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Le patrimoine culturel judeo-marocain a l'heure de l'exode
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 17 aoűt 2007 : 04:50

LE PARTIMOINE CULTUREL JUDEO-MAROCAIN A L'HEURE DE L'EXODE[

par Nicole Serfaty


[74.52.200.226]





Dans les années cinquante, Zédé Schulmann, un talentueux homme d’affaires résidant à Casablanca, participe activement au sauvetage du patrimoine culturel judéo-marocain, voué à un dispersion imminente, dès lors que le processus d’exode est déjà amorcé.



Zédé Schulmann ne fut pas un collectionneur ordinaire animé du seul désir de débusquer et de posséder des objets rares et précieux : Mordekhaï Narliss, directeur du Musée Bezalel de Jérusalem, lui avait confié pour mission « la recherche et la documentation de la culture matérielle et du folklore juif du Maroc » (1) tout en insistant sur le caractère important et urgent de sa requête.

En 1956, Le Maroc regagne son indépendance nationale, et assiste impuissant ou à demi-consentant, à l’émigration de ses petites communautés juives des mellah de l’Atlas, suivies de près de celles des villes moyennes du Royaume, vers le jeune Etat d’Israël. Le danger pressenti alors, résidait dans le fait que « les juifs du Maroc, avaient pour souci de sauvegarder en priorité ce qui représentait le pivot de leur existence : la religion et l’érudition, sans trop se préoccuper de garder les témoignages matériels d’une vie nourrie de traditions millénaires » (2).

Zédé Schulmann, conscient de devoir « chiner » dans des conditions tout à fait particulières, se met en route dès le mois d’octobre 1949 (3), et commence par prospecter du côté de la vallée du Dra. Il se risque sur les pistes hasardeuses menant à Sijilmassa et à Rissani. Il n’y a ni route, ni ponts, il doit traverser les rivières à gué, et sa voiture se trouve ensablée de nombreuses fois en plein Sahara. Faute d’hôtels, il doit dormir dans sa voiture et se nourrir frugalement, mais il surmonte toutes ces difficultés sans jamais se départir d’un enthousiasme inaltérable. Il est subjugué par la beauté des paysages des contreforts de l’Atlas, et par la diversité des costumes, des bijoux et des coiffes arborés par les femmes juives de ces lointaines contrées, dites « des marges sahariennes du Maghreb » (4).

Dans le même temps, il réalise qu’il doit s’empresser d’immortaliser ces hommes et ces femmes in situ, avant qu’il ne soit trop tard. Il enregistre leurs chants, il les photographie et fixe sur la pellicule leurs coutumes et leurs traditions religieuses, leurs danses, leurs métiers et tout ce qui constitue leur art d’appréhender la vie au quotidien. Il sillonne également les mellah des grands centres urbains, tels que Marrakech, Mogador, Safi, Tétouan et Tanger. Il parvient à y acheter, toujours sur ses fonds propres, bijoux anciens et tenues d’apparat de la femme mariée (« Kswa Kbira » en velours et soie, entièrement brodées de fils d’or) évoquant, selon les termes de Besancenot, « les fastes de l’opulente Espagne de la Renaissance ».

La Collection Schulmann comprend également un grand nombre de « Hanoukioth » anciennes en métal ou en Pierre d’ornements pour les rouleaux de la Thora (« Tappuhim »), d’actes de mariage (« ketouboth ») et même des pierres tombales datées des XVIème et XVIIème siècles et courageusement « empruntées » au cimetière d’Oufrane pour être léguées au Musée d’Israël. Il réalise des films sur les pèlerinages de la « Hiloula » et sur les cérémonies du « Henné » et de la « Mimouna » dans des palais de notables ou dans les familles plus modestes des grandes villes. Il braque sa caméra sur des femmes du Mellah de Sefrou fabriquant du pain azyme ou sur des pleureuses qu’il n’hésite pas à installer en rond, autour d’un cercueil vide, dans le cimetière juif de Marrakech, pour saisir leurs lamentations et leurs visages lacérés de griffures.

Il convient d’évoquer, ne fut-ce que brièvement, l’itinéraire de cet explorateur singulier, parvenu de façon subtile à convaincre toutes ces familles judéo-marocaines, réputées très conservatrices, de se défaire d’objets de culte, de vêtements et d’objets familiers auréolés de fortes charges mystico-religieuses et sentimentales. Zédé (Samuel- Aaron) Schulmann est né en 1890 à Haïfa, en Palestine, dans une famille orthodoxe. Ses parents le marient avant ses dix-huit printemps, juste avant de se retrouver « Shohet » à Paris. Il cherche sa voie, et finit par émigrer en 1913 (5), non pas aux Etats-Unis comme il le souhaite, mais au Maroc, pour ne pas s’éloigner de sa famille qui est alors installée en France. Il vivote six années durant, mais il s’attache malgré tout à sa nouvelle terre d’accueil. Il y fait venir sa famille et crée en 1919, à Casablanca, le « Palais du Mobilier », entreprise de fabrication et de vente de meubles, qu’il dirigea avec ses fils, jusqu’en 1955, puis seul, jusqu’en 1979.

