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Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 11 septembre 2008 : 01:35

Les marranes - Identite "pre"occupante



L’entaille du commencement

Ils mangent du porc pour faire croire qu’ils sont de bons nouveaux chrétiens, mais pour l’Inquisition, ce sont eux-mêmes les porcs : des marranes. La plupart d’entre eux sont issus de la conversion forcée au catholicisme, des juifs hispano-portugais, tout au long du XV ème siècle. Ceux-là naissent donc davantage dans le bruit et la fureur que dans la tiédeur studieuse d’une méditation sur la vérité relative des dogmes, ou encore la ferveur saisissante d’une nouvelle foi.

Le marrane est contraint à renoncer à la religion juive, premier abandon qu’on peut définir en négatif, et qui résulte de l’intolérance ou de la haine de l’autre. Choix difficile, que la conversion ou la mort : s’il ne périt pas en martyr de sa foi pour la sanctification du Nom, il se retrouve dans la peau du converso, catholique convaincu, ou crypto juif. Dans les deux cas où que se loge sa sincérité, il demeure un suspect et une cible : suspect pour le Saint-Office, et cible pour l’Institution de la limpieza de sangre. Porteur d’un opprobre constitutif, combien lui faudra-t-il de générations pour diluer le sang juif et accéder à cette pureté sans laquelle ne saurait advenir le rêve d’Isabelle, celui d’un royaume intégralement catholique? Les marranes sont d’abord des créations négatives, des sous identités ou des contre identités.

Fin du XV ème, en 1492 en Espagne et un peu plus tard au Portugal, un autre choix tout aussi cruel apparaît : se convertir ou quitter la Péninsule ibérique en y laissant tout. Certains partent vers la Méditerranée, errent quelques décennies entre Salonique et Livourne, à la recherche d’une citoyenneté, tandis que d’autres s’installent dans le Sud de la France, dans les territoires d’Afrique du Nord de l’Empire ottoman...Lorsque les provinces du Nord du Royaume d’Espagne sous Philippe II se libèrent, d’autres encore s’en vont vers les Flandres, Anvers et Amsterdam, où les gouvernants leur permettent de pratiquer leur culte.

Retour impossible à l’état antérieur

Tandis qu’ils peuvent de nouveau sans danger revenir à la foi de leurs pères, c’est intérieurement qu’ils ne le peuvent plus. La première entaille faite à l’origine a laissé une trace indélébile. Entre-temps, on a découvert le Nouveau Monde, la Réforme s’est étendue, l’horizon s’est ouvert, et la pensée avec. A l’époque de Galilée, de Spinoza, la mise en lumière de l’illusion, du mensonge ou de l’imposture, dans la dogmatique chrétienne et les autres religions, était le fait d’une pensée désormais scientifique et déjà philosophique, d’une quête d’intelligibilité.

C’est bien dans le second processus d’abandon de son identité, cette fois-ci en positif, c’est-à-dire en refusant la tutelle d’un judaïsme rabbinique sourcilleux et rigide, qui s’est recréé sur les rives libérales de l’Amstel, ou ailleurs, que le marrane naît vraiment à sa singularité radicale.

Et se constitue l’étrange aventure de ces « doublement » marranes, interdits d’être des juifs en Espagne ou au Portugal, naguère convertis dans une foi étrangère et imposée, puis refusant maintenant de couler des jours paisibles dans la foi retrouvée des aïeux : « car vous seuls avez pu être faussement chrétiens, et vraiment juifs là où l’on ne pouvait être juif et faussement juif, là où vous eussiez pu l’être vraiment » (Balthasar Isaac Orobio de Castro).

Nouveau chrétien pourchassé, puis nouveau juif insatisfait, le marrane inaugure une crise sans précédent de la question de l’identité, en brouillant les signes de la filiation, en changeant de nom, en prenant des « alias », en interrompant le cours si ancien des lignages.

