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La Fin du Judaisme en terres d'Islam - Shmuel Trigano
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 31 mars 2009 : 19:57

FIN DU JUDAISME EN TERRES D'ISLAM"

sous la direction de

SHMUEL TRIGANO






La négociation de l’évacuation en masse des Juifs du Maroc
Yigal Bin Nun
Université de Paris VIII
La fin du Judaïsme en terres d'Islam, dir. Sh. Trigano, Denoël Médiations, Paris 2009, pp. 303-358.


Les chapitres

- Une longue mutation démographique ------------- 1
- Le bilan du protectorat : progrès et déceptions ------------- 2
- La politique du jeune état marocain ------------- 6
- Les atteintes aux droits des Juifs et au statut de la communauté ------------- 7
- La question de l’émigration et l’octroi des passeports ------------- 8
- La rupture des relations postales ------------- 10
- Le dahir de la marocanisation ------------- 11
- Le poids de l’islam dans la constitution marocaine ------------- 11
- La conversion forcée des jeunes filles juives ------------- 12
- Le tournant décisif de l’année 1961 : le naufrage du Pisces ------------- 13
- « L’accord de compromis » et les pourparlers qui l’ont précédé.------------- 16
- L’indemnisation et l’évacuation ------------- 24


L’histoire des Juifs du Maroc après l’indépendance (1956) est marquée par l’évacuation presque totale d’un quart de million de Juifs en direction d’Israël. Ce transfert de population mit fin à l’histoire d’une des plus importantes et anciennes communautés de la diaspora, qui
devint à son arrivée en Israël qui devient à son arrivée en Israël le groupe d’immigrants démographiquement le plus large. À la question cardinale de savoir pourquoi les Juifs ont quitté le Maroc, on peut fournir diverses réponses. Certaines sont substantielles et relèvent de
problèmes fondamentaux, d’autres sont circonstancielles et tiennent à la date spécifique de leur départ, au début des années soixante.

Une longue mutation démographique

La mobilité démographique à l’intérieur du pays est l’une des nombreuses raisons ont fait pencher la balance en faveur de ce départ. En effet, l’émigration des Juifs s’est produite au terme d’un processus démographique naturel, qui débuta longtemps auparavant au sein de la société marocaine, et plus longtemps encore, dans la communauté juive, en raison de son statut socio-économique spécifique.

Ce processus avait débuté aux 18e et 19e siècles et s’accéléra sous le Protectorat français. La population juive quitta progressivement les campagnes en direction des petites villes voisines, et celle des petites villes migra vers les villes plus grandes. Cette urbanisation rapide réduisit la population juive rurale à près de 15% seulement du total de la communauté en 1957 et se poursuivit avec la croissance démographique jusqu’à arriver à 8%, au début des années soixante. La nouvelle métropole économique, Casablanca, devint rapidement le centre de la vie juive. Parallèlement, dans les grandes villes, le passage de l’ancien « mellah » aux nouveaux quartiers juifs et l’assimilation individuelle dans les quartiers européens se poursuivirent.

Les mouvements démographiques intérieurs constituaient un signe annonciateur et la première étape d’un processus qui devait conduire à l’émigration. Le nouvel essor économique dû à la colonisation ébranla la structure des métiers juifs traditionnels, et porta plus particulièrement atteinte au métier de l’orfèvrerie 1.
Avec l’essor économique de Casablanca, les migrations vers cette ville s’effectuèrent directement depuis les villages éloignés. En janvier 1960 la population rurale juive ne comptait plus que 8,33% de la communauté, soient 30 000 personnes sur une population de 250 000 Juifs environ.

Parallèlement à cette migration interne, avant même la fondation de l’État d’Israël, se développa une émigration, non seulement vers la France et l’Espagne, mais aussi vers le Brésil et le Venezuela, Gibraltar, l’Angleterre, les États-Unis et le Canada. Le départ du Maroc pour des pays plus attrayants, qui promettaient à long terme une qualité de vie meilleure, s’inscrivait dans un processus qui alla en se renforçant. Ces mouvements de population étaient dus surtout à la nouvelle scolarisation et à la promotion culturelle sous l’égide de la France. En peu de temps, la communauté assimila avec avidité la civilisation française, et un fossé se creusa entre elle et son environnement géographique et social arabomusulman.

Le sous-développement relatif de la société marocaine suscita le départ des Juifs qui aspiraient améliorer leur condition sociale et s’inquiétaient de l’avenir professionnel et culturel de leurs enfants. L’ébranlement économique engendré par la migration intérieure, les relations avec les autorités du Protectorat, la remise en cause de l’équilibre social entre Musulmans et Juifs et le passage du statut de himmi à un semblant d’égalité avec les Français ne firent qu’accélérer cette mobilité 2.

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Notes

1. La crise économique de l’année 1929 atteignit aussi durement la communauté, au point que dans la ville de Fès, 130 électeurs furent retirés du registre des électeurs, parmi les 400 titulaires du droit de vote qui était accordé en fonction de la fortune personnelle, parce que leurs noms figuraient sur la liste des bénéficiaires de l’aide sociale des organismes d’entraide communautaire.

2. Le géographe André Adam a analysé les différences entre les migrations intérieures juive et musulmane.
Alors que chez les Musulmans il s’agissait plus d’une migration saisonnière et provisoire, due aux contraintes économiques et professionnelles, chez les Juifs la migration revêtait un caractère définitif et incluait tous les membres de la famille. Selon lui, les Juifs rompaient tout lien avec leur village d’origine, et il n’a constaté chez les Juifs de Casablanca aucune nostalgie pour leur lieu ’origine. André Adam, Casablanca, CNRS, tome 1, Paris.


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"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
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Date: 31 mars 2009 : 20:15

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Le bilan du protectorat : progrès et déceptions

Le processus d’occidentalisation accéléré, découlant de la scolarisation dans les écoles de l’Alliance Israélite Universelle, suscita beaucoup d’espoirs parmi les admirateurs de la civilisation française. Ils espéraient que tous les Juifs du Maroc bénéficieraient de la citoyenneté française, selon le précédent du décret Crémieux, qui avait fait des Juifs d’Algérie des citoyens français. Lorsque la guerre éclata, et avant la capitulation de la France, quelque 8 000 jeunes Juifs du Maroc demandèrent à s’engager dans l’armée française pour combattre le nazisme. Les autorités le leur refusèrent, sous prétexte que ceci entraînerait des demandes de citoyenneté, ce qui déséquilibrerait le tissu social des relations entre Musulmans et Juifs.

Très tôt, les anciens élèves de l’Alliance israélite furent déçus par la France, déception qui s’accrut avec l’entrée en vigueur des lois discriminatoires de Vichy - adoptées avec enthousiasme par la Résidence générale française au Maroc - et qui portèrent atteinte au
statut des Juifs de nationalité française ou étrangère, parmi lesquels une dizaine de milliers de Juifs d’origine algérienne. Les Juifs d’Europe orientale qui avaient trouvé refuge au Maroc furent déportés dans des « camps de séjour » à Bou‘arfa et Agdiz, aux confins du Sahara 3.

Ce triste épisode se reflète dans les chansons populaires qui faisaient l’éloge du libérateur américain, après le débarquement allié en Afrique du Nord, et exprimaient leur répugnance des Français 4.

Un décret du 22 août 1944 contraignait les Juifs venus habiter la ville européenne, après septembre 1939, à retourner au mellah. À Fès, 40 Juifs sur 342 furent soumis à ce décret discriminatoire. À Casablanca, la situation était encore plus dure. Une dizaine de milliers de Juifs, sur les 50 000 de la ville, habitaient déjà la ville européenne.

Le numerus clausus imposé aux Juifs dans les établissements d’enseignement français constitua une atteinte douloureuse qui entraîna l’interruption des études de nombreux jeunes. Cette mesure toucha aussi les Juifs exerçant certaines professions libérales 5.

Durant les 43 années du Protectorat, la communauté juive tira profit de la présence française pour accélérer le processus de son évolution sociale et culturelle. Ses représentants officiels devaient agir en harmonie avec les autorités françaises au Maroc. Bien que les Juifs eussent acquis avec avidité la culture et l’éducation françaises, leurs relations avec les Français du Maroc restaient plutôt distantes.

Cela n’était pas seulement dû à l’attitude française sous le régime de Vichy6. Leur promotion sociale, leur francisation et leur occidentalisation ostensibles ne plaisaient pas aux colons du Protectorat. Le pourcentage de Français militants de la droite raciste au Maroc et en Algérie était plus élevé qu’en métropole. Les représentants de la puissance coloniale considéraient avec mépris la population juive et entravèrent à plusieurs occasions son ascension sociale. Au lieu d’encourager et de favoriser l’élément démographique qui avait fait la preuve de son aptitude à l’assimilation à la langue et à la culture française, les autorités du Protectorat s’efforcèrent de préserver un hypothétique équilibre traditionnel entre Juifs et Musulmans, afin de préserver le statu quo de la « politique indigène » instaurée par le premier Résident général, le maréchal Lyautey.

De là découlent les efforts des autorités de ne point permettre aux Juifs, durant un certain temps, de fonder de nouvelles écoles et des hôpitaux, tant qu’il n’y en avait pas chez les Musulmans. Il en fut de même de la création d’un mouvement scout juif qui fut interdit. Le moindre signe de progrès éducatif chez les Musulmans était perçu par les fonctionnaires de la Résidence comme une menace potentielle pour la présence française en Afrique du Nord7. Cette situation eut des conséquences. Nombre d’étudiants juifs qui à la veille de l’indépendance étudiaient dans les universités françaises, préférèrent retourner au Maroc pour prendre part à son édification au lieu de s’installer en France, alors que nombre d’entre eux avaient la nationalité française.

Les élèves juifs scolarisés avec des jeunes Français se sentaient discriminés et préféraient la compagnie des Marocains. La société française était composée de petits fonctionnaires aux opinions xénophobes et de colons aisés qui affichaient leur mépris pour les Juifs autant que pour les Musulmans. Par conséquent, le départ des Français fut souvent ressenti comme un soulagement. Les Juifs aimaient la France et sa culture mais haïssaient ses colons xénophobes 8.

Il ne faut pourtant pas minimiser l’évolution qui s’opéra dans le statut des Juifs sous le Protectorat, notamment après 1934, par rapport à l’époque précoloniale. Bien que le statut de la dhimma ne fût pas officiellement aboli, les Juifs se sentirent émancipés, ce qui annulait de facto le statut discriminatoire de la dhimma9. Ils pouvaient depuis circuler librement dans les quartiers musulmans, portant des vêtements européens, sans craindre de s’approcher des mosquées et des lieux saints musulmans. Certes, des tentatives furent entreprises en mars 1935 pour restreindre la résidence des Juifs dans les quartiers européens de Casablanca.

Le Glaoui de Marrakech, qui collabora avec les autorités françaises, tenta lui aussi en 1937 d’empêcher le travail de jeunes filles musulmanes dans les maisons juives, mais en vain. Ce n’était plus que les dernières convulsions d’un temps révolu, effacé par la modernité salvatrice10. En peu de temps, les Juifs passèrent d’un statut d’infériorité à celui de classe sociale privilégiée par rapport aux Musulmans. L’éducation française reçue par les Juifs dans les écoles de l’Alliance et l’assimilation rapide dans la modernité creusa un fossé d’une génération entière entre eux et la majorité des Musulmans.

En dépit des craintes des Français, les Juifs n’utilisèrent pas l’éducation et la culture française contre l’occupant étranger, ni en sa faveur, en tout cas pas de manière ostentatoire. La modernisation chez les Juifs transforma de fond en comble leurs relations avec les Musulmans et leur conféra un avantage dorénavant irréversible, qui subsista même lorsque les Marocains devinrent maîtres du pays. À vrai dire, sous le Protectorat, les Juifs ne recherchaient pas l’égalité des droits mais souhaitaient obtenir les mêmes avantages accordés aux Français, qui leur donnaient la priorité sur la majorité musulmane.

Jusqu’à la pénétration française au Maroc, l’identité des Juifs était claire et simple, mais le bouleversement culturel déclenché par la puissance coloniale rendit la situation plus complexe, en créant de nouveaux pôles d’attraction et de nouvelles identifications. Grâce à l’effervescence culturelle française, les Juifs du Maroc purent - théoriquement tout au moins - choisir selon leur inclination, le nationalisme marocain, la patrie israélienne ou l’option française.


Notes

3. D. Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Le double visage du Protectorat, Denoël, Paris 1999, p. 414. De nombreux témoignages signalent en particulier le contrôleur général Roger Thabaud, le seul haut fonctionnaire de la Résidence qui s’opposa aux lois discriminatoires du régime de Vichy envers les Juifs. Jules Brunshwig, « Le plan M. » Les Cahiers de l’AIU, Nouvelle série, avril 1994, no. 7, p. 22-24. Karim Boukhari & Hassan Hamdani, « Enquête. Histoire. Des camps de concentration au Maroc », Tel Quel 274, Casablanca 25 mai 2007.

4. Sur les relations entre les Juifs et les soldats américains après la guerre, voir Y. Tsur, Une communauté déchirée, p. 15-17. L’enthousiasme des Juifs envers les Américains n’était pas apprécié des Musulmans, qui étaient plus réservés. D. Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Le double visage du Protectorat, Denoël (Paris 1999), p. 415. Prosper Cohen, La grande aventure, pp. 34-40. 5.

À Casablanca, 26 avocats sur 30 furent rayés du barreau et 13 médecins sur 16 ne furent pas autorisés à exercer leur profession. En pleine période de Vichy, en mai-juin et le 10 août 1942, le sultan Mohammed Ben Youssef reçut des délégations juives et leur exprima son soutien et ses encouragements, contrairement au résident général français, Henri Noguès, qui collabora avec le régime de Vichy. D. Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Le double visage du Protectorat, Denoël (Paris 1999), pp. 413-415. Le 26 juin et le 13 juillet 1942, le sultan reçu une délégation de notables juifs de Fès, composée de Issac Elalouf, Isaac Cohen et Elie Danan et leur expliqua qu’après plusieurs tergiversations, on l’obligea de signer des dahir anti-juifs, mais que les Juifs n’avaient pas à s’inquiéter parce que ce
n’étaient que des déclarations sans importances, « La Dolha », Archives personnelles de Benjamin Danan, Paris.
En décembre 1985, Haïm Zafrani présenta à l’Académie Royale du Maroc de document qu’il trouva dans les archives de Quai d’Orsay. Entretien avec B. Danan avec l’auteur le 13 février 2008. H. Zafrani, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Édition Maisoneuve-Larose, Paris 1996, pp. 404-405. Je n’ai pas trouvé de signification au terme dolha et il est fort probable qu’il s’agisse de dobha, qui veut dire sacrifice.

6. En 1945 les Juifs accueillirent avec sympathie les forces américaines et composèrent des chansons contre la France. A Fès on chantait des chansons disant : « Hitler est mort et le temps des Français est fini ».
Des milliers de jeunes juifs se portèrent volontaires pour s’engager dans l’armée française et furent rejetés, de peur que cela ne suscite une réaction négative chez les Musulmans. D. Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Le double visage du Protectorat, Denoël (Paris 1999).

7. En 1948, le résident général français au Maroc, le général Alphonse Juin et les autorités françaises en Tunisie et en Algérie envoyèrent une note s’opposant à la reconnaissance d’Israël par la France à l’ONU, car cela risquait de porter atteinte à sa politique en Afrique du Nord.

8. Entretiens avec Armand Sabbah, 12 février 2004. Sabbah se rappelle que durant son enfance, l’officier de police interdisait aux enfants de passer près du poste de police en sortant de l’école juive. Plus tard, lorsque la famille habita dans un quartier européen dans un logement de fonction reçu par son père, on lui demanda de ne pas trop se faire remarquer dans la rue, les voisins français ne voyant pas d’un bon oeil une famille juive empiéter sur leur territoire.

9. La dhimma est le statut juridique du non musulman appartenant aux peuples du Livre, en terre d’islam.
Le dhimmi paie un impôt aux autorités, qui lui accordent leur « protection ». Cette institution existait depuis les débuts de l’islam et incluait des mesures de discrimination des Musulmans envers les Juifs.

