Lutte contre l'antisemitisme, philosophie et Memoire
Posté par:
anidavid (IP enregistrè)
Date: 24 mai 2005 : 16:47
La grande énigme antisémite
By ELIAS LEVY
Reporter
Docteur d’État en mathématiques, philosophe, psychanalyste, exégète de la Bible, du Coran et des Évangiles chrétiens, Daniel Sibony est l’un des plus importants intellectuels juifs français.
Auteur d’une trentaine d’essais très remarqués sur les religions monothéistes, l’antisémitisme, le racisme, le conflit israélo-arabe… ce penseur iconoclaste, né à Marrakech (Maroc), a publié récemment un essai brillant et fort dérangeant, L’énigme antisémite (Éditions du Seuil). Livre totalement boudé par la presse française.
Il est le coauteur, avec Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande Mosquée de Paris, et le théologien Pierre Lambert, d’un remarquable essai collectif -dirigé par François Cellier- consacré à l’avenir du dialogue interreligieux, Le choc des religions. Juifs, Chrétiens et Musulmans. La coexistence est-elle possible?, qui vient de paraître aux Éditions Presses de la Renaissance.
Daniel Sibony nous a accordé une entrevue.
Canadian Jewish News: D’après vous, le nouvel antisémitisme est un leurre.
Daniel Sibony: Dans mon livre, L’énigme antisémite, je montre qu’il n’y a pas de nouvel antisémitisme. La violence antijuive qui sévit dans le monde arabo-musulman, et que celui-ci a tenté vaillamment de tempérer par un désir de forte convivialité, apparaît nouvelle en Amérique et en Europe parce qu’elle arrive sur le marché occidental. Mais cette violence antijuive était déjà présente sur le marché oriental de façon très claire et très forte, à ceci près que le monde musulman n’avait pas besoin de la passer à l’acte, comme en a eu besoin le monde européen, parce qu’il était souverain dans son espace. Le monde arabo-musulman a vécu tranquillement sa vindicte antijuive dans son espace en donnant aux Juifs à la fois une tolérance et un statut mineur fondé sur un Texte qui est d’une extrême violence à leur égard et à l’égard des Chrétiens.
Aujourd’hui, avec la mondialisation, le mélange, l’immigration, le mouvement de changements qui brasse la planète, cette vindicte antijuive islamique, qui paraît désuète, dépassée dans l’Occident chrétien -n’oubliez pas que le Concile de Vatican II a stigmatisé positivement et dépassé cette vindicte islamique envers les Juifs-, met les Européens, essentiellement la Vieille Europe, c’est-à-dire la France, l’Allemagne… dans une position très gênante.
Ces pays européens ne veulent pas reconnaître cette judéophobie, de peur de reconnaître que le Texte fondateur de l’islam est très violemment antijuif et antichrétien -surtout antijuif. Et, en même temps, l’Europe ne peut pas ignorer cette vindicte judéophobe parce qu’elle se traduit dans des actes qu’elle préférerait oublier.
C.J.N.: Alors que les incidents antisémites n’ont cessé de se multiplier depuis l’éclatement de la seconde Intifada palestinienne, il y a plus de quatre ans, on a l’impression que l’antisémitisme est de plus en plus banalisé en France.
D. Sibony: Je vais essayer de mettre les choses au point parce que la réalité et une certaine lâcheté humaine les a beaucoup mises dans la confusion. Aujourd’hui, en France, vous avez des gens, même des Juifs, qui vous disent sans ambages: “Il ne faut pas parler d’antisémitisme en France parce que l’antisémitisme veut dire étoile jaune, déportation, chambres à gaz… Et, comme tout ça n’est pas du tout à l’ordre du jour, alors c’est faux de parler d’antisémitisme”. Cette position est formulée par des journalistes français, y compris des Juifs, qui veulent briller par leur prétendue indépendance. Mais, la réalité est bien plus complexe.
Mettez-vous à la place de Juifs qui ont vécu au Maroc, dans le Maghreb, et qui là-bas se faisaient attaquer en tant que Juifs, ou ne se faisaient pas attaquer selon l’humeur de l’espace islamique ambiant. Ces gens-là, qui habitent aujourd’hui dans la banlieue parisienne, et qui voient leur enfant attaqué sur le chemin de l’école en tant que Juif, ou attaqué en classe en tant que Juif et que la majorité des élèves de sa classe sont d’origine maghrébine, sont très angoissés. Ils ne sont pas confrontés à un danger terrifiant, sûrement pas -il n’y a pas de déportation, ni d’étoile jaune, ni de chambres à gaz… Mais, ils sont désespérés de voir que les lois républicaines, qui officiellement protègent les individus, sont réaffirmées, re-proclamées, mais qu’en même temps les responsables d’appliquer ces lois n’interviennent pas par peur de froisser une entité musulmane d’origine maghrébine qui, d’un autre côté, subit un certain racisme de la part des Français. Un racisme qui a d’autres causes.
