée de survivants juifs : « Nous sommes libres, mais nous ne savons ni comment ni avec quoi commencer nos vies de liberté et pourtant malheureuses. Il nous semble qu’actuellement le monde ne comprend pas ce que nous avons vécu et connu pendant cette période. Et il nous semble que nous ne serons pas non plus compris dans le futur. Nous avons désappris à rire ; nous ne pouvons plus pleurer ; nous ne comprenons pas notre liberté : probablement parce que nous sommes toujours parmi nos camarades morts ».

Le 31 mai 1945, Grinberg s’adresse au Congrès juif mondial à New York : « Quatre semaines se sont écoulées depuis notre libération et pas un seul représentant d’une organisation juive n’est venu (…) pour nous réconforter, pour soulager nos besoins et apporter son aide. Nous avons dû nous prendre en charge nous-mêmes avec nos maigres ressources. C’est l’une de nos premières grandes déceptions depuis la Libération et c’est une réalité que nous ne pouvons comprendre ».

***


A la mi-juin 1945, Abraham Klausner, un aumônier militaire en Allemagne, se plaint amèrement : « Il y a six semaines les survivants étaient libérés. Ils furent envoyés dans toute une série de camps et restèrent habillés dans ce costume infamant. Ils sont logés dans des habitations impropres à une occupation humaine et ils sont nourris dans de nombreux cas avec moins que ce qu’ils recevaient dans les camps de concentration. Et je n’utilise pas ces mots de façon imprudente. » Il continue : « A quoi servent toutes mes plaintes ? Je ne peux arrêter leurs larmes. L’Amérique était leur espoir et tout ce que l’Amérique leur a donné, c’est un nouveau camp avec des gardes en kaki. La liberté, bon Dieu non ! Ils sont derrière des murs sans espoir. Juifs d’Amérique, ne pouvez-vous pas élever le ton ? Leaders de notre peuple, criez pour demander une nouvelle aurore pour ceux qui ont haï le crépuscule chaque jour ! Il en reste si peu ».

Un mois plus tard la situation reste inchangée. Abraham Klausner constate pendant une conférence le 25 juillet 1945 : « Nous avons informé toutes les organisations juives à l’étranger sur nos camps, mais personne n’est venu à notre secours (…) De ce que nous avons demandé en matière d’assistance, il ne faut compter sur rien. L’UNRRA nous a promis des vêtements et des chaussures. Nous n’avons rien reçu. Il semble que nous devions prendre soin de nous-mêmes, trouver notre propre nourriture, trouver nos propres habits. Nous avons appelé à l’aide les Juifs du monde entier. Jusqu’ici ils ont failli ». L’accusation s’adresse directement aux Juifs.




La Shoah revisitee/Tome II - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 mai 2013 : 09:14

Marc-André Charguéraud continue son travail minutieux de recherche et de mise en page de l'histoire du crime le plus methodique et le plus impitoyable de l'humanite et voici son second tome de « Cinquante idées reçues sur la Shoah » - ce qui porte à cent les articles publiés sur le sujet.

Voici la couverture du livre, second tome paru aux Editions Labor et Fides.








La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 14 juin 2013 : 08:50

Voici l'article du mois de juin 2013 publie sur "La Shoah revisitee" - par Marc-André Charguéraud - Tome 1.

Loin sont les preceptes immuables de l'Eglise et du Christ qui recommandent de "tendre la main a son prochain". Triste humanite.

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L’antijudaïsme coupable
de Pie XI et de Pie XII.
1937-1965



Les « silences » de Pie XII XE "Pie XII" pendant la Shoah ont été dénoncés sans relâche dans de multiples livres et articles. Ils ont fait l’objet d’un film et d’une pièce de théâtre, tous les deux ouverts à la controverse. On relève bien deux allusions de Pie XII aux exactions nazies, celle de son message de Noël 1942 et l’autre en juin 1943 devant le Sacré Collège XE "Sacré Collège" . « Ni l’une ni l’autre ne sont des dénonciations solennelles que la conscience universelle reproche au pape de ne pas avoir prononcées contre le IIIème Reich », écrit pertinemment l’historien Bernard Reymond XE "Reymond Bernard" .

Si le pape refuse toute condamnation formelle de l’anéantissement des communautés juives et de l’intelligentsia catholique polonaise par le régime nazi, il est alors impératif qu’il appelle publiquement ses fidèles à « tendre la main à leur prochain ». Qu’ils se portent par tous les moyens disponibles au secours des victimes quelle que soit leur « race ». Ces messages « de charité chrétienne » auraient être critiqués par Berlin, mais pas fait l’objet de représailles. Le pape n’a pas répondu à cette attente.

On argumente que, comme son prédécesseur, Pie XII a clairement et à de nombreuses reprises condamné le racisme. Pour Rome, la doctrine est univoque : « La prétendue question juive, dans son essence, n’est une question ni de race, ni de nation, ni de nationalité terrienne, ni de droit de cité dans l’Etat. C’est une question de religion », souligne Humani Generis Unitas XE "Humani Generis Unitas" que fit préparer Pie XI avant de mourir en février 1939. L’encyclique ne fut pas publiée. Elle n’en reste pas moins la position réfléchie et constamment réaffirmée par Rome. Pour les nazis la race et le sang, pour les catholiques la religion et la culture. La distinction est claire, absolue et définitive.

Cette dénonciation répétée du racisme est un grand pas dans la bonne direction. Elle aurait dû mobiliser les catholiques pour se porter au secours des Juifs condamnés par les nazis du fait de leur race. Malheureusement l’antisémitisme revêt deux aspects : le racisme et l’antijudaïsme. Le comportement de l’Eglise catholique est ambivalent. Elle dénonce le racisme et poursuit en même temps, malgré la persécution meurtrière de Juifs, une politique violemment antijudaïque.

Un article paru en novembre 1939 dans le magazine américain Catholic World XE "Catholic World" est un exemple de cette ambivalence. On y lit : « L’antisémitisme est injuste, brutal et en opposition avec les enseignements du Christ. Si des personnes un peu simples d’esprit ont parfois pensé qu’elles devaient venger notre Sauveur du traitement qu’il reçut de son propre peuple, elles se trompent lourdement. Il est vrai que les Juifs furent rejetés par Dieu en tant que nation par laquelle le salut du monde devait venir, parce que les Juifs et leurs enfants portent le sang du Christ. Il est probablement exact que beaucoup des difficultés qui ont confronté le peuple choisi par Dieu sont la punition du Père céleste qui désire les ramener à lui ».

Le 11 janvier 1939 dans le Corriere della sera XE "Corriere della sera" , le Père Gemelli XE "Gemelli Père" , recteur de l’Université catholique de Milan, écrit : « Tragique sans doute et douloureuse est la situation de ceux qui ne peuvent pas faire partie, par le sang et par leur religion, de cette magnifique patrie ; tragique situation dans laquelle nous voyons, une fois de plus, comme en beaucoup d’occasions au cours des siècles, se réaliser cette terrible sentence que le peuple déicide a appelée sur lui et pour laquelle il va, errant de par le monde, incapable de trouver la paix d’une patrie pendant que les conséquences de l’horrible crime le poursuivent en tous temps et en tous lieux ».

Les encycliques de Pie XI XE "Pie XI" et de Pie XII rappellent aux fidèles la dénonciation du judaïsme par l’Eglise catholique. Dix-huit mois après la publication des lois racistes de Nuremberg, quelques lignes dans Mit Brennender Sorge XE "Mit Brennender Sorge" soulignent « l’infidélité du peuple choisi (…) s’égarant sans cesse loin de son Dieu (…) qui devait crucifier le Christ ».

L’encyclique Humani Generis Unitas XE "Humani Generis Unitas" va dans le même sens et même au delà. Bien qu’elle soit restée à l’état de projet, elle reflète parfaitement la politique du Vatican. Les Juifs, peut-on y lire, « rendus aveugles par leur vision de domination matérielle et de gains n’ont pas reconnu le Sauveur ». Ses dirigeants « ont eux-mêmes appelé sur leurs têtes la malédiction divine » qui condamne les Juifs « à errer perpétuellement à la surface de la terre ». Le texte va plus loin en précisant que l’Eglise « ne doit pas être aveugle devant ce danger spirituel auquel les esprits sont exposés au contact des Juifs et qu’il est nécessaire de rester attentif à protéger les enfants contre une contagion spirituelle ».

De telles déclarations ne vont pas inciter les catholiques sur le terrain à se porter au secours des Juifs et en particulier de leurs enfants. A moins que ce ne soit pour tenter de les convertir au christianisme, seul moyen pour eux de « sauver » leurs âmes perdues. L’encyclique de juin 1943 Mystici Corporis Christi XE "Mystici Corporis Christi" répète une fois de plus que c’est la seule façon d’assurer leur salut et de les rendre fréquentables. S’il est dit dans cette encyclique que Dieu demande aux chrétiens d’aimer tous les peuples quelle que soit leur race, elle précise que tous les hommes quelle que soit leur race ne sont unis au sein de l’Eglise que s’ils se sont convertis. Si les Juifs ne se sont pas convertis, leur destin échappe à l’Eglise parce qu’ils ont brisé l’Alliance. Parce que les Juifs ont crucifié le Messie, ils ont créé leur propre destin désastreux d’éternels voyageurs sur terre. Le christianisme a supplanté le judaïsme. Les Juifs ont perdu leur statut de peuple élu.

Le prêtre prêche à chaque office « l’amour du prochain » mais en même temps il exclut les Juifs qui ne sont pas convertis. L’ensemble de ces positions idéologiques est depuis des siècles bien implanté dans chaque paroisse. Elles ont perverti l’ensemble des fidèles jusqu’au fond des campagnes. C’est un antisémitisme primaire destructeur de toute bienveillance envers les Juifs. Il faut attendre Vatican II et Nostra Aetate XE "Nostra Aetate" publié en 1965 pour que le Vatican exonère le peuple juif de sa responsabilité dans la crucifixion. Nostra Aetate a provoqué bien trop tardivement un lent changement dans les mentalités.

Certes de nombreux catholiques, individuellement ou au sein d’organisations confessionnelles, ont aidé des Juifs matériellement, allant jusqu’à les cacher avec tous les risques que cela comporte pour eux et leurs proches. Certes des prêtres dans leurs homélies ont appelé leurs fidèles à intervenir. Mais si Pie XI et Pie XII comme des membres du haut clergé, sans changer la politique tracée par leurs prédécesseurs, s’étaient abstenus de rappeler les « errements » du peuple élu et la conduite négative à suivre vis-à-vis des Juifs, leurs fidèles se seraient portés en plus grand nombre à leur secours.

L’exemple en France des protestants réformés est éloquent. L’examen de la liste des « Justes parmi les Nations » en France, montre que près de 20% d’entre eux sont protestants, alors qu’ils ne représentaient que 1% de la population française. Le père Pierre Chaillet XE "Chaillet Pierre" qui en 1941 et 1942 s’est dépensé pour mobiliser les catholiques en faveur des camps d’internement de Vichy a dénoncé cette « carence de la charité catholique ». Il écrit : « Jusqu'à présent, en dépit de quelques efforts méritoires mais très dispersés et sans coordination de la part de l’Eglise catholique, on constate douloureusement que l’œuvre d’assistance matérielle, sociale et morale, dans de nombreux « camps d’hébergement » et auprès des réfugiés isolés des villes, est pour ainsi dire totalement accompli par les grands comités protestants d’aide aux réfugiés».

On reproche aux deux papes leur silence. Pie XI XE "Pie XI" n’a pas dénoncé les persécutions dont les Juifs ont été les victimes avant la guerre. Pie XII ne s’est pas élevé publiquement contre les exterminations nazies de la Shoah. Au moins devaient-ils impérativement éviter de répéter dans leurs encycliques les propos antijudaïques d’une doctrine qu’ils n’ont pas amendée en temps utile. Leurs fidèles ainsi démotivés ont pour un trop grand nombre exclu les Juifs de leur devoir de chrétiens. Des milliers de vies auraient pu être sauvées si les papes s’étaient abstenus de répéter ces anathèmes dépassés.




References

COSTA-GAVRAS, Amen et HOCHHUTH ROLF, Le vicaire. Malheureusement, ils mélangent la fiction à la réalité et le spectateur, incapable de faire la part des choses, succombe à la thèse défendue par l’auteur.
REYMOND Bernard, Les églises et la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, in FURET François, dir. L’Allemagne nazie et le génocide juif, Gallimard, Paris, 1985, p. 388.
Près de 2,5 millions de civils polonais sont morts à la suite des persécutions allemandes, un véritable génocide.
PASSELECQ Georges et SUCHECKY Bernard, L’Encyclique Cachée de Pie XI : l’Occasion manquée de l’Eglise face à l’antisémitisme, La Découverte, Paris 1995, p. 205.
ANSCAR HANS, Catholics and Anti-Semitism, in Catholic World, novembre 1939, cité par DINNERSTEIN Leonard, Anti-Semitism in America, Oxford University Press, New York, Oxford, 1994, p. 118.
FABRE Henri, L'Eglise catholique face au fascisme et au nazisme, Editions espaces de liberté, Bruxelles 1994, p. 158.
PASSELECQ Georges et SUCHECKY Bernard, op.cit. p. 153. Mit Brennender Sorge, p. 18 et 19.
KERTZER David I. Unholy War. The Vatican’s Role in the Rise of Modern Anti-Semitism, Macmillan, Londres, 2001, p.281.
PHAYER John Michael, The Catholic Church and the Holocaust, 1930-1965. Indiana University Press, Bloomington, Ind. 2000, p. 255. C’est mettre, une fois de plus, en avant la doctrine catholique de la « substitution ».
MARCHIONE Margherita, Pope Pius XII : Architect for Peace, Paulist Press, New York 2000, p.18.
Les « Justes parmi les Nations» sont les non juifs reconnus par le Yad Vashem à Jérusalem pour avoir sauvé des Juifs.
BEDARIDA Renée, Pierre Chaillet, Témoins de la résistance spirituelle. Paris, 1988, p.125.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud/Second Tome
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 05 juillet 2013 : 09:30

Voici de nouvelles revelations sur la Pologne lors de cette funeste periode et un extrait du second tome de "La Shoah revisitee" de Marc-André Charguéraud, un livre passionnant a lire qui examine et analyse minutieusement tous les aspects et les dessous des evenements qui ont conduit au meurtre de 6 millions de Juifs innocents.

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Polaks

L’abandon des Juifs polonais, 1933-1939



Entre 1933 et 1939, les démocraties occidentales ont accepté six fois plus de réfugiés juifs du Reich que de Pologne : 359.000 contre 54.000, bien que la population juive initiale de Pologne ait été quatre fois supérieure : 3.300.00 Juifs contre 869.000 pour le Reich. Cela signifie que seulement 1,6% des Juifs polonais ont trouvé refuge en Occident. Un pourcentage dérisoire comparé à celui de leurs coreligionnaires du Grand Reich qui s’élève à 37%. Là s’arrête l’énumération de ces chiffres brutaux, tragiques et accusateurs. Accusateurs, car ils font le procès d’un Occident qui a abandonné la Pologne, alors que se préparent les feux de la Shoah. Quelles qu’en soient les raisons, un score aussi piètre peut-il se justifier ?

On avancera qu’avant guerre, en Allemagne nazie, la persécution des Juifs a atteint des sommets. On oublie qu’en Pologne les mesures antijuives furent aussi brutales : exclusion de la fonction publique, boycott des établissements juifs, quotas universitaires, interdiction d’accès aux professions libérales…. Pire, Entre 1933 et 1939, le nombre des victimes juives en Pologne dépasse celui des Juifs allemands. Un historien parle de centaines de victimes entre 1935 et 1937 seulement. Un autre chiffre à 500 le nombre de Juifs ayant trouvé la mort dans des pogromes, entre 1934 et 1938. Qu’importe, l’opinion publique internationale s’était habituée aux pogromes de l’Est européen.

Hitler persécute les Juifs au nom d’une idéologie raciste pathologique. Ils doivent tous être chassés d’Allemagne et sont condamnés de manière irrémédiable « car nés juifs ». En Pologne les mesures antisémites les plus graves sont prises sous la pression populaire dans un pays fondamentalement catholique. En 1936, un périodique jésuite donne le ton : les Juifs « doivent être éliminés de la vie de la société chrétienne. Il est nécessaire de leur donner des écoles séparées (...) pour que nos enfants ne soient pas infectés par leur moralité douteuse.» Dans une lettre ouverte, après s’être déchaîné contre les Juifs, le Cardinal Llond, primat de Pologne, conclut par ce jugement terrible et sans appel : « Un problème juif existera tant que les Juifs resteront juifs. » Le cardinal laisse au moins aux Juifs une étroite porte de sortie : se convertir au catholicisme. Mais comme dans l’Allemagne de Hitler, la Pologne de Llond poursuit le même but : « éliminer les Juifs de la société ».

Des dirigeants polonais juifs sont conscients des catastrophes qui s’annoncent. « Je suis persuadé que les éléments déchaînés vont bientôt s’abattre sur l’ensemble de la population de l’Europe de l’Est, et avec une telle force que le désastre allemand en sera éclipsé ». Pour Vladimir Jabotinsky, chef du mouvement révisionniste, il est urgent d’évacuer 750.000 Juifs de Pologne. Le 2 août 1936, I. Grynbaum, membre du comité exécutif de l’Agence Juive, déclare à la presse à Varsovie : « Nous devons partir. Pour la grande masse des Juifs de Pologne, l’heure de l’exode XE "exode" a sonné ».

Le colonel Beck, chef de l’Etat, applaudit à ces appels au départ qui correspondent à sa politique de rendre la Pologne « sans Juifs ». Il exige que 80.000 à 100.000 Juifs quittent chaque année le pays. Dans une lettre à Nahum Goldmann, Président du Congrès juif mondial, il se dit prêt à durcir encore les persécutions si ses exigences ne sont pas entendues : « Nous avons besoin de devises étrangères (...). Depuis que l’on persécute les Juifs en Allemagne, vos organisations leur envoient de grosses sommes. Nous avons trois millions de Juifs en Pologne, le Reich n’en a que 750.000. Donc on nous enverra trois ou quatre fois plus d’argent ».

En novembre 1938, l’ambassadeur polonais à Washington menace : « Le Comité d’Evian, en limitant son action aux seuls réfugiés venant d’Allemagne, offre en fait une prime à la persécution des Juifs. » En octobre 1938, pour l’ambassadeur de Pologne à Londres, « le problème juif devient intolérable et il est vital de trouver un débouché pour les Juifs polonais.» Une historienne résume ainsi la situation : « A Evian, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie ont envoyé des observateurs dans le seul dessein de demander qu’on les débarrasse de leurs Juifs.» Un mémorandum de juillet 1938 du Congrès juif mondial n’a pas les mêmes motivations mais il arrive à la même conclusion : « Il est souhaitable que la conférence d’Evian ne se limite pas au seul cas des Juifs allemands; bien que très pénible, ce n’est qu’un des aspects du problème des réfugiés.»

Pendant la conférence d’Evian, Myron C.Taylor, le représentant américain, est conscient de la situation. Il explique pourquoi il ne faut pas intervenir : « Les Anglais avec le soutien des Français et de beaucoup d’autres insistent de façon catégorique pour que les possibilités soient strictement limitées aux émigrants involontaires d’Allemagne et d’Autriche. Ils nous ont expliqué longuement et à de nombreuses occasions qu’il serait fatal de donner le moindre encouragement aux Polonais, aux Roumains ou aux autres états d’Europe centrale, car ils commenceraient immédiatement à mettre une telle pression sur leurs minorités que nous nous retrouverions avec un problème monstrueux sur les bras.»

Plus diplomatique, Roosevelt écrit à son ministre des Affaires étrangères le 14 janvier 1939 : « Je ne pense pas que le départ de 7 millions de personnes de leur domicile actuel et leur relogement dans d’autres parties du monde seraient possibles, ni qu’ils soient une solution au problème.» Personne ne veut de ces polaks, pauvres à l’exemple de Job et vivant leur orthodoxie archaïque. Qu’ils restent chez eux dans l’attente de jours meilleurs qui vont malheureusement se transformer en une nuit éternelle.

Avec le recul des années, quatre historiens, spécialistes de l’Est européen, n’en pensent pas moins : « Quoi qu’on dise sur les possibilités du monde extérieur d’absorber des Juifs allemands, autrichiens, tchèques sans ressources, il est certain qu’il n’aurait pas pu s’occuper des 3,3 millions de Juifs de Pologne.» C’était ouvrir la boîte de Pandore, risquer un raz de marée que l’on ne pourrait pas endiguer. Et le monde baissa les bras et ferma ses frontières à ces sous-hommes » selon l’odieux vocabulaire nazi. Une attitude classique qui se répétera pendant la guerre : la peur d’avoir à sauver des millions de gens empêcha de soustraire à la catastrophe quelques centaines de milliers. Une politique indigne.


NOTES

Démocraties occidentales hors immigration en Palestine. Reich : Allemagne, Autriche et Tchécoslovaquie.
CHARGUERAUD Marc-André, Silences meurtriers, Cerf, Labor et Fides, Paris/Genève, 2001, Tableau 3 p. 33.
GUTMANN, Mendelsohn, REINHARZ, Shmeruk, The Jews of Poland between the Two World Wars, University Press of New England, Hanover 1989, p. 105
ELISSAR, Eliahu Ben, Le facteur juif dans la Politique Etrangère du IIIème Reich, 1933-1939, Julliard, Paris, 1969, p. 302.