10. D. Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Le double visage du Protectorat, Paris 1999, p. 415. Voir le livre de René Ohana, témoignage autobiographique, manuscrit, Paris 2002, qui mentionne la nécessité de présenter une autorisation spéciale pour déménager dans le quartier européen de Meknès.

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Date: 31 mars 2009 : 20:26

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L’éducation dispensée dans les écoles de l’Alliance israélite universelle offrit à l’élite juive une option parallèle d’identification. Elle conféra aux Juifs un statut spécifique, et même privilégié, par rapport aux Musulmans.

À la différence des communautés juives d’Europe occidentale, le processus d’émancipation des Juifs du Maroc ne s’est pas accompli par le biais de l’assimilation au sein de la société majoritaire. L’assimilation socioculturelle était plutôt orientée vers la puissance coloniale et non vers la société arabo-musulmane.

L’éducation française n’eut certes pas pour effet de créer une reconnaissance envers le Protectorat, mais engendra une attache culturelle avec la France et une soif vitale de la langue française. Ainsi surgirent les conditions d’une identification non seulement double, cas habituel dans les communautés juives en Occident, mais aussi triple, similaire, dans une certaine mesure, à la situation de certaines communautés juives d’Europe orientale, dont les membres cultivés portaient leur regard vers l’Occident.

Le Protectorat français au Maroc prit fin le 2 mars 1956. Sur une population de près de dix millions de personnes au moment de l’indépendance, la communauté juive comptait quelque 230 000 âmes dont la plupart habitaient les grandes villes, surtout à Casablanca. Au début du Protectorat, peu de Juifs quittèrent le Maroc à destination de la France, de l’Espagne ou de l’Amérique du sud. Je divise habituellement l’émigration juive en dehors marocaine en trois périodes : la période de Qadimah (11), qui s’étend de la création de l’État d’Israël à l’indépendance du Maroc (1948-1956) ; la période de la Misgeret, où l’émigration s’effectua clandestinement (entre 1956 et novembre 1961) ; et la période de l’Opération Yakhin durant laquelle l’émigration se fit au moyen de passeports collectifs après un accord avec les autorités marocaines (1961-1966). Dans les années 1948-1949, près de 22 900 Juifs partirent en Israël. Entre l’indépendance d’Israël et l’indépendance du Maroc, les Juifs émigrèrent vers le jeune État d’Israël au rythme de 3 000 personnes environ chaque mois.

Pendant toutes les années d’activité de l’organisation Qadimah (1949-1957), près de 110 000 Juifs quittèrent le Maroc, et quelque 120 000 y demeurèrent jusqu’en 1961 - (12). Entre 1957 et novembre 1961 l’émigration organisée par la branche du Mossad devint clandestine : lle réussit tant bien que mal à faire sortir 29 472 Juifs. De novembre 1961 à la fin 1964, 83 707 Juifs quittèrent légalement, bien que discrètement, le pays. En 1965, y vivaient encore près de 55 000 Juifs. En 1972 il n’en restait pas plus de 30 000 et en 2003 moins de 5 000 (13). Entre 1948 et 1967 un total de 237 813 Juifs arrivèrent du Maroc en Israël (14). Ainsi s’effectua l’évacuation quasi totale d’une communauté juive enracinée en Afrique du Nord depuis l’époque romaine.

Notes

11. L’organisation Qadimah a été créée sur l’initiative du Mossad pour l’emigration clandestine en juillet 1949, et passa au début 1952 sous la responsabilité du département de l’immigration de l’Agence juive. Cette organisation avait des bureaux à Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès, et par la suite dans douze autres localités. Le nom Qadimah est considéré comme étant celui du camp de transit pour émigrants près d’Aljadida, à 26 km de la ville. Le camp s’étendait sur une superficie de 38 hectares et appartenait à Joseph Bouganim qui l’avait loué au Joint, depuis le début octobre 1949, contre un demi-million de francs par an. Aux yeux des autorités marocaines, Qadimah était le nom de l’organisation sioniste agissant clandestinement sur le territoire marocain.

12. Au cours de la dernière année du Protectorat français, entre 3 000 et 4 000 Juifs quittèrent le Maroc pour Israël chaque mois. Témoignage de [S. Y.] Shlomo Yehezqeli, Eliezer Shoshani, Neuf années entre mille, Document ronéotypé, ultra secret, Exemplaire n°76, avril 1964, (Shoshani, Neuf années), p. 37, (heb.).

13. Données sur l’émigration de l’Agence juive, Shoshani, Neuf années,
(heb.), p. 203.

14. « L’émigration en Israël, 1948-1972 », Annuaire historique 1975, tome 2, tableau A p. 45.


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Date: 31 mars 2009 : 20:32

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La politique du jeune état marocain

Après l’indépendance, le royaume marocain, devait choisir entre la poursuite des relations avec la France, sa culture, sa langue et l’Occident démocratique d’une part, et l’alignement sur les pays du Moyen-Orient, leur politique panarabe et leur relation néfaste avec la population juive, d’autre part. Le statut juridique des Juifs dans le nouvel état n’était pas clair.

Les Juifs devaient-ils revendiquer des droits particuliers en tant que minorité ethnique à l’écart du reste de la population, ou bien s’assimiler au sein de la nouvelle société, de sa culture et de sa langue, au point de s’y fondre, à l’instar des communautés juives d’Europe occidentale ? Si la première option comptait peu de partisans dans la classe intellectuelle, car ses adeptes potentiels préféraient tout simplement quitter le Maroc, la seconde eut, dans un délai relativement bref, sa période de gloire. Mais la réalité politique marocaine bouleversa la situation.

Bien vite, il s’avéra que ce qui valait pour les Juifs de France au lendemain de la Révolution et pour les Juifs d’Europe occidentale par la suite ne convenait pas au nouvel état arabe et musulman, même après une présence française de quarante ans.

Si l’histoire de la communauté juive du Maroc après l’indépendance n’est pas identique à celle des autres pays arabes, qui expulsèrent bien vite leurs Juifs après la création de l’état d’Israël, elle fut marquée par la crainte permanente d’un avenir incertain et inquiétant, voire d’une éventuelle et imminente catastrophe (15). La communauté était préoccupée par ces questions déterminantes pour son avenir, pour le meilleur ou pour le pire. Le royaume marocain indépendant devait trancher à leur propos. Ses décisions politiques allaient déterminer le sort des Juifs, soit vers un renouveau individuel et communautaire au sein d’un pays démocratique et moderne, soit sur le départ précipité. En plus du surgissement du conflit du Moyen-Orient au coeur des relations judéo-musulmanes au Maroc, se développa en chaque Juif la crainte de perdre les avantages acquis auparavant par rapport aux Musulmans.

La remise en cause de ces privilèges consécutive à l’adoption d’une politique d’arabisation de l’administration publique et du système judiciaire risquait de réduire à néant les avantages d’une éducation française ouvrant l’accès à de postes clé dans la fonction publique. Dans les professions libérales et la bourgeoisie juives régnait un sentiment d’appréhension, provenant de la nécessité de choisir entre la langue et la culture françaises, qu’ils avaient assimilées avec enthousiasme, et le processus futur d’arabisation, porteur d’un bagage culturel musulman défavorable aux Juifs. La crainte de perdre ces avantages à la suite de l’arabisation créa dans la communauté un état d’insécurité chronique, qui ne fit que se renforcer.

Le Maroc ne pouvant pas assurer un avenir meilleur à ses citoyens juifs dans un état arabo-musulman, il n’y avait d’autre choix que de partir.

Notes

15. Amina Boubia, « Juifs du Maroc contraints à l’exil ? », Le Journal Hebdomadaire n° 341, du 15 au 21 mars 2008, Casablanca, pp. 56-57.

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Date: 31 mars 2009 : 20:44

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L’histoire du Maroc au cours des sept premières années de son indépendance est aussi celle des échecs de ses dirigeants dans leurs rapports avec la communauté juive. Les jeunes dirigeants du nouvel état qui aspiraient à évoluer vers une société démocratique et moderne échouèrent dans leurs tentatives d’intégrer en son sein une population non musulmane, ancrée dans le pays bien avant l’islamisation et l’arabisation du Maroc. Il convient de préciser que le royaume marocain était l’un des rares pays arabo-musulman à avoir nommé un ministre juif, le Dr Léon Benzaquen, dans son premier gouvernement.

En dépit de nombreuses tentatives de garantir la présence juive dans l’état indépendant, le Maroc commit des erreurs qui amenèrent les Juifs à mettre en doute leur avenir dans ce pays. L’erreur la plus grave fut la restriction de la liberté de circulation et les entraves à l’obtention de passeports. Plus les autorités marocaines s’efforçaient de retenir les Juifs dans le pays, plus elles diminuaient leur volonté d’y rester.

De ce point de vue, ces premières années d’indépendance constituent un moment décisif dans l’histoire de la nouvelle société marocaine. Ses dirigeants ayant vécu l’humiliation du colonialisme devinrent progressivement plus sensibles aux liens culturels et sociaux avec le monde arabe, et supportèrent sans enthousiasme les pressions de la Ligue arabe et l’influence néfaste du nassérisme. Cet état de chose engendra une politique qui écarta progressivement la possibilité que des citoyens juifs puissent s’intégrer dans le Maroc indépendant, alors que d’autres options plus attrayantes s’ouvraient déjà à eux.

Les atteintes aux droits des Juifs et au statut de la communauté Malgré les déclarations rassurantes des autorités et l’euphorie qu’a vécu la classe intellectuelle juive, juste après l’indépendance, le souvenir douloureux de deux événements sanglants resta gravé dans sa mémoire collective16. L’incident qui marqua l’histoire de la communauté s’était produit dans la nuit du 7 au 8 juin 1948, trois semaines après la création de l’État d’Israël et le début du conflit avec ses pays voisins. Le sultan Mohammed Ben Youssef comprit le danger que représentait pour la communauté juive le conflit israélo arabe.

Le 23 mai, il s’adressa à son peuple en lui rappelant son obligation de protéger ses citoyens juifs et demanda aussi à la communauté de ne pas manifester sa solidarité avec le nouvel état juif.

Dans la ville orientale d’Oujda et dans le village voisin de Jerrada, distant de 46 km, éclatèrent des émeutes qui restèrent profondément gravées dans la conscience juive. Oujda servait à cette époque de ville de transit pour les Juifs qui quittaient le Maroc à destination d’Israël, en passant par l’Algérie voisine. En juillet 1948, dans le cadre des actions contre le pouvoir occupant français, des Musulmans attaquèrent ceux qu’ils considéraient comme leurs collaborateurs juifs. À Oujda, quatre Juifs, et un Musulman qui tentait de les protéger, furent assassinés. À Jerrada, 39 Juifs furent tués et 30 furent grièvement blessés. Le rabbin de la communauté, Moshe Cohen, trouva la mort dans ce pogrome. Cependant, il convient de souligner que dès le mois de mai, le président de la communauté d’Oujda, Obadia, avait averti les autorités françaises de l’effervescence antijuive dans la ville mais, étonnamment, le contrôleur civil, qui tenait lieu de gouverneur régional du Protectorat dans la ville, avait quitté les lieux un jour auparavant. Ceci fait peser de lourds soupçons sur les autorités françaises d’avoir fomenté des troubles antijuifs pour semer la discorde entre les deux communautés. Néanmoins, le mobile des émeutes était peut être lié aussi à l’émigration vers Israël et à la situation au Moyen-Orient, et non à des mobiles locaux (17).


Notes

16. Y. Bin-Nun, « Entre euphorie et déception, La communauté juive marocaine après l’indépendance », Gesher 148 (heb.), Jérusalem 2004, pp. 45-59.

17. Y. Tsur, Une communauté déchirée, Am Oved, Tel Aviv University 2001, (heb.), pp. 394-396.


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Date: 31 mars 2009 : 21:39

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Un autre incident antijuif se produisit le 3 août 1954 dans la ville de Sidi Qassem (Petit Jean), où six commerçants juifs de Meknès furent tués. Contrairement au pogrome d’Oujda, cet incident n’avait pas de lien avec le conflit israélo-arabe. Dans cette petite ville habitaient seulement une cinquantaine de Juifs, mais des commerçants juifs de Meknès, la ville voisine, venaient y faire leurs affaires. Ce qui déclencha le massacre était l’exigence du mouvement national marocain de fermer les magasins le vendredi. Des pressions inverses furent exercées par les policiers français pour ouvrir les magasins, en dépit des menaces. Au cours de cette situation explosive, quelques manifestants marocains collèrent des photographies du roi en exil sur les magasins, y compris sur ceux appartenant aux Juifs. Un policier français qui tenta de retirer les photographies s’en sortit indemne, mais la foule en colère se retourna contre les commerçants juifs qui furent accusés de s’être opposés à la grève. Les Juifs en subirent de lourdes conséquences : Samuel Boussidan, Shalom Elfassi et son fils âgé de 22 ans, Elie Toledano et son fils de 12 ans, et Abraham Amar furent assassinés, après avoir subi des traitements cruels et leurs corps furent brûlés par les manifestants.

Cet incident tragique ne fut pas mentionné dans la presse israélienne de l’époque, bien que le ministère des Affaires étrangères eut reçu des photos et un compte-rendu de l’événement (18). Mais l’instabilité politique et l’incertitude planaient sur l’avenir de la communauté.

Les déclarations sur l’arabisation prochaine de l’administration et l’adhésion du Maroc à la politique panarabe ravivèrent la mémoire de ces deux incidents, et incitèrent les Juifs à quitter un pays incapable de garantir leur sécurité.

Après une courte période d’euphorie qui anima l’intelligentsia juive, et malgré les avantages acquis en matière de promotion professionnelle dans la fonction publique et dans les divers ministères, les difficultés commencèrent à surgirent. Elles concernaient principalement les entraves à l’octroi de passeports qui restreignaient la liberté de circulation, la rupture des relations postales avec Israël, la marocanisation des associations, l’arabisation de l’administration publique et l’adoption d’une nouvelle constitution définissant le Maroc comme un état islamique. En outre, les atteintes contre les Juifs de la part de policiers marocains lors de la visite d’Abdel Nasser à Casablanca après l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe et son ralliement à l’idéologie panarabe en politique étrangère ne firent qu’aggraver la situation déjà tendue.

Cette série d’événements suscita progressivement un sentiment de méfiance envers les autorités, et la conviction grandissante qu’à long terme il n’y avait plus d’avenir dans ce pays et qu’il fallait se préparer à partir avant la catastrophe prochaine. Qui plus est, on ne peu nier le fait que la création d’un état juif en Israël, juste après la shoah, ranima des sentiments d’ordre messianiques, bien ancrés dans la liturgie juive, et toujours ardents dans la masse populaire juive.

Notes

18. J. Derogy et H. Carmel, Le siècle d’Israël 1895-1995, Les secrets d’une épopée, Fayard, Paris 1994 ; S. Steven, The Spymasters of Israël, Mac Milan, New York 1980.

"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
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Date: 31 mars 2009 : 21:50

La question de l’émigration et l’octroi des passeports


Le problème de l’émigration juive, formulée plus diplomatiquement comme le droit à la liberté de circulation, inquiétait les dirigeants de la communauté à cause des obstacles dressés par les autorités pour obtenir des passeports. Les Musulmans n’avaient aucun problème à les recevoir, tandis que les Juifs devaient subir des enquêtes et attendre plusieurs mois avant de recevoir, trop souvent, une réponse négative.

La question des passeports demeura énigmatique aux yeux des dirigeants de la communauté. Fallait-il croire à la sincérité des autorités promettant de délivrer des passeports à toute personne désirant se rendre à l’étranger ? Fallait-il croire que ces promesses n’étaient plutôt enfreintes que par des fonctionnaires locaux, passant outre aux instructions de leurs supérieurs ? Fallait-il plutôt se méfier des promesses qu’on n’avait pas l’intention de tenir et qui ne cherchaient qu’à apaiser les mécontentements ? Avec le temps, une procédure fut mise en place par les fonctionnaires.