Au seuil d’une reconversion enfin possible, malgré l’écrasant héritage d’une histoire emplie de drames, d’injustices, de crimes, de déclassement, de servitude, d’étoiles jaunes (on portait déjà la « rota », un morceau de flanelle cousu sur la pelisse dans certaines judérias d’Aragon), le marrane se dérobe, ratant volontairement ou maladroitement ses retrouvailles avec l’origine et l’appartenance : l’identité ne se forge pas mécaniquement sur la reconnaissance des siens. Avec ce fait capital que la culture matricielle n'est plus disputée exclusivement par des interdits extérieurs, des persécutions ou des reproches étrangers et qu’elle est devenue elle-même aussi, motif d'objections intimes, le marrane ne retrouve pas la paix dans le judaïsme renaissant. Il est désormais arrimé à des instances qui se contrarient et conversent néanmoins entre elles, l’intranquillité de la conscience a creusé son lit dans les esprits.

Ainsi la marranité va, au fil des générations, des migrations plus à l’Est ou bien encore vers le Nouveau Monde…comme une identité « pré » occupée préoccupante.

L’identité n’est pas non plus définissable en creux, en négatif, comme la mémoire oubliée mais en activité, d’une enfance, d’un trauma, ou d’un meurtre. Cela ne veut pas dire qu’on n’en garde pas la trace, ni la douleur. Car il y a eu entaille et que cette entaille poursuit son travail. Mais de quelle nature est donc cette trace, celle d’un désarroi permanent, récurrent, d’une cascade d’ombres revenantes, d’une effigie de soi, ou encore celle d’un « petit reste qui refuserait à se laisser oublier »? Comment se joue-t-elle du conscient et de l’inconscient ? De l’individu et du collectif ? Quelle transmission pourrait y être saisie et comment? Temps, lieux et pensées sont devenus inajustables, pris dans cette conversation intime, contradictoire et contrariante.

Les marranes n’ont pas de lieu de culte ou de rassemblement, aucun lieu ne dit cette histoire-là des marranes, aucun lieu-dit. L’identité, ce terme- même conserve-t-il alors un sens, ne sera plus jamais formulée, établie de la même manière, privée qu’elle est d’une stabilité radicale.

Lui-même, l’autre

Le double processus d’abandon, d’abord forcé puis choisi, est tout aussi bien une double stratégie de contournement de l’altérité. Le mouvement du marrane n’est pas simplement de tourmenter sa double appartenance. Qui l’a mieux fait que Spinoza? C’est aussi d’envoyer à l’autre : si je ne suis pas là où tu me crois, es-tu vraiment si sûr alors, d’être là où tu es? La mise en question en deviendrait une seconde nature.

En tension entre des pôles qui coexistent et se conjuguent ensemble, se déclinant dans toutes les nuances de leurs combinatoires - à un pôle, le rationalisme spinozien et à l’opposé le messianisme héritier de la Cabbale lourianique de Sabbataï Tsévi - l’identité marrane peut donc être conçue comme une fonction d’onde de l’identité, qui présenterait tous les états intermédiaires entre ces deux pôles, cette spectralité du marranisme permettant de s’opposer à la réduction du phénomène marrane à des états stables et confortables.

Tandis que certains sont dérangés dès que s’installe un doute, ou alors tenaillés entre la nécessité de l'intégrité et l’embrasement pour des idéologies nouvelles « faisant table rase » de leur passé, ou de la tradition, le marrane découvre le plaisir de l’incertitude.



L’idée marrane

A rappeler l’urgence qu’il y a à toujours ré-interroger de l’intérieur ses propres sources, la part obscure ou refoulée de sa pré-destination, sa généalogie historique, et à re-visiter en acceptant la tension nécessaire, les textes fondamentaux auxquels une identité fait écho, ce que nous aimerions appeler l’idée marrane n’abrite pas de nostalgie de l’origine ou de l’authenticité.