GILBERT, Martin, Atlas de la Shoah, Editions de l’Aube, Samuelson, Paris 1992, p. 21 et HELLER, Celia, H. On the Edge of Destruction, Jews of Poland between the Two World Wars, Wayne State Univesity Press, Detroit 1994, p. 113. Lettre ouverte du 29 février 1936.
SCHECHTMAN J.B. The Vladimir Jabotinsky Story, New York 1956 cité par MARRUS, Michael R. L’Holocauste dans l’Histoire, Georg Eshel, Paris 1990, p. 18. Il faut tenir compte du fait que Jabotinsky est sioniste.
KOZEC, Pawel, Juifs de Pologne, La Question Juive pendant l’Entre-deux-Guerres, Presses de la Fondation Nationale des Sciences politiques, Paris 1980, p. 315.
GOLDMANN, Nahum, Le Paradoxe Juif, Stock, Paris, 1976, p. 185. Meir MICHAELIS, Mussolini and the Jews, Clarendon Press, Oxford, 1978, p. 209 et Haskel LOOKSTEIN, Were we our Brother’s Keepers ? A Public Response of the American Jews to the Holocaust, 1938-1944, Hartmore House, New York, 1985, p. 50 - Les deux auteurs évoquent l’engrenage du chantage.


ELISSAR, op.cit. p. 316
SHERMAN Ari, Johsua, Island of refuge, Britain and Refugees from the Third Reich, 1933-1939, Paul Elek, Londres 1973, p. 164.
THALMANN, Rita, FEINERMANN, Emmanuel, La Nuit de Cristal, 9-10 Novembre 1938, Robert Laffont, Paris, 1972, p. 28.
STRAUSS, Herbert A. (direction) Jewish Immigrants from the Nazi Period in the USA ,K.G.Saur, New York, 1992, p. 353.
Ibid, p. 366. 10 juillet 1938 ,Taylor au ministre américain des Affaires étrangères.
FEINGOLD Henry, The Politics of Rescue, The Roosevelt Adminstration and the Holocaust, 1938-1945, Rutgers University Press, New Brunswick, 1972. Sept millions de Juifs c'est-à-dire tous ceux d’Europe de l’Est. En dix ans, de 1930 à 1939, les Etats-Unis n’admirent que 37.000 Polonais (en majorité Juifs), soit 60% d’un quota légal déjà misérable de 6.524 personnes par an.
BREITMAN Richard et KRAUT Alan, American Refugee Policy and European Jewry, 1933-1945,Indiana University Press, Bloomington, 1987, p.55.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 septembre 2013 : 21:40

Voici l'article de septembre 2013 de Marc-André Charguéraud - La Shoah revisitee" qui montre l’antisémitisme persistant de l’église protestante allemande après la guerre

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L’Eglise protestante allemande,
une volonté coupable d’oubli.
1945-1950


L’antisémitisme et l’antijudaïsme toujours présents
retardent toute repentance.



Dans les années qui ont suivi la guerre, les dirigeants de l’Eglise confessante de Martin Niemöller XE "Niemöller Martin" prennent la direction des Eglises évangéliques d’Allemagne (EKD) XE "Eglises évangéliques d’Allemagne (EKD)" . On était en droit d’attendre que l’Eglise reconnaisse une part de culpabilité dans la catastrophe juive. Il n’en fut rien. Le « contexte » de l’époque ne s’y prêtait pas, a-t-on plaidé ! Une excuse inacceptable.

Quel qu’en soit le prix, sa propre réconciliation interne fut la priorité de l’Eglise. L’exemple de Siegfried Leffler XE "Leffler Sigfried" est choquant. Il fut l’un des initiateurs du mouvement des « Chrétiens allemands ». Il proclamait que Hitler était un envoyé de Dieu sur terre. A la défaite, il est emprisonné. Mais dès 1949, l’EKD le réadmet comme pasteur et lui confie, aussi stupéfiant que cela paraisse, le poste de porte-parole de l’Eglise de Bavière.

Que des pasteurs « dévoyés » ayant reconnu leurs erreurs soient de nouveau accueillis parmi les fidèles, rien de plus « chrétien ». Mais comment accepter que des pasteurs ayant milité pour un déviationnisme théologique insensé, des hérésies abominables, et un antisémitisme exacerbé puissent retrouver une chaire pour guider leurs paroissiens sur le «droit chemin ?»

Ces décisions inadmissibles sont en grande partie dues à un désir collectif d’oubli. Personne ne souhaite avoir à répondre à des questions embarrassantes concernant sa participation au parti nazi, à la sacralisation des drapeaux, à l’appel au civisme militant, à l’approbation des politiques du régime… Cette situation augure mal de la volonté d’admettre la moindre responsabilité de la part d’une Eglise qui reste marquée par l’antisémitisme.

L’antijudaïsme continue à pervertir les plus hautes sphères de l’Eglise. Une déclaration d’avril 1948 du Conseil des frères (Reichsbruderrat) XE "Conseil des frères (Reichsbruderrat)" , l’instance la plus élevée de l’EKD, est détestable et claire. Elle considère la Shoah comme l’expression de la colère de Dieu contre la désobéissance juive. « Israël n’est plus le peuple élu car il a crucifié le Christ (…) Par le Christ et depuis le Christ, le peuple élu n’est plus Israël, mais l’Eglise l’a remplacé ». Il n’y a de salut que dans la conversion au Christ.

Indépendamment de l’antijudaïsme, un antisémitisme à base de stéréotypes antijuifs primaires continue à sévir dans les rangs de l’Eglise. Le président de l’EKD lui-même, l’évêque Theophil Wurm XE "Wurm Theophil" en est infecté. Il écrit en janvier 1948 : « Peut-on publier une déclaration sur la Question juive en Allemagne sans mentionner comment la littérature juive (…) a péché contre le peuple allemand en se moquant de tout ce qui est sacré et combien dans de nombreuses régions les paysans ont souffert des profiteurs juifs. Si on veut s’élever contre l’extension de l’antisémitisme, peut-on rester silencieux sur la remise du pouvoir par les autorités d’occupation aux Juifs qui sont revenus afin de clamer leurs ressentiments amers bien que compréhensibles ». On est loin de tout désir de repentance.

Pourtant, quatre mois après avoir été libéré du camp de Dachau XE "Dachau" , Martin Niemöller XE "Niemöller Martin" bat sa coulpe lors de la première réunion des dirigeants protestants à Treysa XE "Treysa" en août 1945 : « Le principal blâme repose sur les épaules de l’Eglise car (…) elle n’a dénoncé l’injustice qui prévalait que lorsqu’il fut trop tard. L’Eglise confessante (…) a clairement vu ce qui se tramait (…) mais elle eut plus peur des hommes que de Dieu (…) Par désobéissance, nous avons négligé fondamentalement la mission dont nous étions en charge. C’est pourquoi nous sommes coupables ».

Il fut bien seul. Ses commentaires ne sont pas appréciés. Les conclusions officielles de la conférence de Treysa sont éloquentes. « L’Eglise a pris sérieusement ses responsabilités. Elle proclama les commandements de Dieu, appela par leurs noms les crimes (…) l’horreur des camps de concentration, le mauvais traitement et le meurtre des Juifs et des malades (…) Mais les chrétiens furent emprisonnés dans leurs paroisses. Notre peuple fut séparé de l’Eglise. Ses appels ne furent pas entendus du public ». Nous savions, mais on nous a empêchés d’agir. Nous refusons tous les reproches.

Un pasteur souligne que de nombreux fidèles de l’Eglise confessante considèrent « qu’ils dirent et firent ce qui était possible dans un Etat totalitaire et n’avaient pas besoin de s’accuser eux-mêmes ». Dans le même sens, en novembre 1945, le clergé de Berlin Brandenburg déclare « reconnaître que des actes inhumains ont été perpétrés contre les Juifs (…) mais que les hommes d’Eglise et leurs fidèles sont innocents ».

On comprend que dans un tel contexte le Conseil suprême de l’Eglise évangélique allemande, qui reçoit en octobre 1945 à Stuttgart XE "Stuggart" des représentants étrangers du Conseil oecuménique mondial, XE "Conseil oecuménique mondial" se soit cantonné dans des généralités. « Pendant de longues années nous avons combattu au nom de Christ contre l’esprit qui trouva son expression la plus horrible dans la violence du régime national-socialiste. Nous nous accusons de ne pas avoir témoigné plus courageusement, prié plus fidèlement, cru plus joyeusement et aimé plus ardemment ». Pourtant, malgré sa prudence extrême, cette déclaration fut dénoncée par de nombreux protestants comme l’admission « d’une culpabilité dans la guerre » et même comme un « nouveau Versailles ».

Dans un compte-rendu de la réunion du Conseil desfrères à Darmstadt XE "Darmstadt" en juillet 1947, on peut lire : « Quand Israël crucifia le Messie, il rejeta sa propre élection et son destin (…) Par le Christ et depuis le Christ, le peuple élu n’est plus Israël, mais l’Eglise ». Il y eut des discussions sur « la Question juive ». Mais il fut décidé de ne rien mentionner concernant le meurtre des Juifs dans la déclaration finale. Comment reconnaître la moindre culpabilité si le sujet de celle-ci n’est même pas évoqué ?

Il faut attendre cinq années après la fin de la guerre pour que l’EKD brise enfin le silence. Elle publie une déclaration en conclusion du Synode de Berlin Weissensee XE "Synode de Berlin Weissensee" de 1950. Sur l’antijudaïsme, l’EKD déclare : « Nous croyons que la loyauté de Dieu envers son peuple élu demeure même après la crucifixion du Christ ». Sur la Question juive : « Nous reconnaissons que par omission ou silence nous sommes aussi coupables devant le Dieu de miséricorde des crimes commis contre les Juifs par des citoyens de notre pays (…) Nous demandons à tous les chrétiens d’abandonner toute forme d’antisémitisme et lorsqu’il renaît de lui résister vigoureusement et d’avoir une attitude fraternelle envers les Juifs ». L’EKD ne reconnaît qu’une culpabilité « passive », mais aucune complicité. Sa déclaration, pourtant très modérée, fera l’objet de nombreuses controverses.

Il faudra attendre les années 1960-70 pour que des théologiens révisent en profondeur l’attitude de l’Eglise envers le judaïsme. Otto von Harling Jr XE "Harling Jr Otto von" , le responsable de la « Question juive », explique cette « frilosité » de l’Eglise. En 1947, il recommande au Conseil des Frères de ne pas se précipiter pour faire une déclaration sur la Question juive, car il n’est pas préparé et que l’Eglise pourrait le regretter plus tard.

Il faut avant tout rassembler toutes les bonnes volontés, sans s’attarder à déterminer, comme le dit un pasteur, « qui avait encore une base de croyance chrétienne parmi tous ceux qui voulaient revenir à l’Eglise ». L’antisémitisme toujours très vif parmi les fidèles, l’antijudaïsme dogmatique des théologiens ainsi que la volonté d’oublier un passé condamnable expliquent sans les excuser les « silences coupables » du protestantisme allemand après guerre.


Evangelische Kirche in Deutschland ( EKD )
BUCHHEIM Hans, Glaubenskrise im Dritten Reich, Stuggart 1953, p. 51. Voir les précédents articles sur les « Chrétiens nazis » et sur L’Eglise confessante.
ERICKSEN Robert et HESCHE Susannah, Betrayal, German Churches and the Holocaust, Fortress Press, Minneapolis 1999, p. 10.
BRUMLIK Micha, Post Holocaust Theology, German Theological Responses since 1945, in ERICKSEN Robert & HESCHEL Susannanh, op. cit. p. 174. HOCKENOS Matthew, A Church Divided, German Protestants Confront the Nazi Past, Indiana University Press, Bloomington and Indianapolis, 2004, p. 151-153.
HOCKENOS Matthew, op. cit. p. 151.
BARNETT Victoria, For the Soul of the People, Protestants Protest Against Hitler, Oxford University Press, New York-Oxford, 1992, p. 198.
IBID. p.199.
IBID. p. 211.
HOCKENOS, op.cit. p. 10. Evêché de Theophil Wurm, président de l’Eglise évangélique allemande.
BARNETT, op. cit. p. 109. HOCKENOS, op. cit. p.172.
BERGEN Doris, Twisted Cross, The German Christian Movement in the Third Reich, University of North Carolina Press, Chapel Hill and London 1996, p. 60. Allusion au Traité de Versailles de 1918 qui “ruina” l’Allemagne défaite.
HOCKENOS, op. cit. p. 153
IBID. p. 118.
BARNETT, op. cit. p. 234.
BRUMLIK op. cit. p. 175. HOCKENOS, op. cit. p. 169.
ERICKSEN, op. cit. p. 19.
HOCKENOS, op. cit. p. 137.
BERGEN, op. cit. p. 60




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 06 octobre 2013 : 20:40

Voici l'article du mois d'octobre 2013 de Marc-André Charguéraud "La Shoah revisitee".

Marc-André Charguéraud raconte les efforts multiples de certaines gens, ames charitables dans sa paroisse qu'est Chambon-sur-Lignon, qui agissent secretement pour cacher et sauver quelques juifs.

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Le Chambon-sur-Lignon et les Juifs
1942-1944

Pourquoi faire de cette belle page du protestantisme
un mythe en multipliant par dix le nombre de sauvetages ?



Août 1942, ils viennent de garer leurs juvaquatres Renault grises sous ma fenêtre. Bruit de portières, chaussures ferrées sur le macadam, conciliabules feutrés. Inutile de regarder, je sais qu’une dizaine de gendarmes viennent d’arriver de Tence. Ils prennent leur temps, buvant dans un quart en fer blanc un ersatz de café arrosé sortant d’un thermos. Il me reste à passer une chemise et un short et à me précipiter en passant par derrière chez le boulanger protestant pour lui signaler leur arrivée. A lui de donner le signal d’alarme à ceux qui hébergent des réfugiés recherchés par la police pour qu’ils s’égaillent dans la nature.

Au printemps 1942, l’adolescent que je suis n’a pas encore réalisé que parmi les personnes réfugiées au Chambon une partie sont des Juifs que la police recherche. Un historien estime qu’un quart des élèves du Collège Cévenol XE "Collège Cévenol" étaient juifs. Miss Maber, notre professeur d’anglais au Collège, dirigeait avec Madame Carillat la pension d’enfants des Sorbiers où mon frère Daniel et moi avons passé deux ans. Elle explique en 1992 : « Encore aujourd’hui, je ne sais pas, parmi mes élèves, quels étaient les protestants, les catholiques, les non-croyants ou de religion juive ».

Peu importe leur religion, c’est au secours de réfugiés recherchés par le régime de Vichy que nous agissons. Un régime que les jeunes du collège n’aiment pas. Mon père, dans son journal en date du 15 septembre 1941, donne le ton : « Les enfants du Chambon, qui ont enterré un mannequin représentant Laval XE "Laval Pierre" , sont dénoncés par Bayon, le pâtissier légionnaire catholique. Les gendarmes font une enquête et procèdent à des arrestations ».

Les habitants du Chambon-sur-Lignon XE "Chambon-sur-Lignon" , sous la conduite de leurs deux pasteurs, André Trocmé XE "Trocmé André" et Edouard XE "Theis Edouard" Theis ont ouvert leurs portes aux réfugiés. Dès 1939, ils accueillent 72 Espagnols, des républicains qui fuient le régime de Franco. En 1940 et 1941, aucun article dans la presse religieuse locale, aucune prédication dénonçant les persécutions des Juifs ou les « statuts des Juifs » d’octobre 1940 et de juin 1941 qui les excluent de la nation. Ce long silence n’a pas reçu d’explications.

Il faut attendre le 10 août 1942 pour une première manifestation publique de soutien aux Juifs. A l’occasion de la visite de Georges Lamirand XE "Lamirand Georges" , le secrétaire général à la jeunesse, certains jeunes du collège, parmi les plus âgés, prennent position : « Si nos camarades, dont la seule faute est d’être nés dans une autre religion (juive), recevaient l’ordre de se laisser déporter ou même recenser, ils désobéiraient aux ordres reçus et nous nous efforcerions de les cacher de notre mieux ».

Le 16 août, en termes généraux, André Trocmé dénonce le scandale des Israélites étrangers qui sont traqués : « C’est une humiliation pour l’Europe que de pareils faits puissent encore s’y produire, et que nous Français, nous ne puissions réagir contre des procédés barbares (…) L’Eglise chrétienne doit se mettre à genoux et demander pardon à Dieu de son incapacité et de sa lâcheté actuelle (…) Je vous dis cela parce que je ne pouvais plus me taire ».

Dans un sermon du même jour, le Pasteur André Bettex XE "Bettex André" est plus direct : « La conscience ne peut que se révolter à l’égard des mesures prises contre les Juifs. Notre devoir est de les secourir, de les cacher, de les sauver par tous les moyens possibles. Je vous engage à le faire ».

Ces encouragements vont contribuer au sauvetage de 42 Juifs étrangers qui vivent dans les centres du Coteau Fleuri XE "Coteau Fleuri" et de la Maison des Roches XE "Maison des Roches" . En mars 1941, Madeleine Barot XE "Barot Madeleine" , directrice de la CIMADE XE "Cimade" , a obtenu de Vichy le droit d’ouvrir des maisons où seraient accueillis, sous surveillance de la police, des étrangers internés à Gurs XE "Gurs" , à Rivesaltes XE "Rivesaltes" ou aux Milles XE "Milles" . Les gendarmes, qui vont à plusieurs reprises du 24 août au 12 septembre organiser des rafles, possèdent donc une première liste de Juifs, par lieu de résidence et par nationalité.

Le dispositif mis en place pour alerter de l’arrivée des gendarmes est efficace. Les opérations de ratissage sont infructueuses. Le Commissaire de police de Tence n’est pas dupe. D’autant plus qu’à la fin août, lorsque ses services demandent à Trocmé la liste à jour des personnes juives de la commune, ce dernier répond : « J’ignore les noms de ces gens et, même si je possédais la liste demandée, je ne la fournirais pas ; ils sont venus chercher asile et protection auprès des protestants de la région, je suis leur pasteur, c'est-à-dire leur berger, ce n’est pas le rôle du berger de dénoncer les brebis confiées à sa garde ».

Le commissaire peut alors écrire le 2 septembre à sa hiérarchie : « Il n’est pas douteux que les pasteurs protestants de Tence et du Chambon peuvent être considérés comme les instigateurs responsables de la disparition des Israélites qui devraient être ramassés ». Un satisfecit décerné aux deux ecclésiastiques.

Ces 42 Juifs qui échappèrent à l’arrestation furent-ils le prélude au sauvetage de nombreux autres au Chambon-sur-Lignon XE "Chambon-sur-Lignon" et ses proches environs ? Oui pour quelques centaines, mais certainement pas 2 500 ou 5 000 comme la plupart des sites internet s’en font l’écho. Des chiffres déraisonnables qui ne correspondent pas à la réalité.

Fin août 1942, sur les 80 personnes vivant au Coteau fleuri, 26 sont juives. En 1943, sur les 300 collégiens, et les 200 pensionnaires des homes du Secours suisse XE "Secours suisse" , de loin la population d’enfants et d’adolescents la plus importante au Chambon, pas plus d’une centaine sont juifs. Dans son autobiographie, André Trocmé XE "Trocmé André" estime que 60 Juifs ont frappé à la porte de son presbytère. C’est remarquable, mais l’on revient à des ordres de grandeur plus réalistes.

Pour arriver ou partir du Chambon, le seul moyen de transport disponible était le chemin de fer. On change de train à Saint Etienne et à Dunière, autant de gares qui sont des souricières policières pour les fuyards. De la fin 1942 au début 1944, deux hommes, Pierrot Galand XE "Galand Pierrot" et Pierre Piton XE "Piton Pierre" , accompagnent successivement des groupes de trois Juifs du Chambon vers la Suisse. Tous les deux sont repérés par la police et ils doivent cesser leur activité. Vers le Chambon, c’est Madeleine Dreyfus, XE "Dreyfus Madeleine" de l’Oeuvre de secours aux Enfants, XE "Oeuvre de secours aux Enfants OSE" qui pendant un an, de fin 1942 à fin 1943, convoie des enfants avant d’être arrêtée et déportée. Evoquer le chiffre de milliers de Juifs qui auraient pris le train pour se réfugier ou partir du Chambon pendant les deux années qui séparent le début des arrestations de la Libération manque de rigueur.

Jamais un millier de Juifs n’a vécu au Chambon à un moment donné. Un exemple, le 24 février 1943, le préfet Bach XE "Bach préfet" déclanche une nouvelle rafle surprise. Il ne trouve chez eux qu’une dizaine de Juifs dont la moitié sera internée à Gurs XE "Gurs" . Il est inimaginable que, prévenues à temps de la rafle, des centaines de personnes aient pu partir se cacher dans les forêts enneigées et froides de l’hiver. Alors, si elles étaient présentes au Chambon, comment ont-elles pu quasi toutes échapper à la police ?

Certes, quelques dizaines de Juifs ont été accueillies pour un certain temps dans des fermes de la région, mais pas des centaines. Il faut avoir visité ces pauvres fermes, la plupart avec une pièce à vivre et une pour dormir. Dans la plupart des cas, les réfugiés ne peuvent passer que quelques jours dans un grenier à foin, gelant l’hiver et étouffant l’été.