Après un premier entretien, ils demandaient aux solliciteurs de passeports de revenir au bout d’un certain temps pour confirmer leur décision de quitter le pays. Les enquêtes embarrassantes sur le but du voyage et sa destination finale et la crainte d’éventuelles sanctions découragea la masse juive d’oser même entamer une procédure de demande de passeport. Plusieurs l’abandonnaient en cour de route. Ceux qui persistaient virent souvent leur demande rejetée. Ceux qui l’obtenaient étaient en général des étudiants ou des personnes aisées qui devaient se rendre à l’étranger dans le cadre de leurs affaires et qui en plus devaient proposer des pots-de-vin pour écourter le processus. Lorsque les fonctionnaires soupçonnaient le demandeur de vouloir émigrer en Israël, ils ne délivraient de passeports qu’à une partie de la famille, les autres membres tenant lieu d’otages.

Même les milieux libéraux marocains s’opposèrent à l’idée d’une émigration juive. Ils souhaitaient afficher devant l’opinion publique mondiale le visage d’un Maroc moderne soucieux d’accorder l’égalité des droits à tous ses citoyens sans distinction de religion. Les jeunes dirigeants du pays craignaient aussi que le départ des Juifs n’affaiblisse l’économie du pays qui cherchait à la consolider après le départ des Français. D’autre part, les milieux panarabes de l’aile conservatrice de l’Istiqlal craignaient que des Juifs marocains aisés aillent renforcer les forces sionistes en Israël contre la nation arabe. Contrairement à la position des représentants du palais, les dirigeants de l’Istiqlal et leurs journaux Attahrir et Avant-garde exigèrent la fermeture du camp de transit pour les immigrants Qadimah, installé par l’Agence juive près d’Aljadida (Mazagan). Pourtant, même le dirigeant traditionnel de l’Istiqlal, Allal Alfassi, déclara à lusieurs reprises que conformément aux principes de liberté et de démocratie qui lui étaient chers, il ne s’opposait pas au droit des Juifs de quitter le Maroc.

En février 1956, le journal du Parti Démocratique pour l’Indépendance (PDI), présidé par Mohammed Hassan el Ouazzani, publia un éditorial dans lequel il s’adressa aux Juifs leur demandant de surmonter leurs difficultés provisoires et de renoncer à leur intention de quitter le pays. Il souligna que les organisateurs de l’émigration juive devaient être considérés comme des ennemis du Maroc et de la nation tout entière19. Dans un autre article, le journal précisa : « Nous ne pouvons pas supporter que les sionistes impérialistes enrôlent les Juifs marocains, qui sont des citoyens à part entière de notre pays, pour les transformer en colons sur une terre arabe appartenant aux Palestiniens. Ne soyons pas complices de cette injustice. Le ministre de l’Intérieur doit, par conséquent, prendre immédiatement les mesures
nécessaires et ne plus accorder de passeports collectifs aux Juifs qui veulent se rendre en
Israël » (20).

19. R. Assaraf, Mohammed V et les juifs du Maroc, Préface de Michel Abitbol Plon, Paris 1997, p. 239.

20. B. Duvdevani, directeur du département de l’Immigration de l’Agence juive à Paris, à Sh. Shragay, 10 mai 1956, Archives Nationales d’Israel, Ministère des Affaires Étrangères – ANI AE, 2388/6B.

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Date: 31 mars 2009 : 21:59

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Lorsque Alfassi rentra au Maroc, en août 1956, l’organe de l’Istiqlal Al ‘alam publia un article écrit par le dirigeant en exil, qui cherchait à reprendre une place au sein de la direction de l’État, après une longue absence. Il couvrit de louanges le roi pour avoir empêché l’émigration des Juifs en Palestine arabe, asservie par l’impérialisme sioniste, et pour avoir dissous l’organisme Qadimah qui s’en occupait à l’époque du Protectorat. Alfassi définit ainsi l’identité des émigrants : « Nous savons que ces émigrants ne font pas partie des pauvres, mais des classes moyennes qui emportent de l’argent qu’ils ont reçu en vendant leurs biens. Ce qui signifie que nous offrons à Israël des centaines de sionistes riches et en bonne santé pour habiter une terre arabe et pour faire la guerre à nos frères arabes21 : notre indulgence a des limites ! Les droits dont bénéficient nos frères juifs leur imposent l’obligation de loyauté envers leur patrie et à ses habitants.

La propagande sioniste induit les Juifs en erreur et tente de nous tromper. Nous demandons au ministre de l’Intérieur de mettre fin à cette situation honteuse qui touche le point le plus sensible du Maroc, de ne pas délivrer de passeports collectifs et de ne pas laisser partir ceux qui veulent émigrer en Israël » (22).

En dépit de ses attaques contre les sionistes et Israël, Alfassi appelait les Juifs « nos frères » mais ne leur accordait des droits qu’à condition qu’ils soient loyaux envers l’état. En outre, bien que le dirigeant de l’aile gauche de l’Istiqlal, Mehdi Ben Barka, se soit illustré par son rapport positif aux Juifs, il n’hésita pas à qualifier ceux qui quittaient le Maroc de traîtres. En novembre 1957, Ben Barka, en tant que président de l’assemblée nationale consultative, mit en garde les Juifs, les prévenant que l’émigration risquait d’inciter des Musulmans à commettre des actes antisémites contre ceux de leur coreligionnaires qui resteraient au Maroc, et que ces émigrants en porteraient la responsabilité (23).

La position du palais envers l’émigration, nous est fournie par le compte rendu des entretiens de Wolfgang Bertholz de Berne avec Ahmed Alaoui, directeur du service de presse du palais, en juillet 1958 (24).

Alaoui n’hésita pas à reconnaitre que les autorités dressaient des difficultés contre l’émigration et que les fonctionnaires retardaient l’octroi du passeport pour donner au Juif le temps de réfléchir. « Nous le prévenons sur ce qui l’attend en Israël et nous l’informons sur les Juifs qui veulent retourner au Maroc après leur déception de l’expérience israélienne. Nous l’informons aussi sur les nombreux Juifs qui attendent leur retour au Maroc dans les camps de transit de Marseille […]25 La décision finale de permettre à un Juif de quitter le Maroc ou pas est de notre ressort, bien entendu. Si son émigration est contraire aux intérêts du Maroc, si par exemple ce Juif est indispensable au pays du point de vue économique […] nous n’autorisons pas son départ ». À la question de Bertholz de savoir si un Juif était décidé malgré tout à partir en Israël, Alaoui répondit : « qu’il aille au Diable ! » (26)

Notes

23. H. Lehrman, « L’El Wifak chez les Juifs marocains, entente cordiale ou collaboration », L’Arche n° 20, 21 septembre 1958.

24. Le 23 mars 1976, Alaoui écrivit dans le quotidien Maroc Soir : « Les Juifs constituaient au Maroc une des communautés des plus particulières […] Leur départ fut une perte dans les domaines de la culture et de l’économie, car le Maroc a perdu un élément important de son essence ». V. Malka, David Amar ou la passion d’agir, Biblieurope, Paris 2003, pp. 110-111.

25. Compte-rendu de V. Bertholz de Berne, 22 juin 1958, ANI AE, 4317/10 II.

26. V. Bertholz, op. cit.




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Date: 27 mai 2009 : 17:26

La rupture des relations postales

L’événement qui atténua l’euphorie du début de l’indépendance et provoqua une dégradation progressive des relations entre les autorités marocaines et le monde juif se produisit le 22 septembre 1959, alors que le gouvernement de gauche était au pouvoir. Sur l’initiative du roi, les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe se réunirent à Casablanca pour leur 32e conférence. Les entretiens du roi Mohammed V avec Hussein de Jordanie et Fayçal d’Arabie lors de sa visite au Moyen-Orient avait même suscité des déclarations anti-israéliennes ainsi qu’à des appels à l’arabisation linguistique. La décision de créer une « Union postale arabe » entraîna la rupture unilatérale des relations postales, télégraphiques et téléphoniques entre le Maroc et Israël. Exceptionnellement, cette décision ne s’appliqua pas aux appels d’urgence en provenance de navires en détresse. Trois jours après, des affiches furent placardées dans
les bureaux de poste, indiquant que tout courrier envoyé à destination d’Israël serait renvoyé à son expéditeur. Le nombre de courriers expédiés entre les deux pays atteignait 30 000 lettres par mois dans chacune des deux destinations. Au Maroc, chaque famille juive envoyait
en Israël en moyenne une lettre par mois27. Près de 150 000 Juifs du Maroc furent d’un jour à l’autre coupés de leurs proches estimés à quelque 120 000 personnes en Israël. Cette décision porta un coup dur à un semblant de symbiose qui s’était esquissée dans les relations judéomusulmanes.

Certaines familles brûlèrent les timbres israéliens en leur possession pour dissimuler toute référence à Israël de crainte d’éveiller des soupçons. La rupture des relations postales porta un coup sévère à la communauté et aggrava l’atmosphère de soupçon et d’inquiétude quant à l’avenir des Juifs au Maroc.

Le dahir de la marocanisation

La décision gouvernementale du 26 novembre 1958, exigeant de enouveler l’inscription de tous les organismes bénévoles, juifs et musulmans, au ministère de l’Intérieur, inquiéta sévèrement les directeurs des institutions juives. Peu de temps après l’indépendance, Lalla ‘Aïcha, fille aînée de Mohammed V, décida de créer l’association L’Entraide nationale, pour regrouper tous les organismes de bienfaisance du pays. Les nouveaux statuts avaient entre autres pour but de marocaniser les comités directeurs locaux des associations et organismes étrangers. La réinscription en tant qu’association était soumise à deux conditions : seuls des citoyens marocains devaient siéger dans les comités directeurs ; seules les cotisations et les subventions gouvernementales étaient permises. Il était dorénavant interdit à tout organisme de recevoir des dons provenant de l’étranger. Les organismes juifs craignaient que les autorités ne se contentent pas de nommer des partisans de l’intégration comme nouveaux membres dans les conseils des communautés, mais aussi qu’ils les obligent à ouvrir leurs écoles et leurs hôpitaux aux Musulmans. Au début, on leur demanderait d’offrir leurs services à quelques Musulmans, mais progressivement les nouveaux venus deviendraient majoritaires et domineraient les comités directeurs de ces institutions. Le président de la communauté,
David Amar, proposa de modifier les statuts du Conseil des communautés, afin de surmonter les problèmes juridiques de son organisme et le redéfinir comme minorité ethnique distincte.

Les autorités, préoccupées par des problèmes plus pressants, ne souhaitaient pas affronter la communauté sur un sujet aussi fondamental. Ces nouveaux statuts restèrent longtemps au stade de proposition jamais débattue. Etant donné que la plupart des organismes juifs internationaux étaient dirigés par des Juifs de nationalité étrangère vivant au Maroc ou à l’étranger, certains d’entre eux furent contraints de modifier la constitution de leur direction et de nommer des directeurs de nationalité marocaine. Les anciens directeurs prirent le titre de conseillers.

Jusqu’alors, les organismes juifs de bienfaisance bénéficiaient du financement de l’état, comme sous le protectorat, mais ils craignaient que les autorités n’exigent par la suite de décider elles-mêmes de la répartition des subventions provenant du Joint américain. À cette époque, un membre de l’assemblée consultative du parti Istiqlal, faisant référence au Joint, critiqua le fait qu’un organisme étranger était autorisé à favoriser une partie de la population selon des critères religieux. Les organes du parti approuvèrent sa critique, ce qui suscita un désarroi au sein des organismes juifs qui bénéficiaient des dons du Joint. En mars, on adopta une résolution à l’encontre de dons répartis au Maroc par des organismes étrangers. Les institutions juives comme l’AIU28, l’ORT, Otzar ha-Torah et le Joint estimaient que la fin de leur existence approchait, mais en dépit de ces appréhensions, rien ne changea de fait. Par mesure de prévention, le Joint distribua même des surplus de nourriture à des jardins d’enfants musulmans et accorda une aide financière à un organisme bénévole musulman.



Notes

27. « Les service de renseignement de la Misgeret, Maroc 1958-1960 », Témoignage de Hagay Lev,Organisation des Volontaires de la clandestinité et de la Haapala en Afrique du Nord, (OVCHAN) 4, M.Knafo ed., (heb.).

28. Cf. Y. Bin-Nun, « La culture française dans la communauté juive du Maroc indépendant » REEH, Revue Européenne d’Etudes Hébraïque n°7, Paris, 2003, pp. 19-41.




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Date: 27 mai 2009 : 17:38

Le poids de l’islam dans la constitution marocaine

Malgré les déclarations apaisantes des autorités, les dirigeants de la communauté juive ne pouvaient pas ignorer le fait majeur que le Maroc indépendant est défini dans sa constitution comme un état musulman dans lequel l’Islam jouissait d’un statut particulier, bien que le premier article de la constitution définît le Maroc comme un royaume constitutionnel démocratique et social et que l’article 5 déclarât expressément que tous les Marocains étaient égaux devant la loi. En outre, les Juifs, très sensibles à la question de la liberté de circulation, ne trouvèrent pas dans l’article 9 aucune référence au droit de quitter le Maroc ou d’émigrer, mais uniquement au « droit de s’installer librement dans tout le royaume ».

Le problème n’était pas d’ordre juridique uniquement. Le Maroc post-colonial était une société dans laquelle la religion occupait une place primordiale et toute sa culture reposait sur l’Islam. Cette réalité socioculturelle ne laissait plus de place aux non-Musulmans, ni même aux laïques, comme dans les pays occidentaux. De ce fait, toute tentative de surmonter le problème de l’existence d’une communauté juive dans une société musulmane était vouée à l’échec.

L’intelligentsia juive tenta un certain temps d’ignorer le problème, dans l’ardeur enthousiaste de l’indépendance, mais elle dut vite déchanter. La classe dirigeante du pays fut un temps partagée entre sa volonté d’adopter le principe occidental de démocratie, et la fraternité panarabe qui soufflait de l’Orient, mais les contrecoups du panarabisme et du panislamisme n’épargnèrent pas le Maroc. Son adhésion à la Ligue arabe, la rupture des relations postales avec Israël et le processus d’arabisation de l’administration firent pencher
la balance et écartèrent toute chance de voir les Juifs jouir dans le nouvel état indépendant d’un statut laïque et démocratique, pareil à celui des Juifs d’Europe occidentale.

La conversion forcée des jeunes filles juives

Au début des années soixante, alors que l’émigration était déjà légale bien que discrète, un phénomène nouveau vint ébranler la vie de la classe moyenne juive au Maroc. Ce furent quelques cas de conversions de jeunes filles juives à l’Islam. Ces cas seraient passés inaperçus si le nouveau ministre des affaires islamiques, le chef du parti de l’Istiqlal, Allal Alfassi, fervent partisan du panarabisme et défenseur de l’Islam, n’avait décidaé d’en tirer politiquement profit. Dans l’organe arabe de son parti, Al ‘alam, il publia quotidiennement
les noms et les photographies de jeunes Juives qui se convertissaient à l’Islam. Il alla même jusqu’à consacrer le stand de son ministère à la Foire internationale de Casablanca à une exposition de ces photographies, incitant par cet acte d’autres jeunes à se convertir.

Les dirigeants de la communauté ne tardèrent pas à réagir durement contre les méthodes de ce héros du mouvement national marocain, dont certaines opinions inquiétaient déjà la rue juive.
La Voix des communautés, rédigé par Victor Malka, consacra trois numéros à ce problème et en fit son cheval de bataille contre le ministre29. David Amar ameuta l’opinion publique en publiant un supplément de l’organe des communautés en arabe, destiné aux dirigeants
politiques arabisants. Il accusa le ministre de vouloir tirer profit sur ses adversaires politiques sur le compte de la communauté, au lieu de s’occuper des mosquées, des prêches et des pèlerinages. Il s’adressa au ministère de la justice pour arrêter la publication de ces
photographies dont quelques-unes, avec onze noms de jeunes Juives, furent reproduites dans l’organe de la communauté.

