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"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 25 mars 2010 : 02:54

"IL ETAIT UNE FOIS LE MAROC"

Temoignages du passé Judeo-marocain

par David Bensoussan

Les Editions Du Lys







"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 25 mars 2010 : 02:55

IL ETAIT UNE FOIS LE MAROC

Témoignages du passé judéo-marocain

David Bensoussan – Éditions Du Lys


Votre ouvrage fait un survol historique du Maroc durant les derniers siècles et commence par une description du Maroc traditionnel

Le Maroc traditionnel, celui qui prévalut durant les derniers siècles précédant la période du Protectorat et de la modernisation n’est pas celui du Moyen Âge, époque où se tinrent les grandes invasions d'Espagne. Ce Maroc, le traditionnel, en fut un qui, comme la majorité des pays du monde arabe, vivait dans un état de léthargie et de stagnation tant au plan technologique qu'économique, à comparer avec l’Europe que la Renaissance et la découverte de l’Amérique avaient revitalisée. Ce Maroc fut souverain et résista aux pressions exercées par l’empire Ottoman qui s’étendit jusqu’à l’Algérie, pays voisin. Jusqu’au XIXe siècle, la piraterie régna tant sur les flancs de l’Atlantique que sur la côte de la Méditerranée. Elle donna lieu au commerce lucratif d’otages Chrétiens et Maures.
Le sultan fut l'autorité suprême mais la succession des monarques se fit rarement sans heurts. Pourtant, les tensions domestiques étaient grandes. Dans les régions de l’intérieur, la dissidence fut importante car certaines populations voulaient se soustraire à l’impôt du gouvernement central, c'est-à-dire au Makhzen.

Quelle fut la situation des Juifs au Maroc avant le Protectorat

Bien des personnes ayant entretenu des relations avec les Juifs et les Musulmans du Maroc durant le Protectorat auront du mal à reconnaître le portrait de ce que fut jadis, au quotidien, la vie des Juifs du Maroc : Peu enviable, elle regorgeait d’indignités et d’humiliations institutionnalisées. Les voyageurs se demandaient comment les Juifs parvenaient à survivre ainsi. Les chroniqueurs juifs de l’époque ont maintes fois déploré les conditions difficiles de l’exil qu’ils finirent par admettre comme étant une fatalité. Toutefois, il existait un petit noyau de notables juifs qui bénéficiaient de la confiance du souverain et qui, de ce fait, jouissaient d’un statut de privilégié.
Au XIXe siècle, la communauté mondiale qui prit connaissance de la condition des Juifs du Maroc s’en émut. L’occidentalisation de la communauté juive se fit graduellement, à la suite des échanges commerciaux croissants avec l’Europe, mais surtout en raison de l’implantation du réseau des écoles francophones de l’Alliance israélite universelle. Dès le début du XIXe siècle, l’idée d'un sionisme moderne commença à germer et finit par représenter l’aboutissement naturel de l’émancipation de la communauté juive du Maroc.


Le Maroc a fait l’objet des ambitions des puissances coloniales

La conquête de l’Algérie au XIXe siècle marqua le début de l’ère coloniale. Pour empêcher le Maroc de venir en aide à son voisin algérien, la France intervint en dépêchant la marine française pour bombarder les villes de Tanger et de Mogador ainsi que son armée stationnée en Algérie pour infliger une défaite cuisante à l’armée marocaine lors de la bataille d’Isly. Le pouvoir marocain prit conscience de son infériorité au plan militaire. Ne voulant pas demeurer en reste, l’Espagne se lança dans la guerre contre le Maroc en 1860.
Le Maroc était à l’image de l’empire Ottoman que l’on disait être l’homme malade de l’Europe. Il n’était plus la puissance militaire du passé. Sur la scène domestique, ses défaites militaires alimentèrent la dissidence. Les épidémies et les crises de disette accrurent le mécontentement général. L’insécurité régnait. Les Juifs tout comme le petit peuple en furent les premiers à en pâtir. De puissants contestataires du sultanat marocain allaient affaiblir encore plus le pays.

Au début du XXe siècle, la France troqua l’Égypte à l’Angleterre en échange d’une liberté d’action au Maroc, qu’elle partagea avec l’Espagne. Les dés en étaient donc jetés. L’institution du protectorat ne fut plus qu’une question de temps…

Quelle fut l’influence réelle du Protectorat ?

Le Protectorat fut entériné à Fès en 1912, mais l'armée française ne finit l'occupation du Maroc que vers 1932, en raison de l'opposition des populations de l'intérieur. Néanmoins, lors de la Première Guerre mondiale, des dizaines de milliers de Marocains s'engagèrent aux côtés des Français pour combattre l'Allemagne. Le Rif se souleva et Abd El-Krim y institua la République du Rif. Ce soulèvement ne put être réprimé qu'en 1925, soit une fois que plusieurs centaines de milliers de combattants tant français qu’espagnols intervinrent massivement. Dans les faits, la Résidence outrepassa le mandat de supervision que lui conférait l’entente du Protectorat pour gouverner le Maroc de facto.