Qu’un bourg de moins de 3 000 habitants sauve quelques centaines de personnes dans ces temps troublés, c’est un acte de courage, d’humanité et de compassion exceptionnel. Les deux pasteurs qui ont initié et lancé ces sauvetages doivent être cités. Leurs épouses Magda XE "Trocmé Magda" et Mildred XE "Theis Mildred" ainsi que Mireille Philip XE "Philip Mireille" , dont le mari était à Londres, ont poursuivi la tâche lorsque André Trocmé et Edouard Theis ont quitté le Chambon pendant un an. Un exemple de femmes courageuses et persévérantes qu’il convient d’applaudir. Mais pourquoi faire de cette belle page du protestantisme un mythe surréaliste, en multipliant par dix le nombre de sauvetages ?



Notes
 
L’auteur révise son bac pour la session de septembre dans un studio au-dessus d’une rangée de box, près de la gare du Chambon.
Il n’y a pas de gendarmerie au Chambon.
BOULET François, Juifs et protestants, 1940-1944, in ENCREVE André et POUJOL Jacques, éd. Les Protestants français pendant le Seconde Guerre mondiale, SHPF, Paris, 1994, p. 352.
BOLLE Pierre, éd. Le plateau Vivarais-Lignon, accueil et résistance, 1939-1944, Actes du Colloque du Chambon-sur-Lignon, Société d’histoire de la Montagne, Le Chambon-sur-Lignon, 1992, p. 575. Miss Maber a enseigné l’anglais au Collège pendant toute la durée de la guerre.
Laval est Premier ministre. Légion des anciens combattants, un rassemblement qui soutient activement le régime de Vichy. Les arrestations ne seront pas maintenues.
En 1936, le Chambon compte 2700 habitants dont 90% de protestants
BOULET François, L’attitude spirituelle des protestants devant les Juifs réfugiés. In BOLLE Pierre, op. cit. p. 403.
IBID. p. 419.
BOULET François, Les prédications des pasteurs, in BOLLE Pierre éd., op. cit. p. 369.
BOLLE, op. cit. p. 333. André Bettex est pasteur de l’église évangélique libre du Riou, commune du Mazet-St-Voy. Proche du Chambon.
POUJOL Jacques, Les victimes, in BOLLE Pierre éd., op. cit. p. 639.
MERLE D’AUBIGNE Jeanne et MOUCHON Violette, éd. Les clandestins de Dieu. CIMADE 1939-1945, Labor et Fides, Genève, 1968, p. 33. La CIMADE est une organisation protestante de secours aux réfugiés.
FABREGUET, op. cit. p. 146.
MENUT Georges, André Trocmé, in BOLLE Pierre éd., op. cit. 395.
BOULET François, Les prédications des pasteurs, in BOLLE Pierre éd., op. cit. p. 370.
Internet cite des historiens, des témoins, des films, des musées.
BOULET François, Quelques éléments statistiques, in BOLLE éd, op. cit. p. 296.
ROSOWSKI Oscar, Les faux papiers d’identité au Chambon-sur-Lignon, 1942-1944. In BOLLE Pierre éd. op. cit. p. 244.
MENUT, op.cit. p. 398.
PITTON Pierre, Les filières d’évasion, in BOLLE Pierre éd., op. cit. p. 262, ss.
DREYFUS Madeleine, L’OSE, in BOLLE éd., op. cit. p. 216, ss.
FABREGUET, op. cit. p. 148.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 05 novembre 2013 : 23:52

Voici le dernier texte redige par Marc-André Charguéraud, "La Shoah revisitee" qui ramene des details toujours aussi penibles a lire et a connaitre.

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Un banquier juif croit possible un
compromis avec Hitler.
1932-1938.



Le 31 mai 1938, Max Warburg XE "Warburg Max" abandonne la direction de sa banque à deux successeurs nommés par les nazis. Quatre mois plus tard, forcé de vendre la première banque privée d’Allemagne, il quitte l’Allemagne pour toujours. Sa banque est évaluée par les experts de la Cité de Londres à RM 40 000 000 sur lesquels, par le jeu de minoritaires, d’impôts, de confiscations et de taux de change aberrants, les nazis ne lui laissent que RM 155 000.

Pourquoi un homme très informé, patron d’un établissement vieux de 140 ans, a-t-il accepté d’endurer pendant cinq années les persécutions les plus cruelles et les plus humiliantes des nazis à l’encontre de la communauté juive dont il est un des principaux piliers ? Par son attitude n’a-t-il pas encouragé certains de ses coreligionnaires à rester en Allemagne ?

Dans un premier temps, l’anticommunisme a conduit certains Juifs à soutenir une partie limitée de la plateforme du régime national-socialiste. Fin mars 1933, alors que Hitler XE "Hitler Adolf" vient d’accéder au pouvoir, la figure emblématique de la communauté juive allemande, le rabbin Leo Baeck XE "Baeck Leo" , déclare en public : « Le bolchevisme étant un mouvement athée est l’ennemi le plus violent et le plus acharné du judaïsme (…) Un Juif qui se fait bolcheviste est un renégat. L’idéal et la nostalgie des Juifs allemands est bien la rénovation de l’Allemagne ». Le professeur Khün XE "Khün Dr." lui fait écho. Hébraïste de talent et autorité dans le domaine du judaïsme, il admet au début 1933 que « son approbation des recommandations des nationaux-socialistes pour une réforme sociale et de leur déclaration de guerre au communisme l’aurait encouragé à adhérer au parti, bien qu’il ne puisse accepter ni leurs théories raciales, ni leurs conceptions antisémites ».

Max Warburg est proche des dirigeants de grandes sociétés qui, au départ par anticommunisme, ont fait confiance et même financé Hitler pour qu’il restaure l’ordre et la paix sociale. Ce sont les plus importants clients de sa banque. Ses associés et lui-même siègent dans 198 conseils d’administration. C’est dans ce contexte qu’il déclare en 1932 : « La fièvre nazie s’estompera avec le retour de la prospérité ; l’intolérance n’est qu’une phase passagère ». Le 19 mars 1933 il écrit à son cousin Jimmy à New York qu’ « il est dommage que ce mouvement (nazi), qui est porteur de tant de bien, soit encombré de tant d’ordures et que son antisémitisme rende toute association avec lui impossible. »

Le boycott des magasins juifs, première grande mesure antisémite du gouvernement, se prépare. Eric Warburg XE "Warburg Eric" câble de Hambourg le 29 mars 1933 à son cousin Felix XE "Warburg Felix" à New York que le boycott prendra place le 1er avril si « les informations d’atrocités et la propagande hostile dans la presse étrangère et les meetings de masse (...) ne cessent pas immédiatement ». Félix lit ce câble au président de l’American Jewish Committee (AJC) XE "American Jewish Committee " , Cyrus Adler XE "Adler Cyrus" , qui publie une circulaire dans laquelle il rejette tout boycott des produits allemands et qualifie « d’irresponsables » ceux qui soutiennent de tels boycotts.

De son côté la communauté juive de Berlin écrit le 30 mars à l’AJC : « Une campagne de propagande se poursuit outre-mer contre l’Allemagne (...) La diffusion de fausses nouvelles ne peut qu’avoir des effets néfastes, car elle ternit la réputation de l’Allemagne, notre terre natale, et met en danger les relations des Juifs allemands avec leurs concitoyens. Veuillez faire en sorte, et de manière urgente, que s’arrête toute propagande sur les atrocités et le boycottage ».

Patienter, trouver un compromis. Dans son souci constant de s’intégrer dans la vie allemande, la communauté juive a toujours préféré la diplomatie et la négociation à la confrontation publique. Quel autre choix avait-elle ? Pour Léo Baeck XE "Baeck Leo" « dans les années trente, les Juifs d’Allemagne ne pouvaient évidemment pas comprendre quelle était leur réelle alternative. Ils pensaient que c’était la mort s’ils choisissaient la révolution ou la vie s’ils patientaient et laissaient le temps à la situation de s’améliorer sous les nazis ». « Oui à l’espoir que notre coexistence avec le peuple allemand se montrera plus forte que tous les préjugés », s’exclame Bruno Weil XE "Weil Bruno" , vice-président de l’Union centrale des citoyens de confession juive.

Le régime nazi donne des signes d’une ouverture possible. En juillet 1933, une importante chaîne de grands magasins appartenant à Hermann Tietz XE "Tietz Hermann" , un Juif, est menacée de faillite. Sa liquidation mettrait 14.000 personnes au chômage et risquerait de mettre en danger d’autres sociétés. Hitler la sauve en approuvant un prêt de RM 14,5 millions par une banque contrôlée par l’Etat. Le chancelier, comme le Dr. Hjalmar Schacht XE "Schacht Hjalmar" , gouverneur de la Reichsbank et ministre de l’économie, tolèrent les grandes entreprises et banques juives car elles sont encore essentielles à leurs plans économiques. Ils ont besoin des financements étrangers, de matières premières et d’exportations qui génèrent des devises pour leur programme de réarmement. Interrogé par Schacht en juillet 1934, Hitler précise : « Sur le plan économique les Juifs peuvent continuer à travailler comme ils l’ont fait jusqu’à présent ». Il a sûrement ajouté mentalement « pour le moment ».

Comment s’étonner, dans ces conditions, que Max Warburg XE "Warburg Max" ait été persuadé qu’il ne serait pas la cible des nazis, lui qui fut « un patriote allemand pendant la première guerre mondiale, un ami du Kaiser, l’homme qui refusa de signer les clauses financières de l’infâme traité de Versailles, le roi non couronné de la finance de Hambourg, proche de Schacht, le président de la Reichsbank qui devait devenir rapidement ministre de l’économie. Un homme qui était allemand avant d’être juif ».

La situation devient critique avec la promulgation des lois raciales le 15 septembre 1935 à Nuremberg XE "Nuremberg" . Un véritable pogrom à froid. Elles enlèvent aux Juifs la pleine citoyenneté allemande, le droit de vote, la position de fonctionnaire ; les relations et le mariage avec des non juifs sont interdits. Une déclaration du 25 septembre de la Reichsvertretung der Juden XE "Reichsvertretung der Juden" , l’organisation faîtière juive en Allemagne, montre dans quel esprit elle juge ces lois. « Les lois adoptées à Nuremberg ont affecté les Juifs d’Allemagne de la manière la plus sévère. Néanmoins elles ont créé une base tolérable sur laquelle peut être bâtie une relation acceptable entre les Allemands et les personnes juives. La Reichsvertretung est prête à contribuer dans ce sens avec toute son énergie ». Comme les Juifs n’ont d’autre choix que de subir ces nouvelles lois, ils cherchent à en tirer le meilleur parti. C’est la seule voie possible. Elle correspond à la tradition juive.
Max Warburg pense comme « beaucoup de Juifs allemands, maintenant que leur statut est normalisé, que la situation devrait se stabiliser et s’améliorer ». A une réunion organisée par le B’nai B’rith XE "B’nai B’rith" de Hambourg en 1936, Max Warburg confirme cet optimisme mesuré. Il déclare aux cent participants sa confiance dans la survie des Juifs à l’orage s’ils restent dans le pays. Il fallait du courage pour s’opposer publiquement à la politique nazie qui prônait le départ de tous les Juifs au nom « du sang et de l’honneur allemand ».

Cinq mois avant son départ, dix mois avant la Nuit de cristal XE "Nuit de cristal" au cours de laquelle un pogrom physique violent remplace les pogroms administratifs à froid, la journée du 9 janvier 1938 est l’expression symbolique ultime de Max Warburg dans sa conviction qu’il existe une place pour les Juifs au sein du peuple allemand. Il inaugure un nouveau centre culturel de la communauté juive de Hambourg. Un important complexe qui comprend un théâtre, un restaurant, une salle de conférence de 200 places. Conçu, construit et financé avec son concours actif alors que les nazis au pouvoir multiplient les persécutions dans le but de rendre le Reich Judenfrei (sans Juifs). Sa déclaration ce jour-là semble décalée avec une situation désespérée. Il dit bravement : « Nous sommes responsables pour l’esprit et l’âme de notre peuple. Ils ne seront pas broyés par la misère et les anxiétés journalières. »

Leo Baeck XE "Baeck Leo" explique rétrospectivement ce que certains qualifieront de la part de Warburg d’entêtement, d’un refus de faire face aux réalités. Il écrit : « C’était toujours le même problème que rencontraient les Juifs depuis la prise de pouvoir de Hitler : ils ne pouvaient pas s’imaginer ce qui allait se passer. Ils ne pouvaient pas s’imaginer qu’ils seraient dépouillés de leur citoyenneté avant que cela n’arrive. Ils ne pouvaient pas s’imaginer que les lieux de leur culte seraient détruits avant que cela n’arrive. Ils ne pouvaient s’imaginer qu’on leur enlèverait leurs maisons et leurs familles avant que cela n’arrive. Et ils n’ont jamais pu s’imaginer qu’ils seraient massacrés systématiquement ».

C’est ce qu’exprime en quelques mots Gisela XE "Warburg Gisela" , la fille de Max : « Nous avons toujours cru avoir touché le fond » et chaque fois « les nazis inventaient avec ingéniosité quelque chose d’autre ».

Notes

CHERNOW Ron, The Warburgs, Random House, New York, 1994, p. 467, 468 et 470.
FEDIER François, Martin Heidegger, Ecrits politiques, 1933-1939, Gallimard, Paris, 1995, p. 15. Léo Baeck qui devient en septembre 1933 Président de la Représentation pour le Reich des Juifs allemands.
GUTTRIDGE Richard, Open thy Mouth for the Dumb, The German Evangelical Church and the Jews, 1979-1950, Basic Blackwell, New York, 1976, p. 71
CHERNOW op. cit. p. 266.
IBID. p. 371.
IBID. p. 373. Félix est président de l’American Jewish Joint Distribution Committee.
DAWIDOWICZ Lucy, La guerre contre les Juifs, 1933-1945, Hachette, Paris, 1975, p. 95.
BAKER Léonard, Days of Sorrow and Pain, Leo Baeck and the Berlin Jews, MacMillan, New York, 1978, p.152.
DAWIDOWICZ, op. cit. p. 281.
SCHLEUNES Karl A. The Twisted Road to Auschwitz, Nazi Policy towards German Jews, 1933-1939, University Of Illinois Press, Urbana, 1970, p. 93. Un cas parmi d’autres.
CHERNOW, op. cit. p. 434.
SCHLEUNES, op. cit. p. 142.
STRAUSS Herbert, Dir. Jewish Immigrants from the Nazi Period in the USA, K.G.Saur, New York, 1992, p. 155.
LIPSTADT Deborah, Beyond Belief, The American Press and the Coming Holocaust, MacMillan, New York, 1986, p. 57.
CHERNOW, op. cit. p. 441.
Nom d’une des trois lois raciales de septembre 1935.
CHERNOW, op. cit. p. 459.
BAKER, op. cit. p. 273.
CHERNOW, op. cit. p. 370.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud/Ces Juifs que la Gestapo n’arrête pas. - Printemps 1944
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 08 dcembre 2013 : 19:43

Decembre 2013, Marc-André Charguéraud continue assidument ses recherches et decouvertes sur cette funeste periode. Voici la surprenante revelation de ces quelques juifs vivants a Paris recenses mais que la Gestapo n'arretait pas.

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Ces Juifs que la Gestapo n’arrête pas.
Printemps 1944

30 000 Juifs vivent alors à Paris,
recensés et portant l’étoile jaune.



Le 20 juin 1944, quelques semaines avant la Libération, une descente de la Gestapo dans les bureaux du Consistoire central des Israélites de France XE "Consistoire central" , rue Boissac à Lyon, est un échec. Par le plus grand des hasards, aucun membre du Consistoire ne s’y trouve et la police allemande repart bredouille. Les dirigeants du Consistoire décident alors de se cacher et de tenir leurs réunions dans la clandestinité. Jusqu’alors le Consistoire tenait ses séances ouvertement au siège de l’association, sans que les Allemands n’interviennent. Une attitude étonnamment tolérante pour les nazis qui ont là, depuis de nombreux mois, l’occasion de décapiter le judaïsme français avec un minimum de moyens.

Pour la Gestapo, une rafle s’impose, d’autant plus que dès 1943, l’activité du Consistoire s’oriente vers la Résistance. Il s’occupe du camouflage de Juifs en péril. Par son entremise et son aide financière certains sont munis de fausses pièces d’identité, de cartes d’alimentation, et cachés ou acheminés vers la Suisse ou l’Espagne. Les autorités de Vichy n’ignorent pas ces activités et cherchent à les contrecarrer.

Le 11 janvier 1944, l’assemblée des rabbins français décide de recommander la fermeture des synagogues. « Considérant que le maintien des offices publics dans les synagogues est un danger pour les fidèles », que « loin de servir les intérêts spirituels de la religion (ils) favorisent les agissements des ennemis du judaïsme » et « considérant qu’au point de vue religieux, il n’est pas interdit, en cas de danger, de suspendre le fonctionnement des offices publics ».

Dans les faits la plupart des synagogues sont restées ouvertes. Malgré la recommandation des rabbins, le Consistoire veut maintenir en activité les lieux de cultes. Il a la « conviction que la fin du judaïsme religieux signifierait la fin du judaïsme et que ce serait capituler devant l’ennemi que de fermer les temples consacrés au service de Dieu ».

L’inévitable arrive. Le 13 juin 1944, à la suite d’un raid de la Gestapo à la synagogue de Lyon XE "Lyon" , le personnel et des fidèles sont arrêtés et déportés. Le grand rabbin décide alors d’entrer en clandestinité et de fermer les synagogues. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? La répression était prévisible. Les entrées et les sorties des synagogues sont pour la Gestapo et ses séides français un endroit idéal pour les arrestations.

Le Conseil Représentatif des Juifs de France (CRIF) XE "Conseil Représentatif des Juifs de France (CRIF)" constitué en janvier 1944 est présidé par Léon Meiss XE "Meiss Léon" , président également du Consistoire. Lors d’une de ses premières séances du CRIF, il recommande la fermeture de l’Union Générale des Israélites de France (UGIF) XE "Union Générale des Israélites de France UGIF" . Ses nombreux centres de distribution de secours ne constituent-ils pas autant de « souricières » qui facilitent les arrestations ? Mais pour certains assistés, si l’on ferme les cantines devenues dangereuses « ne sachant pas où aller vivre, sans défenses (…) ils iront se présenter volontairement eux-mêmes à Drancy XE "Drancy" ». Pendant le dernier semestre de l’occupation, fallait-il garder ouvertes les synagogues pour sauver le judaïsme, mais fermer l’UGIF qui maintenait en vie des milliers de Juifs sans ressources ?

Il y a à Paris plus de 10 000 Juifs vivant ouvertement chez eux, qui dépendent des secours dispensés par l’UGIF. Ils font partie des quelque 30 000 Juifs porteurs de l’étoile jaune, respectueux de la réglementation antijuive, qui ne sont pas entrés en clandestinité. Ce sont des Juifs pauvres ou dont toutes les ressources ont été confisquées, qui n’ont pas les moyens de vivre cachés, des malades ou des handicapés qui n’ont pas la force de quitter leur domicile, des étrangers qui sont trop facilement repérables, des personnes âgées qui n’ont plus le courage d’affronter l’inconnu, des adultes qui veulent sauver leur « chez eux ». Ils vivent sous leur identité d’origine et leur adresse a été enregistrée à la police. On imagine ces êtres cloîtrés dans leur appartement, n’osant pas se montrer, angoissés à l’idée d’un policier qui défoncera leur porte pour les arrêter. Ils ont vécu la rafle du Vel d’Hiv XE "Vel d’Hiv" qui les a épargnés certes mais dont le cauchemar hante leurs nuits.

Rien n’est plus vrai et pourtant en même temps rien n’est parfois plus inexact si on lit le témoignage de Maurice Brenner XE "Brenner Maurice" , trésorier de l’UGIF-Sud. Il se rend à Paris du 3 au 17 mai 1944. Il est étonné par une incroyable situation. En arrivant à Paris « il a une vision véritablement stupéfiante, le nombre de gens se promenant avec l’étoile (...) J’ai été surpris de voir tout ce monde afficher ostensiblement leur judaïsme, de voir des Juifs, jeunes et vieux, hommes et femmes, côtoyer Allemands et miliciens dans le métro, dans la rue et les magasins, de les voir se promener tranquillement sans que, apparemment, personne ne songe à les embêter. Ma surprise n’aurait pas été plus grande si j’avais aperçu des gens qui sur ordre des autorités auraient arboré la faucille et le marteau ou la croix de Lorraine ».

Près de 15 000 Juifs ont été arrêtés et déportés en 1944, mais Paris est relativement épargné. En avril 1944, par exemple, alors que 2000 Juifs sont appréhendés en province, ils ne sont que 200 à l‘avoir été à Paris. Une rafle massive n’est plus envisageable, car l’assistance de la police parisienne fait défaut, mais comme en province une multiplication de « petites rafles » reste terriblement efficace et les Allemands et leurs séides pouvaient rafler ces milliers de Juifs restés chez eux. Quant à une réaction hostile de la population parisienne qui aurait freiné de telles opérations, c’est une hypothèse que l’on aurait aimé pouvoir retenir. Elle aurait montré non seulement l’influence de l’opinion publique française sur la politique allemande, mais également sa solidarité active envers la communauté juive.