Le juriste Carlos de Nesry publia une série d’articles dans La Voix des communautés et dans la revue parisienne L’Arche où il expliqua la gravité du problème. Se fondant aussi bien sur la halakha juive que sur la shari‘a musulmane, il ne s’opposa point au fait qu’une personne
majeure puisse adopter consciemment et par conviction une autre religion que la sienne. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une jeune fille mineure, de moins de vingt ans, qu’on enlève de sa famille pour la marier à un Musulman et ensuite la forcer par divers moyens à se convertir, cette situation devient insupportable, la conversion n’étant en fait qu’un détournement illicite et abusif30. Même l’hebdomadaire satirique Akhbar dounia, souvent critique envers la communauté, jugea nécessaire de critiquer le ministre des affaires islamique qui prétendait que telle « mineure » avait embrassé l’Islam « par pure conviction ».

Le reniement de la foi ne manqua pas d’éveiller dans l’imaginaire juif l’image héroïque de la jeune Sol Hatchouel (Solica la juste 1820-1834) de Tanger, décapitée sur la place publique à Fès parce qu’elle refusa de renier sa religion et de se convertir à l’Islam31. Le problème des conversions forcées, tout négligeable qu’il soit, ne manqua pas de secouer l’opinion publique juive au début des années soixante, à une époque où l’émigration était déjà légale et bâtait son plein.

Si jusqu’alors ce n’étaient que les classes sociales les moins favorisées qui s’empressaient de partir, le drame des conversions forcées ébranla la quiétude des classes moyennes qui voulaient avant tout assurer l’avenir de leurs enfants.

Notes

30. L'Arche n°57, oct. 1961 ; V. Malka, David Amar ou la passion d'agir, p. 78.

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Date: 27 mai 2009 : 17:54

Le tournant décisif de l’année 1961 : le naufrage du Pisces

L’année 1961 fut une année décisive dans l’histoire du Maroc. Elle vit se dérouler des événements déterminants pour le destin des Juifs : le 3 janvier, Gamal Abdel Nasser arriva au Maroc pour participer à la conférence de la Ligue arabe à Casablanca. Sa visite déclencha une vague d’incidents qui resta gravée dans la mémoire de la communauté.

Le 11 janvier, le bateau d’émigrants Pisces (Egoz) coula avec 45 personnes à son bord. Un mois plus tard, à l’occasion de la cérémonie commémorative de leur disparition, la Misgeret (32) distribua des tracts contre les autorités, ce qui entraîna plusieurs arrestations et l’effondrement du réseau clandestin israélien au Maroc. Le 26 février, le roi Mohammed V décéda, quelques jours seulement après avoir reçu les dirigeants de la communauté pour écouter leurs doléances et les rassurer. Son fils Moulay Hassan fut couronné roi à sa place. Au début août, les négociations entre Israël et les autorités marocaines pour une évacuation des Juifs du pays aboutirent et le 21 novembre débuta l’opération Yakhin, au cours de laquelle les Juifs commencèrent à quitter le Maroc avec des passeports collectifs et individuels pour s’installer principalement en Israël. Cette année fut sans doute une date charnière dans l’histoire de la communauté, qui transforma aussi la démographie d’Israël.

La visite du président égyptien à Casablanca fut un événement traumatisant pour la communauté. Il était le symbole du réveil nationaliste panarabe et de l’effondrement de plusieurs régimes monarchiques. Cette tendance ne manqua pas d’inquiéter le régime marocain qui dut s’aligner, contre son grès, sur les tendances pro-nassériennes de son opinion publique. La politique anti-israélienne de Nasser rapprocha le conflit israélo-arabe du coeur des Marocains, ce qui renforça leur nationalisme arabe et suscita une certaine hostilité envers l’Occident, imperceptible auparavant. Les Juifs, de leur côté, attendaient avec angoisse l’ennemi d’Israël, pour voir comment sa visite pouvait avoir une influence sur leurs relations
avec les Musulmans. Nasser atterrit au Maroc le 2 janvier 1961 mais, dès la veille, des témoignages avaient fait état d’exactions policières contre des passants juifs. Des policiers insultèrent des vieillards, des femmes et des enfants dans la rue parce qu’ils portaient des vêtements avec un mélange de couleurs bleue et blanche, rappelant, à leur avis, le drapeau israélien. On leur reprocha aussi de porter des vêtements noirs, comme signe de deuil envers l’ennemi d’Israël. Des policiers insultaient le Premier ministre israélien Ben Gourion (33). On entendit parallèlement des policiers glorifier Nasser, le dirigeant du monde arabe. Il est nécessaire de noter à ce sujet que cette atmosphère n’avait rien de spontané. Elle est la conséquence, au moins en partie, de la propagande panarabe diffusée dans la presse en langue arabe des partis politiques, à la veille de la visite (34).

Les dirigeants de la communauté dressèrent une liste détaillée des actes antijuifs au cours de ces dix jours néfastes, du premier janvier jusqu’au naufrage du Pisces, le 10 janvier. Le compte-rendu faisait état de vingt incidents, au cours desquels des policiers s’en prirent à 200 ou 300 Juifs, dont certains furent même arrêtés35. Ces incidents ne firent pas de victimes et les personnes interpellées furent relâchées au bout de quelques heures, mais cela ne calma pas l’atmosphère lourde d’inquiétudes dans la population juive (36).

L’événement le plus grave commis par la police marocaine eut lieu l’après-midi du samedi 8 janvier, dans le quartier d’Aïn Seba‘ à Casablanca, au cours duquel 25 élèves de la yeshiva Névé Shalom furent arrêtés. Les élèves étaient sortis en toute innocence pour assister au passage du cortège de Nasser en route pour l’aéroport pour quitter le Maroc, lorsqu’ils furent arrêtés par des policiers qui les interpelèrent. Emmenés au poste de police, ils furent accusés d’avoir manifesté contre Nasser sous l’instigation d’Israël. Lorsque le directeur de la yeshiva, le rabbin Meir Wrechner, citoyen suisse, se rendit au poste de police pour demander de les relâcher, les policiers en profitèrent pour l’insulter, le frapper et l’arrêter (37). Le soir, les élèves furent relâchés, mais le rabbin resta en garde à vue. Le lendemain, des membres du Conseil des communautés rencontrèrent l’adjoint du gouverneur de la ville, Seddiq Abou Ibrahimi, qui présenta ses excuses pour le comportement des policiers, qui avaient mal interprété les instructions. Le consul suisse et le directeur de l’ORT Bernard Wand Polack intervinrent en sa faveur ainsi que David Amar qui s’adressa au colonel Oufkir, directeur des services de sécurité (38). Max Loeb membre du Conseil municipal de Casablanca et l’ancien ministre Léon Benzaquen rencontrèrent le lundi Ibrahim Zakaria, de la police de Casablanca, qui reconnut que le rabbin avait été frappé et que c’était la raison pour laquelle la police ne voulait pas le libérer dans son état. Le rabbin ne fut libéré que deux jours après, le 10 janvier (39).

Après que les dirigeants de la communauté eurent réuni systématiquement les témoignages sur ces incidents, ils en firent un rapport au roi. Ce rapport contenait aussi des certificats médicaux attestant des traces de coups ainsi que des témoignages d’enfants humiliés par des policiers (40). Le président de la communauté de Casablanca, Meier Obadia s’adressa au gouverneur adjoint de la ville, Mohammed Madbouh, et au commandant de la police, Ali Belqacem, et leur décrivit le comportement des policiers frappant femmes et enfants sans aucune raison. Le gouverneur promit aux dirigeants de la communauté qu’une enquête était en cours et leur demanda d’apaiser les esprits dans les quartiers juifs41. L’homme d’affaires Isaac Cohen Olivar s’adressa de son côté à son associé, le prince Moulay Ali, et se plaignit du comportement de la police de Casablanca. Le prince était déjà informé de la situation et précisa qu’à part à Casablanca rien de pareil ne s’était produit dans une autre ville du Maroc. Il saisit l’occasion pour se plaindre du fait que les sionistes organisaient une campagne de presse contre le Maroc et qu’ils exagéraient la gravité des faits (42). L’ancien ministre Léon Benzaquen déclara aux dirigeants de l’American Jewish Committee, Zakariah Schuster et Abraham Karlikov : « Au moins à présent la situation est claire et la fracture visible ».

Notes

32. La Misgeret est le nom du réseau implanté par le Mossad au Maroc pour veiller tout d’abord de l’autodéfense juive et ensuite à l’émigration clandestine.
33. « Rapport sur le Maroc de la commission internationale de l’AIU, 30 janvier 1961 », ANI AE, 4318/4.
34. Op. cit.
35. M. Gazit de l’ambassade d’Israël à Washington à I. Maroz du ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, 22 février 1961, ANI AE , 941/8.
36. Entretien avec Yigal Bar-On, élève de la Yeshiva, Tel-Aviv, été 000. R. Assaraf nomme le rabbin Vanikof. R. Assaraf, Mohammed V et les Juifs du Maroc, p.255. Victor Malka le nomme Rothschild. V. Malka, David Amar ou la passion d’agir, p. 58.
37. V. Malka, David Amar ou la passion d’agir, p. 58-59. Malka note qu’Oufkir était ministre de l’Intérieur mais il ne fut nommé à ce poste qu’en 1964.
38. Salomon Azoulay précise que la police souhaitait libérer Wrechner dès le dimanche, mais le rabbin refusa d’être libéré avant que les employés de l’ambassade suisse ne viennent photographier les marques
des coups qu’il avait reçus. Entretien avec Salomon Azoulay, Paris, 28 février 2003. Compte-rendu détaillé en français, 10 janvier 1961, ANI AE, 941/7. Rapport non signé, ANI AE, 3329/27. Le premier rapport indique que le rabbin fut emprisonné une semaine, le second indique qu’il fut libéré le 10 janvier, au bout de deux jours. Entretien avec Max Loeb à Netanya, février 1999. Témoignage de Max Loeb, Meir Knafo, Le réseau clandestin juif au Maroc, 1955-1964, Tel Aviv 2001, p. 139.
39. Rapport non signé, ANI AE, 3329/27.
40. La voix des communautés, n° 1, février 1961.
41. Entretien avec Haïm Benassayag, Paris, 2 juillet 2001. Benassayag prit part à cet entretien.
42. Entretien avec Salomon Azoulay, Paris, 28 février 2003.


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Date: 27 mai 2009 : 18:01

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Contrairement au palais, les dirigeants des partis politiques n’avaient pas trouvé nécessaire de dénoncer les attaques et préférèrent ne pas intervenir, de crainte de perdre la sympathie de l’opinion publique. Pourtant, ils n’étaient pas moins inquiets face à la démagogie nassérienne.

Le quotidien de gauche, Attahrir, publia même le 4 janvier une critique sarcastique contre la communauté, à propos de la visite de Nasser : « Il faut remarquer l’absence du grand rabbin de Casablanca [aux réceptions officielles en l’honneur du président égyptien. Ce jour a été décrété comme un jour de deuil par la communauté juive.

C’est ainsi que les Juifs se sont séparés du reste de la nation ». Trois jours plus tard, le journal dut reconnaître son erreur en publiant la réponse du Conseil de la communauté de Casablanca, qui précisait que le rabbin de la ville et les dirigeants de la communauté n’avaient pas participé aux réceptions parce qu’ils n’y furent pas conviés(43). Il semble que les autorités avaient suffisamment de tact pour ne pas embarrasser les dirigeants juifs avec une telle invitation(44).

En dépit des tentatives des autorités pour réparer le préjudice, la visite de Nasser suscita un choc psychologique dans la rue juive. Bien qu’aucun incident ne fût constaté dans les autres villes du pays, l’image du « gentil Marocain » avait terni. Les Juifs, habitués à n’entendre que des déclarations d’apaisement les appelant à considérer le Maroc comme leur patrie, et leur rappelant que le pays avait besoin de leurs talents, furent surpris de découvrir un autre visage du pays. Beaucoup se demandaient si ces événements, en liaison avec le conflit israélo-arabe, seraient sans lendemain ou s’ils étaient annonciateurs d’autres humiliations. Même dans les milieux aisés on commença à ressentir le doute et l’angoisse. Les classes moyennes se demandaient avec appréhension ce que signifiaient ces événements et quels étaient les motifs de cette éruption de violence antijuive à Casablanca. Cette alarme conduisit la petite bourgeoisie à prévoir son départ du pays. Des familles qui ne s’étaient jamais intéressées à l’émigration en Israël n’écartaient plus cette idée. En outre, les partisans de l’intégration dans la société marocaine, parmi lesquels Meier Obadia et Marc Sabbah, révisèrent leurs propos et intensifièrent leurs revendications pour les droits des Juifs(45).

Quelques mois seulement avant le naufrage du Pisces, en octobre 1960, le secrétaire du Conseil des communautés juives, David Amar, traça une image pessimiste de sa communauté devant une délégation du Joint en visite au Maroc. Selon lui, près de 80 % des 240 000 membres de la communauté souhaitaient émigrer et 60 % souhaitaient partir immédiatement, et il fallait les aider à réaliser leur projet. Les 20 % restants espéraient pouvoir rester encore sur place, mais n’écartaient pas la possibilité d’un départ. Parmi ces derniers, il y avait des hommes d’affaires, qui craignaient une détérioration de la sécurité et s’inquiétaient pour leurs biens. Cette catégorie comprenait aussi les fonctionnaires de l’administration publique. Mais
il ne faut pas oublier, expliqua Amar, que d’ici cinq ans environ les écoles arabes pour musulmans formeraient assez de jeunes qui monopoliseraient le marché du travail. Surgirait alors le problème de la concurrence entre employés juifs et musulmans. Les premiers devraient lutter pour défendre leurs avantages. D’après lui, plus personne n’était optimiste : « Aujourd’hui on a besoin de nous, mais qu’en sera-t-il demain ? » (46).

Notes

43. Rapport non signé, ANI AE, 3329/27.
44. Y. Bin-Nun, « La réaction de la communauté juive aux allusions anti juives dans la presse marocaine en 1962-1963 », Qesher n°36 (heb.), automne 2007, pp. 123-130.
45. Rapport non signé [Pinhas Qatsir], « Les événements vécus par les Juifs marocains pendant neuf mois de l’année 1961 », ANI AE, 3755/14. R. Assaraf, Mohammed V et les Juifs du Maroc, pp. 254-255.
46. Alexander [Qorani] à Paris à I. Maroz à Jérusalem, 28 octobre 1960, ANI AE, 4318/4.

"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
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« L’accord de compromis » et les pourparlers qui l’ont précédé.

Après la campagne de presse contre le Maroc qui suivi le naufrage du Pisces, le nouveau roi Hassan II, qui succéda à son père Mohamed V, comprit que, pour garantir une aide financière de la France et obtenir une aide économique et militaire de l’administration Eisenhower, il devait présenter une image positive de son régime. Après le drame du naufrage, le pouvoir marocain comprit qu’il ne pouvait retenir artificiellement ses sujets juifs désirant quitter le pays et qu’il était impossible de mettre fin à l’émigration clandestine sans se mettre à dos l’opinion publique mondiale. Bien que les Israéliens eussent établi des relations étroites avec le dirigeant de l’opposition Mehdi Ben Barka concernant l’émigration, ils préférèrent en fin de compte négocier avec le jeune roi(47). Le but était d’accéder au coeur du pouvoir et ne pas se contenter des accointances avec l’opposition. Une fois le contact était établi avec le palais, Israël l’exploitera pour les besoins de l’émigration, mais aussi comme voie diplomatique pour défendre ses intérêts politiques dans le monde arabe.

En dépit d’une libéralisation ressentie à travers le pays pour l’octroie de passeports, les dirigeants de la communauté craignaient que cette amélioration soit éphémère. De leur côté, les Israéliens étaient convaincus que les passeports ne suffiraient pas pour faire évacuer un grand nombre de Juifs. Il fallait trouver un organisme qui planifie et réalise le départ collectif des Juifs, et en particulier ceux des villages de du Sud qui n’étaient pas en mesure de partir par leurs propres moyens. Malgré les hésitations, les diplomates israéliens comprirent qu’il fallait abandonner, à contrecoeur, la méthode de départs clandestins, qui ne pouvaient faire sortir qu’un nombre négligeable de familles juives vers Israël. À ce stade, on commença à envisager l’idée d’engager des pourparlers avec les autorités marocaines pour accéder à un « accord de compromis ». On proposa d’engager un organisme humanitaire, non israélien, qui servirait de façade officielle au projet d’évacuation. L’HIAS – Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society – qui jouissait d’une image respectable et d’une expérience dans le domaine de l’émigration, convenait à cette mission. C’est ainsi qu’en mai 1961, commencèrent les premiers préparatifs pour contacter le ministre du Travail Abdelkader Benjelloun et le prince Moulay Ali Alaoui, tous deux proches du roi (48).