Le souverain Moulay Youssef signa les dahirs qui lui furent soumis : il en fut ainsi du dahir berbère confirmant la justice coutumière – non islamique – pour les Berbères du Maroc. Les nationalistes s’en saisirent comme d’un prétexte pour en faire l’objet d’un ralliement contre la France. Aussi, ce dahir fut révoqué. Il en fut également ainsi lorsque le sultan signa les lois racistes du gouvernement de Vichy qui collaborait avec l'Allemagne nazie avant de faire preuve de réticence par la suite. La Seconde Guerre mondiale mit en évidence l'absurdité d'un Maroc combattant aux côtés des Alliés et à qui on demandait de changer d'alliance. Par ailleurs, le sultan reçut de grands encouragements de l'Amérique qui, au nom même de la liberté, s'opposait au maintien des colonies. Il commença par refuser de signer les dahirs qu'on lui soumettait et alla jusqu'à réclamer l'indépendance lors de sa déclaration de 1947 à Tanger. Son appel eut un énorme retentissement. La volonté d'indépendance du peuple marocain sous l'égide du sultan Ben Youssef (qui prendra le titre de roi Mohammed V à l’indépendance) devint inéluctable.


Comment le Marc et sa communauté juive évoluèrent-ils au lendemain de l’indépendance?

Le Maroc fit ses premiers pas dans la démocratie et le roi Mohamed V assuma un rôle d'arbitre entre les mouvances socialiste et nationaliste avant de prendre la direction du gouvernement. L'arabisation du pays fut amorcée et le Maroc se joignit à la Ligue arabe. Sous le règne de Hassan II, le Parlement fut révoqué. Le roi régna en maître et échappa à de nombreux attentats. Sous Mohamed VI, des mesures d’ouverture à la liberté d’expression et au libre cours des idées contribuent à faire en sorte que la démocratie soit mieux assumée par le peuple.

Avant l'indépendance du Maroc, près de 90 000 Juifs quittèrent le pays pour aller s'établir en Israël. Beaucoup le firent par idéalisme, d'autres craignaient le retour de la période d’instabilité et d'insécurité qui avaient régné avant le Protectorat et dont ils avaient été jadis les victimes premières. Or, l'indépendance du Maroc se fit dans la joie et lorsqu'un ministre juif fut nommé au gouvernement en 1956, l'euphorie fut à son comble.

Toutefois, l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe le 1e octobre 1958 fut accompagnée par une hargne anti-juive des plus prononcées dans la presse politisée. Aussi 29 000 autres Juifs quittèrent le pays dans la clandestinité. En 1961, les brutalités policières à l'endroit des Juifs lors de la visite du président égyptien Nasser et le naufrage du bateau Pisces au large des côtes méditerranéennes, alors qu’il transportait des immigrants clandestins à destination d’Israël, eurent un grand retentissement dans le monde. Désormais, l'émigration vers Israël devint semi-légale et 83 000 autres Juifs quittèrent le pays entre 1961 et 1965. Une campagne de boycottage des commerces appartenant à des Juifs fut déclenchée après la guerre des Six jours et 35 000 Juifs émigrèrent. Depuis, la communauté juive n’est plus que l'ombre de ce qu'elle avait été jadis.

Aujourd’hui, la quasi-totalité des Juifs du Maroc vit aux quatre coins du monde. La majorité d’entre eux réside en Israël et un nombre non négligeable d’entre eux se trouvent en France et au Canada. Cependant, les Juifs marocains ont conservé vivantes les traditions du pays où ils ont vu le jour. Les premières tentatives de rapprochement et les retrouvailles entre Juifs et Musulmans marocains furent empreintes d’émotion mais les relations entre eux continuent d’osciller selon les aléas du conflit au Proche-Orient. La qualité des rapports humains qui continuent de subsister entre eux en dépit de la séparation, de l'éloignement et des difficultés, est le symbole, envers et contre tous, d’une lueur d’espoir.


L’ouvrage peut-être commandé aux Éditions du Lys, 5170 Hingston, Montréal, Québec, H3X 3R4 Canada, DULYS@EDITIONSDULYS.COM FAX : 514 483 5566




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: AGUAIWARE (IP enregistrè)
Date: 21 avril 2010 : 02:45

nous espérons nous muselmuns du maroc,que la communauté des juifs marocains a l'étranger ou qu'elle soit retourne a son pays, qui ne refuse la bienvenu a aucun des ces citoyens juifs ou muselmun,essayons ensemble d'oublier des détails d'un passer malagre tout ce que les uns diront était glorieux et superbe pour nous tous.

"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 01 juillet 2011 : 21:55

Quelques extraits du livre "Il etait une fois le Maroc" ecrit par David Bensoussan actuellement epuise.

Pour lire quelques chapitres de ce livre, suivre ce lien sur lequel vous trouverez egalement un apercu des livres rediges par David Bensoussan.

[www.editionsdulys.com]


RAÏSSOULI


Beaucoup de ceux qui revenaient autrefois d’une visite de l’île de Mogador revenaient avec des récits et des descriptions emplis de mystère. De quoi en retournait-il?

Les visiteurs décrivaient l’île, ses murailles et ses canons, ses nombreux lapins, mais surtout des tessons de cruches et de restes de squelettes de ce qui fut autrefois une prison. Beaucoup de personnalités célèbres y passèrent. Mais rien ne donnait autant de frissons que l’évocation du célèbre Raïssouli.



Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé...