On se réjouit pour tous ces Juifs qui ont échappé à leurs assassins nazis, mais la question reste posée d’une stratégie nazie qui semble paradoxale. N’était-il pas plus facile d’arrêter les fidèles à la sortie des synagogues que 44 enfants innocents du foyer juif de la commune reculée d’Izieu XE "Izieu" dans l’Ain en avril 1944 ? N’était-il pas plus logique de se saisir des membres du Consistoire pendant l’une de leurs réunions au siège de l’institution au lieu d’enlever le 22 janvier 135 patients de l’hôpital Rothschild XE "Hôpital Rothschild" à Paris ou le 1er avril la presque totalité des pensionnaires israélites de l’hospice de Nancy ? N’était-il pas plus aisé de s’attaquer aux Juifs qui déambulent dans les rues de Paris avec l’étoile jaune sur la poitrine que de rafler au petit matin en province des Juifs isolés encore endormis ?

Ce sont autant de situations paradoxales. Elles montrent des failles dans l’exécution des directives nazies. Une zone grise a existé au bénéfice de populations qui n’ont parfois pas eu pleinement conscience du danger mortel qui les menace.



Notes

L’activité des organisations juives en France sous l’occupation. CDJC, Paris 1947, p. 30.
IBID. p. 29.
IBID. p. 26.
POZNANSKI Renée, Les Juifs en France pendant la seconde guerre mondiale, Hachette, Paris 1997, p. 508.
LAZARE Lucien, La résistance juive en France, Stock, Paris, 1987, p. 243.
IBID.
ADLER Jacques, The Jews of Paris and the Final Solution, Oxford University Press, New York, Oxford 1985, p. 205. Commentaire d’un Juif assisté rapporté par le Dr. Minkowski de l’OSE, qui travaillait en étroite coopération avec le Comité Amelot qui en 1944 dépendait de l’UGIF.
LAZARE, op. cit. p. 243. En été 1944 Paris comptait encore 20 000 porteurs de l’étoile jaune. KLARSFELD Serge, Vichy Auschwitz- Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question juive en France 1943-1944. Fayard, Paris 1985, p. 155, en estime le nombre à au moins 40 000. HILBERG Raul, La destruction des Juifs d’Europe. Fayard, Paris 1985, p. 567. 30 000 Juifs vivaient en plein jour à Paris en juillet 1944.
POZNANSKI op. cit. p. 387.
KLARSFELD Serge, Vichy Auschwitz, Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question juive en France, 1943-1944. Fayard, Paris 1985, p. 393.
IBID, p. 155.
IBID. p. 152 et 153.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 22 mars 2014 : 11:14

Voici le dernier article de Marc-André Charguéraud qui fidelement et minutieusement continue son decryptage et recherches sur cette funeste periode qu'est la seconde guerre mondiale et le sort fait aux Juifs alors.



L’Eglise protestante allemande,
une volonté coupable d’oubli.
1945-1950



L’antisémitisme et l’antijudaïsme toujours présents
retardent toute repentance.



Dans les années qui ont suivi la guerre, les dirigeants de l’Eglise confessante de Martin Niemöller XE "Niemöller Martin" prennent la direction des Eglises évangéliques d’Allemagne (EKD) XE "Eglises évangéliques d’Allemagne (EKD)" . On était en droit d’attendre que l’Eglise reconnaisse une part de culpabilité dans la catastrophe juive. Il n’en fut rien. Le « contexte » de l’époque ne s’y prêtait pas, a-t-on plaidé ! Une excuse inacceptable.

Quel qu’en soit le prix, sa propre réconciliation interne fut la priorité de l’Eglise. L’exemple de Siegfried Leffler XE "Leffler Sigfried" est choquant. Il fut l’un des initiateurs du mouvement des « Chrétiens allemands ». Il proclamait que Hitler était un envoyé de Dieu sur terre. A la défaite, il est emprisonné. Mais dès 1949, l’EKD le réadmet comme pasteur et lui confie, aussi stupéfiant que cela paraisse, le poste de porte-parole de l’Eglise de Bavière.

Que des pasteurs « dévoyés » ayant reconnu leurs erreurs soient de nouveau accueillis parmi les fidèles, rien de plus « chrétien ». Mais comment accepter que des pasteurs ayant milité pour un déviationnisme théologique insensé, des hérésies abominables, et un antisémitisme exacerbé puissent retrouver une chaire pour guider leurs paroissiens sur le «droit chemin ?»

Ces décisions inadmissibles sont en grande partie dues à un désir collectif d’oubli. Personne ne souhaite avoir à répondre à des questions embarrassantes concernant sa participation au parti nazi, à la sacralisation des drapeaux, à l’appel au civisme militant, à l’approbation des politiques du régime… Cette situation augure mal de la volonté d’admettre la moindre responsabilité de la part d’une Eglise qui reste marquée par l’antisémitisme.

L’antijudaïsme continue à pervertir les plus hautes sphères de l’Eglise. Une déclaration d’avril 1948 du Conseil des frères (Reichsbruderrat) XE "Conseil des frères (Reichsbruderrat)" , l’instance la plus élevée de l’EKD, est détestable et claire. Elle considère la Shoah comme l’expression de la colère de Dieu contre la désobéissance juive. « Israël n’est plus le peuple élu car il a crucifié le Christ (…) Par le Christ et depuis le Christ, le peuple élu n’est plus Israël, mais l’Eglise l’a remplacé ». Il n’y a de salut que dans la conversion au Christ.

Indépendamment de l’antijudaïsme, un antisémitisme à base de stéréotypes antijuifs primaires continue à sévir dans les rangs de l’Eglise. Le président de l’EKD lui-même, l’évêque Theophil Wurm XE "Wurm Theophil" en est infecté. Il écrit en janvier 1948 : « Peut-on publier une déclaration sur la Question juive en Allemagne sans mentionner comment la littérature juive (…) a péché contre le peuple allemand en se moquant de tout ce qui est sacré et combien dans de nombreuses régions les paysans ont souffert des profiteurs juifs. Si on veut s’élever contre l’extension de l’antisémitisme, peut-on rester silencieux sur la remise du pouvoir par les autorités d’occupation aux Juifs qui sont revenus afin de clamer leurs ressentiments amers bien que compréhensibles ». On est loin de tout désir de repentance.

Pourtant, quatre mois après avoir été libéré du camp de Dachau XE "Dachau" , Martin Niemöller XE "Niemöller Martin" bat sa coulpe lors de la première réunion des dirigeants protestants à Treysa XE "Treysa" en août 1945 : « Le principal blâme repose sur les épaules de l’Eglise car (…) elle n’a dénoncé l’injustice qui prévalait que lorsqu’il fut trop tard. L’Eglise confessante (…) a clairement vu ce qui se tramait (…) mais elle eut plus peur des hommes que de Dieu (…) Par désobéissance, nous avons négligé fondamentalement la mission dont nous étions en charge. C’est pourquoi nous sommes coupables ».

Il fut bien seul. Ses commentaires ne sont pas appréciés. Les conclusions officielles de la conférence de Treysa sont éloquentes. « L’Eglise a pris sérieusement ses responsabilités. Elle proclama les commandements de Dieu, appela par leurs noms les crimes (…) l’horreur des camps de concentration, le mauvais traitement et le meurtre des Juifs et des malades (…) Mais les chrétiens furent emprisonnés dans leurs paroisses. Notre peuple fut séparé de l’Eglise. Ses appels ne furent pas entendus du public ». Nous savions, mais on nous a empêchés d’agir. Nous refusons tous les reproches.

Un pasteur souligne que de nombreux fidèles de l’Eglise confessante considèrent « qu’ils dirent et firent ce qui était possible dans un Etat totalitaire et n’avaient pas besoin de s’accuser eux-mêmes ». Dans le même sens, en novembre 1945, le clergé de Berlin Brandenburg déclare « reconnaître que des actes inhumains ont été perpétrés contre les Juifs (…) mais que les hommes d’Eglise et leurs fidèles sont innocents ».

On comprend que dans un tel contexte le Conseil suprême de l’Eglise évangélique allemande, qui reçoit en octobre 1945 à Stuttgart XE "Stuggart" des représentants étrangers du Conseil oecuménique mondial, XE "Conseil oecuménique mondial" se soit cantonné dans des généralités. « Pendant de longues années nous avons combattu au nom de Christ contre l’esprit qui trouva son expression la plus horrible dans la violence du régime national-socialiste. Nous nous accusons de ne pas avoir témoigné plus courageusement, prié plus fidèlement, cru plus joyeusement et aimé plus ardemment ». Pourtant, malgré sa prudence extrême, cette déclaration fut dénoncée par de nombreux protestants comme l’admission « d’une culpabilité dans la guerre » et même comme un « nouveau Versailles ».

Dans un compte-rendu de la réunion du Conseil des frères à Darmstadt XE "Darmstadt" en juillet 1947, on peut lire : « Quand Israël crucifia le Messie, il rejeta sa propre élection et son destin (…) Par le Christ et depuis le Christ, le peuple élu n’est plus Israël, mais l’Eglise ». Il y eut des discussions sur « la Question juive ». Mais il fut décidé de ne rien mentionner concernant le meurtre des Juifs dans la déclaration finale. Comment reconnaître la moindre culpabilité si le sujet de celle-ci n’est même pas évoqué ?

Il faut attendre cinq années après la fin de la guerre pour que l’EKD brise enfin le silence. Elle publie une déclaration en conclusion du Synode de Berlin Weissensee XE "Synode de Berlin Weissensee" de 1950. Sur l’antijudaïsme, l’EKD déclare : « Nous croyons que la loyauté de Dieu envers son peuple élu demeure même après la crucifixion du Christ ». Sur la Question juive : « Nous reconnaissons que par omission ou silence nous sommes aussi coupables devant le Dieu de miséricorde des crimes commis contre les Juifs par des citoyens de notre pays (…) Nous demandons à tous les chrétiens d’abandonner toute forme d’antisémitisme et lorsqu’il renaît de lui résister vigoureusement et d’avoir une attitude fraternelle envers les Juifs ». L’EKD ne reconnaît qu’une culpabilité « passive », mais aucune complicité. Sa déclaration, pourtant très modérée, fera l’objet de nombreuses controverses.

Il faudra attendre les années 1960-70 pour que des théologiens révisent en profondeur l’attitude de l’Eglise envers le judaïsme. Otto von Harling Jr XE "Harling Jr Otto von" , le responsable de la « Question juive », explique cette « frilosité » de l’Eglise. En 1947, il recommande au Conseil des Frères de ne pas se précipiter pour faire une déclaration sur la Question juive, car il n’est pas préparé et que l’Eglise pourrait le regretter plus tard.

Il faut avant tout rassembler toutes les bonnes volontés, sans s’attarder à déterminer, comme le dit un pasteur, « qui avait encore une base de croyance chrétienne parmi tous ceux qui voulaient revenir à l’Eglise ». L’antisémitisme toujours très vif parmi les fidèles, l’antijudaïsme dogmatique des théologiens ainsi que la volonté d’oublier un passé condamnable expliquent sans les excuser les « silences coupables » du protestantisme allemand après guerre.

Marc-André Charguéraud



Notes


Evangelische Kirche in Deutschland ( EKD )
BUCHHEIM Hans, Glaubenskrise im Dritten Reich, Stuggart 1953, p. 51. Voir les précédents articles sur les « Chrétiens nazis » et sur L’Eglise confessante.
ERICKSEN Robert et HESCHE Susannah, Betrayal, German Churches and the Holocaust, Fortress Press, Minneapolis 1999, p. 10.
BRUMLIK Micha, Post Holocaust Theology, German Theological Responses since 1945, in ERICKSEN Robert & HESCHEL Susannanh, op. cit. p. 174. HOCKENOS Matthew, A Church Divided, German Protestants Confront the Nazi Past, Indiana University Press, Bloomington and Indianapolis, 2004, p. 151-153.
HOCKENOS Matthew, op. cit. p. 151.
BARNETT Victoria, For the Soul of the People, Protestants Protest Against Hitler, Oxford University Press, New York-Oxford, 1992, p. 198.
IBID. p.199.
IBID. p. 211.
HOCKENOS, op.cit. p. 10. Evêché de Theophil Wurm, président de l’Eglise évangélique allemande.
BARNETT, op. cit. p. 109. HOCKENOS, op. cit. p.172.
BERGEN Doris, Twisted Cross, The German Christian Movement in the Third Reich, University of North Carolina Press, Chapel Hill and London 1996, p. 60. Allusion au Traité de Versailles de 1918 qui “ruina” l’Allemagne défaite.
HOCKENOS, op. cit. p. 153
IBID. p. 118.
BARNETT, op. cit. p. 234.
BRUMLIK op. cit. p. 175. HOCKENOS, op. cit. p. 169.
ERICKSEN, op. cit. p. 19.
HOCKENOS, op. cit. p. 137.
BERGEN, op. cit. p. 60




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 avril 2014 : 15:00

Voici le dernier article - Avril 2014 de Marc-André Charguéraud. Ci-dessus, voir sa derniere parution "La Shoah revisitee"

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Mouvements occidentaux pro-nazis
et antisémites.
1920-1945

Des crimes commis sans pression allemande.



Dans les Etats démocratiques, les partis fascistes ont eu un rôle important dans ce qu’un historien appelle « la rage antijuive ».
Pendant l’entre-deux-guerres, presque dans tous les pays de l’Europe occidentale existe un parti fasciste antisémite qui se réclame du national-socialisme. Ils sont certes minoritaires, mais chacun connaît le danger de minorités bien organisées et déterminées, capables de déstabiliser un régime. Pour nombre d’entre eux, le parti nazi se trouve juste au-delà de la frontière, prêt à apporter son aide.

En Suède, c’est le NS Volkpartie, au Danemark le parti National Socialiste Danois, en Finlande le Mouvement agraire antisémite Lappo, en Norvège le Rassemblement Nationaliste avec à sa tête Vidkun Quisling qui deviendra le chef du gouvernement lors de l’occupation. En Angleterre c’est Oswald Mosley qui dirige les Chemises noires de l’Union Britannique des Fascistes.

Le Nationaal-Socialistische Beweging (NScool smiley en Hollande regroupe 100 000 membres, soit 1,25% de la population. En Belgique, le Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV) compte également 100 000 membres. Pour se situer au même niveau, la France, dont la population est cinq fois plus importante que celle de la Belgique ou de la Hollande, aurait dû compter 500 000 fascistes. On est loin du compte. Les principales organisations fascistes, le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, et le Mouvement national révolutionnaire ne dépassent pas ensemble 65 000 membres à la vieille de la guerre.

Aucun des partis français n’a adopté les thèmes politiques du National-Socialisme. Le fossé creusé vingt ans plus tôt par la Grande guerre dans l’opinion publique est bien trop profond. Déat et Doriot sont à l’origine des dirigeants marxistes militants. Or les pires ennemis des nazis, avant même les Juifs, ce sont les marxistes. Les deux hommes ont été les soutiens déclarés de la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme (LICA), la grande organisation philosémite. « Doriot fut le héros et le leader des grandes campagnes antimilitaristes lancées par le parti communiste au cours de la décennie 1920 ». « Déat, pacifiste depuis toujours. Figure de proue du pacifisme français de la fin des années 1930 », écrit l’historien Simon Epstein. Tous les deux sont en 1938 « munichois ». C’est le fameux cri de Déat en 1939 : « Mourir pour Dantzig, non ! » Paradoxalement, l’occupation de la France va les faire basculer dans le camp des mouvements fascistes pro-nazis antisémites.

Aux Etats-Unis le soutien aux nazis prend au seuil de la guerre sa forme la plus spectaculaire. Le nom même du principal mouvement fasciste, German American Bund , affiche son allégeance à l’Allemagne. Des cohortes d’Américains, bottés de noir, uniformes bruns, portant brassards et drapeaux frappés de la croix gammée, descendent au pas de l’oie la cinquième avenue à New-York. Plus impressionnant encore, un rallye se tient le 20 février 1939 au Madison Square Garden à New-York. Plus de 22.000 manifestants conspuent Roosevelt et se lèvent aux cris de Heil Hitler. Des oriflammes à croix gammée flottent au vent. Les orateurs glorifient Hitler et l’Allemagne nazie, condamnent le communisme et appellent à l’élimination des Juifs.

Avec l’occupation allemande, les mouvements fascistes passent des déclarations et des manifestations à une action antisémite dure, souvent meurtrière. En Hollande et en Belgique, dès l’automne 1940, aux côtés de la police nationale, des unités fascistes nationales ont été le principal soutien des activités antijuives de la Gestapo. Le 11 septembre 1940 déjà, Mussert, le chef du Nationaal-Socialistische Beweging (NScool smiley, crée une formation de SS hollandais. En août 1944 ces SS nationaux comptent 4 000 membres et plus de 4 000 sympathisants.
En février 1941, près d’une année avant le début de la Shoah, des unités paramilitaires du NSB attaquent des restaurants et cafés juifs d’Amsterdam. La police n’intervenant pas, de jeunes Juifs organisent leurs propres groupes de défense. Le 11 février 1941, lors d’une bagarre entre les deux groupes, un membre du NSB est tué. La police allemande intervient et 389 Juifs sont envoyés à Mauthausen. Aucun ne survivra. Haans Albin Rauter, chef de la Gestapo en Hollande, crée en mai 1942 une Police volontaire auxiliaire sous ses ordres directs. Forte de 2 000 Hollandais, elle se compose de SS et de SA du NSB. Leur seule mission, traquer et arrêter les Juifs. Rauter est satisfait. Il écrit à Heinrich Himmler, le chef de la Gestapo à Berlin : « Les nouveaux escadrons de la police hollandaise font merveille en ce qui concerne la question juive et arrêtent des Juifs par centaines, jour et nuit ».

De leur propre initiative des groupes de membres du NSB se constituent dans le seul but de « débusquer » et de se « saisir » de Juifs qu’ils remettent aux Allemands contre paiement de primes. Leur capacité à produire un maximum de résultats est effarante. La Henneike Column avec seulement 35 hommes est arrivée à arrêter ou faire arrêter 3 400 Juifs en moins de six mois. Ses méthodes sont si brutales, mêlant chantages, tortures, extorsions, que les Allemands mettent fin à ses activités en septembre 1943.

En Belgique, des mois avant la Shoah, des centaines de militants du Vlaamsch National Verbond (VNV) organisent un vrai pogrom à Anvers. Ils mettent à sac le quartier juif d’Anvers, incendient deux synagogues, brûlent les rouleaux de la Tora et mettent le feu à la maison du rabbin Rottenberg.

Les « Mouvements de l’ordre nouveau », lisez pronazis, nombreux, particulièrement en pays flamand, comblent les insuffisances de la police régulière. Les plus radicaux sont les membres de la VNV. Une série d’organisations antisémites moins importantes les complète, telles que le Volksverwering, le Anti-Joodsch Front, le Nationaal Volksche Beweging. Ces activistes ne feront jamais défaut à la Gestapo. Les formations de combat du Rex de Léon Degrelle sont directement rattachées aux SS. Elles s’occupent d’abord du repérage des Juifs avant d’être autorisées à opérer des arrestations en fin 1943. « Une bande de crapules, traîtres à la patrie belge » seconde la Gestapo dans sa triste besogne, s’insurge en novembre 1943 Le Flambeau, une publication de la résistance.

En France les mouvements fascistes n’ont joué qu’un rôle secondaire dans les arrestations. Leur principale intervention, ce sont les 300 à 400 militants du PPF de Doriot qui, en uniforme, participent à la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942. Les fascistes français prêts à rejoindre des milices antijuives sont peu nombreux. Les archives de la Police aux Questions Juives montrent qu’il y eut un manque de candidats pour entrer dans les rangs de cette police raciale.

Déat comme Doriot se limitent à des déclarations antisémites violentes. La presse du RNP publie des articles violemment antijuifs pendant l’été et l’automne 1942. Les dirigeants exigent que les Juifs soient rejetés de la nation. En août 1942, Déat tient un discours raciste sur le « sol », le « sang » et la « race », parlant « d’un élevage rationnel et sélectionné de petits Français » ; il évoque au passage les « stérilisations ». Doriot est plus brutal. Dès juin 1941, il déclare sans ambages : « Moi je veux que notre race redevienne la race française pure. Par conséquent j’interdis aux Juifs de se marier avec une Française ». Au congrès de 1942, Doriot réclame l’adoption et l’application d’un programme raciste qui mette les Juifs français au ban de la nation, en attendant une solution « européenne » sur leur sort.

Les deux leaders fascistes pensent plus à une réussite politique qu’à devenir des chefs terroristes. Déat devient l’éphémère ministre du Travail de Laval en mars 1944. Doriot suit le maréchal Pétain en fuite à Sigmaringen en fin 1944. Le 8 janvier 1945, il y lance « un Comité de libération française » qui doit lui permettre de prendre le pouvoir. Peu après il meurt d’un mitraillage sur les routes allemandes.

« Les SS flamands ont dépassé les Allemands en férocité », écrit un historien israélien. Pire, ils se proclamèrent eux-mêmes bourreaux sans la moindre pression politique. Des hommes sans loi ni aveu. Il faut dénoncer ces milliers de criminels qui sont largement restés dans l’ombre.


Marc-André Charguéraud




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 14 mai 2014 : 22:28

La cinquième colonne arrive en Amérique. 1940-1941.