Malgré leur incertitude quant à la capacité du jeune roi Hassan II de se maintenir au pouvoir face à une opposition acharnée de la gauche pressée de gouverner, les Israéliens s’aperçurent qu’ils avaient devant eux un politicien avisé muni d’une grande lucidité politique. Dans l’entourage du roi, on repéra des personnalités juives ayant des rapports d’amitié avec le roi et ayant aussi des liens économiques avec le palais. Selon Efrayim Ronel, le chef de la Misgeret à Paris : « On avait bien entendu des intentions concrètes. Le roi ne négligeait évidemment pas l’avantage financier dont il pouvait bénéficier grâce à un accord avec nous.
Son orientation pro-occidentale et l’image qu’il se faisait de l’influence de organismes juifs sur la scène internationale pesèrent sur ses décisions à notre égard » (49).

Au début mai 1961, Isser Harel décida de confier au chef de la Misgeret au Maroc, Alex Gatmon, la mission de contacter des intermédiaires juifs pour entamer des négociations avec les autorités. Jusqu’alors, cette tâche incombait à Jo Golan et Alexander Easterman du Congrès juif mondial, ou à des médiateurs comme André Chouraqui ou Marcel Franco de l’Alliance israélite universelle (50). En raison des résultats jugés décevants avec le palais, on décida de les contourner et d’entreprendre une nouvelle démarche qui comprendrai cette fois ci l’option d’une indemnisation financière. La logique de cette option reposait sur l’hypothèse que le départ des Juifs du pays porterait atteinte à son économie et par conséquent le Maroc devait être indemnisé.

Deux personnalité juives établirent ces liens entre Israël et les autorités marocaines : Sam Benazeraf et le Dr Isaac Cohen Olivar. Ce dernier, surnommé Zazak (diminutif d’Isaac51) est né à Tanger. Avocat, et homme d’affaires, il était spécialiste en lobbying économique. En 1951, Isaac Cohen avait déjà des relations étroites d’amitié avec le
prince Moulay Hassan. Après la destitution du roi en août 1953, il fut arrêté par le résident général, le général Guillaume. Les relations de Cohen avec la famille royale entraînèrent sa mise à l’écart par la Résidence, qui l’accusa de soutenir le mouvement national marocain.

Après l’indépendance, le prince nomma Cohen Olivar comme « conseiller personnel »(52) . Il convient de préciser que, contrairement aux informations publiées par Shmuel Segev (53), par Agnès Bensimon (54) et par Tad Szulc(55), Elie Torjman, proche du colonel Mohammed Oufkir, Robert Assaraf, assistant du ministre Réda Guédira et l’ancien ministre, Léon Benzaquen, ne jouèrent aucun rôle dans l’« accord de compromis » conclu avec les autorités marocaines (56).

Notes

47. Y. Bin-Nun, « Chouraqui diplomate, Débuts des relations secrètes entre le Maroc et Israël », Perspectives 12, Revue de l’Université Hébraïque de Jérusalem, réd., F. Bartefeld, Editions Magnes 2008, pp. 169-204
48. Y. Bin-Nun, op. cit.
49. Témoignage de A. R. [Efrayim Ronel], Eliezer Shoshani, Témoignages de camarades, Document ronéotypé, ultra secret, Exemplaire n°76, avril 1964, (Shoshani, Témoignages), (heb.).
50. Sur la contribution de CJM à la défense des Juifs du Maroc, voir Y. Bin-Nun, Psychosis or an Ability to Foresee the Future? The ontribution of the World Jewish Congress to the Establishment of ights for Jews in Independent Morocco, 1955-1961, REEH 10, Paris 2004.
51. Entretien avec Victor Abitbol à Paris, 16 juin 1999. Entretien avec Haïm Benassayag, Paris, 2 juillet 2001. Entretien avec Bernard Lévi à Paris, 3 avril 2003.
52. Isaac Cohen (1915-1969) est né à Tanger, surnommé Zazac. Il fit des études de droit et ouvrit un cabinet d’avocat à Casablanca où il s’installa avec sa famille. Ses deux frères Léo et Maurice (Mimoun) Cohen ajoutèrent à leur nom le mot Olivar qui rappelait le nom de la société de thé « Olivia » qu’ils importaient de Chine, et leur société s’appelait Léo MC Olivar (Mimoun Cohen). En 1953 il fit faillite et perdit tous ses biens, à cause de son soutien à la famille royale et surtout à Moulay Hassan. Il fut le conseiller des délégations marocaines qui négocièrent avec la France et l’Espagne. Après que Moulay Ali fut nommé ambassadeur du Maroc en France en 1964, Cohen Olivar se rendit à Paris et fut son conseiller. Il décéda à Casablanca à l’âge de 54 ans. Entretien avec Victor Abitbol à Paris le 16 juin 1999 ; Entretien avec le secrétaire de Cohen Olivar, Haïm Benassayag, Paris, 2 juillet 2001. Entretien avec Bernard Lévi à Paris, 3 avril 2003.
53. S. Segev, « L’émigration secrète des Juifs du Maroc en Israël » (heb.) in Haloutsim be-dim‘a, Sh. Shetreit ed. ; Shmuel Segev, Opération Yakhin, L’émigration clandestine des Juifs du Maroc en Israël, IDF ed., Tel Aviv 1984, p.237. Voir aussi son nouveau livre The Moroccan Connection, (heb.) Tel Aviv 2008.
54. A. Bensimon, Hassan II et les Juifs, Histoire d'une émigration secrète, Le Seuil, Paris 1991, pp. 161-162.
55. T. Szulc, The secret alliance : The extraordinary story of the rescue of the Jews since World War II, New York 1991, p. 262.
56. Entretiens avec Efrayim Ronel à son domicile de Ramat-Hen, en 1996 et septembre 1999. E. Ronel (Rosen) : « La Misgeret depuis la traversée de l’Egoz et jusqu’à l’opération Yakhin 1960-1964 » (heb.),
OVCHAN 3, non daté, pp. 6-7.

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Date: 27 mai 2009 : 18:49

L’ouverture de dossiers des Archives nationales d’Israël révéla de nouvelles données pour le moins surprenantes. Dès le mois d’octobre 1960, trois mois environ avant le naufrage du Pisces, des pourparlers fructueux étaient déjà entamés entre Israël et le prince Moulay Hassan, par l’intermédiaire de Cohen Olivar. Quelques jours plus tôt, les émissaires de la Misgeret demandèrent à un homme d’affaires, du nom de Becking, de contacter un autre homme d’affaires, Gomendio, pour lui demander s’il acceptait d’aider Israël dans le domaine de l’émigration, grâce à ses contacts avec le palais. Parallèlement, on lui demanda de soutenir l’émigration clandestine, en mettant ses bateaux à la disposition de la Misgeret pour lui fournir une façade légitime à ses activités en Méditerranée. Le propriétaire des bateaux
accepta de contacter les proches du palais. Arrivés au Maroc, Gomendio présenta Becking à Cohen Olivar. Le 3 novembre, ce dernier annonça aux deux hommes d’affaires qu’il s’était entretenu avec Moulay Ali du problème de l’évacuation des Juifs et que la réponse du prince était qu’il était prêt à une transaction et demandait plus de précisions(57).

Deux problèmes préoccupèrent Cohen Olivar lors de ses contacts avec Becking. Le premier était la somme à payer pour chaque émigrant, et le second les garanties ou les cautions que les Israéliens étaient disposés à fournir pour s’assurer que le montant convenu soit effectivement versé. Ronel demanda à Becking de répondre aux Marocains que la meilleure garantie se trouvait déjà entre leurs mains. C’était en fait la masse de Juifs restés encore au Maroc, et que les Israéliens voulaient à tout prix faire sortir. Lorsque Becking proposa vaguement le montant de 10 à 15 dollars par personne, Cohen Olivar répondit que c’était un montant 4 ou 5 fois inférieur à ce qu’ils avaient envisagés. Becking avait l’impression que le confident juif du prince Moulay Ali, cousin du prince héritier, était un homme honnête et que l’on pouvait se fier à ses promesses. Selon Ronel, il était clair que le palais cherchait un moyen de tirer un profit financier du départ des Juifs et que ses représentants se dépêcheraient à parvenir à un accord pour ne pas rater l’occasion. Ronel comprenait aussi que le prince Moulay Hassan, qui entretenait déjà des contacts directs avec Easterman par l’intermédiaire de Sam Benazeraf, était sans doute bien informé des contacts des Israéliens avec Cohen Olivar et Moulay Ali. Il cherchait surement à savoir lequel des partenaires serait
le plus prometteur et lui accorderait de meilleurs bénéfices.

Il est indispensable de rappeler que ces pourparlers, à la veille du naufrage du Pisces, ne constituent qu’un maillon dans une série d’entretiens effectués par le prince héritier et son entourage pour arriver à un accord avec Israël pour l’évacuation des Juifs. Un des plus significatifs eut lieu déjà en mars 1960, lors de la visite de Ben Salem Guessous à Jérusalem et sa rencontre avec Golda Meir et avec les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Guessous proposa un scenario détaillé pour la poursuite des négociations. Ils furent suivis selon ses recommandations par l’entretien du prince héritier avec Easterman en août de la même année (58). On pouvait penser qu’à ce stade un accord était sur le point d’être signé mais les choses se déroulèrent autrement. La raison pour laquelle les pourparlers n’avaient pas aboutis avait surement un rapport avec les incertitudes des diplomates Israéliens quant à la capacité du roi et de son fils à se maintenir au pouvoir, face à la force menaçante de la gauche, menée par Mehdi Ben Barka et Abderahim Bouabid. Il était clair que les Israéliens avaient déjà compris qu’un accord avec le palais impliquait une indemnisation financière du Maroc pour le préjudice économique découlant du départ des Juifs. Ce tabou, que seul le prince héritier avait osé briser, avait déjà été abordé de manière explicite. Il ne restait plus aux Israéliens que de décider s’ils étaient prêts à effectuer une « transaction » de ce genre ou continuer les opérations de départs clandestins.

Ne voulant pas trancher, ils poursuivirent les contacts tout en essayant d’organiser une opération spectaculaire dans le domaine de l’émigration qui devait contraindre le Maroc à accorder la liberté d’émigration. L’événement spectaculaire se produisit effectivement, sans que les Israéliens l’aient prévu. C’est le naufrage du Pisces. L’accord ne fut pas conclu à temps et la catastrophe n’a pas été évitée.

Notes

57. Gevirol (Efrayim Ronel) à RMD, entretien avec Becking, ultra confidentiel, 19 novembre 1960, Archives sionistes centrales,S610166, Jérusalem.
58. Y. Bin-Nun, « La quête d'un compromis pour l'évacuation des Juifs du Maroc », Sh. Trigano ed., L'exclusion des Juifs des pays arabes, Pardès n°34, In press éditions, Paris 2003, pp. 75-98.

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Ce n’est qu’après ce drame, de janvier 1961, que les contacts avec le palais furent rétablis au mois de mars, juste après l’accession au pouvoir de Hassan II. Pour une raison non élucidée, les noms de Cohen Olivar et de Moulay Ali disparaissent des comptes rendus et sont remplacés par ceux de Sam Benazeraf et de Abdelkader Benjelloun. Dans la presse israélienne, le rôle de Benazeraf (59) dans ces négociations fut minimisé, sinon déprécié, au profit du chef de la Misgeret au Maroc Alex Gatmon. Les publications de Shmuel Segev(60) et de Dov Goldstein61, journalistes qui étaient en contact avec Gatmon à cette époque, se sont efforcées de le représenter comme un nouveau Moïse venu exiger du pharaon la sortie des Juifs. Le pharaon dans ce cas n’était point Hassan II mais Sam Benazeraf. Il fallait, selon leurs rapports, faire de grands efforts pour le convaincre du départ des Juifs. Cette image grotesque n’était pas sans fondements puisque les émissaires israéliens arrivés au Maroc se définissaient souvent comme des messies venus libérer leur peuple de la servitude (62). En réalité, l’accord avec le palais n’aurait pu aboutir sans la contribution cardinale de Benazeraf que l’on essaya d’occulter au profit de Gatmon.

Juste après l’indépendance, Benazeraf, membre du PDI, occupa le poste de directeur général auprès du premier ministre des Finances, Abdelkader Benjelloun(63). À la fin de son mandat, il retourna aux affaires et se consacra à plusieurs activités communautaires, aux côtés de David Amar. Dans le gouvernement de Hassan II, Benjelloun fut nommé ministre du Travail et des Affaires sociales. Quelques jours après l’entretien entre Easterman et le prince héritier, au mois d’août 1960, des consultations se tinrent au bureau de Golda Meir à Jérusalem, au cours desquelles on décida de confier à Benazeraf la mission d’aborder avec Moulay Hassan le sujet délicat de l’indemnisation. Tous les participants étaient d’avis que Benazeraf était la personnalité idéale pour cette mission secrète visant à « acheter le prince ». C’était aussi Benazeraf qui selon les participants, gérait « les affaires louches du prince ». Ce dernier appréciait particulièrement son niveau intellectuel et ses fonctions au sein du Conseil des communautés. Après le drame du naufrage, il était clair que l’heure n’était plus aux atermoiements. Le gouvernement israélien était prêt à verser la contrepartie financière et mettre fin à l’émigration clandestine.
Précédemment, Israël avait accordé des indemnisations de ce genre à l’Irak et à la Roumanie(64). Le ministère des Affaires étrangères décida d’appliquer le même principe au Maroc.

Carmit Gatmon, qui accompagna son mari au Maroc, relate, après la mort e celui-ci, les divergences de vues entre son mari et le couple et Janine et Sam Benazeraf, qu’ils venaient consulter durant plusieurs mois. Gatmon était souvent impatient et supportait difficilement les analyses programmatiques de Benazeraf et son esprit intellectuel. Il voulait à tout prix aller de l’avant, sans tenir compte des spécificités locales et du savoir vivre marocain. Quant à Benazeraf, il s’entêtait à aborder les sujets délicats avec prudence, pour ne pas mettre en dangers les personnes impliquées. Il agissait surtout d’oeuvrer selon le protocole de politesse en vigueur au palais et dans la famille royale. Les sujets financiers n’étaient jamais abordés directement avec le roi, ce qui serait perçu comme une conduite grossière(65).

Malgré le comportement de Gatmon, Benazeraf ne céda pas aux pressions de son hôte d’impliquer le secrétaire général du Conseil des communautés, David Amar, dans ces pourparlers entre le Maroc et Israël. Il proposa, par contre, de d’établir un contact alternatif avec le prince Moulay Ali par l’intermédiaire de Cohen Olivar. Benazeraf se garda d’impliquer directement des personnalités juives marocaines dans un projet purement israélien.