Aussi, passant de l’intime au registre public, viendrait-elle alors proposer une citoyenneté questionnante, désajustée peut-être, elle-même aussi en tension?

Nous souhaitons nous appuyer sur le fait marrane comme sur un rapport vivant au monde, une perspective, ou encore une ligne de fuite, pour la pensée de ces temps heurtés.

Il ne s'agit pas pour nous de garder jalousement les portes d'une marranité issue du tronc du judaïsme mais au contraire de la disperser et de l'étendre comme possible parmi des modèles anthropologiques d'une condition humaine déracinée dans un monde de plus en plus incertain. Ainsi nous pensons à la « théorie de l'archipel » chez Edouard Glissant, l' « hybridité » de Sherry Simon, les « identités composites » d’Amin Maalouf, tout ce qui a trait au « multiculturalisme », aux « identités croisées »…La marranité ne s’oppose pas à l’explosion de la « multi appartenance », mais ferait plutôt irruption dans le champ politique du « métissage ».

Pourquoi Temps marranes, une intention...

Nous avons le souci de peser les écrits et les réflexions de chacun, non pas de les classer ou de les stigmatiser. S’en remettre à l’hypothétique apaisement des désaccords, par le seul fait d’un dialogue contradictoire des multiples identités, et en cela penser qu’il y a là débat constructif, nous est insuffisant. Nous irons jusqu’à mettre en question à la racine les identités fortes, primaires, sans craindre de déconstruire. Mais les peser, c’est évaluer leur force, leur puissance d’interpellation, leurs leçons, et dans cette pesée, il est rare que l’on rejette en bloc une oeuvre ou que l’on décrie un auteur.

Parce que nous tenant nous mêmes sur une ligne de crête, comme un Sisyphe débarrassé de sa pierre qui roule, mais qui contemple depuis les hauteurs les innombrables cadavres de l’Histoire, nous fuyons, les hommes du procès, les inquisiteurs du ressentiment, de la mise à l’écart, de la vindicte.

Le marrane serait alors celui qui toucherait du doigt la maladie du sérieux et de la suffisance, qui crisperait toute croyance ou corps de paroles, exposée aux bruits et faits de son environnement, autant que la maladie du nihilisme qui, ayant fait main basse sur une époque, se paie désormais avec les agios du cynisme, du consumérisme fébrile et agité et d'un athéisme grossier. Nous n’avons aucune envie d’augmenter liste et nombre de ceux qui gisent au fond. Seules comptent en définitive les paroles qui nous font encore avancer sur la ligne de crête.

Temps marranes, cela veut dire que nous vivons des (ou dans des) temps marranes, c’est-à-dire des temps de rupture, d’exil, de déracinement, de confusion des langues, des croyances, des sexes, mais qui néanmoins font surgir ce qu’ont d’émancipateur, de subversif, de facteur d’espoir, des temps qui confrontent ainsi les êtres, tous les êtres à des contradictions intimes, à des convertibilités inattendues, à des paroles désajustées et inquiétantes, dans un ensemble dialectique et en suspension.

Temps marranes, qui sont donc à considérer autant du point de vue de l’histoire de chacun, comme un temps naissant de la singularité, et non de l’individualisme, que dans une perspective géopolitique plus vaste et plus aléatoire : où l’humanité oscille entre les mille tentations de la haine et de la destruction qui sommeillent dans l’intégrité ou dans un imaginaire de l’intégrité, et la recherche plus modeste et en définitive plus exigeante, d’un avenir habitable et donc négocié.

Temps marranes, parce qu’on y entend aussi le mot marrant!

Claude Corman et Paule Pérez
[www.temps-marranes.info]

Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 11 septembre 2008 : 01:46

DES MARRANES A SPINOZA

par L.S. Revah

Textes reunis par Henry Mechoulan

Pierre-Francois Moreau et Carsten Lorenz Wilke








Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 11 septembre 2008 : 02:03

A ce sujet, un temoignage...