Un frein important à l’accueil des réfugiés


Les victoires soudaines et stupéfiantes de l’Allemagne en Norvège, aux Pays-Bas, en Belgique et avant tout en France, ont donné aux populations le sentiment que des conspirations expliquent une partie du succès des Allemands. La coupable est rapidement identifiée, c’est la politique libérale d’immigration de la France et son accueil de réfugiés-espions. Le mythe de la « cinquième colonne » est né. Il va faire rage, engendrant la méfiance malsaine de son voisin et une véritable hystérie collective. Cet affolement irrationnel va traverser l’Atlantique, soulevant une profonde aversion envers les réfugiés d’Europe, ceux qui sont déjà arrivés comme ceux qui cherchent à échapper aux griffes de la Gestapo. Les Juifs sont les plus nombreux concernés.

Avec son autorité, son prestige, sa crédibilité, le président Roosevelt attise cette peur irraisonnée. Au cours d’une causerie au coin du feu, publiée par le New York Times le 26 mai 1940, il assure qu’« aujourd’hui notre sécurité n’est pas seulement menacée par des armes militaires. Nous connaissons les nouvelles méthodes d’attaque, le cheval de Troie, la cinquième colonne qui trahit une nation qui n’est pas préparée à la traîtrise. Les espions, les saboteurs et les traîtres sont les acteurs de cette nouvelle stratégie. Avec tous nous devons agir et nous agirons avec vigueur ».

Au cours d’une conférence de presse le 5 juin, Roosevelt précise que des réfugiés-espions sont recrutés par le gouvernement allemand sous la menace. « Vous devez vous acquitter de telle mission d’espionnage et si vous ne faites pas des rapports réguliers à des agents dans le pays où vous allez vous établir, nous sommes tout à fait désolés mais nous seront forcés d’arrêter et de fusiller votre vieux père ou son épouse ». Le président continue : « Les réfugiés doivent être contrôlés parce que, malheureusement, parmi eux il y a des espions. (…) Tous ne sont pas des espions volontaires. (…) Parmi les réfugiés juifs, il s’est trouvé, sans risque d’erreur, nombre d’espions ». Une des rares fois, avant 1944, où Roosevelt évoque des « réfugiés juifs », il les accuse publiquement d’être des instruments de la subversion.

L’opinion publique lui emboîte le pas. Un sondage d’opinion publié par le magazine Fortune en juillet 1940 montre que 70% des Américains pensent que l’Allemagne est en train de constituer une cinquième colonne aux Etats-Unis. Un témoin bien informé, William Bullitt, ambassadeur américain en France, renforce cette névrose sociale. Il écrit dans le New Republic du 31 août 1940 : « Plus de la moitié des espions, capturés alors qu’ils espionnaient l’armée française, étaient des réfugiés du Reich. Croyez-vous qu’il n’y ait pas d’agents nazis et communistes de la sorte aux Etats-Unis ? »

Le relais est pris par la presse. Pendant l’été et l’automne 1940, le New York World Telegram, la Pittsburg Press, le New York Post et le New York Journal of the American publient une série d’articles qui détaillent comment « la cinquième colonne se renforce jour après jour ». Edgard Hoover, chef des services américains d’investigation et de renseignement (FBI), met de l’huile sur le feu. Dans un article de l’American Magazine, il sème la panique : « Usines sabotées (…) navires brûlés (…) machines démolies (…) voies ferrées détruites. Dans une guerre d’une violence sans limite, la cinquième colonne est en marche (…) les saboteurs envahissent l’Amérique ».

Parmi des hauts fonctionnaires, des voix s’élèvent pour dénoncer le danger. « Je suis profondément convaincu que notre politique d’admettre de très nombreux soi-disant réfugiés est douteuse et qu’avant que la guerre ne soit terminée, nous aurons lieu de regretter ce geste d’humanité, qui selon toute vraisemblance aura pour résultat d’importants sabotages, des pertes de vie et de propriétés américaines et une certaine paralysie de notre programme de défense ». Ainsi s’exprime le 8 mai 1941 Lawrence Steinhardt, ambassadeur américain à Moscou.

Avec peu de succès, un certain nombre de journaux essaient de calmer le jeu. Un climat malsain de suspicion s’installe dans tout le pays. Chacun surveille son voisin et l’on compte chaque jour des centaines de dénonciations. Le ministère de la Justice se plaint de devoir faire la chasse à ces détectives amateurs pour mettre fin à l’affolement collectif. Un rapport du Ministre de la Justice constate que les Américains s’intéressent plus à la cinquième colonne qu’aux nouvelles de la guerre. Il conclut : « Si la cinquième colonne aux Etats-Unis avait engagé un million d’excellents publicitaires pour créer une hystérie (…) ils n’auraient pas fait mieux ».

Les Etats-Unis avaient entrouvert leurs portes dans la mesure où leurs immuables quotas d’immigration le permettaient. Alors que les persécutions contre les Juifs du Reich redoublent et s’étendent en Europe, ce temps est révolu. Hélas, rien ne change. En 1941, la moitié du quota d’immigration n’a pas été utilisée. Un climat de chasse aux sorcières empêche l’Amérique en paix de jouer le rôle d’un havre de sécurité et donne un mauvais exemple aux autres états neutres.

Les menaces de la cinquième colonne ont aidé Roosevelt à obtenir le soutien populaire nécessaire à la préparation de la guerre. Mais elles ont créé un environnement hostile à l’admission des réfugiés d’Europe et des Juifs au premier rang, alors que le pays abrite de loin la plus grande communauté juive au monde.

Une note de juin 1941 de Breckenridge Long, le responsable du problème des réfugiés au Ministère des Affaires étrangères reflète l’atmosphère qui règne. « Nous pouvons retarder et même arrêter temporairement ou d’une façon définitive l’entrée des immigrants aux Etats-Unis. Nous pouvons le faire simplement en avisant nos consuls de mettre un maximum d’obstacles et d’utiliser tous les moyens administratifs pour retarder l’octroi d’un visa ».

Ces obstacles, ce sont de nouvelles mesures administratives qui rendent l’obtention d’un visa d’immigration encore plus impossible. Sont refusés, par exemple, tous les candidats « dont un parent au premier degré (…) réside encore dans un pays ou un territoire sous le contrôle d’un gouvernement qui est opposé à la forme de gouvernement des Etats-Unis ». La majorité des candidats au départ est ainsi éliminée. Dorénavant toutes les demandes de visa doivent être envoyées avec leurs annexes en six exemplaires à des comités interdépartementaux de contrôle à Washington. En décembre 1943, le parlementaire Emmanuel Celler juge que « ces comités ont été comme des glaciers dans leur lenteur et leur sang-froid. Cela prend des mois et des mois pour accorder un visa qui généralement correspond à un cadavre ».

L’espionnite place la sécurité américaine avant tout. L’isolationnisme triomphe et les réfugiés sont relégués au second plan. Les Américains ne veulent pas aller en guerre contre Hitler, alors ils cherchent un ennemi à combattre. « Incapable de se mettre d’accord pour agir contre une ennemi extérieur, le pays chasse les membres de la cinquième colonne à l’intérieur ». Les Juifs sont les victimes de cette phobie irraisonnée. Nombreux sont ceux qui, attendant vainement le visa sauveur d’Amérique, ont vécu cloîtrés et apeurés craignant à tout instant que la Gestapo ne frappe à leur porte.

Marc-André Charguéraud




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 14 mai 2014 : 22:35

Marc-André Charguéraud : Un historien protestant de la Shoah.


Historien, spécialiste de l’histoire des victimes de la Shoah, il porte un regard différent des historiens "classiques", de plus le regard d’un protestant qui a participé aux sauvetage de juifs au Chambon-sur-Lignon.

Marc-André Charguéraud publie des articles mensuels sur son blog La Shoah revisitée.

Le blog : la.shoah.revisitee.org

Dans ces articles, souvent issus de ses livres, il veut "dénoncer les mythes, d’éviter les préjugés, de briser les tabous, de dévoiler des paradoxes et d’exposer des situations trop souvent ignorées".
Un article de quatre pages parait chaque mois sur une situation spécifique. A la fin de chaque article le lecteur peut intervenir.
Vous pouvez les lire directement chaque mois sur le blog ou vous abonner pour les recevoir par mail.

Son site personnel présente ses ouvrages sur la Shoah, plusieurs d’entre eux ont été recensés de manière élogieuse dans Sens, la revue de l’AJCF.
Le site : [andre.chargueraud.fr]


Biographie :

Né en 1924 dans une famille protestante française, Marc-André Charguéraud est diplômé de Sciences politiques et licencié en droit (Paris). Il est titulaire d’un Master of Business Administration (Harvard).

Durant la Seconde Guerre mondiale, Marc-André Charguéraud fut engagé volontaire dans la première armée française en 1944. Par la suite il a dirigé et présidé plusieurs sociétés en France, en Allemagne et en Suisse. Il a participé, d’août à novembre 1942, au Chambon-sur-Lignon à la protection des juifs qui fuyaient les arrestations à Lyon. Pendant les mois qui ont précédé la libération de Paris, il a dû vivre caché à un double titre. D’abord parce que, réfractaire au Service du travail obligatoire en Allemagne, il ne possédait que de faux papiers. Ensuite parce que son père, haut fonctionnaire des Affaires étrangères démissionnaire, figurait sur les listes de la Gestapo des personnalités à arrêter en cas de débarquement allié.


source : le site de l’auteur

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 06 juin 2014 : 19:06

Voici de Andre Chargueraud l'article de juin 2014.

Quelques remarques sur un sujet qui a opposé les meilleurs historiens de la Shoah.

Quand Hitler a-t-il décidé la Shoah?
1920-1941.

Hypothèses et réalités




Quand Hitler a-t-il décidé la Shoah?
1920-1941.

Hypothèses et réalités


Pendant les années soixante à quatre vingt, des débats, des controverses devrait-on dire, ont opposé les meilleurs historiens de la Shoah. Lucy Davidowicz et Eberhard Jäckel ont été les chefs de file du mouvement des “intentionnalistes“. Ils estiment qu’Hitler dès les années vingt avait arrêté son programme de liquidation des Juifs d’Europe. Les “ fonctionnalistes“ emmenés par Martin Broznat et Christopher Browning pensent au contraire qu’avant 1941 il n’existait pas chez le Führer de volonté arrêtée d’extermination.

Cette polémique a fait couler des fleuves d’encre, et a donné lieu à des colloques sans fin. Des livres, souvent conséquents, ont été publiés récemment encore par des historiens « fonctionnalistes ». Ils cherchent la date précise à laquelle Hitler a pris sa décision en 1941. Une décision, qui étant donné son importance et ses conséquences majeures, ne pouvait être prise que par Hitler.

Les arguments ne manquent pas pour animer ces discussions auxquelles les Allemands ont donné le nom de Historikerstreit (débat d’historiens). Pour les intentionnalistes, la politique juive des années trente n’est qu’une préparation méthodique et calculée pour arriver au génocide. Les discontinuités dans l’action qui ont pu être constatées ne sont dues qu’à des raisons politiques tactiques et ponctuelles. Le but final n’a jamais été perdu de vue. Les « fonctionnalistes » réfutent cette thèse. La diversité et les contradictions de la politique juive de Hitler dans les années trente démontrent au contraire l’absence de préméditation. Défendant cette position, Martin Broszat estime incompatible de vouloir forcer les Juifs à émigrer lorsque l’on a décidé de les exterminer. Il voit dans la mise en place progressive de la solution finale « une série d’enchaînements rendus possibles par les hostilités ».

Chaque camp se réfère aux déclarations et aux écrits d’Hitler pour justifier son engagement. Les menaces proférées par Hitler lors d’un grand meeting le 30 janvier 1939 sont emblématiques : « Si la finance juive internationale (…) parvient une fois de plus à plonger les peuples dans une guerre mondiale, alors la conséquence n’en sera pas la bolchevisation du monde, mais au contraire la destruction de la race juive en Europe ». Pour les « fonctionnalistes », il faut comme lors de précédentes interventions du Führer, prendre cette déclaration à la lettre. Pour leurs contradicteurs « bon nombre de ces déclarations doivent être considérées comme des symboles de combat destinés à mobiliser et à galvaniser les partisans ». Menaces et élans verbaux des politiques sont-ils jamais mis en pratique ?

Aucun des protagonistes n’a réussi à apporter une réponse suffisamment documentée, sinon le débat n’aurait pas duré des décades sans aboutir. On ne s’en étonnera pas. Les indices existants sont trop fragiles. Au-delà des menaces, Hitler ne s’est jamais prononcé clairement sur la question de l’extermination des Juifs. Aucune archive, aucun écrit suffisamment précis n’ont été trouvés. « On reste dans le domaine de la probabilité plutôt que de la certitude ».

Ne doit-on pas revenir à une démarche plus modeste et moins spéculative et adopter une troisième voie, celle des réalités vécues ? La voie de ceux que l’on appellerait les « réalistes ».

Un décret du 23 octobre 1941 signé Heinrich Himmler interdit l’émigration des Juifs de tous les territoires dominés par l’Allemagne. Il met fin à la politique nazie d’expulsion des Juifs qui a débuté dès 1933. L’Etat leur rendait la vie impossible, ils n’avaient d’autre choix que de fuir. On en compte des centaines de milliers avant le début de la guerre. S’y ajoutent quelques dizaines de milliers qui sont expulsés pendant les deux premières années du conflit.

La guerre se déchaînant, il devient difficile d’obtenir les visas et les moyens de transport nécessaires pour échapper aux nazis. Alors, utilisant des moyens « musclés », la Gestapo organise elle-même ce qui devient des opérations de déportation. L’exemple des 22 000 Juifs d’Alsace-Lorraine, recensés, arrêtés et expulsés par la Gestapo vers la zone libre française, illustre cette nouvelle politique. La Gestapo ne fait rien d’autre, lorsqu’elle sélectionne et affrète de vieux rafiots, qu’elle envoie surchargés de Juifs au fil du Danube vers la Palestine. 14 000 y arriveront. Près de 3000 « sont morts noyés, assassinés, ou encore morts de froid et autres vicissitudes ». Un dernier exemple, celui des 7 650 Juifs allemands expulsés du Palatinat et du Pays de Bade. Par la ruse et la force ils sont refoulés à travers la frontière dans sept trains qui forcent le passage vers la zone libre française.

A l’Est, à la suite de l’occupation de la Pologne en septembre / octobre 1940 par la Wehrmacht, le « problème juif » prend une autre dimension. Les 3 300 000 Juifs polonais plus que triplent le nombre de Juifs sous domination allemande. Une nouvelle solution s’impose. La Gestapo va créer d’immenses ghettos dans le “Gouvernement général” à l’Est de sa zone d’occupation en Pologne. Des centaines de milliers de Juifs polonais y sont emprisonnés, des dizaines de milliers de Juifs du Reich y sont déportés. Des ghettos où le travail forcé, la maladie, des conditions de vie atroce, une maltraitance journalière conduisent souvent à la mort. L’historien Martin Gilbert avance des chiffres : « De septembre 1939, début de la guerre, au 22 juin 1941, début de l’offensive allemande en URSS, (...) environ 30 000 civils juifs ont péri » dans ces ghettos. On ne peut pas encore parler ici de génocide. Les massacres systématiques d’une ampleur jamais vue n’ont pas encore commencé, même si les prémisses de la Shoah sont déjà là. On pourrait ajouter « la Shoah n’a pas encore été décidée ». Sinon, s’interroge Browning, « pourquoi laissa-t-on aux millions de Juifs polonais qui étaient aux mains des Allemands depuis l’automne 1939 un sursis de trente mois à leur exécution ? »

En juin 1941, avec le déclenchement de l’offensive allemande contre l’URSS, la politique nazie bascule, les massacres commencent. Pendant les six derniers mois de l’année, entre 500 000 et 800 000 Juifs sont tués en URSS par des unités spécialement conçues pour cette tâche : les Einsatzgruppen. Lorsque dans un pays une population identifiable d’hommes, de femmes et d’enfants est assassinée en si grand nombre, en si peu de temps, il s’agit bien d’un génocide. La Shoah russe a commencé six mois avant celle d’Europe. L’historien Edouard Husson l’appelle « la première Shoah ». Ce fut une « Shoah par balles », ce qui la différencie de la Shoah européenne qui eut principalement recours aux chambres à gaz et aux crématoires.

Pendant ces six mois, aux massacres de centaines de milliers de Juifs s’ajoute celui de plusieurs centaines de milliers de civils et de prisonniers de guerre russes. Certes, incomplètes, des informations sur ces tueries sont arrivées en Allemagne. Des soldats en permission ou blessés de retour, ont témoigné en privé de ce qu’ils ont vu. Jusqu’à la déclaration de guerre aux Etats-Unis de Hitler, le 11 décembre 1941, les diplomates et les journalistes américains étaient présents dans le Reich. Ils en surent suffisamment pour provoquer des réactions de Washington qui ne vinrent jamais. Ce silence a encouragé le Führer à étendre le génocide à l’Ouest.

En Europe la décision de la mise en œuvre de la Shoah date clairement d’octobre 1941. Le décret du 23 octobre 1941 dont il a déjà été question interdit l’émigration des Juifs de tous les territoires dominés par l’Allemagne. Il met fin à la politique d’expulsion que le Reich mène depuis 1933. Le 15 octobre 1941 la décision de construire le premier camp d’extermination, celui de Bergen-Belsen, est prise. La « Shoah par gazage » est décidée. Les premiers gazages de Juifs à Auschwitz commencent la deuxième quinzaine de mars 1942.

Comme l’écrit l’historien Edouard Husson : « Il est impensable qu’un crime politique d’une telle ampleur que la Shoah, mis en œuvre dans un espace de temps aussi court, n’ait pas d’abord été dirigé par Berlin ».
Le 13 octobre 1941 Hitler le reconnaît : « Il est certain que sans moi les décisions auxquelles nous devons aujourd’hui notre existence n’eussent pas été prises ». Il est intellectuellement intéressant de savoir quand il a pris sa décision d’exterminer tous les Juifs d’Europe. Mais cela ne change rien à ce qui s’est passé, car personne à l’époque n’en a été conscient.


Andre Chargueraud

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 02 juillet 2014 : 16:54



L’Aliya n’était pas pour les Juifs américains.
1948-1952.

Malgré les appels de Ben Gourion, peu de sionistes américains iront en Israël
rejoindre les survivants de la Shoah.

par Marc-André Charguéraud




Trois ans et demi après la création de l’Etat d’Israël, Ben Gourion, son président, est amèrement déçu. Il écrit le 24 septembre 1951 à Bernard Rosenblatt, un vétéran du sionisme : « J’ai mentionné dans mes déclarations aux dirigeants du sionisme américain ma déception que pas même cinquante d’entre eux n’aient émigré en Israël depuis que l’Etat a été créé ». Un chiffre insignifiant pour les Etats-Unis, un pays où vivent 5 600 000 Juifs, la plus grande communauté juive du monde.

Ben Gourion avait espéré que de nombreux Juifs américains, dont la grande majorité avait montré leur attachement indéfectible au sionisme, viendraient avec enthousiasme participer à la construction de l’Etat d’Israël. Pour renouer avec leur terre ancestrale, pour retrouver leurs racines culturelles et religieuses, pour contribuer à la survie d’un Etat menacé. La grande majorité des Juifs américains n’étaient-ils pas d’ardents militants sionistes ? N’appartenaient-ils pas à une communauté qui par son engagement politique et sa générosité financière avaient rendu possible la création d’Israël ?

Ben Gourion est angoissé par la faiblesse numérique de la population juive d’Israël. Le 1er septembre 1949, il lance un appel à l’American General Federation of Labour : « Aujourd’hui il ne se trouve en Israël que 900 000 Juifs et notre prochaine tâche ne sera pas plus aisée que la création de l’Etat d’Israël. Elle consiste à faire venir tous les Juifs en Israël (…) Nous appelons principalement les jeunes des Etats-Unis et des autres pays à nous aider à accomplir cette mission. Nous demandons aux parents de faire venir leurs enfants ici. Même s’ils refusent de nous aider, nous amènerons ces jeunes en Israël, mais nous espérons que cela ne sera pas nécessaire ».

Cet appel teinté de menace lui vaut une volée de bois vert. Joseph Proskauer, président de l’American Jewish Committee, écrit le 5 octobre 1949 à Ben Gourion : « Pour des raisons évidentes, des gens comme moi ne peuvent pas demander des contributions financières à des Américains si une partie de ces fonds est utilisée pour réaliser un but aussi anti-américain que l’émigration de tous les Américains (juifs) vers Israël ». Proskauer avait déjà prévenu Israël au début mai 1949 : « Nous avons certainement le droit de décourager avec vigueur toute propagande israélienne pour l’émigration d’Amérique…»

De son côté Daniel Frisch, président de la Zionist Organisation of America, déclare à un rallye sioniste en octobre 1949 : « Les Juifs d’Amérique sont partie intégrante de la communauté américaine. Leur foyer est en Amérique. Pour eux, la création d’Israël, c’est la réalisation historique des aspirations du peuple juif…» En d’autres termes, ne demandez pas aux Juifs d’Amérique de venir en Israël, ils sont très heureux chez eux, Israël ne leur est pas destiné.