Notes

59. Sam Benazeraf etait un homme d’affaires. Son père Abraham Benazeraf est le frère de Raphaël et David Benazeraf qui coopérèrent avec la Misgeret. Sam était membre du Parti Démocratique pour l’Indépendance (PDI), et fut directeur du cabinet d’Abdelkader Benjelloun, lorsque ce dernier fut ministre des Finances du premier gouvernement après l’Indépendance. Il décéda en 1963. Entretiens avec
Carmit Gatmon, été 1996 et 16 août 2002. Entretien téléphonique avec Alfonso Sabbah le 28 avril 2000 et à Netanya le 3 janvier 2002.
60. Sh. Segev, Yakhin, pp. 237-238. Voir la description similaire faite dans le livre de Szulc, qui se base apparemment sur Segev. T. Szulc, The secret Alliance, pp. 262-263.
61. Dov Goldstein, « Les aventures d’Alex, l’homme du Mossad au Maroc » (heb.), Maariv, 21 août 1981, p. 21. R. Bergman, « Combien vaut un Juif marocain » (heb.), supplément de Ha’aretz, 22.8.1997.
62. Y. Bin-Nun, « Le rapport des émissaires israéliens du Mossad à la communauté juive du Maroc » REEH, Revue Européenne d’Etudes Hébraïque n°9, Paris 2004, pp. 57-70.
63. Abdelkader Benjelloun (1908-1992) fit des études de droit et les sciences politiques à Paris. En 1946 il fonda avec Mohammed Hassan Ouazzani le PDI, Parti Démocratique pour l’Indépendance (Hizb Ashura
wal Istiqlal) et le journal Arai al ‘am (L’opinion du peuple). Il prit une part active dans la lutte pour l’indépendance et fut nommé secrétaire général du parti. Après l’indépendance, il occupa les fonctions de ministre des Finances dans le premier gouvernement, de ministre du Travail de juin 1961 à novembre 1963 et fut ensuite nommé ministre de la Justice.
64. Un tel accord fut conclu auparavant avec l’Irak, par l’intermédiaire du fils du Premier Ministre Nouri Sa‘id. Deux lettres manuscrites de Yael Vered, Messibot conspiratsia, 27 juillet et 29 juillet 1960, ANI AE 4319/5. Peu de temps après l’accord de compromis, Shayke Dan conclut avec Ceausescu un accord selon lequel Israël paierait une somme de 800 à 1000 dollars pour le départ de chaque Juif de Roumanie. Au total, un montant entre cent et deux cent millions de dollars fut versé sur le compte bancaire personnel du dirigeant roumain en Suisse. T. Szulc, The secret Alliance, p. 227.
65. Entretien avec Carmit Gatmon à Jaffa, été 1996. Sh. Segev, Yakhin p. 238 ; S. Segev, « L’émigration secrète des Juifs du Maroc en Israël » (heb.), in Sh. Shetrit ed., Haloutzim be-dim‘a ; T. Szulc, The secret
alliance, p.263.

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En mai, Benazeraf parvint à organiser une rencontre à Paris entre Gatmon et le ministre Benjelloun. Selon une version des événements, Gatmon arriva au rendez-vous déguisé et se présenta sous un faux nom. Benjelloun ne connaissait pas encore officiellement l’identité de Gatmon et ses fonctions au Maroc, mais il devina certainement qu’il s’agissait d’un représentant israélien de haut rang. Les trois hommes passèrent plusieurs heures à étudier le sujet de l’émigration, et à l’issue de leurs discussions, Benjelloun répondit qu’il devait consulter au préalable le roi, mais il était d’ores et déjà clair que le HIAS (Hebrew Sheltering And Immigrant Aid Society) jouerait un rôle central dans tout accord entre les deux pays (66).

L’accord de principe entre l’Agence juive et l’HIAS, en vertu duquel cette association tiendrait lieu de façade aux activités des émissaires israéliens, fut appliqué avant même le mois de mai (67). Entre la mi-mai et la fin juillet 1961, Gatmon rencontra Benjelloun à six reprises. L’ambassadeur d’Israël à Paris, Walter Eitan, prit part à une partie de ces entretiens(68). Les accords Benazeraf-Benjelloun incluaient une clause économique qui constitua un précédent dans les relations entre Israël et les pays qui retenaient les Juifs dans leur territoire. Le sujet qui suscita le plus de difficultés au cours de ces négociations était la dissolution du réseau clandestin israélien chargé de l’émigration. Cette condition était essentielle aux yeux des autorités marocaines, car cette activité clandestine embarrassait le gouvernement du roi. Gatmon et ses émissaires refusèrent d’interrompre leurs activités avant d’être sûrs que le gouvernement marocain tienne ses promesses. On promis certes aux Marocains que les choses s’arrangeraient d’elles-mêmes lorsqu’un accord définitif serait conclu, mais les dirigeants de la Misgeret continuèrent à faire sortir des Juifs clandestinement même pendant les négociations, comme garantie en cas d’échec.

Malgré la poursuite de ces activités illégales, les Marocains n’interrompirent pas les pourparlers.

Vers la fin juillet 1961, Ronel et Gatmon se rendirent à Genève pour rencontrer Benjelloun et Moulay Ali69. Le trésorier de l’Agence juive à Genève, Eran Laor, avait préparé le montant d’un demi-million de dollars, qu’il avait reçu en espèces dans une banque locale. L’ambassadeur Walter Eitan, le trésorier Laor, Ronel et Gatmon rencontrèrent les représentants du roi dans un hôtel luxueux de la ville. Selon Ronel, Eitan et Gatmon entrèrent dans la chambre de Benjelloun et lui remirent une valise pleine de billets. Lui-même et Laor attendaient dans la chambre attenante (70). Ronel, ses collègues du Mossad et les fonctionnaires de l’HIAS étaient persuadés que l’argent remis en Suisse n’était pas destiné au compte personnel du roi (71).

L’exécution de cette transaction donna lieu à plusieurs divergences : « Lorsque l’accord sur les départs fut conclu, le marchandage commença sur les modalités de son exécution […] marchandage qui porta sur plusieurs points. C’était d’abord le montant des sommes à verser mais aussi les procédures de paiement (acomptes et paiement après le départ d’un quota de familles) et sur le nombre total des passeports que délivreraient les autorités »(72).

En Israël, le trésorier de l’Agence juive, Eliezer Shavit, souleva la question de savoir si le roi était vraiment au courant de l’accord et s’il s’engageait personnellement à veiller au départ des Juifs après la réception de l’acompte73. Qui plus est, le ministre des Finances, Lévi Eshkol, déclara qu’Israël n’était pas en mesure d’assumer le paiement de cette somme. À la question de savoir pourquoi un acompte d’un demi-million de dollars était nécessaire, les Marocains répondirent qu’ainsi ils pouvaient se rendre compte si les intentions des Israéliens étaient sérieuses. Le chef du Mossad, Isser Harel, craignait, de son côté, que les Marocains n’avaient d’autres intentions que de tromper Israël pour entraver les opérations clandestines, en attendant de s’organiser pour liquider totalement le réseau : « Nous étions convaincus qu’il s’agissait d’un piège qu’ils nous tendaient(74), peut-être voulaient-ils nous induire en erreur »(75) .
Les dirigeants du Congrès juif mondial, Nahum Goldman, Jo Golan et Easterman, connaissant bien le pays, n’étaient pas aussi méfiants que Harel à l’égard des Marocains, mais s’opposaient à l’accord car, à leur avis, les Juifs du Maroc ne courraient aucun danger grave qui nécessite à tout prix une évacuation urgente.

Notes

66. Il semble que Spanien ne participa aux entretiens qu’en août, après le voyage de Duvdevani à New York pour participer à la réunion de la direction du HIAS. T. Szulc, The secret Alliance, p.263. Témoignage de Yehuda Dominitz, OVCHAN 4, juillet 1994.
67. Sh. Segev, Yakhin, p. 238. T. Szulc, The secret Alliance, pp. 264-265.
68. T. Szulc, The secret Alliance, p. 267.
69. Raouf Oufkir affirme que le prince Moulay Ali participa également à la rencontre, ce qui était logique étant donné le rôle rempli par le prince dans les contacts et son statut aux yeux du roi, comparé à celui du ministre Benjelloun. R. Oufkir, Les invités, Vingt ans dans les prisons du Roi, Flammarion, Édition de Poche J’ai lu, Paris, p. 371.
70. Selon Yehuda Dominitz, Moshe Haskel, adjoint de ‘Eran Laor, prit part à ces rencontres et porta la valise d’argent, accompagné de Gatmon. Entretiens avec Yehuda Dominitz, Tel-Aviv, 28 janvier et 12
février 1998. Shalom Barak, qui se trouvait au siège du Mossad à Tel-Aviv, était impliqué dans le transfert de l’argent d’Israël à Paris. Entretien avec Shalom Barak, Tel-Aviv, 9 juillet 2000. ‘Eran Laor était en contact avec des banquiers en Suisse, auxquels il emprunta l’argent pour l’Agence juive. Les rencontres entre H. Halahmi et ‘E. Laor eurent lieu à l’hôtel Louvois à Paris.
71. Entretiens avec Efrayim Ronel à son domicile de Ramat-Hen, hiver 1997 et 6 septembre 1999. T. Szulc, The secret Alliance, p.268.
72. Témoignage de ER [Efrayim Ronel], Shoshani, Témoignages, E. Ronel : « La Misgeret depuis la traversée de l’Egoz et jusqu’à l’opération Yakhin 1960-1964 », OVCHAN 3, non daté, pp. 6-7.
73. T. Szulc, The secret Alliance, p. 267.
74. Entretiens avec Yehuda Dominitz à Tel-Aviv le 28 janvier et le 12 février 1998.
75. T. Szulc, The secret Alliance, p.277.

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Date: 27 mai 2009 : 19:21

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Une autre exigence de la part des Marocains était que l’établissement qui sera chargé de l’émigration ne soit ni israélien ni sioniste, mais un organisme humanitaire. Ils suggérèrent aussi que des sociétés de transport marocaines prennent part à l’opération, moyennant payement. Pour garantir le secret, les opérations devaient se dérouler à la nuit tombée dans la discrétion totale. Une condition pas moins importante émise par les Marocains exigeait impérativement que l’émigration inclue tous les membres d’une famille sans exception, pour éviter l’éclatement du noyau familial et éviter les sélections visant à laisser au Maroc les malades, les vieux et les cas sociaux. Ils s’opposèrent à ce que seuls les jeunes, les plus éduqués et les personnes en bonne santé émigrent, tandis que les vieillards, les malades et les invalides restent au Maroc. C’est ainsi que les autorités marocaines obligèrent les Israéliens à annuler la politique de sélection(76).
De leur côté, les représentants d’Israël - qui redoutaient l’utilisation de passeports individuels obligeant les familles à s’adresser aux autorités locales - demandèrent que les départs se fassent au moyen de passeports collectifs, permettant ainsi une plus grande souplesse d’exécution(77).

Juste après la réception de l’acompte, Benjelloun reçu l’accord personnel du roi, concernant un premier départ de 50 000 Juifs vers l’Europe, le Canada ou l’Amérique, à l’exclusion d’Israël. Concernant l’indemnisation, Benjelloun demanda un acompte de 500 000 dollars, et 250 dollars pour chaque émigrant, pour couvrir les frais de départ. Ces sommes devaient être versées en espèces à Genève(78). Ce montant de 250 dollars per capita était beaucoup plus élevé que celui de 10 à 15 dollars proposé auparavant par Becking, avant la naufrage du Pisces, et même plus élevé que les montants quatre ou cinq fois supérieurs espérés par Cohen Olivar. Selon les comptes-rendus ultérieurs, il s’avère que le montant qui fut convenu pour le groupe des premiers 50 000 Juifs était de 100 dollars. Cependant, cette somme n’était valable que pendant la « période intermédiaire » et elle devait, en vertu de l’accord, augmenter jusqu’à 250 dollars(79). Après la rencontre entre Eitan, Gatmon et Benjelloun à Genève, on accéda à un accord pour le départ de 50 000 Juifs en août, mais la mise en oeuvre de son exécution se poursuivit jusqu’à la fin septembre(80). Ronel affirme qu’aucun document ne fut signé dans le cadre de l’accord avec les Marocains(81). Les sources de l’HIAS indiquent aussi qu’aucun accord signé en bonne et due forme n’était nécessaire. Selon ces sources, il s’agissait d’un accord secret conclu oralement, en vertu duquel l’argent passerait d’une main à l’autre, les deux parties s’engageant à respecter le secret et à tenir leurs promesses(82).

Un document de la Misgeret daté du 8 août 1961 fait référence à l’accord comme étant déjà conclu. Après cet accord, Ronel proposa à Harel de restructurer la Misgeret conformément au nouvel état de choses qui exigeait de définir les rapports entre la Misgeret et l’HIAS. À son avis, la Misgeret continuerait à travailler « dans la clandestinité totale, comme elle le fait aujourd’hui, mais selon des méthodes différentes ». Ses émissaires préparerons les familles en vue de leur départ et inciterons la classe moyenne juive à quitter le Maroc. L’HIAS aura deux aspects distincts. L’un discret, où les Israéliens tiendront les postes de directeurs adjoints et seront responsables de la mise en oeuvre des critères de priorité fixés par le
département de l’immigration de l’Agence juive. Deux ou trois médecins et une assistante sociale sélectionneraient les candidats à l’immigration en fonction de leur état de santé. D’autre part, l’HIAS aura l’aspect officiel d’un « comité directeur d’une agence de tourisme », créé comme branche d’un organisme humanitaire. Ses employés seraient des Israéliens de nationalité étrangère et des volontaires juifs locaux. Les fonctionnaires de l’HIAS fourniraient une liste d’émigrants aux autorités marocaines, qui devaient leur délivrer des passeports collectifs (83).

Notes

76. Y. Bin-Nun, « Une nouvelle approche du problème de la sélection des Juifs du Maroc à la veille de l’indépendance », Brit n° 27 A. Knafo, ed., Ashdod 2008, (heb.), pp. 102-108. Le principe de la sélection fut définit par le Dr H. Shiba et fut modifié de temps à autre. Ce principe voulait que toute famille comporte un adulte soutien de famille et excluait les candidats à l’émigration souffrant de maladies graves ou chroniques. Cependant, l’Agence juive à certaines périodes sépara les membres de la famille et n’en fit émigrer en Israël qu’une partie, ou bien ne fit partir que les enfants sans leurs parents. Après l’indépendance, les émissaires israéliens travaillant au Maroc faisaient des efforts pour contourner les règlements contraignants de la sélection. Shoshani, Neuf années (heb.) p.94.
77. Entretiens avec Efrayim Ronel à son domicile de Ramat Hen, hiver 1997 et 6 septembre 1999. T. Szulc, The secret Alliance, p.267.
78. Témoignage de E. R. [Efrayim Ronel], Shoshani, Témoignages.
79. « Résumé des débats à Paris concernant la période intermédiaire », document non signé, vraisemblablement écrit par Ronel à Paris, 8 août 1961, Archives sionistes centrales S6 10098. Yehuda Dominitz estime que le montant était d’environ 50 dollars par personne.
80. Témoignage de E. R. [Efrayim Ronel], Shoshani, Témoignages ; E. Ronel : « La Misgeret depuis la traversée de l’Egoz et jusqu’à l’opération Yakhin 1960-1964 », OVCHAN 3, non daté, p.6.
81. T. Szulc, The secret Alliance, p.271.
82. Y. Maroz aux ambassades d’Israël, 4 juillet 1961, ANI AE, 3760/9.
83. « Résumé des débats à Paris concernant la période intermédiaire », [E. Ronel à Paris] 8 août 1961, Archives sionistes centrales S6 10098.

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"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 27 mai 2009 : 19:35

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Le 21 août 1961, le roi Hassan II informa Abdelkader Benjelloun qu’il annoncerait le jour même au gouvernement la liberté d’émigration pour les Juifs du Maroc. Cette déclaration exigée par les Israéliens devait mettre officiellement en oeuvre l’« accord de compromis »(84).

Au sein du gouvernement, au moins six des dix-huit ministres étaient au courant de l’accord, parmi lesquels le ministre du Travail Benjelloun, le ministre de l’Intérieur Réda Guédira, le ministre du Commerce Mohammed Benhima, et le ministre de l’Education Dr Youssouf Ben ‘Abbas. Le 19 juillet 1962, Bensalem Guessous et Ahmed Bahnini, eux aussi informés de l’accord, furent nommés respectivement ministre des Travaux publics et ministre de la Justice. Il est probable aussi que le ministre de la Défense Mahjoubi Aherdan et le ministre des Entreprises publiques Mohammed Laghzaoui, aient eux aussi été informés de l’accord. On expliqua aux ministres que cet accord ferait bénéficier le Maroc d’une aide économique de la part des Etats-Unis.