Ce racisme latent envers les Maghrébins vivant en France, c’est d’abord une méfiance envers l’islam sur le plan planétaire et une attente que les Musulmans modérés s’expriment, condamnent sans équivoque le terrorisme et s’en démarquent. Ce qu’ils ne font toujours pas par peur de représailles, mais aussi par peur d’avoir l’air de trahir leurs origines.
C.J.N.: La justice française semble assez laxiste face à ce regain d’antisémitisme.
D. Sibony: Aujourd’hui, les valeurs françaises, la laïcité française et les juges français sont aux prises avec un vrai dilemme: lorsque un Arabe attaque un Juif, la justice est très réticente à condamner l’agresseur car elle ne veut pas avoir l’air de sanctionner des gens qui peuvent être eux-mêmes victimes de racisme. Il y a eu récemment le cas d’un Rabbin qui a été attaqué. Le Tribunal a acquitté son agresseur, un Musulman, en disant que celui-ci n’était pas un déchaîné et que si on le condamnait, ce serait dresser une communauté contre une autre.
C.J.N.: Drôle de raisonnement!
D. Sibony: Si quelqu’un transgresse la loi, ce n’est pas vos bons sentiments qui l’aideront. Il faut lui appliquer la loi. Il y a d’ailleurs une très belle loi biblique, que j’aime beaucoup, qui dit: “Si tu dois juger un pauvre, ne prends pas parti pour lui, rends-lui justice”. Cela veut dire que le pauvre n’a pas besoin de tes bons sentiments. S’il a transgressé la loi, c’est de la loi qu’il a besoin. Si tu lui donnes en échange tes bons sentiments, cela veut dire qu’il faudra qu’il les mérite à nouveau. Tu l’obliges à entrer dans un rapport de séduction avec toi. Tu en fais ton esclave alors qu’en lui donnant la loi tu le relibères et tu le relances dans sa vie, quitte à ce qu’il puisse mieux combattre sa pauvreté.
Il y a donc en France et dans la vieille Europe une espèce de culpabilité envers l’autre, l’autre abstrait, l’autre qui a été le Juif à un moment donné et qui maintenant est devenu le tiers-mondiste, le Musulman, le Maghrébin. Cette culpabilité cache une véritable attitude de mépris. C’est comme si on disait: “Le malheur du monde arabo-musulman, c’est nous qui l’avons créé”. Ce qui veut dire aussi que son bonheur, c’est nous qui pouvons le créer. Donc, ces gens-là n’ont aucune capacité, aucune responsabilité. Ils sont entre nos mains, tantôt comme des êtres opprimés, tantôt comme des êtres qu’il va falloir rendre heureux. C’est une position perverse. Le danger aujourd’hui en France n’est pas l’islam, c’est la lâcheté de l’establishment français, qui est porté par cette culpabilité perverse.
C.J.N.: Comment expliquer qu’un État de droit comme la France ait donné son aval, pour ensuite faire volte-face, à la chaîne de télévision, farouchement antisémite, al-Manar, du mouvement terroriste libanais Hezbollah?
D. Sibony: Dans cette affaire, le pouvoir français s’est dit coincé alors que théoriquement il n’était pas tellement coincé. Dès le début, les autorités politiques françaises auraient pu recourir aux lois de la République, qui sont des lois protectrices, pour interdire la diffusion de cette chaîne du Hezbollah, qui dévide un discours coranique antisémite d’une extrême violence. Or, voilà qu’après avoir négocié avec cette chaîne islamiste, maintenant les pouvoirs publics font un peu volte-face. Pour des raisons techniques, cette chaîne va continuer à émettre ses émissions parce qu’elle émet à partir d’un troisième satellite qui diffuse simultanément dix autres chaînes arabes. Donc, le même problème se reposera bientôt. Les Musulmans et les Arabes modérés de France vont-ils intervenir pour interdire la diffusion, sur un même canal satellite émettant d’autres chaînes, de ce discours totalement haineux? Oseront-ils le faire?