Les dirigeants israéliens restent tourmentés. En décembre 1949 à l’occasion de la célébration du millionième immigrant juif, le Jewish Morning Journal rapporte une déclaration d’Eliahu Dobkin, le responsable de l’immigration à l’Agence juive. Il parle « avec amertume des Juifs d’Amérique et des autres démocraties occidentales ». D’où va venir le second million d’Israéliens ? Pour Dobkin, il ne faut pas compter sur les pays arabes ni sur ceux derrière le rideau de fer. « Quant aux Juifs américains ce sont des sionistes philanthropiques. Ils ne pensent pas au sionisme pour eux-mêmes, la renaissance du pays, ce n’est pas pour eux, c’est pour les autres ». Il reflète ainsi l’opinion de leaders israéliens lorsqu’ils déplorent l’indifférence des Américains pour l’Aliya. Toutefois, Dobkin se trompe en ce qui concerne les Juifs de l’Europe communiste et des pays arabes.

La déclaration Dobkin est elle aussi mal reçue. Un officiel explique que pour les Américains « non seulement il n’y a aucune raison qu’ils partent de leur pays, mais même la suggestion qu’ils immigrent en Israël leur semble insultante et même pire elle est ressentie comme de la propagande destinée à jeter un doute sur leur loyauté envers leur patrie ».

Les mois passent et les autorités israéliennes restent inquiètes de la faiblesse de la population juive du nouvel Etat. Lors d’une réunion des ambassadeurs en fin juillet 1950, Moshe Sharett, le chef du Département politique de l’Agence juive, expose la problématique : « Si nous n’augmentons pas notre population, nous ne serons pas à même de maintenir notre position et de la développer dans les domaines économique et culturel (…) Il ne fait aucun doute que nous devons faire quelque chose, même si la majorité des Juifs doit rester dans la Diaspora ». Sans le dire expressément, Sharett pense lui aussi à l’importance politique primordiale d’une population juive plus nombreuse face aux millions d’Arabes palestiniens.

Pourquoi des sionistes américains auraient-ils émigré en Israël, alors que de nombreux dirigeants juifs des camps de Personnes Déplacées dans les zones d’occupation alliées en Allemagne ont finalement opté pour aller aux Etats-Unis plutôt qu’en Israël ? L’historien Yehuda Bauer remarque à ce sujet la dichotomie qui existe dans les camps de Personnes Déplacées entre l’enthousiasme des sionistes qui encouragent l’Aliya mais qui finalement préfèrent émigrer à l’Ouest. Cette tendance se retrouve surtout parmi les dirigeants de ces camps. Peu d’entre eux allèrent en Israël et y restèrent.  Lorsque le camp de Bergen-Belsen ferme en juin 1949, le Docteur Hadassah Bimko et son mari Josef Rosenfeld, figures emblématiques parmi les survivants, ne sont pas allés en Israël mais se sont établis à New York.

Du fait de leur position et de leurs relations, ces chefs ont pu choisir le pays de leur immigration. La plupart optent pour les Etats-Unis. La « patrie juive » ne leur est pas destinée. Pour eux comme pour les Américains, c’est un lieu de refuge pour la grande masse des Juifs persécutés auxquels l’Occident a refusé tout choix. Les Juifs français n’ont pas d’autre langage. Comme l’écrit André Kaspi : « La création de l’Etat d’Israël est maintenant une nécessité reconnue dans tous les milieux de la communauté française, même si nombreux sont ceux qui estiment que l’Etat nouveau servira de refuge aux personnes déplacées de l’Europe centrale et orientale, pas aux Français ». En France, la plupart des Juifs continuent de voir dans la République leur foyer national : « La Palestine ? Je savais à peine où ça se trouvait, reconnaît Simone Veil. C’était peut-être un foyer pour les autres Juifs. Pas pour nous ».

Le deuxième million de Juifs, si essentiel à la consolidation et même pour certains à la survie d’Israël, arrivera de l’Europe communiste et des pays musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Ce seront des réfugiés de pays où la vie leur a été rendue insupportable. Ils fuient les persécutions et les pogroms, abandonnant tout. Les sionistes occidentaux ne ménageront pas leur peine pour les encourager, les aider financièrement et les protéger politiquement. Mais à quelques exceptions près, ils ne viendront pas sur place les épauler et participer aux batailles pour la pérennité du nouvel Etat.


Notes

GANIN Zvi, An Uneasy Relationship, American Jewish Leaders and Israel, 1948-195, University Press. Syracuse, 2005, p. 138.
2 GOLDIN, Milton, Why They Give : American Jews and their Philantropies, Macmillan, New York, 1976, p. 94.
En fait, seulement 1090 Américains émigrèrent en Israël entre 1948 et 1951.

3 GANIN, op. cit. p. 36.
4 IBID. p 39
5 IBID. p. 34
6 IBID. p. 41.
7 IBID. p. 83.
8 Plus d’un million de réfugiés juifs viendront de ces pays.

9 GOLDIN, op. cit. p. 84.
10 GANIN, op. cit. p. 60.
11 BAUER Yehuda, Jewish Survivors in DP camps. The Nazi Concentration Camps. In The Nazi Concentration Camps. Proceedings of the Fourth Yad Vashem International Historical Conference.Yad Vashem, Jerusalem, 1980, p. 503.
12 SHEPARD Ben, After Daybreak : The Liberation of Belsen, 1945, Jonathan Cape, London, 2005, p. 183.

13 KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, Paris, 1991,, p. 392.
14 WASSERSTEINn Bernard, Les Juifs d’Europe depuis 1945, Calmann Lévy, Paris, 2000, p. 102
15 Israeli Central Bureau of Statistics. Statistical Abstract of Israel, No 55. Le deuxième million est presque atteint en 1960 avec 1 911 000 Juifs.

La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 septembre 2014 : 14:05

Ces survivants de la Shoah dont
personne ne veut.
1945-1948

Les pays victorieux restent antisémites et refusent
d’ouvrir leurs portes aux survivants juifs


par Marc-André Charguéraud



Pendant les trois années qui ont suivi la victoire, seuls 12 000 survivants juifs ont été admis aux Etats-Unis, 3 000 en Grande Bretagne et pratiquement aucun au Canada. Ces chiffres sont ridiculement faibles, face aux 250 000 Personnes Déplacées juives (DP) qui croupissent dans des camps de fortune en Allemagne, la terre de leurs tortionnaires. S’y ajoutent les centaines de milliers de rescapés juifs des pays de l’Est, persécutés, victimes de pogroms et plongés dans la misère la plus abjecte. La plupart n’a qu’un rêve, fuir le plus loin et le plus vite possible.

C’est l’histoire peu connue d’un second « Abandon des Juifs ». Aucune action importante de sauvetage ne fut engagée par les pays alliés pendant la guerre. Dans les années qui ont suivi la Libération les pays victorieux auraient pu au moins ouvrir généreusement leurs portes aux survivants juifs. Il n’en a rien été.

Malgré les problèmes de reconversion de l’industrie militaire à la production civile, ces pays ont largement ouvert leurs portes aux immigrants étrangers pendant cette période. Quelque 190 000 sont arrivés aux Etats-Unis, plus de 200 000 en Grande Bretagne et quelques dizaines de milliers au Canada. Aussi inconcevable que cela paraisse, Washington accorde une priorité à des dizaines de milliers d’Allemands ethniques et Londres laisse entrer 10 000 anciens Waffen SS. Les anciens ennemis obtiennent des priorités que l’on refuse aux Juifs. Le slogan « tous sauf des Juifs » s’applique de nouveau. Des mesures d’exclusion dignes du Troisième Reich resurgissent. N’est-il pas inadmissible, après la victoire de mai 1945, de constater que la prise de conscience des exterminations en masse des Juifs n’a pas fait cesser l’antisémitisme. Qu’on en juge !

Généreux, le Président Truman décide en décembre 1945 que les DP’s seront prioritaires à l’immigration aux Etats-Unis. Un geste d’une rare hypocrisie. L’immigration reste soumise aux sacro-saints quotas de 1924. « Les quotas étaient calculés sur l’origine nationale et reposaient sur la notion de suprématie de la population nordique, ce qui ressemblait à s’y méprendre à l’idéologie nazie de l’aryanisme. Le Reich poussait dehors les Juifs pour la même raison qui rendait les Américains peu disposés à les recevoir », écrit l’historien Henry Feingold.

La recette est simple. Les quotas sont calculés sur les origines nationales de la population résultant du recensement de 1890, alors que les millions de « Slaves » de l’Est de l’Europe ne sont arrivés aux Etats Unis qu’au tournant du siècle. Résultat le quota n’admet que 6 524 Polonais par an. Or en septembre 1947, 140 000 DP’s sont Polonais. Un Polonais doit donc attendre en moyenne 10 années pour obtenir un visa américain. Désespérant !

Truman, avec un œil sur les élections à venir, est en parfaite symbiose avec l’antisémitisme d’une majorité d’Américains. En 1944, 1945 et 1946, trois grandes organisations patriotiques très influentes, les Filles de la révolution américaine, la Légion américaine et les Vétérans des guerres étrangères exigent l’interdiction totale de l’immigration aux Etats-Unis pour les prochains cinq à dix ans. Plus spécifique, une enquête Gallup en août 1946 trouve que 72% des personnes interrogées sont contre l’admission d’un plus grand nombre de Juifs. Une série d’enquêtes posent la question : « Avez-vous entendu des critiques ou des discussions contre les Juifs au cours des six derniers mois ? Oui 46% en 1940, 52% en 1942, 60% en 1944 et 64 % en 1946 ».

En Grande-Bretagne, la politique se résume à un double refus à l’arrivée des Juifs. D’abord « pour ce qu’ils sont » leur race, leur religion, leur comportement. Ensuite « par ce qu’ils font », leur désir d’aller en Palestine et la nécessité pour eux de s’opposer violemment aux Anglais qui les en empêchent. On peut lire dans un rapport de la Commission royale sur la population présenté début 1945 : « L’immigration en masse dans une société aussi établie que la nôtre ne peut être bienvenue sans réserve que si les immigrants sont de bonne facture humaine, et ne sont pas empêchés par leur religion ou leur race de se marier avec la population locale et de s’assimiler à elle ». Le mot « juif » n’est pas prononcé, mais lorsque l’on parle de sélection par la race et la religion, l’antisémitisme n’est pas loin.

Plus direct, dans un mémorandum présenté au Cabinet en novembre 1945, le ministre de l’Intérieur J. Chuter Ede conclut que « l’admission de nouveaux groupes de réfugiés, dont de nombreux seraient des Juifs, pourrait provoquer de fortes réactions de certains segments de l’opinion publique. Il y a aussi le risque d’une vague de sentiments antisémites dans ce pays ». En mars 1947, un haut responsable britannique en Autriche illustre cette politique de façon brutale et définitive : « Il nous semble plus simple et plus efficace de recruter les DP sans prendre la nationalité en compte, sauf que nous devons exclure les Juifs (…) du fait de l’opposition de l’opinion publique chez nous ».

Cette opinion publique réagit très vivement aux confrontations entre Juifs et troupes britanniques en Palestine. Des représentants de la communauté juive anglaise expriment leur consternation : « Même les observateurs les plus cyniques et les plus pessimistes n’auraient pas pu imaginer que l’Angleterre serait balayée par des accès d’antisémitisme aussi brutaux que ceux dont nous avons été témoins au cours des douze derniers mois (1946-1947) ». Pas étonnant dans ces conditions que le Jewish Chronicle de Londres écrive en mars 1946 : « Un des phénomènes les plus étonnants de notre époque est que le martyre juif, au lieu d’attirer la sympathie et la réparation universelle, a provoqué une nouvelle avalanche de sentiments antijuifs ».

Au Canada le refus d’admettre des réfugiés juifs relève de l’antisémitisme le plus primaire. En septembre 1945, A.L.Jolliffe, directeur de l’immigration, rappelle la politique raciste canadienne sans prononcer le mot de « Juif ». « Les lois canadiennes sur l’immigration prévoient une discrimination suivant la race et la classe sociale. Une certaine forme de discrimination ne peut être évitée si l’immigration doit être effectivement contrôlée pour éviter la création au Canada d’un groupe de plus en plus important d’une race non assimilable. L’interdiction de l’entrée des immigrants appartenant à une race non assimilable est nécessaire ». Sur le terrain, M.C. Bordet, major canadien responsable de camps de DP’s en Allemagne, applique cette politique. Pour lui, les Juifs « ont le plus droit à notre sympathie, mais sont certainement les personnes les plus indésirables comme immigrants ».

Une enquête de 1946 révèle que 61% des personnes interrogées sont opposées à toute immigration. Plus révélateur encore, une autre enquête la même année porte sur les « nationalités » auxquelles l’immigration au Canada doit être refusée. En tête se trouvent les Japonais, immédiatement suivis par les Juifs pour 50% des réponses. Surprenant et indigne, l’Allemagne de la Shoah, l’ennemi de l’Occident, n’occupe que la troisième place avec seulement 33% d’opinions négatives. Pas étonnant que le pays reste fermé à l’arrivée de DP juifs.

L’Occident n’a pas voulu prendre en compte pour les DP juifs « leur passé horrible, leur présent invivable et leur futur incertain ». Pendant la guerre les Alliés ont justifié leur inaction devant le massacre des Juifs en prétextant que l’information leur manquait et qu’ils s’employaient avec tous les moyens dont ils disposaient à détruire les criminels nazis. Mais maintenant, les Alliés savent qu’un génocide d’une ampleur encore inconnue a eu lieu et ils sont les maîtres du monde. Pourquoi avoir attendu trois années pour adopter une politique d’immigration plus libérale ? Une éternité pour ceux qui vivent dans des conditions indignes et qui appellent au secours. Les démocraties pouvaient-elles se résigner et admettre une nouvelle vague d’antisémitisme incontrôlée ?


André Charguéraud

Notes

1. WASSERSTEIN Bernard, Les Juifs d’Europe depuis 1945, Calmann Lévy, Paris, 2000, p. 51. BAUER Yehuda, Jewish Survivors in DP camps. The Nazi Concentration Camps. In The Nazi Concentration Camps. Proceedings of the Fourth Yad Vashem International Historical Conference, Yad Vashem, Jerusalem, 1980, p. 503. CESARINI David, Dir. Justice Delayed, London, 1990, p. 80. De mai 1945 à mai 1948.

2. PROUDFOOT Malcolm J. European Refugees 1939-1952 : A Study of Forced Population Movements, London, 1957, p. 239, 339, 341. DP’s en Allemagne, Autriche et Italie.

3. Titre de l’ouvrage de référence de David WYMAN couvrant la période 1940-1945.

4. DIVINE Robert, American Immigration Policy, 1924-1952, Yale University Press, New Haven, 1957, p. 193. Immigrants sous quota pour les années 1946, 1947 et 1948. WARHAFTIG Zorach, Uprooted, Jewish Refugees and Displaced Persons After Liberation , New York, 1946, p. 189. Cesarini, op. cit. p. 4 et 134. ABELLA Irving, PROPER Harold, None is too many : Canada and the Jews of Europe, 1933-1948, Lester & Orpen Dennys Publishers, Toronto , 1983, p. 218.

5. DINNERSTEIN Leonard, Ammerica and the Survivors of the Holocaust, Columbia University Press, New York, 1982, p. 249. Allemands ethniques (Volksdeutsche) qui vivaient dans les provinces annexées par le Reich




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 dcembre 2014 : 19:36

Les Français exemplaires
dans le sauvetage des enfants juifs.
1941-1945

La France laisse les autres pays très loin derrière elle.



par Marc-André Charguéraud


La France, « un pays exemplaire dans le sauvetage des enfants juifs », n’est-ce pas une affirmation paradoxale et provocante ? La rafle du Vél d’Hiv à Paris, les 16 et 17 juillet 1942, au cours de laquelle 4 000 enfants sont arrêtés par la police de Vichy et plus de 3 000 sont partis vers les camps d’extermination, nous rappelle les errements inexcusables du pays. Peut-on passer sous silence le crime du gouvernement français qui, pendant l’été 1942, déporte d’un territoire non occupé par les Allemands 500 enfants juifs vers la mort ? Certes non, mais les statistiques sont là et elles classent l’infamie. Malgré ses comportements odieux, la France se place de loin au premier rang des sauveteurs. Qu’on en juge !

En Europe continentale (hors URSS) environ 10% à 15% seulement des enfants juifs ont survécu à la Shoah. Ce pourcentage s’établit à 12,5% aux Pays-Bas et atteint 65% en Belgique et 86% en France. Si la « catastrophe » hollandaise s’était produite en France, ce ne sont pas 11 600 enfants juifs de France qui seraient partis pour toujours mais 73 500, près de sept fois plus ! Les arguments ne manquent pas, mais en aucun cas ils ne peuvent expliquer une différence aussi considérable. Citons-en deux qui ont été souvent mentionnés.

Le régime d’occupation allemand en Hollande ne fut-il pas infiniment plus sévère qu’en France où un gouvernement national est resté en place ? En même temps, l’on blâme, à juste titre, ce gouvernement d’avoir aidé, sans la moindre retenue, les nazis à déporter les Juifs. Ce qui est décrit comme un avantage pour la France devient un handicap. L’argument d’un pays plat en Hollande, où il est difficile de se cacher, alors que la France offre les refuges de ses montagnes et de ses campagnes, est faible. Pendant la guerre, 80% des Juifs en France vivent dans les grandes villes.

Une seconde série de chiffres montre que les résultats comparés entre la France et la Hollande sont très largement indépendants des
contraintes nationales de chaque pays. Ils confirment l’exemplarité des Français dans le sauvetage des enfants. En Hollande, en pourcentage
de leur population initiale respective, presque deux fois moins d’enfants que d’adultes ont survécu, ce qui semble logique étant donné la plus grande vulnérabilité des enfants. En France, c’est le contraire : le pourcentage d’enfants déportés est près de deux fois inférieur à celui des adultes.

Des chiffres remarquables, car, partout où Hitler possède le pouvoir, sa politique est la même. Il sait que la jeunesse est l’avenir d’un pays, d’un groupe social. Il déclare : « Dès l’instant où j’ai la jeunesse avec moi, les vieux peuvent aller moisir au confessionnal. Mais la jeunesse, c’est autre chose, c’est moi que cela regarde ». Et Adolf Eichmann, le chef de la section juive de la Gestapo, transpose cette politique en demandant que tous les enfants juifs soient liquidés, car « ils constituent sans exception un matériau biologique précieux ». Ailleurs en Europe, ces enfants ont été de loin les victimes innocentes les plus nombreuses. Persécuter, torturer, puis massacrer un peuple, c’est un crime inqualifiable. Mais s’attaquer en priorité aux enfants dépasse l’horreur. Les nazis l’avaient décidé.

Qu’en France le pourcentage d’enfants envoyés vers les camps de la mort ait été deux fois plus faible que celui des adultes a eu une conséquence capitale que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe. Environ 10 000 enfants sont restés seuls en France sans leurs parents déportés et presque tous assassinés.

Dix mille enfants sans parents, abandonnés, qui ont besoin pour échapper à la Gestapo d’être cachés, logés, nourris et aimés par des dizaines de milliers de gens de bonne volonté. Le problème des enfants prend alors une autre dimension et nécessite la mise en place en France d’une importante logistique pour les prendre en charge. Elle a été assurée avec courage et persistance par des œuvres juives clandestines dont un nombre important travaillait avec le soutien de l’Union générale des Israélites de France (UGIF) et de groupes caritatifs chrétiens. Ce sont ensuite de nombreuses organisations et familles chrétiennes ou laïques, parfois juives, qui ont accueilli ces enfants dans la durée.

Cette tâche est rendue particulièrement difficile en France où près de 75% des Juifs sont « classés » par les autorités allemandes d’occupation comme étrangers, ou apatrides. Il y a ceux qui viennent d’arriver, ceux qui sont naturalisés de fraîche date et même leurs enfants, qui, nés en France, sont bien Français, mais sont classés par les nazis dans la catégorie des étrangers. Les adultes sont trahis par leur accent, les enfants suivent le sort des parents. La plupart parlent encore yiddish en famille. Une fausse carte d’identité ne suffit plus à protéger l’enfant esseulé dont le regard s’anime au moindre propos en yiddish. Aux Pays-Bas, les Juifs étrangers ne sont que 16%, ce qui simplifie largement le problème qui vient d’être décrit.

Georges Garel, figure emblématique du réseau clandestin de l’Oeuvre de secours aux Enfants (OSE), décrit le vif sentiment de solidarité qui anime des Français pour le sauvetage des enfants : « L’enthousiasme et la foi des uns, l’expérience et la clairvoyance des autres, alliés à la générosité constante de l’Amérique n’auraient pas suffi à la tâche, si de toute part sur le sol français épuisé par la guerre n’avait jailli vers nous un élan spontané de la population française ».

Cet « élan spontané », ce sont des institutions souvent religieuses, parfois laïques et surtout de très nombreuses familles qui l’accomplissent. C’est là que ces milliers d’orphelins ont vécu des mois, parfois des années. Ces institutions, ces familles, c’est le dernier maillon du sauvetage, le maillon permanent. Héberger un enfant, c’est un acte généreux en ces temps de disette. S’il est juif, c’est aussi une décision courageuse qui met volontairement l’institution ou la famille hors de la légalité avec toutes les conséquences graves que cela implique à l’époque.