À la fin du XIXe siècle, le rebelle Bou Hmara n'était pas la seule cause de souci au pouvoir du sultan : les Berbères rifains du Nord marocain ne connaissaient souvent d’autre loi que celle de leur long fusil. Ces montagnards rebelles faisaient fi de l’autorité du sultan, de ses caïds et des canons des vaisseaux européens. Parmi eux s’était démarqué un chef indomptable, entré dans la légende de son vivant : Moulay Ahmed Er Raïssouli qui se prétendait être le descendant véridique de l'ancienne dynastie royale des Idrissides, et de ce fait, de la lignée du prophète Mahomet. Sa spécialité : le rapt d'étrangers dans le Nord du Maroc. Il fut à la source d’incidents multiples sur la scène internationale. Prétendant agir pour libérer le Maroc de la tutelle des étrangers, si ce n’est pas de l’abus des troupes du sultan, ce personnage jouissant de l’aura de chérif fut tout à la fois un mélange de révolutionnaire, de brigand des grands chemins, de despote, d'escroc et de hors-la-loi. Pendant quelques années, soit de 1889 à 1894, il fut incarcéré dans la prison de la Kasbah de Mogador et on dit qu’il y resta enchaîné à la muraille sans pouvoir se coucher. Il s’en sauva, fut capturé, rossé, et emprisonné à nouveau, mais dans la prison de l’île de Mogador cette fois-ci, avant d’être gracié par le sultan Abdel'aziz. Il se construisit un palais dans le style maroco-andalou à Arzila.

Il s’assagit alors?

Que non ! Incurable et récidiviste, il reprit ses activités lucratives de rapts, dont Walter Harris, correspondant du Times londonien. Lorsque le beau-frère de Raïssouli décida de prendre une seconde épouse, il trouva sa seconde épouse et sa mère égorgées la veille de la nuit de noces. Un rival avait capturé un cheikh opposé à Raïssouli. Celui-ci le racheta pour 1500 $ pour le décapiter devant le seuil même de sa maison.

La troupe eut raison de lui?

Raïssouli fut le plus redouté de tous les brigands du début du XXe siècle. Plusieurs expéditions militaires furent dirigées contre lui. Il réussit presque à chaque fois à s'échapper de façon surprenante. Quand des émissaires se rendaient pour négocier la libération d'otages, Raïssouli les en faisait captifs. Cela ne faisait qu’augmenter les rançons exigées. En 1906, les États-Unis envoyèrent un navire de guerre à Tanger, pour libérer un otage naturalisé américain du nom de Perdicaris. La même année, à la convention républicaine à Chicago, des membres du parti républicain affichaient le slogan : « Perdicaris vivant ou Raïssouli mort.» Raïssouli consentit à libérer son otage américain Perdicaris aux mains du gouvernement marocain qui lui versa une rançon exorbitante (70 000 dollars) et qui de surcroît lui donna le titre de Caïd de la région de Tanger. Méfiant, Raïssouli dépêcha un suppléant qui agit comme bon lui semblait. Puis Raïssouli encouragea un de ses acolytes du nom d’Ould Barian à prendre par surprise la ville d’Arzila. Ces agissements de Raïssouli firent l’objet de menaces de débarquement des Français et des Espagnols et Raïssouli ne fut que trop heureux de reprendre la ville à la demande d’Abdelaziz, d’autant plus que son ancien protégé avait développé des goûts d’indépendance. Il prit toutefois la précaution de forcer ses habitants à exprimer officiellement le vœu de le voir être nommé leur pacha !

Il ne craignait personne?

Non, et il n’en faisait qu’à sa tête. Il apparut à la fête donnée par le caïd de Bakhrein (non loin de Tanger) en l’honneur du mariage de son fils et lui trancha la tête pour le punir d’avoir été rendre hommage au nouveau pacha de Tanger. Le journaliste anglais John Stick du Light, servait parfois d’intermédiaire à Raïssouli. Il négocia la libération du journaliste anglais Perry du Daily Dispatch contre mille livres. Il fut lui-même enlevé et libéré contre sept mille livres sterling. Or, ce joueur invétéré qui avait perdu des sommes énormes au jeu, sembla baigner subitement dans la prospérité une fois libéré de sa condition d’otage. Les Tangérois commencèrent à se méfier de lui et de l’authenticité de son enlèvement. John Stick fut de nouveau à sec et de nouveau pris en otage. La rançon exigée de dix mille livres sterling ne vint jamais. Raïssouli relâcha John Smith après lui avoir coupé les oreilles.

En 1906, le corps diplomatique entreprit une démarche collective pour protester contre la tyrannie de Raïssouli. Le sultan Abdelaziz destitua Raïssouli de ses fonctions de pacha d’Arzila et envoya ses troupes brûler son village Zanut situé à une vingtaine de kilomètres de la ville Tanger. Raïssouli s’en prit à un autre otage et ami intime du souverain Abdel'aziz, [b]MacLean, anglais celui-là, qui fut libéré par en échange de 20 000 Livres anglaises en 1908. Raïssouli avait également exigé et obtenu de devenir protégé anglais pour échapper à la juridiction du Makhzen. Il se présenta à la capitale Fès, rendit les 20 000 livres au nouveau souverain Moulay Hafid et devint le pacha d’Arzila.

Les choses changèrent-elles quand le Nord du Maroc fit partie du Protectorat espagnol?