[asterixpc.com]

Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 09 novembre 2008 : 07:11

Les marranes, ces Juifs du silence du Portugal...






Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 18 octobre 2009 : 07:21

Vidouy (confession marrane)


Je m’appelle Miguel Martinez, né Mikhaël Ben Mordekhaï dans une famille de Judíos de Catalogne le 7 sivan 5228 (15 mai 1466) et j’habite pour quelques heures encore la ville de Girona au bord du fleuve Ebro, que les Chrétiens appellent le fleuve des Judíos, des Hébreux.

Il est deux heures de l’après midi et le soleil de ce 31 juillet plombe comme jamais, écrasant les êtres et les choses, les Judíos et les Chrétiens, pour une fois unis dans une communauté de destin. Pourtant, c’est officiellement fini : les Judíos et les Chrétiens séparent leurs chemins ; le décret du roi Ferdinand prend effet aujourd’hui, avant-veille du 9 av, date anniversaire de la destruction du temple de Jérusalem.

Les Judíos restés fidèles ouvertement ou secrètement au judaïsme sont expulsés du royaume d’Espagne. Je sors à l’instant de cette grande et sinistre bâtisse, où j’ai enduré un mois de torture, de souffrance physique et morale. Mes bourreaux viennent de me jeter dehors à coup de pied et de martinet. Pourtant je suis comme eux désormais. Ils me l’ont suffisamment répété. «Renie ton judaïsme et tu vivras». Qui se ou- vient encore, dans cette promesse d’avenir radieux, de l’écho à peine intelligible de la femme de Job:

« Maudis le Seigneur et meurs ». Ici, le Judío est pris dans ce piège sans issue, entre la vie et la mort, la vie d’un mort vivant ou la mort tout court.

Je sais. D’autres ont encore choisi la fuite. Mon ami Yehouda-Léon a fui ; mais il est mort assassiné par des brigands, avec beaucoup d’autres Juifs sur une embarcation miteuse qui n’arriva jamais en Italie. Mon ami Salomon, parti pour Constantinople, dit-on, et dont je n’ai pas de nouvelles.

Faut-il accepter ce destin de connaître ses frères pour mourir avec le souvenir de leur existence fugitive, irrémédiablement? Oui, le Diable doit y être pour quelque chose dans cette affaire. Et Dieu dans tout cela?
Que m’importe après tout ! Je ne sais plus son nom d’antan. L’ineffable inconnu était plus mon voisin que ce dénommé Père qui m’est d’autant plus étranger qu’il a pris le visage de nos grands- ères. Que le dieu d’Abraham et de Jésus me pardonne ces paroles de rébellion.

J’ai pourtant fait tous les efforts possibles pour être un bon Chrétien, pour oublier que j’étais judío, oublier jusqu’à mon nom et celui de mon père. Qu’il me le pardonne dans sa tombe. Mais voilà ! Rien à faire. Je ne peux cesser d’être ce que je suis en passe d’être, un Judío en devenir. Je suis certain aujourd’hui que les apôtres, que Jésus lui-même, me comprennent. Être chrétien est devenu pour moi la fin du chemin. Mais ce messie, je ne l’ai pas élu! Je me suis juste rendu à lui, ou plutôt à ses adorateurs par peur de la mort, par lâcheté, par facilité aussi, peut-être.

Je l’ai fait aussi pour Gracia, majeune épouse, que je continue d’ap peler dans l’intimité de notre maison par son nom, le vrai, le juif, Sarah -princesse en hébreu - ma princesse, souveraine dérisoire d’un royaume imaginaire, qui fut jadis la splendeur de son temps, et qui gît désormais anéantie, à jamais perdu.