Pour un enfant caché, ce sont au moins deux, mais plus souvent quatre, cinq ou six personnes qui sont impliquées. Les orphelins juifs entrés en clandestinité avoisinent les 10 000, c’est donner l’importance du nombre de sauveteurs. Aux 2 693 Français ayant reçu du Yad Vashem le titre de Justes parmi les nations pour avoir sauvé un ou plusieurs Juifs, il faudrait d’après l’historien Lucien Lazare ajouter de 5 000 à 10 000 Justes supplémentaires.

L’historien israélien Asher Cohen a montré que « l’histoire du sauvetage est plus composée de faits individuels que de l’action des institutions. C’est l’addition de milliers d’histoires particulières qui n’ont pas été enregistrées et ne laissent le plus souvent de traces que dans la mémoire individuelle. Ce serait manquer à la vérité historique de ne pas en faire état parce qu’elles n’ont pas laissé de traces dans les archives ».

Le devoir de reconnaissance s’impose. Avec les années qui passent et l’information qui disparaît, ce devoir ne peut plus être individuel, il doit être global, pour les dizaines de milliers de personnes qui ont œuvré pour sauver les enfants.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 mars 2015 : 17:17

Les « silences » de l’Eglise suédoise.
1939-1944.


par Marc-André Charguéraud





La politique suivie par l’Eglise luthérienne suédoise qui regroupe 95% des Suédois se résume dans une déclaration de son chef l’archevêque Erking Eiden. Le 16 décembre 1942, le leader œcuménique protestant anglais William Paton lui demande d’appeler le peuple allemand à protester contre la persécution des Juifs. Eiden refuse. Il répond : « en ce qui concerne les pays neutres comme la Suisse et la Suède, je crois qu’il vaut mieux que nos voix soient conservées pour être utilisées plus tard, lorsque la guerre arrivera à son terme. Je puis vous assurer que ma prise de position n’est pas dictée par la lâcheté, mais par un désir honnête d’être un instrument de réconciliation et de bonne volonté ».

Plusieurs fois sollicité personnellement d’intervenir, il résiste à tout engagement. En février 1943 William Temple, l’archevêque de Canterbury, demande à Eiden de suivre l’Eglise d’Angleterre qui en appelle à la « conscience chrétienne en Allemagne ». Eiden refuse, arguant que cela ne servirait à rien. Il ajoute : « Il est très déprimant d’être incapable de rien pouvoir entreprendre d’utile en la matière».

Eiden est allé plus loin. Au début de l’année 1942, les Allemands s’attaquent violemment à l’Eglise luthérienne norvégienne. Dans la population et la presse suédoise le ton monte contre l’Allemagne. Eiden intervient pour calmer les esprits. Il écrit le 22 janvier 1942 : « La situation est vraiment très sérieuse. Je pense que c’est un devoir patriotique pour chacun de nous de peser ses mots avec la plus grande attention…. »

Au printemps 1944, des centaines de milliers de Juifs hongrois sont déportés vers la mort. La victoire alliée se profile et les Suédois ne craignent plus une attaque allemande. Bien que tardivement, Franklin Roosevelt et Anthony Eden, suivis par le Vatican et le Comité International de la Croix-Rouge, demandent au Régent Horty d’arrêter la déportation des Juifs hongrois à la mort. Le roi de Suède Gustaf V, dans un message daté du 30 juin, se joint à eux. Isaac Herzog, rabbin en chef de Jérusalem, demande à Eiden de faire une déclaration publique sur la situation en Hongrie. Per Anger, l’attaché politique de la Légation suédoise à Budapest, lui demande d’en appeler directement aux évêques protestants hongrois. Imperturbable, Eiden télégraphie à Herzog le 24 juillet qu’il a décidé de ne pas lancer d’appel.

Pourtant Eiden a eu très tôt des informations directes et fiables sur le génocide. La Svenska Israelmissionen (SIM), créée à la fin du XIXème a pour but de convertir les Juifs au luthérianisme. L’organisation est présente en Europe occupée et suit de près le sort des Juifs en Pologne. En novembre 1940 Birger Pernow son directeur écrit : « Devant nos propres yeux, il semble que l’ensemble de la population juive d’Europe est condamnée à la destruction ».

Dans son rapport annuel de 1939 on peut déjà lire « Combien des quelque 3,5 millions de Juifs vivent encore dans ce pays n’est pas connu. Ceux qui sont morts du fait de la guerre et des opérations de « nettoyage » se comptent certainement en centaines de milliers ». Un an plus tard le rapport annuel a prédit la fin de la communauté juive en Europe. « S’il ne se produit pas un changement dans une direction positive rapidement, il est probable que la communauté juive polonaise est condamnée à mourir. Il en est de même pour ceux qui sont déportés dans ce pays… »

Si quelques doutes subsistaient dans la conscience de Eiden, ils sont balayés lors d’une visite en Allemagne en novembre 1942. Il y rencontre Otto Dibelius, un dirigeant de l’Eglise confessionnelle, qui lui donne des détails explicites sur la politique « d’élimination systématique des Juifs » suivie par les Allemands. L’information est parfaitement sûre : un agent clandestin de l’Eglise s’est infiltré dans la SS et a assisté au processus de mise à mort.

Eiden en sait suffisamment pour intervenir et condamner. Mais pour lui mélanger politique et christianisme est une abomination. Il écrit à ce sujet : « En ce qui me concerne j’ai essayé dans mes prédications d’éviter la politique et je me suis concentré sur les questions religieuses chrétiennes (…) Je regrette que des discours politiques soient donnés pendant les sermons, qu’ils servent un pays ou un autre. Les pays sont des pécheurs comme les individus. Seul Dieu peut les juger ». Une profession de foi bien pratique qui lui sert d’alibi pour se taire.

Comme l’Eglise confessionnelle allemande, Eiden ne tolère pas le racisme nazi qui met en cause les fondements de la foi chrétienne. En 1941, il se rend compte de l’importance de cette attitude inadmissible dans de larges cercles des fidèles. Il écrit : « Ce qui me heurte profondément ce sont les attaques personnelles et virulentes de mes propres collègues. Malheureusement il semble que les attitudes pronazies ne sont pas rares parmi le clergé ». Au début 1942 il admoneste un prêtre qui se défend d’être antisémite mais se dit simplement intéressé « en biologie raciale ». Eiden lui dit : « La haine raciale est un crime contre le christianisme. Je dois clairement critiquer les actes antisémites car ils sont en conflit avec notre Seigneur ».

La situation se complique pour Eiden lorsque des publications importantes de son Eglise justifient leur soutien à l’Allemagne en faisant un amalgame entre Juifs et Soviets. Le Göteborgs Stifts-Tidning, le journal du diocèse de la seconde plus grande ville de Suède, argue que Hitler est un bon chrétien, il critique les valeurs démocratiques et compare le bolchevisme avec le judaïsme. Eiden ne le désavoue pas. Il partage avec presque tous les Suédois une hostilité profonde envers l’URSS. A l’intérieur de l’Eglise, le bolchevisme sans dieu est considéré comme la principale menace contre l’Europe chrétienne. Et pour Eiden l’Allemagne est un rempart contre ce péril. Il écrit en août 1943 à Georges Bell, l’évêque anglais de Chichester, qu’il sous-estime la menace bolchevique. « Avec la plus grande angoisse possible, j’observe que les Anglais et les Américains ne gardent pas leurs yeux ouverts sur le danger mortel du bolchevisme ».

Il ne faut pas oublier que la vie culturelle et intellectuelle suédoise reste dominée par l’influence et les valeurs allemandes. Les dirigeants religieux suédois entretiennent des rapports personnels et institutionnels étroits avec leurs contreparties allemandes. En 1934, Eiden accepte de devenir le président de l’académie Luther à Sonderhausen. Il le restera jusqu’en 1943. Il sera accusé de permettre aux nazis d’utiliser sa présence à fin de propagande.

Prudent, Eiden se rappelle que le financement de son Eglise est assuré par un vote du parlement. Il s’aligne sur la politique de la Suède dont il est un fonctionnaire. Or le gouvernement estime que l’information sur la destruction des Juifs constitue une menace potentielle pour sa sécurité. Les officiels craignent en septembre 1942 que les Allemands mécontents des rapports de la presse suédoise soient conduits à une invasion allemande, peut-on lire dans un rapport interne. La politique gouvernementale est ne pas confirmer, ni dénier les rapports alliés, polonais ou juifs. Les autorités masquent ce qu’elles savent en utilisant un langage délibérément imprécis ou des déclarations constatant que des preuves irréfutables n’existent pas.

Ces excuses sont loin d’être convaincantes. Eiden ne court pas les mêmes dangers que les dirigeants religieux d’Allemagne et des pays occupés qui, même si ce fut très insuffisant, ont dénoncé les excès nazis envers les Juifs. Il ne prend pas le leadership moral en public alors que sa position lui en donnait l’autorité. L’historien suédois Steven Koblik affirme qu’une déclaration claire et directe d’Eiden dénonçant les massacres aurait eu un effet dramatique en Allemagne comme dans les pays occidentaux. Sa parole, comme non-belligérant, non-juif et germanophile n’aurait pas pu être ignorée. Pusillanime, il resta silencieux.




Les uns ont prédit la Shoah dès 1938, les autres espéraient encore en 1944.
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 04 mars 2015 : 10:59

Les uns ont prédit la Shoah dès 1938,
les autres espéraient encore en 1944.

par Marc-André Charguéraud





En août 1942, Gerhart Riegner, le représentant à Genève du Congrès juif mondial, informe les Occidentaux de la « catastrophe » qui s’abat sur les Juifs. En décembre, les Alliés dénoncent les exterminations en masse et profèrent des menaces à l’encontre des dirigeants nazis. Bien plus tôt, dès 1938, des hommes bien placés avaient déjà annoncé la Shoah. Ils n’avaient pas été entendus. Plus tard, en 1943/1944, alors que l’histoire estime que le génocide était connu, des personnalités juives, qui vivaient alors des moments angoissants, n’étaient pas conscients que la mort attendait la plupart des déportés.

Ces aspects de l’histoire de la Shoah font l’objet des quelques témoignages qui suivent. Ils sont en décalage avec l’histoire telle qu’elle s’est aujourd’hui forgée à partir « d’informations reçues ». Trop souvent des historiens ont sélectionné parmi les informations de l’époque celles qui confirment la vision de l’histoire telle qu’elle s’est établie depuis. Ces témoignages en contrepoint sont importants. Ils montrent que, pendant cette période, il existe des lectures contradictoires des événements. Pour comprendre l’attitude des intervenants devant l’adversité, il convient d’en tenir compte.

Il faut prêter attention aux propos prémonitoires de Raymond Geist, diplomate américain en poste à Berlin, lorsqu’il écrit le 5 décembre 1938 : « Les Juifs en Allemagne sont condamnés à mort et leur exécution se fera lentement, mais trop rapidement probablement pour que le monde puisse les sauver (...) Les démocraties européennes ont perdu la partie à Munich et la solution finale se prépare lentement. Les années devant nous verront une grande bataille, dont le sort déterminera celui de la civilisation pour des siècles. »

En termes mesurés, Georges Duhamel, le grand écrivain, ne dit rien d’autre. Au cours de l’été 1938 il avertit : « Pour l’observateur attentif et impartial, il semble bien que l’Allemagne ait entrepris l’abaissement, puis l’extermination et en définitive l’extirpation totale de l’élément israélite. »

Visionnaire, Walter Gerson, un dirigeant de la communauté juive de Dantzig, écrit à la Pentecôte de 1939 : « Savez-vous ce que la guerre veut dire pour nous ? Ce sera une catastrophe comme nous n’en avons jamais connue. Les nazis vont tuer des millions de Juifs et du fait de leur brutalité et de leur détermination, nous n’avons aucun moyen de les en empêcher. » En octobre 1939, Richard Lichtheim, l’homme de l’Agence juive à Genève, prévoit que « sous le régime nazi, (en Pologne) deux millions de Juifs vont être anéantis avec autant de cruauté, peut-être même plus, que le million d’Arméniens exterminés par les Turcs pendant la Première Guerre mondiale ».

Pendant les premiers mois de 1940, une série d’éditoriaux prophétiques ont tiré le signal d’alarme. Elias Newman écrit avec une exactitude terrifiante dans le magazine Friends of Sion de mars 1940 : « Après la dernière guerre mondiale, trois millions de Juifs se sont retrouvés mendiants; avant que cette guerre ne se termine, sept millions seront des cadavres ». Nahum Goldmann, président du Comité exécutif du Congrès juif mondial, dans un article de juin 1940, prédit : « Si la situation continue, la moitié des 2 000 000 de Juifs de Pologne seront exterminés dans l’année qui vient. » Le Newark Ledger, le 7 mai 1940, estime que cinq millions et demi de Juifs sont dans la détresse et que nombre d’entre eux sont condamnés à périr.

Autant d’avertissements qui laissent le public anglo-saxon sceptique, mais qui ne doivent pas être ignorés aujourd’hui, car ils font partie du contexte historique de l’époque. On croit par ailleurs qu’en 1943 tous les dirigeants juifs sont conscients du sort qui les attend s’ils sont déportés vers l’Est par les nazis. Ici également, de nombreux témoignages montrent que la réalité est beaucoup plus nuancée. Aussi surprenant que ce soit, de grands témoins sous-estiment , parfois même méconnaissent la tragédie en cours.

Comment est-il possible que David Rapoport, le patron du Comité de la rue Amelot, puisse demander avant son départ de Drancy à son ami Georges Wellers que l’on avertisse les organisations juives en Pologne pour l’aider à son arrivée ? « Pour un homme averti il était absurde (au cours de l’été 1943) de penser que l’on pouvait secourir un Juif envoyé à Auschwitz. » Un collaborateur de Rapoport, Henri Bulakwo, qui est déporté le 18 juillet 1943, évoque la nuit de son départ : « Avions-nous des informations précises sur notre destination ? Non ! En aurions-nous eues que l’on n’y aurait pas cru. »

La réflexion de Julie Cremieux-Dunand sur les prisonniers de Drancy va dans le même sens. « Les émotions successives tendent les nerfs à un tel point que les internés finissent par être contents de partir (...) Partir, ne plus rester à Drancy. On reviendra peut-être d’une déportation, tandis qu’ici c’est la mort à petit feu. »  Ils ne réalisent pas que la mort attend ceux qui partent.

Georges Wellers, une des personnes juives les mieux informées à l’époque, lorsqu’il fut déporté de Drancy à Auschwitz le 30 juin 1944 affirme « d’une façon catégorique qu’il n’avait (en juin 1944) aucun soupçon concernant l’assassinat systématique auquel étaient voués en réalité les Juifs au bout du voyage en déportation ». « On savait que la radio anglaise racontait les horreurs des chambres à gaz et d’autres moyens d’extermination des Juifs, mais on ne pouvait y croire. On prenait les choses pour des exagérations de la propagande anglaise et on n’y prêtait pas grande attention », ajoute Wellers. Claude Bourdet, un résistant juif, témoigne : « Sans doute, si nous avions connu l’étendue de la “solution finale”, il aurait fallu le crier plus fort dans la presse clandestine. Mais « je ne le savais pas en arrivant au camp de Neuengamme en juin 1944 et mes camarades de camp ne le savaient pas non plus ».

En Belgique on observe la même incrédulité. Dans un tract distribué le 3 septembre 1944, jour de la Libération de Bruxelles, Monick Wolman, responsable de la section juive du parti communiste, écrit : « Nous attendons passionnément la défaite définitive des bandits hitlériens afin de revoir le plus rapidement possible les 30 000 Juifs déportés de Belgique. » Quelques semaines plus tard, l’initiative du Congrès juif mondial tentant au travers de canaux diplomatiques d’échanger des citoyens allemands internés en Belgique contre des Juifs déportés à Auschwitz illustre le fait que les survivants des persécutions antijuives escomptaient ou espéraient le retour des déportés.

La réalité historique de la guerre souvent perçue pendant et juste après les événements, reste celle d’une persécution et non de l’extermination. Après la guerre, Wellers confirme qu’en plus de ceux déjà cités,« de très nombreux témoignages de rescapés des camps (...) affirment avec une unanimité impressionnante que ni en 1942, ni en 1943, ni en 1944, ils ne pensaient que la déportation signifiait un arrêt de mort ».

« Il est naïf de sélectionner rétroactivement parmi les milliers de nouvelles, de rumeurs, de faits de propagande de guerre contradictoires, les informations conformes à la vérité finalement établie en 1945 à l’ouverture des camps », écrivent les historiens Marrus et Paxton. Il convient d’aller plus loin en montrant que « cette vérité » postérieure aux événements déforme l’histoire, si elle ne prend pas en compte l’ensemble des réalités vécues.




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud /L’archevêque Stepinac et le génocide en Croatie. 1941-1942.
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 15 juin 2015 : 21:42

L’archevêque Stepinac
et le génocide en Croatie.
1941-1942.

Un « bienheureux » pour Rome,
un complice du massacre pour les Serbes orthodoxes.

par Marc-André Charguéraud



Le mouvement ultranationaliste Oustacha a été créé en 1930 par Ante Pavelic. Il s’illustre dans le terrorisme à Marseille le 9 octobre 1934 en organisant un attentat où périssent Alexandre 1er de Yougoslavie et Louis Barthou, ministre français. Son objectif est de libérer la Croatie de l’oppresseur serbe orthodoxe et de créer un état purement catholique. Il atteint dans une grande mesure son but après l’arrivée des Allemands à Zagreb le 10 avril 1941. Des « libérateurs » qui permettent le 15 avril à Pavelic, surnommé le Poglavnik, de prendre de pouvoir sans le moindre fondement juridique.

Pavelic ne perd pas de temps pour légiférer. Dès le 17 avril 1941, une ordonnance déclare « passible de la peine de mort toute personne qui, de quelque manière que ce soit, viole ou a violé l’honneur et les intérêts vitaux du peuple croate ou l’existence de l’Etat indépendant de la Croatie ou le pouvoir étatique, même si l’acte n’était qu’à sa phase préparatoire ». Elle est complétée par un décret du 30 avril sur la protection « du sang aryen et de l’honneur du peuple croate » et rappelle les droits de la race supérieure et les devoirs des races inférieures, les Serbes, les Juifs et les Tziganes. Les Juifs doivent porter l’étoile jaune et les Orthodoxes le brassard bleu.
Un état catholique dirigé par un fervent catholique met fin à la domination des Serbes. L’euphorie du moment rend l’Eglise catholique aveugle. Elle se compromet en approuvant le nouveau dictateur qui arrive dans les fourgons de la Wehrmacht et vient de promulguer de scandaleuses lois comparables à celles des nazis à Nuremberg. Alojzije Stepinac, archevêque de Zagreb et président de la Conférence épiscopale, demande dans une lettre pastorale du 28 avril aux fidèles de collaborer pleinement à l’action de leur « guide ». Il appelle l’Eglise catholique à prier pour le nouvel Etat et aussi pour que le Seigneur emplisse Ante Pavelic d’un esprit de sagesse. Stepinac confirmera régulièrement sa confiance en Pavolic. Le 18 mai 1941, il organise une rencontre avec Pie XII. Le pape insiste sur le fait qu’il reçoit Pavelic « simplement comme fils de l’Eglise ». De son côté Pavelic déclare que « le peuple croate désire que sa conduite et sa législation s’inspirent entièrement du catholicisme ».

Le 23 mai, Stepinac intervient en termes généraux dans une lettre au ministre de l’Intérieur. On y lit : « Chaque jour nous voyons la proclamation de nouvelles ordonnances (…) qui prennent pour cible et inculpent des personnes innocentes. Retirer aux personnes de nationalité étrangère toute possibilité de sauvegarde, les marquer d’un signe honteux, ce n’est ni humain, ni moral ».

Fin juin 1941, le génocide commence, car c’est bien de cela qu’il s’agit. En cinq mois des centaines de milliers de Serbes orthodoxes et 26 000 Juifs sont assassinés par des bandes d’Oustachis. C’est « le règne du carnage (…) les hommes sont égorgés, assassinés, jetés vivant du haut des falaises (…) dans la ville de Mostar elle-même, ils sont attachés par centaines, emmenés dans des wagons et tués comme des bêtes », rapporte l’évêque de Mostar, Alojzije Misic.

Ce génocide a commencé avant le début de la Shoah en Europe et ne résulte pas de pressions du Reich. C’est une décision purement croate. Berlin n’a jamais ordonné d’assassiner les orthodoxes. Pendant ces mois particulièrement meurtriers, ni Stepinac, ni Pie XII n’ont dénoncé ces massacres entre chrétiens.

Le Vatican fut timoré. Les instructions que Mgr. Giuseppe Maglione, le secrétaire d’Etat, donne à l’abbé Ramiro Marcone, l’envoyé à Zagreb de Pie XII, en témoignent. « Lorsque l’occasion se présente, vous devez essayer de recommander la modération en ce qui concerne le traitement des Juifs résidents sur le territoire croate, confidentiellement et toujours de manière à ce qu’un caractère officiel de la démarche ne puisse pas nous être attribué ». Alors que Pie XII apprend que des franciscains, dont l’ordre dépend directement de lui, participent aux égorgements des quelque 40 000 orthodoxes et juifs au camp de Jasenovasc, il n’intervient pas.