Loin de là. Durant le protectorat espagnol, Raïssouli fut décoré. Mais il se retourna contre les Espagnols lorsque ces derniers offrirent la fonction de pacha d’Arzila à une autre personne. Près de 40 000 hommes de troupe furent réunis pour le capturer, mais en vain. Raïssouli entra en contact avec les Allemands en 1914. Selon Walter Harris, auteur de Morroco that was, Raïssouli se serait proclamé sultan durant la Première Guerre mondiale. Une autre attaque frontale des Espagnols échoua lamentablement en 1919 et il fut déclaré hors-la-loi par les Espagnols en 1922. Cette résistance encouragea certainement les Rifains qui, sous la direction d’Abd El-Krim, se soulevèrent massivement contre les Espagnols. Mais Raïssouli ne reconnut jamais l’autorité d’Abd El-Krim qu’il considérait comme un rival. Il mourut en 1925, peu de temps après son arrestation ordonnée par Abd El-Krim.

Ce « sultan des montagnes » n’en aura fait qu’à sa tête. On lui attribue la citation suivante : « Les Berbères sont mes serviteurs, les Espagnols sont mes esclaves. Les Français sont mes ennemis, et les Allemands sont mes alliés.» Ce personnage a marqué son époque au point où, dans son ouvrage Le Maroc inconnu, Auguste Mouliera écrivit : « A-t-on jamais vu un Rifain mourir de mort naturelle? Tous périssent par le fer ou les balles. » Le Marquis de Segonzac, auteur de l’ouvrage Voyages au Maroc disait de Raïssouli : « C’est le plus redoutable rafleur de troupeaux et massacreur de bergers. Il acquiert ainsi, de bonne heure, un renom d'audace, de cruauté et de richesse, qui est l'auréole des grands aventuriers.»
Le film Le lion et le vent datant de 1975 retrace les grands moments de Raïssouli dont le rôle est joué par l’acteur Britannique Sean Connery.


BOU HMARA


Le roi Abdel’aziz fut contesté par Bou Hmara...

En effet, le jeune sultan Abdel’aziz eut à mener une lutte difficile contre Djilali ben Driss Zerhouni el Youssefi surnommé Bou Hmara (le père de l'ânesse), un ancien intriguant à la cour qui devint marabout s'assurant une réputation de thaumaturge et de saint. Il revendiqua la couronne. Il prétendit être Mhamed, le frère aîné du sultan et faisait réciter en son nom la prière dans la petite ville de Taza au Nord du Maroc. Il occupa la ville d’Oujda l’été 2003, leva des impôts et chargea des frais de douane sur les marchandises transitant via Melilla. La tête de Bou Hmara fut mise à prix.

Dirigeait-il une révolte tribale?

De fait, l’évènement qui déclencha la révolte de Bou Hmara fut la mise à mort de l’assassin d’un missionnaire britannique qui était rentré dans le sanctuaire à Moulay Idriss après avoir été averti de ne pas y rentrer. Le sultan fut accusé d’être une marionnette aux mains des Chrétiens. Les disciples de Bou Hmara appartenaient au clan des Ghiyatta. Ils reprochaient au sultan Abdel’aziz d'avoir souscrit au traité d'Algésiras en 1906, aux termes duquel le Maroc cédait le contrôle de la police, de la banque, des travaux publics, des douanes et du recouvrement des impôts aux puissances étrangères.

Plus d’une expédition militaire fut montée contre lui...

Il fallut dépêcher contre Bou Hmara quatre corps expéditionnaires, les mehallas totalisant près de 15 000 hommes. La discorde régna dans les différents corps militaires et, malgré les interventions des chérifs en charge des négociations intertribales fut-ce en temps de guerre, l'armée fut mise en déroute et la panique s'installa à Fès alors capitale du Nord. Tout ce que les mehallas avaient réussi à faire était des sougas, ou interventions de reconnaissance d'où ils ramenaient quelques têtes en guise de trophée. Cela avait poussé d'autres tribus à se rallier à Bou Hmara, d’autant plus qu’il prétendait être sur le point d’expulser les Espagnols de Melilla. Il fit des concessions minières à des Européens et acheta des armes au marché noir sur la côte méditerranéenne, voire même auprès de certains Français d’Algérie ou de soldats du Makhzen. Il se comporta comme un roi, eut son propre Makhzen, épousa la fille d’un chérif alaouite et exigea le paiement de la taxe de la jiziya des Juifs de Debdou. Il tenta aussi de nouer des relations diplomatiques avec le sultan ottoman. Le sultan marocain fit circuler dans le royaume une fatwa contre Bou Hmara signée par les principaux oulémas de Fès et mit sa tête à prix, d’abord à 10 000 francs, puis à 250 000 francs. Mais l’étoile de Bou Hmara pâlit parce que d’une part, le nouveau sultan Abdelhafid avait mis de l’avant le rejet de toute collaboration avec les Européens pour détrôner son frère Abdelaziz et de l’autre, Bou Hmara avait fait lui-même des concessions aux Européens. En outre, les taxes qu’il avait imposées le rendirent aussi impopulaire que le Makhzen. Bou Hmara alla jusqu’à proposer au nouveau sultan Abdelhafid de partager le royaume. Mais au fil du temps, l’appui envers Bou Hmara finit par s’estomper. Pourtant, au tout début il avait joui d’un appui remarquable. Des témoignages attestent que, lorsque Taza tomba aux mains des troupes du Makhzen, des jeunes filles se jetèrent dans les puits par peur du déshonneur des mains de la soldatesque.