J’ai choisi d’être converso et d’essayer sincèrement d’adopter cette religion qui procède de la mienne. Si le Messie d’Israël venait demain, il ressemblerait à s’y méprendre à Jésus, venu peut-être trop tôt au goût des Judíos. Un maître d’Andalousie ne disait-il pas «le Messie vient toujours trop tôt». Ne procéderait-il pas aux mêmes réformes que Paul a mises en place pour que s’accomplisse l’Histoire d’Israël. Le porc ne deviendrait-il pas licite à la consommation ?

Un prêtre, Don Pedro, s’est occupé de moi, après ma conversion. Il venait souvent me voir à la maison, pour vérifier que je ne judaïsais pas en secret. Avec mon jeune frère Yoshua-José et ma femme, nous nous cachions le vendredi soir, derrière nos volets clos pour allumer les mèches à huile du Shabat. Ma mère les avait naguère disposées dans une petite armoire encastrée dans le mur.

Ce souvenir me dit aujourd’hui que les Judíos sont comme ces lampes à huile enfermées dans un réduit, clos sur un autre espace clos, entourés d’une menace environnante sourde et aveugle.

Don Pedro vint un soir de Shabat à la maison et s’inquiéta des odeurs de propre et de parfum sur nos corps, de ces chemises blanches sans tache, de ces plats disposés sur la table dressée «un soir de semaine». S’il avait vu ces lumières de Shabat! La suspicion était permanente et justifiée, j’en atteste. Mais, après tout Don Pedro savait de quoi nous souffrions. N’était-il pas l’un d’entre nous, un renégat lui aussi, un apostat comme nous. Son zèle était à la mesure de sa peur d’être lui-même accusé de complaisance et de laxisme par les sectateurs de la Foi, ou tout simplement à la merci d’une dénonciation malveillante de nos voisins. Ce qui d’ailleurs ne tarda pas. Il fut, dit-on, soumis à la question et écartelé par la Sainte Inquisition un peu plus tard.

Ce même vendredi soir, il s’invita à dîner. Quel ne fut pas son étonnement de voir sur la table une magnifique volaille rôtie. Quoi ? De la volaille chez des «bons Chrétiens » un vendredi ?

« Cher don Pedro, lui dis-je. C’est un poisson que voilà! Seulement il ressemble à une volaille. Nous avons fait, en bons Chrétiens, comme il est recommandé de faire en pareil cas par notre Sainte Mère l’Église! Comme vous l’avez fait pour convertir les Judíos. Nous avons pris une volaille, l’avons aspergée d’eau bénite et voilà le résultat. N’est-il pas magnifique ce poisson qui ressemble à une volaille?».

J’eus droit à un sourire inquiet de la part de celui qu’on appelait encore Rabbi Issh’aq, il y a peu.

Tel est notre drame! Celui de devoir paraître sous la contrainte ce que nous ne sommes pas, ne voulons pas être. Comment s’étonner que nous en arrivions à vomir les Chrétiens et leur conception de l’homme et de Dieu. Se pourrait-il qu’ils aient agi de telle manière pour en arriver à cette conséquence. Je n’ai pas de réponse. Grâce à Dieu, je reste ainsi Judío.

Nous n’avons pas encore d’enfant avec Sarah, et n’en aurons probablement jamais. La vie est ainsi. Je ne prendrai pas une autre épouse pour autant. Ai-je tort ? La question n’a plus beaucoup d’importance. La Sainte Inquisition m’arrêta pour vérifier ma fidélité à l’Église. Qu’avais-je à me reprocher? En apparence rien du tout, et je clamais toute mon innocence de toute la sincérité… feinte dont j’étais porteur au nom de la survie. Ils n’étaient pas dupes, mes bourreaux. Ils savaient bien que j’allais à l'église régulièrement, que je communiais, que je me confessais même ! Ce qu’ils voulaient me faire avouer, c’était la vérité nue dont j’étais secrètement le dépositaire:

«un Judío fut-il pécheur, et même apostat, reste malgré tout judío»

Je n’avais pas osé leur dire que c’est précisément ce qu’ils refusaient d’appliquer à Jésus, le Messie, à Paul-Saül, à Pierre- imon, à Jean-Yohanan et la liste est encore longue. À leurs yeux, je n’étais ni un frère ni un être humain. Tout juste « une bête immonde à forme humaine», brocardée de l’insultante appellation de marrano "porc", véritable crachat de dégoût pour un sale Judío.