En fait, il est parti du principe que « les Marocains en général et les Juifs marocains en particulier, n’avaient aucune idée de la valeur ni de l’intérêt que peuvent avoir les objets anciens et antiques » (6). D’après son récit autobiographique, il semble, à quelques exceptions près, qu’il n’ait pas rencontré de difficultés majeures auprès des femmes pour leur racheter des vêtements, ou des bijoux car, écrit-il, « ce qui les intéressait, c’était de vendre pour le costume traditionnel et de leur engouement pour les vêtements de style européen, plus légers et adoptés depuis un certain temps déjà, par les communautés juives citadines ? Certes mais ne doit-on pas plutôt privilégier l’hypothèse selon laquelle ces femmes averties secrètement par des délégués de l’agence Juive de leur prochain départ vers la Terre Sainte, saisirent là simplement une occasion inespérée de réaliser leurs biens ? Sans être comme je le suis moi-même, par mes origines proches d’elles et de leurs comportements affectifs, nul ne pourrait douter du déchirement qu’elles ont dû ressentir, en se séparant de tous ces témoins intimes, d’une tradition et d’une présence juives deux fois millénaire sur cette Terre d’Islam.

Pour les objets de culte, Zédé Schulmann s’en remet aux autorités locales, notables et rabbins. Ceux-ci l’accompagnent et l’introduisent volontiers auprès de familles susceptibles de lui céder quelques objets, futurs messagers occultes d’une culture brutalement classée par l’histoire dans la catégorie : à muséifier » (8). Leur a-t-on seulement dit, que toutes ces acquisitions seront acheminées vers Jérusalem, sésame infaillible pour se faire ouvrir des portes ? On peut le supposer et ajouter à cela, qu’il vit au Maroc depuis plus de trente ans déjà, et qu’il est bien intégré au milieu juif autochtone. De plus, il possède plus que rudiments de leur langue judéo-arabe et, enfin, comme représentant du Congrès Juif Mondial à Casablanca, il ne manque pas d’arguments éprouvés, pour contrecarrer la réticence des uns, ou l’hésitation des autres (9).

Ses différents périples, l’entraînent, entre octobre 1949 et avril 1955 (10), tant au Maroc qu’en Algérie et en Tunisie. Dans un premier temps, il se déplace avec son épouse ; plus tard, en janvier 1950, en compagnie de Mordekhaï Narkiss puis, une dernière fois, avec le grand historien israélien, Haïm Zeev Hirschberg (11). Il rencontre, chemin faisant, quelques-uns de ceux et celles dont le nom reste accolé à l’historiographie judéo-maghrébine, tels Pierre Flamand, auteur de « Diaspora en Terre d’Islam » (1959), l’africaniste Jeanne Jouin, qui a si bien décrit « le costume de la femme israélite au Maroc » (1936), ou encore André Chouraqui, attaché lui aussi à la « Saga des juifs d’Afrique du Nord » (1972) et enfin, Jean Besancenot, artiste-photographe et ethnologue, dont l’album de dessins, a contribué à faire découvrir les superbes costumes et bijoux des Juifs de l’Atlas (1953).

L’année qui précède l’indépendance du Maroc , est marquée par une émigration massive des juifs, et par toute une série d’attentats meurtriers. Les fils de Zédé Schulmann quittent le pays définitivement pour s’installer en France et la collection est expédiée à Jérusalem, via Marseille. Dix ans plus tard, en 1965, au cours de l’inauguration du Musée d’Israël, Zédé Schulmann et tous les donateurs, occupent les places d’honneur et reçoivent des médailles pour « avoir su sauvegarder les trésors de la tradition et de l’art populaire juifs ».

En 1973, le Musée organise la première grande exposition jamais consacrée aux juifs du Maroc, pour « mettre en lumière la contribution du Judaïsme marocain à la culture et à la pensée juive universelle » (12). L’exposition repose essentiellement sur la collection d’objets, de documents, de photographies et de films rassemblés par Jean Besancenot et par Zédé Schulmann. On rend un vibrant hommage à ce dernier pour la passion avec laquelle il s’était engagé dans « ces véritables campagnes de sauvetage ».

Dans son autobiographie qu’il rédige deux ans avant sa mort (1981), Zédé Schulmann témoigne de son action comme d’une tâche nécessaire qu’il est fier d’avoir accomplie mais dont il n’entend tirer aucune gloire car, avoue-t-il modestement, « si je n’avais pas fait ce travail à cette époque, il aurait été impossible de la faire ». Toutefois, il a contribué à faire connaître le judaïsme marocain et à le préserver d’un oubli préjudiciable.



(1) « La vie juive au Maroc – Arts et Traditions » édité par A. Muller-Lancet et D. Champault, Tel Aviv, 1986, p. 4

(2) Ibid., p. 3

(3) Zédé Schulmann, « Autobiographie », Paris, 1980, p. 154.

(4) Emprunt au titre de l’ouvrage édité par Michel Abitbol: „Communautés juives des marges sahariennes du Maghreb“, Jérusalem, 1984.

(5) Le Protectorat Français est instauré au Maroc depuis le 30 mars 1912.

(6) & (7) « Autobiographie », op. cit., pp. 149 et 169.

(8) Néologisme employé par l’architecte italien Pier Luigi Cervelatti dans un article du « Monde » (5/2/94), intitulé : « Sauver les pierres, garder les habitants ».

(9) D’après l’entretien que le fils de Zédé Schulmann, Monsieur Michel Schulmann, a eu l’extrême courtoisie de m’accorder, chez lui, le dimanche 23 janvier 1994.

(10) L’Indépendance du Maroc est proclamée en novembre 1955.

(11) Sa relation du voyage est intitulée : « Me-Eretz Mevo Ha-Shemesh », Jérusalem, 1957. Il est l’auteur d’une excellente « History of the Jews in North Africa », Leyden, 1974.

(12) Propos d’Alix de Rothschild pour introduire l’exposition (1973).






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