Ce n'est qu'en raison d'une assurance démesurée que les hommes de Bou Hmara tombèrent dans un piège aux mains d'une nouvelle mehalla tout récemment formée et Bou Hmara dut se réfugier au sein de la tribu de sa femme, bénéficiant ainsi du mezrag, c'est-à-dire que l'honneur de la tribu interdit de livrer tout homme qui s'est uni à l'une des leurs par les voies de mariage. La ville de Fès passa à un cheveu de la catastrophe.



Était-ce la norme à l’époque?

Lorsqu'elles n'aboutissaient pas à une autonomie relative, les rébellions contre l'autorité par des caïds régionaux qui survenaient lors des changements de règne se terminaient souvent ainsi : des têtes tranchées qui étaient exposées sur les murailles de la ville aux yeux du public, des prisonniers qui pourrissaient dans des cachots ou encore des prisonniers enchaînés sur la place publique. Ces derniers étaient à la merci du public duquel ils dépendaient pour l’octroi de nourriture. Ils étaient continuellement exposés aux quolibets, aux remontrances ou à la compassion selon le cas.

Quelle fut l’issue de sa révolte?

Le rogui (rebelle) Bou Hmara fut capturé le 22 août 1909, mis en cage sept jours durant dans la ville de Fès, jeté dans la cage aux lions qui lui arrachèrent un bras. 160 prisonniers enchaînés par le cou défilèrent portant la tête d’un de leurs camarades sous le bras. Les têtes coupées des rebelles furent accrochées au fronton de Bab Mahrouk à Fès et on fit amputer le bras gauche et le pied droit des prisonniers chaque jour. On appliqua également la torture du sel consistant à faire une grande entaille dans la paume de la main et à y replier les doigts dans la plaie occasionnée avant de ligoter le poing dans des lanières de cuir de façon à en faire un moignon inutilisable. Le corps diplomatique intervint auprès du sultan pour demander de faire cesser ces exécutions par humanité, mais sans succès apparent. Le rogui fut fusillé - certains disent par le sultan Abdelhafid lui-même - et sa dépouille finit sur le bûcher. Mais tout cela ne permit pas de stabiliser la situation.

Dans The Conquest of Morocco, Douglas Porch rapporta un dialogue qui se serait tenu entre Abdelhafid et le rogui. Abdelhafid lui aurait demandé pourquoi il avait déclenché la rébellion et reçut pour toute réponse : « J’ai fait ce que tu as fait. Tu as réussi, j’ai échoué. » Menacé de mort, il aurait répondu : « Cela ne me préoccupe guère... Chacun meurt à son tour. Mais n’oublie jamais que c’est grâce à moi que tu es sultan. J’ai réussi à ébranler le trône d’Abdelaziz après sept années de combat et c’est toi qui en as profité.» Abdelhafid était convaincu que le rogui conservait de l’argent dans une banque espagnole, mais n’avait réussi à obtenir de lui que des réponses le narguant.


AL-WAZZANI


La confrérie des Wazzaniya était l’une des plus prestigieuses.

L’illustre confrérie de la Wazzaniya fut fondée à la même époque de l’instauration de la dynastie alaouite. On prétend que des milliers de personnes visitaient chaque jour le fondateur de la confrérie ‘Abdallah Ben Ibrahim(décédé en 1679). Cette confrérie se rattachait à la descendance des Idrissides qui constituèrent la première dynastie chérifienne au Maroc. Elle a toujours entretenu de bons rapports avec les souverains alaouites. Lors de la cérémonie d’allégeance, la Bay’a, la signature du chérif de Ouezzane était apposée en premier. Les chérifs d’Ouezzane jouèrent parfois un rôle d’arbitre ou d’intermédiaire avec la Cour. La renommée de Moulay Al-Tuhami (mort en 1721) dépassa les frontières du royaume. On dit même que le sultan Moulay Ismaïl craignit qu’il n’ambitionnât la royauté et la tension fut latente entre la Cour et la Confrérie. Al-‘Arbi Al-Wazzani fut très proche des sultans Slimane et Abderrahmane et des jaloux tentèrent de l’assassiner.

Son fils Abdeslam fut un européanisant

Son fils ‘Abdeslam Ben Al-‘Arbi Al-Wazzani obtint du sultan Abderrahmane en 1859 le droit d’administrer des provinces du Nord et la région du Touat. Sa popularité fut immense. Il était reçu dans ces régions en grande pompe, recevait des cadeaux somptueux et ses ouailles en larmes mendiaient un morceau d’étoffe de son vêtement. Il s’y comporta comme un vice-roi. Il fut réputé pour son goût immodéré pour la gent féminine et pour le champagne. ‘Abdeslam était l’une des plus grandes fortunes du royaume et sa largesse était légendaire. Il fut le plus grand incitateur à la guerre désastreuse contre l’Espagne en 1860, mais fut relevé de son commandement durant le siège de Tétouan car six mois de siège n’avaient pas abouti. En 1876, il fut sollicité pour établir la paix avec le chef algérien Sidi Slimane Ben Kaddour de la tribu des Oulad Sidi Sheik qui reconnaissait l’autorité spirituelle de ‘Abdeslam. Un arrangement fut négocié avec Slimane Ben Kadour, lui offrant des terres au Maroc et une rente de 15 pesetas par jour, mais Sidi Slimane quitta le Maroc après cinq ans d’exil volontaire et les incursions frontalières n’en continuèrent pas moins. Il fut capturé par les troupes marocaines et sa tête – mise à prix - et celle de ses douze proches fut rapportée au sultan Hassan Ie. Depuis, les relations d’Abdeslam avec la Cour furent tendues, d’autant plus que son désir de moderniser le Maroc le rendait suspect de capitulation aux Européens. Il fut soupçonné d’avoir fomenté des révoltes. Craignant pour sa vie, ‘Abdeslam chercha et obtint la protection française en 1884. Il vendit ses propriétés à un syndicat parisien en échange d’une rente de cinq mille livres. Par ailleurs, les adeptes de la confrérie d’Algérie ne s’opposèrent pas à la présence française.