Entre-temps, la France tient un double discours. J’ai entendu de mes propres oreilles le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et d’autres membres du gouvernement clamer leur horreur de tout discours antisémite. Mais, dans les faits, ces derniers sont extrêmement laxistes parce que pour éviter ce type de dérives il faudrait qu’ils s’opposent très fermement à l’islam radical en lui demandant réellement de s’écarter ou de se réformer. Et ça ils n’osent pas le faire. Ils ne veulent pas s’opposer à l’islam radical pour ne pas exacerber le racisme anti-islamique.
C.J.N.: La France et l’Europe seraient-elles devenues couardes face à la menace lancinante de l’intégrisme islamique?
D. Sibony: On se trouve devant des situations psychologiques très fines. L’islam d’Europe souhaite, mais sans pouvoir le dire, que les gouvernements démocratiques soient fermes sur leurs principes. Or, voilà que ces gouvernements démocratiques n’ont pas la force ou la confiance en eux-mêmes pour être fermes sur leurs principes. Ce complexe, que j’analyse longuement dans mon livre, est passionnant, y compris du point de vue psychologique, parce qu’il touche, selon moi, à un point fondamental: l’être humain démissionne souvent et devient lâche en considérant que s’il affirmait vraiment les beaux principes qui sont les siens, cela provoquerait le chaos, des massacres… C’est bien au nom de cette lâcheté qu’on a laissé perpétrer l’Holocauste dans la vieille Europe humaniste et démocratique.
C.J.N.: Dans un livre intitulé “La France et les Juifs. De 1789 à nos jours” (Éditions du Seuil), le grand historien français Michel Winock soutient que l’antisémitisme qui révulse l’Hexagone depuis quelques années n’est pas de souche française mais un fléau entièrement importé du Moyen-Orient arabe. Partagez-vous cette analyse?
D. Sibony: Non. J’ai parcouru ce livre. Je peux vous dire qu’il est tout à fait typique du discours de la lâcheté dont je viens de vous parler. Cet historien fait partie de ceux qui disent: “C’est triste qu’il y ait des signes antijuifs en France, mais comprenez ces jeunes qui prennent fait et cause pour le combat des Palestiniens. Ce n’est pas de l’antisémitisme, c’est juste une lutte de libération d’un peuple qui est soutenu par des jeunes. Nous n’avons rien contre les Juifs…”
Cet historien, qui fait preuve d’une hypocrisie très intense, reprend à son compte le discours consensuel affirmant qu’il n’y a pas d’antisémitisme en France, mais simplement une solidarité envers les Palestiniens.
C.J.N.: D’après vous, le Coran recèle des passages foncièrement antisémites.
D. Sibony: La haine antijuive s’étale à tour de pages dans le Coran. Pour retrouver cet antijudaïsme dans le Coran, il ne faut pas consulter l’index à “Juif”, mais plutôt à “gens du Livre”, à “mécréants”, à “pervers”… C’est là qu’on dénonce constamment les Juifs comme des traîtres. Donc, même des gens qui ne lisent pas le Coran sont traversés par cette transmission, qui les encourage à exprimer cette vindicte et cette haine antijuives. En Europe aussi, à l’occasion de ce qui se passe au Proche-Orient. Mais, le conflit israélo-arabe n’est pas une circonstance extérieure, une espèce d’épisode extrinsèque qui viendrait troubler une harmonie. Ce qui se passe au Proche-Orient, c’est justement le fait que le peuple juif, dont le sort a été réglé et effacé dans le Coran en tant que peuple, est revenu à une forme de souveraineté nationale. Le peuple juif a été recraché par le Coran, qui a mangé la Bible juive en recrachant les noyaux.
Depuis que l’État d’Israël a été créé, c’est-à-dire depuis que ces Juifs supposés méprisables, maudits et inférieurs relèvent la tête, les Communautés juives, qui ont vécu pendant des siècles dans le monde arabo-musulman, ont disparu. C’est devenu insupportable pour les masses arabes de regarder devant elles des Juifs dont les frères vivant en Israël affirment une souveraineté et remportent des victoires sur les armées arabes, supposées intrinsèquement supérieures.
Force est de rappeler que le conflit du Proche-Orient est le conflit entre la Bible et le Coran. C’est un conflit entre deux identités.
In an interview, French author, philosopher, psychoanalyst and expert on monotheistic religions, Daniel Sibony talks about Muslim-based anti-Semitism, especially in France.