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La Cite perdue des Sepharades
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 20 décembre 2007 : 04:18

La cité perdue des séfarades

Henri Vidal Sephipha


NI les dictionnaires ni les guides de Thessalonique n’en parlent. En 1940, ils étaient encore 56 000 ; en 1947, guère plus de 1 950 survivants de la « solution finale », décrétée, en 1942, à Wannsee. 46 091 personnes (1) avaient été déportées par les Allemands vers les camps d’Auschwitz et de Bergen-Belsen, alors que le Larousse de 1966 se contente d’écrire : « THESSALONIQUE ou SALONIQUE, port de Grèce [...] la population fut massacrée en 390 sur l’ordre de Théodose Ier [...] », sans dire un mot du génocide encore récent des juifs de Grèce.

Un musée du judéo-espagnol

ET pourtant, leurs ancêtres, expulsés d’Espagne en 1492, y avaient été reçus et protégés par Bayazet II, qui leur permit de s’installer dans toutes les villes de l’Empire ottoman en formation (20 000 à Salonique, nom turc de la ville), de parler librement leur espagnol, véritable musée vivant de la langue ibérique du XVe siècle - qu’on appellera plus tard judéo-espagnol -, de s’adonner à leurs cultes et à leurs professions, d’exercer leur justice, et de se dire fièrement séfarades, du nom hébreu de l’Espagne. Cette Sefarad dont, des siècles durant, ils eurent la nostalgie et continuèrent de cultiver romances, contes et proverbes.

Interprètes, médecins, financiers, artisans, voire agriculteurs, les juifs d’Espagne avaient connu diverses périodes de prospérité, tant dans l’Espagne musulmane que dans l’Espagne chrétienne. Ils se consacrèrent également à la poésie, à la philosophie, aux sciences, à l’industrie, à l’imprimerie, au commerce, qu’ils introduiront dans l’Empire ottoman (notamment la poudre à canon qui sera d’une grande aide pour cet Etat guerrier)... Les noms de Maïmonide, Yehudah Halévy, Ibn Garibol, Ibn Paquda, Sem Tob de Carrion, etc., resteront gravés en leur mémoire et dans leurs livres de prières, comme autant de phares d’une terre perdue, d’une seconde terre promise où coulaient le lait et le miel.

Salonique, Constantinople, Izmir, Safed, Jérusalem, Le Caire, virent affluer les émigrés, juifs et marranes, jusqu’à la fin du XVIe siècle. Les communautés y étaient regroupées selon les origines, ces petites patries qu’étaient Tolède, Cordoue, Aragon, Léon, Sicile, etc., auxquelles correspondaient autant de synagogues.

Les juifs hellénophones (roumaniotes) et ashkénazes, qui vivaient à Thessalonique avant l’arrivée des séfarades, seront bien vite assimilés par ceux-ci. Vers 1550 ils sont majoritaires, et ce jusqu’en 1912. Ils constituent alors plus de la moitié de la population, les Turcs 20 %, les Grecs 20 %, et les Bulgares 5 %. « La ville entière vit au rythme de sa majorité séfarade qui impose sa férialité du samedi pour toutes les ethnies et toutes les activités de la ville, y compris la poste (2) . » C’est en quelque sorte une entité semi-autonome dont les rabbins recueillent les impôts destinés au pouvoir ottoman central.

L’industrie drapière est florissante, et répond aux besoins des armées, plus particulièrement des janissaires, fauteurs de troubles dont le corps sera dissous en 1826. Bientôt, Moïse Allatini, originaire de Livourne, ville ouverte à tous les étrangers et aux juifs depuis 1593, dotera la cité séfarade de minoteries, d’une briqueterie, d’une brasserie et d’une manufacture de tabac, révolution technique qui engendrera un prolétariat et un parti socialiste puissant, éditant El Avenir, Avanti, et La Solidaridad ovradera. Trois titres d’une presse judéo-espagnole écrite tantôt en caractères hébreux, tantôt en caractères latins et qui, de 1860 à 1930, créera 105 journaux, alors que, pour la même période, il y en eut 25 à Istanbul et 23 à Izmir (3). C’est là l’impact des Lumières de l’Occident, relayées, dès 1873, par la création de la première école de l’Alliance israélite universelle. Son oeuvre bénéfique, il est vrai, eut pour corollaire une francisation galopante du judéo-espagnol et, les événements tragiques du Proche-Orient s’amplifiant, un courant d’émigration vers l’Europe occidentale et le Nouveau Monde.

Misère et persécution

LA ville prospère, mais, en 1912, la Grèce reprend Salonique aux Turcs (4). La situation des juifs s’en trouve aggravée, et plus encore en 1917, lors du grand incendie qui sinistra la majeure partie de la population. Après la Grande Guerre, les manifestations antisémites se multiplient. Les gouvernements ne respectent pas le traité sur les minorités, signé à Sèvres le 10 août 1920. Il s’ensuit une hémorragie de la population juive : de 100 000 en 1912, leur nombre passera à 62 200 en 1928, à 52 350 en 1935, et à 56 000 en 1940 (après le regroupement des familles de l’extérieur).

Avril 1941 : après l’échec des troupes fascistes italiennes face à l’armée grecque, l’Allemagne hitlérienne entre en scène et bouscule tout sur son passage. Le 9 avril, Thessalonique est occupée. Alors commencent humiliations et exactions pour les juifs. Dès le 11 avril, fin est mise à la parution du dernier journal en judéo-espagnol, le Mesadjero. La crise économique bat son plein, la mortalité augmente effroyablement, d’autant que l’hiver 1941-1942 est particulièrement rigoureux. Famine et froid intensifient la misère.

Le samedi 11 juillet 1942, tous les adultes juifs doivent se présenter - ironie macabre - sur la place de la Liberté, où on les torture. Alors commencent pour eux les travaux forcés, le port de l’étoile jaune et la relégation dans des quartiers déterminés, tout comme pour leurs frères de Varsovie ou de Lodz. Alors se forment les premiers convois pour Birkenau (mars 1943), qui se succéderont jusqu’en juin. Alors sera pour toujours détruite la Salonique juive dont la poétesse Henriette Asseo, d’origine thessalonicienne, dira :

Mon peuple vous ne le
connaissez pas.
Jadis, l’exode du luxe
l’a décimé en mille nations.
Mon peuple ne vous ressemble pas,
servitude de l’Alliance
en Dieu identifié.
Mon peuple n’existe pas,
exil de la mémoire
aux portes des camps.


Haim Vidal Sephiha




(1) Chiffres donnés par Michael Molho dans son In Memoriam, Hommage aux victimes juives des nazis de Grèce, Thessalonique, 1973.

(2) Edgar Morin, Véronique Grappe-Nahoum et Haïm Vidal Séphiha, Vidal et les siens, Le Seuil, Paris, 1989.

(3) Cf. Haïm Vidal Séphiha, L’Agonie des Judéo-Espagnols, Entente, Paris, 1976, 1979 et 1991, chapitre 9, « La presse judéo-espagnole ».

(4) Lire le passionnant recueil Salonique 1850-1918. La « ville des juifs » et le réveil des Balkans (sous la direction de Gilles Veinstein), Autrement, Série « Mémoires », Paris, no 12, janvier 1992.


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