Il eut une épouse anglaise

‘Abdeslam avait épousé la gouvernante anglaise Emily Keene. Les mémoires de cette dernière, My life story, Emily Shareefa of Wazan, sont édifiantes en regard des mœurs de l’époque, et on y trouve en annexe une compilation de superstitions qui ne le sont pas moins. Leur fils aîné Ali eut une gouvernante française et fut éduqué au lycée d’Alger. Il suivit un stage de cavalerie à Saumur et s’engagea dans le deuxième bataillon d’Afrique. Leur second fils Ahmed servit d’intermédiaire pour libérer Harris, le correspondant du Times prisonnier de Raïssouli, puis de deux marins britanniques otages de Mohamed El-Boulais alias le Valiente qui faisait la loi dans la région de Ceuta. Ali et Ahmed intervinrent tous deux en faveur de Perdicaris et son gendre M. Varley, pris en otage par Raïssouli. Ce fut le fils d’un premier mariage d’Abdeslam, Al’Arbi, qui succéda à son père.

Il existe également une confrérie des Taïebiya, du nom du premier successeur au fondateur de la confrérie des Wazzaniya, présente tant au Maroc que dans la région d’Oran et du Touat en Algérie et une autre des Touhamiyine du nom d’un autre membre de cette dynastie chérifienne, présente essentiellement dans la région de Ouezzane au Maroc. Mais la popularité et le prestige de la confrérie n’étaient plus ce qu’ils avaient été autrefois.

[www.editionsdulys.com]




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 31 aot 2011 : 20:11

Nouvel extrait tire du livre de David Bensoussan "Il etait une fois le Maroc..."

Pour lire d'autres extraits, suivre le lien [www.editionsdulys.com]

Bonne lecture

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LE RÈGNE D’ABDELAZIZ


La transition au Protectorat fit suite à de nombreuses initiatives des puissances coloniales qui intervenaient au Maroc, entre autres raisons, pour défendre leurs protégés consulaires. Obéré par la dette contractée envers l’Espagne après la guerre de 1860 – remboursée en 1885 – et rendu vulnérable par son armée relativement désuète, le Maroc ne put conserver son indépendance face aux ambitions coloniales.

Quelle était la situation au Maroc peu avant le Protectorat?

Cela faisait des années que l'anarchie durait. En 1895, à l'âge de 14 ans, le sultan Moulay Abdel’aziz fut désigné par son père Moulay Hassan pour lui succéder. C’était le fils cadet de Moulay Hassan et de Lala Reqia, une esclave circassienne ramenée de Constantinople. Ce fut l'époque de la régence du très habile et populaire Ba Hmad, fils d'une esclave noire du palais. Grand vizir, ce dernier avait arrêté le prince Mohamed, fils aîné du sultan Hassan Ie ainsi que tous ses partisans potentiels et s’était déclaré Régent. Dans la région du sud de Mogador, des années d'anarchie allaient semer la confusion des années durant. Non seulement les années suivantes verront-elles les partisans de deux frères Abdel'aziz et Abdelhafid prétendants à la couronne chérifienne s'affronter, mais en plus, les tribus Haha au sud de Mogador se soulevèrent contre l'autorité centrale, n'en faisant qu'à leur guise.

Comment le souverain Abdel’aziz a-t-il régné?

Après les six années de régence de Ba Hmad (Ba Ahmed), la perception qui prévalait au Maroc était que le jeune souverain Abdel'aziz, porté au pouvoir au printemps de l'an 1902, avait lancé des projets de réforme dits tertib, fort mal reçus car contraires à la tradition. Il avait proposé l’impôt universel mesuré à l’étendue des terres arables et à l’importance des arbres fruitiers et du cheptel. Il reviendrait à des personnes spécialement désignées d’évaluer et de prélever les impôts. Les caïds seraient dorénavant des salariés du gouvernement et ne seraient pas en droit de prélever fut-ce une ''rognure'' d’ongle de leurs administrés. De plus, l’impôt coranique était aboli et les chérifs (qui se réclamaient de la descendance du prophète par sa fille Fatima) eux-mêmes seraient désormais soumis à l’impôt. La baraka ou bénédiction était considérée être innée chez les chérifs et il y avait une quantité considérable de personnes qui s'intitulaient chérifs au Maroc et qui bénéficiaient des dons du petit peuple. En réaction à ce projet de réforme, toute une classe de privilégiés mit de la mauvaise volonté pour collaborer et le mécontentement alla croissant.