Malgré ses contacts assidus avec les Israéliens, le parti de gauche,
dirigé par Ben Barka, s’opposa aux départs prétendant que les Juifs qui émigraient en Israël allaient renforcer Tsahal dans sa guerre contre les pays arabes. Un ministre répondit à cet argument qu’il était improbable qu’un état dont la population ne comptait que 2,5 millions d’habitants soit en mesure d’intégrer une aussi grande quantité de Juifs marocains démunis(85).

En août 1961, la direction générale de l’HIAS aux États-Unis entra en scène. Les bureaux de cet organisme au Maroc avaient été fermés en juillet 1959, après la publication du dahir de marocanisation, mais ses représentants continuèrent d’agir sur place depuis leur domicile.
Selon la proposition de Yehuda Dominitz, le directeur général du département de l’immigration de l’Agence juive, Barukh Duvdevani, rencontra à New York Murray Gurfein, président de l’HIAS (86), et lui proposa que son organisation tiendrait lieu de façade pour les activités de la Misgeret. En vertu d’un accord oral, l’organisation américaine serait officiellement responsable de l’émigration des Juifs du Maroc et tous les émissaires du Mossad ainsi que les volontaires locaux seraient des employés de l’HIAS. Lorsque l’accord sera conclu, les activités de l’HIAS deviendraient légales, avec l’accord tacite du roi. Israel Gaynor Jacobson, président européen de l’HIAS, responsable aussi de l’Afrique du Nord, confia à son représentant Raphaël Spanien l’exécution de cette mission, et il semble que ce dernier ait pris part à une partie des entretiens avec Benjelloun(87).

Spanien se rendit à Rabat et rencontra le 28 août le ministre de l’Intérieur Guédira, dont le ministère avait la responsabilité ministérielle de l’exécution de l’accord. Spanien informa le ministre que son organisation agirait désormais plus au Maroc qu’à Paris, étant donné le nombre grandissant de familles juives attendant leur départ. Dans un rapport envoyé au ministre, il signala que l’HIAS était disposée à coopérer avec le ministère de l’Intérieur pour préparer des feuilles de route collectives pour les familles d’émigrants, à la place de passeports individuels, afin d’économiser sur les frais du ministère88. À compter de ce jour, aux yeux des autorités marocaines comme à ceux des Juifs du Maroc, l’opération Yakhin pour l’évacuation des Juifs du Maroc fut identifiée comme l’émigration HIAS.

Les diplomates israéliens, souvent méfiants envers leurs interlocuteurs marocains sur la destination de l’acompte versé à Genève, demandèrent à Benjelloun de prévoir un entretien avec le roi, pour s’assurer qu’il était au courant de la transaction et qu’il se portait garant de son exécution. Au début septembre, Spanien fut reçu en audience au palais de Rabat et y bénéficia d’un accueil chaleureux. Selon le délégué de l’Agence juive, Hayim Halahmi, le colonel Mohammed Oufkir, responsable de la sécurité nationale, et Ben Sa‘id Lahrizi,
directeur de la compagnie de tourisme TAM, participèrent également à cette rencontre. Le roi décida que son homme de liaison avec Spanien serait le colonel Oufkir pour les problèmes de passeports et, pour les questions techniques, son confident Ben Sa‘id89. Au terme d’un entretien amical, le roi autorisa la réouverture des bureaux de l’HIAS et promit à Spanien que son organisme pourrait agir librement au Maroc. Même si le roi n’avait rien dit d’explicite sur les questions d’argent, Spanien comprit qu’il était bel et bien informé des clauses de l’accord(90).

À Rabat, Spanien s’entretint avec plusieurs personnalités, en particulier Oufkir qu’il avait déjà rencontré à plusieurs reprises. À son étonnement, il se rendit compte que ce dernier n’était pas informé de l’accord entre son pays et Israël, mais pensa qu’il serait utile de
renouer ses relations avec lui pour les modalité de l’exécution de l’accord91. Selon Ronel, le roi n’informa Oufkir de l’accord que peu de temps après sa rencontre avec Spanien(92).

Notes

84. E. Rosen [E. Ronel] au chef du Mossad, 22 août 1961, Archives sionistes centrales, S6 10098.
85. Gad Shahar justifie ainsi son comportement : « Je m’identifiais à l’organisme qui m’employait ». Entretien avec Gad Shahar, 17 novembre 1997 à Tel-Aviv. Témoignage de Pinhas Qatsir, OVCHAN 3, non daté. Entretiens avec Pinhas Qatsir, Tel-Aviv, 13 janvier et 16 juillet 1998.
86. Murray Gurfein fut ensuite élu comme juge fédéral aux USA et participa au procès du président Nixon dans l’affaire du Watergate.

87. Entretien avec Hayim Halahmi, Tel-Aviv, 18 avril 2004. Témoignage de Yehuda Dominitz, OVCHAN 4,juillet 1994. Entretien avec Gad Shahar à Tel-Aviv le 17 novembre 1997, entretien téléphonique avec Alfonso Sabbah le 28 avril 2000 ; T. Szulc, The secret Alliance, pp. 249-252 ; 263-265.
88. Ben Sa‘id Lahrizi était le directeur de la compagnie de tourisme TAM (Tunisie, Algérie, Maroc). Les fonctionnaires de l’HIAS et les émissaires israéliens le désignent dans les documents du Mossad par le
pseudonyme « Mat ».
89. Op. cit. p. 266.
90. Op. cit.
91. Entretiens avec Efrayim Ronel à son domicile de Ramat-Hen, hiver 1997 et 6 septembre 1999.
92. Entretien téléphonique avec Alfonso Sabbah le 28 avril 2000 et entretien à Netanya le 3 janvier 2002.
Cette description est différente de celles de Segev et de C. Gatmon. Segev, Yakhin, p. 238. Entretiens
avec Carmit Gatmon, été 1996 et 16 août 2002.

"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 27 mai 2009 : 19:50

L’indemnisation et l’évacuation

De la fin novembre et décembre 1961, commença l’évacuation dans le cadre de l’opération Yakhin93. En janvier 1962, tous les aéroports du pays étaient ouverts, la nuit tombée, à la disposition de l’émigration juive. L’opération se prolongea jusqu’en 1966, et durant cette période (jusqu’en 1964), 97 005 Juifs quittèrent le Maroc pour Israël. La population juive comptait à cette époque 216 164 personnes, dont plus de la moitié habitaient Casablanca(94).

Au cours des 25 premiers mois de l’opération, jusqu’au début janvier 1964, 73 899 Juifs partirent dans le cadre de 646 départs collectifs. En mai 1962, le nombre record de départs de Juifs fut enregistré : 7 151 personnes, contre 450 personnes en décembre 196295. Raphaël Spanien parvint à un accord avec Oufkir, en vertu duquel les émigrants ne recevraient pas de passeports individuels, mais un passeport collectif pour chaque famille dans une liste d’environ 700 personnes, soit le nombre d’émigrants dans un voyage par bateau ou dans six vols aériens. Sur chaque document figuraient les coordonnées de tous les membres de la famille, et une photographie des parents et des enfants âgés de plus de cinq ans.

À compter du 27 novembre 1961, les Juifs quittèrent le Maroc au vu et au su des autorités et avec leur accord tacite(96).

Selon l’accord avec Benjelloun, le montant versé par Israël pour chaque émigrant devait être doublé, passant de 100 à 200 dollars, après le départ de 26 000 personnes. Jusqu’à la fin mai 1962, 26 278 Juifs partirent et en mai, un chiffre record de 7 151 émigrants quittèrent le Maroc. Toutefois, le rapport reçu par Benjelloun ne mentionnait que 23 300 personnes.
Aussi, le montant à payer pour chaque émigrant ne fut pas encore doublé, car ni Benjelloun ni Oufkir ne pouvaient connaître le nombre précis d’émigrants. Selon Ronel, cette différence n’était dû qu’à l’intention de ne pas trop effrayer Oufkir et ses collègues par un nombre trop élevé d’émigrants(97). À ces montants, il fallait ajouter celui de l’acompte d’un demi-million de dollars livré en main propre à Genève(98), et quelques sommes mensuelles versées comme récompense à de petits fonctionnaires impliqués dans l’opération, et surtout au directeur du cabinet d’Oufkir, Abdelwahab Lahlali.

De novembre 1961 jusqu’à la fin 1966, 97 005 Juifs quittèrent le Maroc. Bien que le montant demandé par les autorités marocaines pour chaque émigrant fût de 250 dollars, elles ne reçurent au début de l’opération que 100 dollars par personne pour les 26 000 premiers émigrants, et ce montant doubla à 200 dollars. Après le départ de 50 000 émigrants, conformément aux accords préalable, on peut supposer que le montant versé jusqu’à la fin de l’opération s’éleva à 250 dollars par personne. Nous pouvons évaluer le montant versé aux Marocains comme suit : 26 000 émigrants à 100 dollars ; 24 000 émigrants supplémentaires pour arriver au seuil des 50 000, à 200 dollars ; et pour arriver au total de 97 000 émigrants, les 47 000 émigrants restants à 250 dollars chacun. Soit, au total, 19 150 000 dollars(99). Ce montant n’inclut pas évidemment les rapports « rectifiés ». On peut vraisemblablement supposer que le principe ascendant des sommes payées en fonction de l’augmentation du nombre d’émigrants était une exigence israélienne, afin d’inciter les Marocains à permettre le départ d’un plus grand nombre possible de familles juives.

Malgré ces estimations, il est difficile de calculer exactement le montant total remis par les Israéliens aux autorités marocaines. Tad Szulc a évalué ce montant à 25 millions de dollars(100), mais en y ajoutant l’acompte ainsi que d’autres frais au Maroc, il atteint, selon ses estimations, la somme de trente millions de dollars(101). Nous savons en outre que Réda Guédira, futur ministre des Affaires étrangères, a reçu du trésor israélien la somme de 50 000 dollars pour la diffusion de l’organe de son parti (FDIC) Les Phares. Cette somme fut transférée par Yehuda Dominitz sur un compte bancaire de Guédira en Suisse(102).

En février 1961, Sh. Z. Shragay, le président du département de l’immigration de l’Agence juive, informa Golda Meir, ministre des Affaires étrangères, en présence du chef du Mossad, qu’un ministre marocain avait reçu le montant de 600 000 dollars à titre d’aide à l’émigration. Shragay atteste l’existence de comptes bancaires ouverts en Suisse pour d’autres membres du gouvernement marocain(103). Ces montants n’incluent pas les pots-de-vin ou pourboires que les émissaires de la Misgeret au Maroc distribuèrent à de diverses catégories de fonctionnaires et officiers de police(104). Néanmoins, selon Hayim Halahmi, les douaniers et policiers du port de Casablanca ne reçurent pas d’argent, tout au plus on leur offrit des boissons et des sandwiches au café local(105).

Le prince Moulay Abdallah qui détenait une concession sur 51% des billets d’avion et de bateau des sociétés qui transportaient les émigrants bénéficia aussi de ce projet. Les Israéliens qui, à un certain moment, pensaient proposer de l’argent à Oufkir, durent se rendre à l’évidence qu’il n’était pas la personne que l’on pouvait corrompre. Carmit Gatmon témoigne elle aussi que les chefs de la Misgeret tentèrent de soudoyer Oufkir mais n’y parvinrent pas, car les problèmes d’argent ne le préoccupaient pas(106). Selon son fils, Raouf, Oufkir ne fut informé que longtemps après de la dimension financière de la transaction, et il en fut choqué(107). Des sommes particulièrement importantes furent remises régulièrement au directeur de cabinet d’Oufkir, Abdalwahab Lahlali. Selon l’accord conclu avec lui, Lahlali devait recevoir un dollar pour tout émigrant jusqu’à 2 000 personnes, et deux dollars au-delà de ce nombre. Par la suite, il s’avéra que sa contribution à l’opération n’avait aucun effet sur celle-ci(108).

Notes

94. Ce chiffre avancé par Simha Aharoni correspond à celui du recensement effectué par le gouvernement marocain l’été 1960, selon lequel 158 806 Juifs vivaient au Maroc. Le nombre des naissances dépassa celui des émigrants qui quittèrent le Maroc clandestinement à cette époque.
95. Simha Aharoni, Le judaïsme marocain – enquête quantitative. Confidentiel. 1961-1963, Département de l’Immigration de l’Agence juive, Paris 1964 (heb.).
96. Témoignage de Yigal Kanfi, OVCHAN 3, non daté.
97. E. Rosen [E. Ronel] à Sh. Toledano, 6 juin 1962, Archives sionistes centrales, S6 10132.
98. T. Szulc, The secret Alliance, p. 269. Entretiens avec Efrayim Ronel à son domicile de Ramat-Hen, hiver 1997 et 6 septembre 1999.
99. Toutes les sommes citées en dollars dans cet article, évaluées en dollars constant pour l’année 2005, doivent être multipliées par deux.
100. Tad Szulc a calculé ces estimations financières selon le nombre total des Juifs qui ont quitté le Maroc. Cependant, il semble qu’il ait pris en compte même les familles qui quittèrent à l’époque de l’opération Yakhin mais avec des passeports individuels, pour lesquels aucune « rançon » n’a donc été versée. Il a également pris en compte les familles qui sortirent clandestinement du Maroc à l’aide de la Misgeret pendant la période de l’opération. C’est pourquoi, il est plus probable que les sommes qui furent versées aux Marocains soient inférieures à celles estimées par Szulc.
101. Entretien avec Jo Golan, Jérusalem, 23 novembre 1997, entretien téléphonique 2 janvier 1999 et entretien avec Robert Assaraf, Paris, été 1996, juin 1997. Y. Bin-Nun, « Un diplomate non conformiste », Préface du livre de Jo Golan : Pages from a DiaryEditions Carmel, Jérusalem, 2005, (heb.), pp. 7-15.
102. Entretiens avec Efrayim Ronel à son domicile de Ramat-Hen, hiver 1997 et 6 septembre 1999. A. Bensimon, Hassan II et les Juifs, pp. 129-131.
103. T. Segev, Les premiers Israéliens, Calmann-Lévy, Paris 1998, p.131.
104. Entretiens avec Raphaël Mergui, été 1996, juin 1997, Paris. Mergui mentionne en particulier le nom de l’officier de police Mohammed el Hadaoui, proche de David Amar. Il mentionne aussi la coopération qui existait à un certain stade entre Gatmon et Meier Toledano.
105. Entretien avec Hayim Halahmi, Tel-Aviv, 18 avril 2004.
106. Y. Maroz à M. Gazit à Washington, 31 août 1960, ANI AE, 4318/4/. Entretien avec Carmit Gatmon, Jaffa, 16 août 2002.
107. R. Oufkir, Les invités, Vingt ans dans les prisons du Roi, Flammarion, Edition de poche revue et corrigée, J‘ai lu, Paris, 2005, p. 373.
108. Barnea [?] à Marti [?], « Compte-rendu de la rencontre aujourd’hui avec Martel », 30 mai 1962, Archives sionistes centrales S6 10132. Gevirol [E. Ronel] à Eliav [Sh. Toledano], “Roqad – Martel”, 6 juin 1962, Archives sionistes centrales S6 10132.

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"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 27 mai 2009 : 19:57

Le responsable de Ronel à Paris, Shmuel Toledano, nous fournit d’autres détails sur les transferts d’argent israélien aux autorités marocaines : « En contrepartie, nous payâmes 250 dollars per capita, dans des sacs remplis de billets envoyés en Suisse, un quart de million
chaque fois, après le départ de chaque bateau (109). L’argent qui fut versé après chaque vol ou chaque bateau, arrivait de New York à Paris, en passant par Genève. Tous les trois mois, un représentant du roi arrivait aux bureaux de l’HIAS à Paris, et Hayim [Halahmi]110 lui
remettait l’argent selon les accords, soit 250 dollars par émigrant.

Les salaires des émissaires du Mossad au Maroc, qui travaillaient dans les bureaux du HIAS, furent également payés par Halahmi »(111). Ce dernier précise que le représentant du roi, Ahmed Ben Sa‘id Lahrizi, se rendait chaque mois à son bureau à Paris et recevait de lui des chiffres mensuels sur le nombre d’émigrants et, en fonction de ces chiffres, Lahrizi partait à Genève pour percevoir les sommes dues de Moshe Haskel, dans le bureau du trésorier de l’Agence juive Eran Laor.