Combien de temps cultiverons-nous cette lâcheté, cette passivité qui semble nous constituer ? Qui sait où elle nous mènera si un Goy plus avisé que les autres en la matière, ou peut-être un de ces Judíos convertis avec zèle, décidait d’en finir vraiment avec le reste de notre malheureux peuple ?

Je crois sincèrement que Dieu a abandonné son élu, renié son alliance et détourné ses regards de nos plaies suintantes. «Réponds-nous, au jour où nous t’appelons », à quoi servent encore nos prières?

Qui de nous croit encore dans le fond de son âme, qu’ «Il ne sommeille pas et ne s’assoupit pas, le Gardien d’Israël». La seule issue pour le salut des personnes réside dans notre conversion. Mais voilà! la Sainte Inquisition a inventé depuis 1449 la «limpieza de sangre» qui empêche les Judíos conversos même sincères d’être des Chrétiens à part entière. L’Espagne est aujourd’hui tachée, souillée par notre sang à jamais impur, même si ce sang est assez pur pour être bu comme celui d’un Christ judío rédempteur. J’ai enfin compris que le sang du Judío n’est pur que lorsqu’il est enfin versé «pour la multitude», entraînant du même coup le rachat des nations. Faut-il que je meure pour être aimé, pour aider enfin les autres à se disculper de leurs fautes, collectives et personnelles ?

J’ai compris maintenant que le Judío attend, toujours et encore, ne touche jamais au but, se tient toujours un peu en arrière de ’Histoire, du temps qui vient, et de Dieu lui-même. Toute dissimulation, tout simulacre, tout effort d’évanouissement, de dissolution dans la masse chrétienne ne servent plus à rien.

Le Judío n’a d’avenir qu’incertain. Alors à quoi bon faire des enfants à qui il faudra cacher encore autre chose, sur leurs origines, leurs ancêtres, leur nom et leur langue. Ils seront toujours des impurs, le mélange des sangs ne faisant que renforcer la surenchère du mythe de la pureté originelle. Qui de nous peut attester de quoi que ce soit quant à ses origines les plus obscures, les plus immémoriales?

Qui était Moïse ? Et qui était Jésus ? Qui était l’enfant de Dina? De quelle fange naîtra le Messie d’Israël? De l’inceste, de l’adultère, de la convoitise et de la jalousie, et du mélange des origines juives et non juives. Le Messie des Judíos est précisément celui qui revendique le mélange des sangs, et discrédite à jamais la pureté du sang.

Le judaïsme n’est plus qu’un souvenir. Autant qu’il soit respecté dans sa disparition, adoré pour son sacrifice, que honni dans son obstination à perdurer.

Je suis fatigué, las de vivre. Ma femme Sarah, qui ne sait combien je l’ai aimée, pourra refaire sa vie avec un vrai Chrétien, et peut-être lui donner les enfants que le Seigneur m’a refusés.

«La vida es un gorro; unos se lo ponen, otros se lo quitan» (La vie st un bonnet de nuit; les uns le mettent, les autres l’enlèvent) disaient nos anciens !

J’ai décidé de mettre fin à mes jours de marrano, de sale Judío. Que le Dieu qui m’imposa d’être celui que grossièrement j’ai tenté d’être me pardonne cette folie pour l’éternité.

Shéma’ Israël, Adonay Élohénou, Adonay Ehad.