Abdelaziz souhaitait donc des réformes auxquelles son pays n’était pas prêt. À en croire sa déclaration faite beaucoup plus tard, en 1924, Abdelaziz manifesta son admiration pour Mustafa Kemal qu’il qualifia de « vrai croyant, que son but était d’alléger la religion de toutes les pratiques illogiques dont les successeurs du prophète l’avaient chargée et de ramener l’islam à son état de pureté primitif. » Il ne s’offusqua pas non plus de l’abolition de l’institution du califat par les Turcs qui « ont vraisemblablement agi ainsi parce qu’ils estimaient que le califat était devenu une institution arriérée qui faisait obstacle au développement de la communauté musulmane… il est légalement et religieusement possible que la société des fidèles vive sans cette institution.»

Le goût immodéré du souverain pour les feux d'artifice, le polo à bicyclette, les automobiles, les jeux de billard et les appareils photographiques, l’importation des robes de soie et de chapeaux à plumes pour les femmes du harem, de même que des heures de détente quotidiennes en compagnie d’Européens, cela en faisait trop pour l’opinion publique ! Car Abdelaziz fut un passionné de la «petite reine» de l'époque, la bicyclette, et des courses à obstacles en bicyclette. Il posséda également des tricycles à moteur et des automobiles. Son palais subissait des transformations en permanence. Il y fit installer, une écurie, un trapèze, une salle de billard, un atelier de photographie, un chemin de fer privé et une ménagerie. Il manifesta une grande curiosité envers tout ce qui fut technologies nouvelles tout comme l'éclairage électrique, la téléphonie, la télégraphie, les montgolfières et les feux d'artifice. Il s'essaya aussi en peinture. Il possédait une collection de montres que l'on a évaluée à près de 3 000 montres. Par ailleurs, ses ministres menaient un grand train de vie versant dans l'opulence. Le photographe Gabriel Veyre qui fit partie de l’entourage du sultan Abdelaziz le décrivit comme n’étant pas préparé à assumer les responsabilités de sa fonction dans son ouvrage Au Maroc – Dans l’intimité du sultan.

Quant aux oulémas, aux marabouts dévots ainsi qu’aux privilégiés de naissance qu'étaient les chérifs, ils percevaient un trop grand écart de conduite par rapport à une certaine rigidité islamique de rigueur. Il s’ensuivit que l'autorité chérifienne s'affaiblit, ce qui laissa les mains libres aux caïds, notamment en régions éloignées.

La rébellion était dans l’air et les Français n’attendaient que l’occasion pour s’imposer. La révolte du prétendant au trône Bou Hmara et le brigandage déclaré de Raïssouli accaparaient l’attention du pouvoir, certes, mais d’autres foyers de mécontentement se déclaraient. Cela donnait aux Français le prétexte de s’immiscer plus dans les affaires internes marocaines et d’y faire la pluie et le beau temps sous le couvert pudique de la pacification. En 1903, le chef de la délégation française à Tanger Saint-René Taillandier convainquit le Makhzen d’interdire aux résidents étrangers de demeurer à Fès, tout en y laissant l’homme à tout faire de la France, le vice-consul musulman Kaddour Benghabrit. En 1905, le sujet algérien Bouzian Al-Meliani fut arrêté et brutalisé. La France exigea sa libération accompagnée d’une indemnisation ainsi que des excuses officielles. Le caïd en charge fut révoqué et de la sorte, la France affirma que ses sujets, furent-ils Musulmans, échappaient à l’autorité du Makhzen. En 1905, lorsque Saint-René Taillandier rencontra le sultan Abdelaziz pour lui proposer des réformes sur le plan militaire, ce dernier exigea que des notables soient présents durant la formulation de sa proposition. C’est probablement suite à cette réunion qu’il opta pour une garantie internationale qui se concrétisera par le traité d’Algésiras.




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 25 septembre 2011 : 20:27

LES RELATIONS ENTRE LES PUISSANCES EUROPÉENNES

ET LE MAROC AU XIXE SIÈCLE

LA FRANCE


Pourquoi la France décida de bombarder Mogador en 1844?

La France voulut affirmer la puissance française au Maroc peu après l'invasion de l'Algérie et dissuader le sultan de prêter main-forte aux rebelles algériens. Le but déclaré de cette attaque était d'empêcher le Maroc de soutenir les combats de l'Algérien Abdelkader contre l'occupation française de l'Algérie. Mais il est fort probable que la France désirait également ébranler l'indépendance commerciale marocaine, en touchant à une source de revenus importante du sultan : la douane. C’est ainsi que Tanger et Mogador furent bombardés par la marine française.

Comment se déroula la bataille?

Le 16 août, 900 marins débarquèrent sur l’île de Mogador et prirent possession de son fort après de durs combats. L’île était défendue par 320 hommes commandés par El Hajj Larbi Torrès. Vingt-huit marins français périrent, plusieurs dizaines furent blessées et on estime à plus d’une centaine le nombre de défenseurs tués. Les défenseurs de l’île finirent par se réfugier dans la mosquée avant de se rendre : il y eut 160 prisonniers, dont 35 blessés. Les Français ne réussirent à capturer que l'île et le port, mais non sans avoir déversé sur la ville 1240 boulets. Des dizaines de canons de l’île et du port furent encloués et jetés à la mer. Le bombardement causa de sérieux dommages au Mellah qui borde la muraille Nord de la ville donnant sur l’océan. Le 17 août, les prisonniers blessés marocains furent rendus à la ville en échange de la libération de ressortissants anglais qui furent embarqués sur le Warspite. Lorsque la flotte française se retira le 23 août, elle fut ciblée par des canons remis en état, ce qui occasionna un nouveau bombardement de la ville. 123 prisonniers valides furent envoyés en Algérie.