Selon son témoignage, bien qu’au début de l’opération il indiquait avec précision le nombre d’émigrants, par la suite il rectifia un peu leur nombre. Par ailleurs, lorsque l’HIAS avait besoin d’argent liquide au Maroc, Halahmi les obtenait à intervalles réguliers de R. A., le bras droit de Guédira, en échange de chèques que lui remettait Halahmi et qui étaient perçus à Genève(112). Carmit Gatmon ajoute d’autres précisions sur les méthodes de transfert, mais avec quelques variations : « Chaque fois qu’un nombre suffisant de Juifs étaient rassemblés avant leur départ pour Casablanca, Alex se rendait à Genève. Il y rencontrait le représentant marocain et lui transmettait la valise contenant l’argent. Le Marocain en rendait compte à Casablanca et nous recevions les passeports collectifs signés, avec la mention : destination Canada. Cela n’est peut-être pas moral et pas très esthétique, mais c’était le seul moyen de résoudre le problème »(113).

Selon Israel Jacobson, la source des fonds nécessaires à la transaction provenait principalement de l’Appel juif unifié. Ces fonds étaient transférés à l’organisme correspondant en Israël, qui en transmettait une partie à l’Agence juive pour financer l’émigration légale et clandestine. L’HIAS recevait aussi une partie de ces fonds et la transmettait à l’Agence juive pour la même opération. Une autre somme, plus modeste, provenait directement des communautés juives du Canada, de l’Angleterre et de l’Afrique du Sud. Étant donné que les départs collectifs des Juifs du Maroc était secret, ces sommes ne figuraient pas sur les rapports de l’HIAS, et seuls Murray Gurfein, James Rice, Israel Jacobson et deux autres directeurs du HIAS (Carlos Israel et Harold Friedman) étaient au courant de leur existence114.
L’historien de la Misgeret, Eliezer Shoshani, considère l’année 1964 comme la date de la fin de l’opération Yakhin, tout simplement parce que c’était la date de la rédaction de son rapport. Cependant, Hayim Halahmi indique que l’opération ne prit fin qu’en 1966, lorsque Lahrizi cessa de venir le voir pour recevoir les chiffres des départs avec des passeports collectifs, et c’est ainsi que le processus de transfert d’argent prit fin(115).

On peut toutefois considérer la guerre des Six Jours comme une date charnière dans l’histoire de la communauté et de l’émigration. Certains considèrent la guerre de Kippour, les deux tentatives d’assassinat du roi Hassan II en 1971 et 1972, et la mort du général Oufkir, « l’ami des Juifs », comme la date décisive pour la fin de l’histoire de cette communauté (116).

L’envergure de l’opération Yakhin alla en s’amenuisant. On délivra moins de passeports collectifs que de passeports individuels et l’opération s’arrêta d’elle-même faute d’émigrants, sans que personne ne déclarât officiellement sa fin.

Une autre histoire commence alors pour les Juifs marocains. En Israël.

Notes

109. Entretien avec Shmuel Toledano à Jérusalem, été 1996.
110. Entretien avec Hayim Halahmi, Tel-Aviv, 18 avril 2004.
111. T. Szulc, The secret alliance, p. 269.
112. Selon Halahmi, Ahmed Ben Sa‘id Lahrizi n’émit pas la moindre critique concernant le nombre des émigrants. Halahmi ne s’occupait pas personnellement de ces fonds, et ne savait même pas combien il fut
payé à l’avance. Lahrizi vint le voir un jour dans une voiture Mercedes somptueuse et expliqua que c’était le cadeau de son Altesse, dont il devait payer le prix. Seul le palais royal était autorisé à importer des voitures à cette époque. Entretien avec Hayim Halahmi, Tel-Aviv, 18 avril 2004.
113. R. Bergman, « Combien vaut un Juif marocain » supplément de Ha’aretz, 22.8.1997 (heb.). Il semble que le représentant marocain était Ahmed Ben Sa‘id Lahrizi (alias Mat), directeur de la compagnie de
tourisme TAM
114. T. Szulc, The secret alliance, p. 268-270 ; Y. Maroz à Y. Vered, 4 janvier 1962, ANI AE, 3755/14.
115. Entretien avec Hayim Halahmi, Tel-Aviv, 18 avril 2004.
116. Témoignage de Yehuda Dominitz, OVCHAN 4, juillet 1994.




"Fin du Judaisme en terres d'Islam" - Shmuel Trigano
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 27 mai 2009 : 20:20

A propos de cette derniere parution, voici un entretien avec Shmuel Trigano paru aujourd'hui (27 mai 2009) sur le site " The Canadian Jewish News). Je le retranscris integralement.

La fin du judaïsme en terres d’islam
By ELIAS LEVY, Reporter

Au lendemain de la Shoah, entre 1945 et 1970, une civilisation de vingt siècles a disparu. Du Maroc à l’Iran, en passant par l’Algérie, l’Égypte, le Liban, l’Irak et le Yémen, les Juifs vivant dans le monde arabo-musulman ont été contraints d’emprunter l’amère chemin de l’exil. Tel fut le sombre destin de quelque 900000 Juifs sépharades originaires de onze pays islamiques.

Figure marquante de l’intelligentsia juive française, l’universitaire et essayiste renommé Shmuel Trigano a été le maître d’oeuvre d’un livre collectif imposant qui relate et analyse exhaustivement la genèse de ce drame majeur du XXe siècle, souvent occulté par les victimes elles-mêmes: La fin du judaïsme en terres d’islam, qui vient de paraître aux Éditions Denoël.

Dix historiens français et israéliens réputés ont contribué à cette somme historiographique magistrale.

Canadian Jewish News: Ce livre rappelle, moult témoignages et récits à l’appui, que le judaïsme en terre d’islam a quasiment disparu.

Shmuel Trigano: Les pays arabo-musulmans sont aujourd’hui quasiment vides de Juifs. S’il en subsiste, ce sont des vestiges de communautés. C’est le cas des Juifs du Maroc -nous publierons dans un prochain article les réflexions de Shmuel Trigano sur le statut des Juifs du Maroc-, de Turquie, d’Iran…

En Iran, le statut de la communauté juive est toujours celui de dhimmi, régi par la Sharia. Le fait que les Juifs iraniens envoient un député au Parlement, c’est typiquement une structure dhimmi. Dans ces pays, du fait de l’islam, à l’exception -aujourd’hui formelle- de la Turquie, la communauté juive est pensée comme étant à l’écart de la nation. On lui permet de s’organiser de façon autonome administrativement. Comme la loi en vigueur est la loi coranique, non seulement les non-musulmans ne peuvent pas en jouir, mais cette loi les assigne à leur propre loi religieuse. Il ne s’agit pas d’États-nations démocratiques à l’occidental dans lesquels les Juifs peuvent être des citoyens. Le statut des communautés juives dans ces contrées demeure toujours celui d’une minorité en situation problématique, dépendante du roi au Maroc, de la vigilance de l’armée en Turquie jusqu’à récemment…

L’islamisme radical fait peser sur ces communautés juives un danger majeur. Ce qu’elles ont bien compris en organisant le départ de leurs jeunes générations. Ce phénomène d’exclusion des non-musulmans ne se limite pas aux Juifs. Les chrétiens sont en voie de disparition également à cause de l’intolérance religieuse qui sévit dans ces pays islamiques.

C.J.N.: Quelles sont les principales raisons pour lesquelles cette sinistre histoire a été tue?

S. Trigano: Il y a plusieurs explications. D’abord, le choc du traumatisme. On ne peut pas formuler immédiatement une expérience existentielle aussi considérable. Notre génération a assisté à la fin d’un monde, qui a disparu totalement, qui ne reviendra jamais. Ce n’est pas rien. Deuxièmement: l’importance de la souffrance de la Shoah a nécessairement marginalisé la mémoire de ce traumatisme. Dans la Shoah, les Juifs ont été exterminés. Dans les pays arabo-musulmans, les Juifs ont été persécutés, spoliés et expulsés, mais ils n’ont pas été exterminés. Cette différence de gravité a fait que le monde sépharade a pu aussi aborder sa propre mémoire par le biais de la Shoah. La troisième raison tient à la prégnance de l’idéologie du tiers-mondisme anticolonialiste. Les sépharades sont apparus comme des petits blancs qui méritaient leur destin.

Il y a eu aussi le refoulement israélien. Lors d’un colloque que j’ai organisé à Paris sur cette question, l’historien Élie Barnavi, alors ambassadeur d’Israël en France, est venu déclarer que les sépharades n’étaient pas des réfugiés, mais des citoyens israéliens. Cependant, Barnavi n’a jamais contesté que les rescapés de la Shoah ont été considérés comme des réfugiés et reçu les réparations allemandes.

Ce déni de la réalité de l’expérience historique du monde sépharade est typique de certains intellectuels israéliens. Il y a eu tout un ensemble de faits de ce type-là qui ont contribué à éteindre ou à rétracter au maximum la mémoire sépharade. Il est possible aussi que les sépharades pour se faire accepter dans le courant anticolonial aient minorisé leur propre histoire, voire même réécrit celle-ci pour apparaître comme l’exemple même de la symbiose, de la réussite. Ce qui est un autre mensonge historique.

C.J.N.: Les leaders arabes et palestiniens ne cessent de claironner que l’unique raison du départ des Juifs de leur pays natal est la création, en 1948, de l’État d’Israël. Selon eux, si l’État juif n’avait pas vu le jour, les Juifs continueraient à vivre harmonieusement dans les pays arabo-musulmans.

S. Trigano: L’hostilité des mouvements nationalistes arabes envers les Juifs et les autres non-musulmans, je ne parle même pas de l’hostilité religieuse permanente, ne date pas de 1948. La création de l’État d’Israël a mis fin dans l’esprit des Arabes à la condition de dhimmi, dont la caractéristique est la soumission à l’islam. Pour les Arabes, la dhimma est une preuve de tolérance et de générosité. Dans la suffisance ethnocentrique qui caractérise cette perspective, ces derniers ne se rendent pas compte que le dhimmi est un être inférieur, qui n’est ni un sujet ni un citoyen. Le scandale qu’Israël a représenté pour le monde arabo-musulman, c’est tout simplement le scandale d’une nation dhimmi qui se rebelle contre la loi islamique. Ce n’est pas plus compliqué que ça!

Quand les pouvoirs coloniaux se sont retirés, il était confusément clair que les Juifs redeviendraient des dhimmis. L’antisémitisme a commencé à se faire sentir dès les débuts du nationalisme arabe. Ce nationalisme, profondément xénophobe, accusa par la suite les Juifs marocains, égyptiens, irakiens, yéménites, libyens… d’être responsables de ce qui se passait en Israël. Le fait d’avoir massifié et identifié tous les Juifs indistinctement à Israël, à travers des lois d’exception, de véritables “statuts des Juifs”, promulgués en Irak, en Égypte et en Libye, où la catégorie de “sioniste” a justifié la privation des droits et l’exclusion de la société préludant à l’expulsion des Juifs, constitue un acte typiquement antisémite car l’antisémitisme massifie par principe les Juifs.

C.J.N.: Pourtant, on nous présente souvent l’Andalousie du Moyen-Âge comme un havre de paix et de coexistence pour les musulmans, les Juifs et les chrétiens.

S. Trigano: On a oublié que l’Andalousie était avant tout une terre de Djihad, la pointe avancée de l’invasion arabe. Dans l’Andalousie du Moyen-Âge, les non-musulmans étaient aussi des dhimmis. Il y avait tout un courant de polémique théologique contre les Juifs, semblable aux disputations antijuives de l’Europe chrétienne. Un important théologien, Ibn Hazm, a écrit plusieurs traités foncièrement antijudaïques. À Cordoue, il y eut un pogrom au cours duquel 3000 Juifs furent tués. Un historien israélien, Abraham Grossman, de l’Université Hébraïque de Jérusalem, a souligné le fait étrange qu’il n’y ait eu aucun article consacré à ce pogrom alors qu’il y a pléthore d’articles sur les pogroms perpétrés durant les croisades chrétiennes. Il faut quand même rétablir la vérité sur ce plan-là.

Le fait qu’il y ait eu un Âge d’Or intellectuel des Juifs est à l’honneur de ces derniers, qui ont pu construire et défendre le judaïsme, en hébreu, dans une culture qui n’était pas hébraïque, dans un milieu où ils restaient des dhimmis.

Il ne faut pas renverser la réalité des choses. Le discours idéologique contemporain veut présenter l’Andalousie comme l’Espagne des trois religions ou des trois cultures. C’est joliment dit! L’Andalousie fut avant tout l’Espagne de la Dhimma et non des trois religions. Il y eut aussi de sévères persécutions et massacres contre les chrétiens.

C.J.N.: Selon vous, aujourd’hui, le dialogue judéo-musulman est plus régi par la rectitude politique que par le franc-parler et la sincérité.

S. Trigano: Pour qu’un dialogue judéo-arabe et judéo-musulman soit possible, il faut que les Juifs disent la vérité et cessent avec leur complaisance et leur flatterie. Ou bien on accepte le dialogue en mettant cartes sur table ou bien il n’y aura pas de dialogue. Il ne faut pas entretenir le monde islamique dans l’illusion qu’il a de lui-même. Il faut justement le rappeler à l’ordre des réalités historiques. Même si ces réalités ont été occultées, il faut les restituer. Dans les pays islamiques, les non-musulmans, je ne parle même pas des femmes, n’ont pas été considérés comme des sujets libres, souverains, dignes, capables d’assumer leurs responsabilités.

Le grand choc qu’Israël a représenté, c’est l’autodétermination d’une nation dhimmi. Il faut écrire l’histoire du conflit israélo-arabe dans cette perspective-là. La transformation du conflit du côté de l’islam en guerre de Djihad n’est pas une mutation récente. C’est la cause permanente du conflit. Le monde arabo-musulman n’accepte pas dans ses dogmes que les Juifs soient un peuple et une nation libre et souveraine.

C.J.N.: Le déni de ce chapitre cardinal de l’histoire des sépharades n’a-t-il pas de lourdes répercussions sur le conflit israélo-palestinien, dans la mesure où seuls les Palestiniens ont obtenu le statut de réfugiés?

S. Trigano: Cette triste réalité historique a été totalement éludée. Cette grave omission pervertit la compréhension du conflit israélo-palestinien. La gauche israélienne a toujours négligé et dénié la mémoire du monde sépharade en insinuant que le contentieux que nous avons avec le monde arabe était mu par le racisme. Ce manque d’empathie à l’égard de l’histoire de toute une partie du peuple juif est scandaleux. C’est quand même une pièce capitale. Il y a 600000 Palestiniens qui sont partis, ou ont été poussés au départ au moment de la création de l’État d’Israël. Il n’y avait pas que des autochtones parmi les Palestiniens mais aussi un pourcentage important d’immigrants arabes venus d’autres pays dès la fin du XIXème siècle.

600000 Juifs se sont installés en Israël. Il s’est produit un échange de population comme entre la Turquie et la Grèce, l’Inde et le Pakistan et entre des pays européens après la Deuxième Guerre mondiale. On nous rabat les oreilles avec les Palestiniens qui ont la clé de leur maison et vont la voir de loin. Mais les sépharades aussi ont la clé de leur maison! Ils sont partis en fermant la porte, en s’enfuyant, en abandonnant tout quand ils n’ont pas été spoliés et dépouillés. Mais qui s’intéresse à eux? Qui prend en considération leurs revendications fondées et très légitimes? La faute en revient avant tout aux élites sépharades, qui ont totalement négligé leurs responsabilités sur le plan historique pour quelques cocktails dans des palais. Or, cette responsabilité est décisive pour la légitimité d’Israël, qui n’est pas coupable d’exister. L’État juif n’a pas été créé en chassant la population palestinienne car les Juifs aussi, devenus des Israéliens, ont été chassés de chez eux. C’est ce qu’il faut rappeler avec force aujourd’hui. Les Juifs n’ont aucune dette envers les Palestiniens.


French academic Shmuel Trigano presents the background of his latest book on the expulsion of the Jews from Arab countries.
[www.cjnews.com]






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