Mikhael ben Mordekhaï
(Miguel Martinez de Girona)
7 av 5252 (31 juillet 1492

Adapté du témoignage incertain d’une mémoire vacillante par Moshé-Haï Riviah - Note du compilateur M.-H. Riviah : Sarah était enceinte d’un mois à la disparition de Mikhaël. Elle enfanta d’un garçon qu’elle prénomma Victor-Nissim (vainqueur et miracles). Le judaïsme du marrane Miguel Martinez a survécu à Salonique et à Sofia. L’obstination de ses descendants à rester des Judíos a conduit ceux qui survécurent à la Shoah, en Israël du côté d’Ashkelon.

14 mars 2005, Afridar, Israël

[www.lhoumeau.com]




Qui sont les marranes ?
Posté par: Conversa (IP enregistrè)
Date: 26 novembre 2009 : 15:23

Ce vidouy est tellement émouvant...Ce sujet est une mine, un vrai filon.

Qui sont les marranes ?
Posté par: Conversa (IP enregistrè)
Date: 27 novembre 2009 : 16:16

Dans son livre
"Le Lion Et Le Moucheron. Histoire des marranes de Toulouse"

jacques Blamont affirme qu'il y avait 4 types de Marranes :

-ceux qui voulaient rester chrétiens et ne voulaient rien avoir à faire avec le Judaïsme

-ceux qui voulaient rester Juifs et ne voulaient rien avoir à faire avec le Chritianisme

-ceux qui voulaient rester les deux

-ceux qui voulaient ne rester ni l'un, ni l'autre, rejetaient la religion voire la morale et finirent souvent très seuls comme Spinoza.

[www.alapage.com]

Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 27 novembre 2009 : 17:12

En fait, ceux qui voulaient rester Juifs et ne voulaient rien avoir à faire avec le Christianisme etaient quasi inexistants, car les Juifs restes sur place, c-a-d en Espagne et au Portugal, furent baptises, se mariaient a l'Eglise et n'etaient plus circoncis.

Quant a Spinoza et son ami Uriel da Costa, ce choix ne fut pas sans consequences puisque Uriel da Costa se suicida et Spinoza fut excommunie par sa communaute pour apostat.

Ce qui revient a dire que de toutes les manieres, baptises ou non, ces "nouveaux chretiens" ou les "crypto-juifs" secrets, ne furent jamais tranquilles sauf, peut-etre, ceux qui trouverent refuge en Italie, Hollande, Salonique et aussi l'Afrique du Nord.
L'inquisition poursuivit meme ceux qui trouverent refuge en Amerique.

Qui sont les marranes ?
Posté par: Conversa (IP enregistrè)
Date: 30 novembre 2009 : 13:19

Je suis en train de lire "Histoire des Marranes" de Cecil Roth.

Il montre très bien que les Juifs convertis se sont très vite élevés dans la société, n'étant plus limités par les interdictions coutumières pour accéder à de hautes fonctions et concluant des mariages avec les meilleures familles de la noblesse. On peut donc en conclure que les persécutions qu'ils ont subies sont avant tout l'effet d'une jalousie de la part de ceux qui ne progressaient pas aussi vite ou avec autant d'industrie.

[www.amazon.fr]

Qui sont les marranes ?
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 30 novembre 2009 : 16:25

Dans un premier stade et suite au bapteme impose, les Juifs purent s'elever rapidement dans l'echelon social et culturel de l'Espagne mais cela leur valut des reactions immediates de la part de la foule jalouse, puis des autorites religieuses qui etablirent ce qui se nomma alors "sangre limpia", (purete du sang) mesure qui fit barriere a tous les "nouveaux chretiens" dans l'obtention de postes de valeur.

...et retour aux restrictions et persecutions contre ces nouveaux chretiens pour finir par la cruelle l'Inquisition.




Qui sont les marranes ?
Posté par: jenny (IP enregistrè)
Date: 24 août 2010 : 13:12

il y avait ils des marannes maltais?



Dèsolè, vous n'avez pas d'autorisation poste/rèponse dans ce forum.

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