Stepinac attend la fin novembre 1941 pour se manifester. Le 20 novembre 1941, à l’issue de la Conférence des Evêques qu’il préside, il écrit au Poglavnic : « L’Eglise doit condamner tous les délits et excès dus à des éléments irresponsables et à des jeunes sans expérience, et exiger le plein respect de la personne humaine, sans distinction d’état, de sexe, de religion, de nationalité ou de race. Il n’est pas acceptable de persécuter les Gitans et les Juifs parce qu’ils sont supposés être de race inférieure ».

La protestation n’est pas à la hauteur du drame. Au-delà des centaines de milliers d’orthodoxes assassinés, autant ont été forcés de fuir le pays et autant n’ont survécu que grâce à une conversion au catholicisme, forcée la plupart du temps. Elle est dénoncée par la BBC dans une émission du 16 février 1942 : « Autour de Stepinac, on commet les atrocités les plus horribles. Le sang fraternel coule en ruisseaux (...) Les orthodoxes sont convertis par la force au catholicisme, et nous n’entendons pas la voix de l’archevêque prêcher la révolte ».

On remarque que dans leurs interventions Maglione comme Stepinac ne citent pas les Serbes orthodoxes comme s’il s’agissait d’un cas à part moins sérieux. Faut-il chercher l’explication dans le fossé profond qui sépare les catholiques des orthodoxes et parfois frôle la haine. Une déclaration de Stepinac le 28 mars 1941 peut donner ce sentiment. « Les Croates et les Serbes sont deux mondes différents, Pôle nord et Pôle sud, ils ne seront jamais capables d’être ensemble à moins d’un miracle divin. Le Schisme d’Orient est la plus grande malédiction en Europe, presque encore plus grande que le protestantisme. Ici il n’y a pas de morale, de principes, de vérité ou d’honnêteté ».

Dans un rapport au Vatican de 1943, Stepinac tente tardivement une justification des persécutions avec un sous-entendu de vengeance. « Si la réaction des Croates a parfois été cruelle, nous la déplorons et la condamnons. Mais il est hors de doute que cette réaction a été provoquée par les Serbes qui ont violé tous les droits du peuple croate au cours des vingt années de leur vie commune en Yougoslavie ».

En mars 1943, comme en avril 1941, Stepinac disculpe Pavolic. Il dénonce l’exécution d’orthodoxes passés au catholicisme, s’insurge contre l’internement d’innocents dans les camps de concentration, mais il termine : « Poglavnik, je suis sûr que de si injustes mesures ne sont pas de vous mais plutôt d’éléments irresponsables guidés par la passion et la cupidité ». En novembre 1943, il écrit à Pavelic : « Personne ne peut dénier les actes de violence et de cruauté qui ont été commis. Vous-même, Poglavnik, vous avez condamné ceux commis par les Oustachis et vous avez ordonné des exécutions du fait de leurs crimes. » Vos efforts pour assurer le règne de la justice et de l’ordre dans ce pays méritent d’être applaudis ».

Cette défense du dictateur n’est pas justifiable. Ce sont les lois scélérates promulguées par son gouvernement en avril 1941 qui ont ouvert juridiquement la porte aux massacres. Des exécutions de centaines de milliers de personnes ne peuvent être le seul fait d’éléments irresponsables. Et applaudir à l’ordre et à la justice dans un tel contexte révèle un parti pris certain.

Stepinac aurait dû suivre les mesures prises par l’évêque de Mostar, Alojzije Misic, en 1941 déjà. Epouvanté par les violences des Oustachis dans son diocèse, il interdit à son clergé de donner l’absolution à quiconque a massacré des Serbes. Pavelic, en fervent catholique, n’avait-il pas sa propre chapelle et ne recevait-il par régulièrement l’absolution d’un prêtre du diocèse de Stepinac ?

L’archevêque ressent le caractère ambigu de son attitude. Dès avril 1942, il explique à Stanislav Rapotec, un envoyé du gouvernement en exil, pourquoi il n’a pas rompu avec le régime de Pavolic. Il estime qu’alors il aurait été incapable d’aider qui que ce soit. La chose la plus importante était de sauver ceux qui pouvaient l’être. Il aurait pu se réfugier dans un monastère et être acclamé comme martyr à l’issue de la guerre, mais cela n’aurait pas amélioré les choses et aurait pu les rendre plus difficiles pour ceux qui avaient besoin d’aide ».

Il développe là un argument qui a été utilisé par de nombreux collaborateurs des Allemands qui ont en même temps assisté des personnes en danger. Il faut ici évaluer les poids respectifs que l’on donne à ces deux attitudes antinomiques et où la césure doit être placée. Pie XII et le Yad Vashem ont étudié le dossier à fond sur plusieurs années. Les positions des Catholiques et des Juifs éclairent ce dilemme.

Le cardinal Stepinac est béatifié le 3 octobre 1998. Jean-Paul II le décrit comme un martyr « qui a souffert des atrocités du communisme dans sa chair et dans son esprit ». Le pape rend hommage à celui qui refusa de prendre la tête d’une Eglise nationale comme Tito le lui demandait pour prix de sa liberté. « Il a préféré la prison à la liberté pour défendre la liberté et l’unité de l’Eglise ». Aucune référence n’est faite au caractère équivoque de son attitude pendant les années Pavolic. Cette période est ignorée, ce qui clot tout commentaire de Rome sur la « collaboration » de l’archevêque.

A deux reprises le Cardinal Stepinac a été proposé pour devenir « Juste parmi les Nations », une distinction donnée par le Yad Vashem aux non-juifs ayant sauvé des Juifs pendant la Shoah. Le sauvetage de 60 pensionnaires de la maison de retraite juive de Zagreb le 6 décembre 1943 est donné en exemple. Les autorités allemandes ont décidé de les déporter. Avec l’accord tacite des Oustachis, Stepinac les accueille dans des bâtiments de l’évêché. Malgré ce sauvetage les demandes de sa nomination sont rejetées. Une porte-parole du Yad Vashem, Iris Rosenberg, en donne une raison dans une lettre officielle : « Des personnes qui ont assisté des Juifs, mais qui simultanément collaboraient ou avaient des liens étroits avec un régime fasciste qui participa à des persécutions de Juifs orchestrées par les Nazis, peuvent être disqualifiées pour le titre de « Juste ». La balance a penché au désavantage du Cardinal.



Marc-André Charguéraud




La Shoah revisitee - Marc-André Charguéraud
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 08 octobre 2015 : 09:22

Voici le dernier texte de septembre publie par Marc-André Charguéraud.
l’Eglise Réformée de France est intervenue et a condamné les persécutions dont les Juifs furent les victimes.

La « main tendue »
des protestants français.
1940-1942





Bien que toujours insuffisant, le soutien aux Juifs de France de l’Eglise protestante de France prend une dimension exemplaire lorsque l’on sait que sur une population française de 42 millions d’individus, les protestants ne sont que 600 000. Au moment de la guerre, comme les Juifs, les protestants constituent une petite communauté qui reste difficilement acceptée dans une population dominée par le catholicisme romain. Elle vit socialement repliée sur elle-même. Les protestants partagent avec les Juifs une exclusion relative qui les rapproche. L’oppression dont les protestants ont été l’objet dans un passé pas si lointain est restée très vive dans leur mémoire, particulièrement en province.

Les protestants se sentent proches des Juifs. Le 26 mars 1941, le président la Fédération protestante de France, le pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France, écrit au grand rabbin de France : « Notre Eglise, qui a connu jadis les souffrances de la persécution, ressent une ardente sympathie pour vos communautés ».  Même si les protestants n’ont pas toujours perçu l’ampleur prise par les persécutions dont souffrent les Juifs, ils saisissent mieux que d’autres ce qui arrive. Ils ouvriront leurs portes comme ils auraient voulu qu’on les ouvrît pour eux lorsqu’ils étaient eux-mêmes pourchassés. « Physiquement, verbalement, moralement, les Eglises protestantes sont aux côtés des opprimés, des persécutés et des victimes », écrit l’historien Philippe Bourdrel.

Immédiatement après la publication de la loi du 3 octobre 1940 sur le Statut des Juifs le pasteur Boegner proteste « auprès des collaborateurs les plus proches du Maréchal, et auprès de plusieurs ministres et de nombreuses personnalités ». Le même mois, une « Pastorale » réunit les pasteurs des Cévennes pour protester publiquement contre la promulgation de ce Statut. Puis Boegner se préoccupe des conditions déplorables d’internement des Juifs étrangers. Le 10 mars 1941, il rencontre l’Amiral Darlan et lui dit à propos des camps d’étrangers : « C’est une honte et cela fait à la France un tort immense à l’extérieur ». Et Boegner va lui-même sur place se rendre compte.

Dès octobre 1940, le Comité intermouvements auprès des évacués, (CIMADE) une organisation protestante, s’est déployé sur le terrain. Ses membres ont apporté des secours à ces dizaines de milliers de Juifs internés par Vichy. La CIMADE, écrit un historien, « a ouvert la voie à tout ce qui s’est fait par la suite pour aider les Juifs matériellement et moralement dans des conditions épouvantables ». Le père jésuite Pierre Chaillet regrette la présence insuffisante des organisations catholiques et écrit : « On constate douloureusement que l’œuvre d’assistance dans de nombreux camps d’internement et auprès des réfugiés est pour ainsi dire accomplie par les grands comités protestants et israélites ». ”

Le 26 mars 1941, après la première réunion du Conseil national de l’Eglise réformée, Boegner écrit au Grand Rabbin de France. Le Conseil « m’a chargé de vous exprimer la douleur que nous ressentons tous à voir une législation raciste introduite dans notre pays et à constater les épreuves et les injustices sans nombre dont elle frappe les Israélites français ». Il conclut : notre Eglise « a déjà entrepris et ne cessera pas de poursuivre ses démarches en vue d’une refonte indispensable de la loi ».

Les termes de la lettre de Boegner ont souvent été jugés comme trop modérés. Ils ont été cependant parfaitement compris par les contemporains comme une condamnation des lois antijuives. C’est ce qui compte. Dans Le Pilori, une feuille antisémite et pronazie, son éditorialiste s’enflamme. Sous le titre « Une lettre inadmissible du chef des protestants », il accuse : « En se faisant le défenseur des assassins du Christ, le pasteur Boegner a trahi la France et le Maréchal. Il mérite le sort des traîtres ». Cet article dénonciateur provoque la diffusion massive dans le public de la lettre du pasteur.

En même temps qu’il écrit au grand rabbin, Boegner s’adresse à l’Amiral Darlan, Premier ministre. Témoignant au nom du Conseil national, il dit toute l’émotion que ressentent les protestants « comme Français et comme chrétiens, pour une loi qui introduit dans notre législation le principe raciste et dont la rigoureuse application entraîne pour les Français israélites de cruelles épreuves et de poignantes injustices ». Boegner termine « en priant instamment (Darlan) d’examiner dès à présent une réforme du statut imposé aux Français israélites qui soit de nature à prévenir ou à atténuer de grandes injustices ».

De jeunes pasteurs, des étudiants de la Fédération Française des Associations Chrétiennes d’Etudiants (Fédé) et des équipiers de la CIMADE se réunissent les 16 et 17 septembre 1941 à Pomeyrol avec Visser’t Hooft et Madeleine Barrot. Ils veulent « rechercher ensemble ce que l’Eglise doit dire aujourd’hui au monde. »  Une série de « thèses » sont élaborées. On y lit que l’Eglise « élève une protestation solennelle contre tout statut rejetant les Juifs hors des communautés humaines. »  L’Eglise  « considère comme une nécessité spirituelle la résistance à toute influence totalitaire et idolâtre. »  Le langage est net et clair. Dans un premier temps ces thèses ne sont pas adoptées par l’Eglise protestante. Un groupe de protestants proches de l’Action française s’y oppose passionnément. Il faut attendre le synode national des Eglises réuni à Valence en avril 1942 pour que les instances dirigeantes du protestantisme se solidarisent avec les thèses de Pomeyrol. Entre temps ces thèses sont très largement diffusées, surtout en zone libre, mais également à Paris et à Genève.

Le 7 novembre 1941, une circulaire du secrétariat à la jeunesse et aux sports interdit l’accueil de jeunes étrangers, aryens ou non-aryens, dans les mouvements de jeunesse. Le pasteur Charles Westphal, président de la Fédération des étudiants chrétiens, s’insurge. Il écrit au secrétariat : « Nous avons le regret de devoir vous informer que les clauses restrictives que cette circulaire énumère sont inacceptables pour notre mouvement. » Quelques semaines plus tard, le pasteur Boegner, qui est aussi président du Conseil protestant de la jeunesse (CPJ), écrit une lettre de refus sans équivoque. « Les cinq mouvements qui constituent le CPJ sont et entendent rester ouverts à tous, sans distinction de race ou de nationalité, comme leur vocation chrétienne l’exige. » Il mentionne nommément les Juifs. Un acte de rébellion, de désobéissance d’une grande portée symbolique, même s’il s’agit d’une mesure antijuive plus vexatoire qu’oppressive.

Le 27 juin 1942, mandaté par le Conseil de la Fédération protestante de France, Boegner remet personnellement une lettre de protestation au Maréchal contre le port de l’étoile jaune imposé aux Juifs de la zone occupée. On y lit : « Ce port d’un insigne distinctif inflige à des Français une humiliation gratuite, en affectant de les mettre à part du reste de la nation (...) Aussi les Eglises du Christ ne peuvent-elles garder le silence devant des souffrances imméritées... »

Le 20 août 1942, Boegner écrit au Maréchal pour dénoncer la livraison aux nazis de Juifs de la zone libre. « … Viennent d’être livrés à l’Allemagne des hommes et des femmes réfugiés en France …dont plusieurs savent d’avance le sort terrible qui les attend (…) Je vous supplie, Monsieur le Maréchal, d’imposer des mesures indispensables pour que la France n’inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable ». Cette lettre paraîtra dans la presse et sera lue sur des radios étrangères. C’est l’époque des grandes rafles de Lyon organisées par Vichy et de l’accueil mémorable de centaines de Juifs en fuite par le petit village protestant du Chambon sur Lignon dans les Cévennes,

La lettre que René Gillouin écrit au chef de l’Etat reflète la position de nombreux protestants, même s’ils ne l’ont pas toujours exprimée. Elle est d’autant plus importante que ce fils de pasteur est un proche du Maréchal. Gillouin ne mâche pas ses mots. « J’ai honte pour mon pays de la politique juive (...) La radio de Vichy a annoncé comme imminente la liquidation de la totalité des biens juifs en France libre. Je vous dénonce cette opération. (...) La révocation de l’Edit de Nantes qui est restée une tache noire sur la gloire de Louis XIV apparaît désormais comme une bergerie à côté de vos lois juives .(...) Je le dis, Monsieur le Maréchal, en pesant mes mots, que la France se déshonore par la législation juive... »

Avec l’occupation de la zone libre en novembre 1942, l’heure des protestations publiques et de l’envoi de secours par les voies officielles sont dépassés. C’est dans la clandestinité que les protestants vont agir pour aider les Juifs à fuir et leur trouver un hébergement discret, assurant ainsi leur salut.


Marc-André Charguéraud




Des Juifs américains contre l’envoi de nourriture aux Juifs d’Europe. 1941
Posté par: gerard (IP enregistrè)
Date: 05 juin 2016 : 02:50

Un titre qui nous semble aujourd’hui absurde et pourtant c’est ce qui est arrivé au nom d’une raison inacceptable.
André Charguéraud



Des orthodoxes sommés par le Congrès de

« cesser ce racket de colis qui nourrit la machine de guerre de Hitler »





C’est l’histoire incroyable et affligeante arrivée à des Juifs orthodoxes. Pendant l’été 1941, alors que les Etats-Unis sont encore neutres, ils envoient des colis de nourriture aux Juifs polonais enfermés et affamés dans les ghettos nazis. Une organisation dépendant du Congrès Juif Américain s’y oppose par la force.

Agudath Israel of America est une modeste organisation de Juifs orthodoxes très religieux. Ils estiment être des hommes que la providence a acheminés vers les côtes américaines dans le but d’aider leurs frères dans le danger. Des liens très forts les unissent aux Juifs d’une Europe de l’Est où vivent encore des membres de leur famille. Ils font parvenir régulièrement des colis aux ghettos polonais.

Pendant l’été 1941 ils sont forcés d’interrompre l’envoi de ces secours humanitaires. Le Joint Boycott Council, créé en 1933 par le Congrès Juif Américain (CJA), est passé à l’action afin que, dans une Amérique encore neutre, le blocus anglais du Reich soit strictement appliqué. Il installe des piquets devant les bureaux d’Agudath Israel pour, selon Joseph Tennenbaum, le président de l’organisation de boycottage, « faire cesser ce racket de colis de nourriture » et éviter « de nourrir la machine de guerre de Hitler ». Il ajoute : « Tout ce qui peut entraver l’effort de guerre britannique est contraire aux intérêts des Juifs ».

Tennenbaum ajouta l’invective au boycott. Il qualifie Agudath Israel « de mauvaise herbe malade, transplantée d’une terre étrangère dans l’environnement libéral américain ». De son côté Stephen Wise, le prestigieux président du Congrès Juif Mondial (CJM), veut à tout prix éviter « de tout mettre en danger du fait de ce misérable trafic ». Ces mots n’auraient jamais dû être prononcés, cette diatribe augure mal de l’union des Juifs d’Amérique à la veille de la Shoah.

Heureusement, sur place, confronté aux réalités, le docteur Abraham Silberschein qui dirige RELICO, l’organisme spécial d’assistance aux victimes de la guerre, créé par le bureau du Congrès Juif Mondial de Genève, ne tient pas compte du boycott. Il expédie discrètement 1500 colis par semaine vers les ghettos polonais jusqu'à la déportation et l’extermination de leurs occupants. Une misère étant donné les besoins vitaux des centaines de milliers de Juifs emprisonnés. Et pourtant, comme l’écrit Gerhart Riegner, le représentant à Genève du CJM, « cette activité n’était pas bien vue par les autorités du Congrès Juif Mondial à New York. Celles-ci sont intervenues à plusieurs reprises pour y mettre fin, puisque cette action était en contradiction avec le blocus économique des Alliés ».

A New York, le 1er mars 1943, le Congrès Juif Américain (CJA) réunit 37 000 personnes au Madison Square Garden aux cris de : « Arrêtez Hitler tout de suite ! » Les orateurs exigent l’envoi de nourriture et de médicaments dans les camps et ghettos sous contrôle nazi. Mais ils ajoutent immédiatement « tout en tenant strictement compte de la guerre économique conduite contre les Etats agresseurs ». Ils vouent eux-mêmes à l’échec leurs propres demandes. Cette politique ambivalente sera longtemps poursuivie par le CJA et son extension internationale le Congrès Juif Mondial (CJM).

Au cours de l’American Jewish Conference d’août 1943, le rabbin Abba Hillel Silver, le chef le plus radical du mouvement sioniste américain, est allé plus loin. Il estime que si l’on n’arrive pas à créer un Etat juif, il devient inutile d’essayer d’envoyer de la nourriture aux masses affamées des ghettos juifs. Pour lui, l’absence d’un Etat juif où se réfugier condamne les générations juives futures à d’autres camps de la mort. Les opérations de secours deviennent alors secondaires.

Plus tard les dirigeants du CJM comme du CJA ont modifié leur politique et interviennent pour demander au gouvernement des dérogations officielles au boycott, dérogations qui leur sont systématiquement refusées. Un exemple. Au cours d’un long entretien avec Breckenridge Long, du State Department, le 16 septembre 1943, Nahum Goldmann, un dirigeant du CJM et de l’Agence juive, demande au gouvernement américain d’accepter l’envoi de dix millions de dollars destinés à financer des secours alimentaires distribués par l’intermédiaire du CICR. Ce projet est rejeté. Pour le State Department « un tel projet détruirait l’efficacité du blocus allié de l’Europe (...) il contribuerait à l’effort de guerre nazi parce qu’aucun contrôle effectif n’existerait sur la distribution des colis ». Toujours la même demande, toujours la même réponse. Les dirigeants juifs ne sont-ils pas conscients qu’ils n’obtiendront aucune dérogation et qu’ils doivent agir autrement ?

Il faut attendre début 1944 pour que la situation se dénoue lentement. Le CJM demande au gouvernement un soutien massif pour le Comité International de la Croix-Rouge : « Des navires pour transporter des approvisionnements vers les camps d’internement (...), un assouplissement du blocus allié, des colis d’alimentation vers les camps de travail, des fonds alliés. » Ce programme met de longs mois à se réaliser. Ce n’est qu’à la fin de l’année, quelques mois avant la victoire, que d’importants approvisionnements alliés arrivent. Le chaos indescriptible qui règne alors dans ce qui reste du Reich rend problématique l’acheminement de ces secours arrivés si tardivement.

L’historien Naomi Cohen donne une explication à ce manque d’engagement de la communauté juive américaine. Pour lui, « la plupart des Juifs américains avaient accepté la position anglaise et américaine qu’il n’y avait réellement rien à faire pour sauver les Juifs sous la loi nazie, si ce n’était de gagner rapidement la guerre ». On était loin du militantisme des orthodoxes. « Lorsqu’il s’agit de sauver des vies juives, nous les rabbins n’avons pas le droit d’être incompétents. (...) Suivant les commandements de la Torah, nous sommes prêts à violer de nombreuses lois (...) pour sauver des vies », disait le Rabbin Eliezer Silver, fondateur du Vaad Hatzalah. Il n’a pas été suivi.







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