La ville fut en ruines en raison des bombardements. Bien des maisons furent pillées et brûlées par des campagnards qui profitèrent de l’état de désordre général. Le Morning-Chronicle souligna que les principaux dommages infligés par le bombardement des Français et le pillage de la ville par les « Kabyles » ont touché essentiellement les Juifs.

Ce bombardement survint la veille de la bataille d’Isly qui opposa l’armée française à l’armée marocaine

L’Algérien Abdelkader menait la guerre aux Français depuis dix ans. Après la prise d’Alger, la ville de Tlemcen avait demandé à être rattachée à l’Empire chérifien, mais le sultan Abderrahmane s’y était refusé car son pays ne devrait pas se substituer à un autre pays musulman. Soutenant que les Ottomans n’étaient pas prêts à revenir, la ville de Tlemcen réitéra sa demande. Le sultan y dépêcha un Khalifa. Il soutint en armes, en vivres et en munitions les troupes d’Abdelkader. Mais, celui-ci commença à se conduire de plus en plus comme un émir indépendant. Cela le rendit suspect aux yeux du sultan, d’autant plus qu’Abdelkader prétendait appartenir à l’ancienne dynastie marocaine des Idrissides et qu’il jouissait d’appuis considérables dans le Rif. Suite à un revers, Abdelkader se retira au Sud d’Oujda, sur la frontière du Maroc. Les troupes françaises occupèrent Lalla Maghnia à une dizaine de kilomètres au Sud d’Oujda et firent une incursion à Oujda. Le général Bugeaud, Gouverneur de l’Algérie, dépêcha le général Bedeau pour parlementer avec le général marocain Al-Guennaoui. Ils ne purent s’entendre sur la délimitation de la frontière et des combats s’ensuivirent. L’armée marocaine supérieure en nombre fut repoussée par deux fois, notamment du fait du manque de coordination de ses troupes. Les Marocains exigeaient l’évacuation de l’avant-poste de Lalla-Maghnia et cette impasse fut considérée comme casus belli par les parties. Ignorant le compromis négocié par le représentant britannique, le Prince de Joinville bombarda Tanger le 6 août avant de mettre le cap sur Mogador, bombardée à son tour une semaine plus tard...

Le fils du sultan leva une troupe très nombreuse. Les armées s’affrontèrent au bord de la rivière d’Isly dans le Nord-est marocain. L’armée marocaine enveloppa le losange compact formé par les troupes françaises, tentant des attaques massives sur ses flancs. Encore une fois, la fusillade et la mitraille françaises eurent raisons des multitudes audacieuses, mais désordonnées. L’armée marocaine s’enfuit en abandonnant son camp, laissant près de 1000 morts sur le champ de bataille. Les pertes françaises furent au nombre de plusieurs dizaines.

Comment expliquer la débâcle?

Confiants dans leur nombre, les Marocains comptaient faire une seconde bataille des Trois Rois, celle qui eut raison des troupes portugaises et de leur roi Don Sébastien en 1578 et qui écarta définitivement le Portugal de cette région du monde. C’est qu’alors, le fondateur de la dynastie saadienne Abd El-Malek formé à l’école militaire ottomane, s’était montré fin stratège et avait su composer avec brio les avantages des bataillons des Andalous originaires d’Espagne, des renégats, des fantassins de la cavalerie et de l’artillerie contre l’armée portugaise spécialisée dans les opérations de siège et d’opérations côtières. La situation était fort différente : le général Bugeaud était un militaire intrépide, expérimenté par les guerres napoléoniennes. Il avait tenu bon durant les attaques marocaines et avait su optimiser sa puissance de feu. Suite à la bataille, il reçut le titre de duc d’Isly.

De fait, ces opérations dissuadèrent le sultan de porter un secours significatif aux Algériens qui combattaient la France. Le 10 septembre, un traité de paix entre la France et le Maroc fut signé à Tanger. Il y était stipulé que les troupes marocaines devaient être réduites dans la région bordant l’Algérie, qu’elles ne devaient en aucun cas porter soutien au rebelle algérien Abdelkader. Un traité de délimitation de la frontière séparant le Maroc de l’Algérie fut ratifié le 18 mars 1845. Le 4 juillet de la même année, la ville de Mogador en liesse accueillit les 123 défenseurs faits prisonniers en août 1844, revenus de leur captivité en Algérie.

Le mécontentement de la population vis-à-vis du traité de Lalla Maghnia fut tel que le sultan Abdererahmane craignit un soulèvement et transféra ses biens au Tafilalet, région de laquelle la dynastie alaouite est originaire. Quant à l’émir algérien Abdelkader, il se rendit aux Français en 1847, fut détenu en France jusqu’en 1852 avant de partir vivre en exil à Damas. Il y vécut jusqu’à sa mort en 1883.

David Bensoussan

Extrait tire du livre de David Bensoussan "Il etait une fois le Maroc..."

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"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 30 octobre 2011 : 22:02

AMBITIONS DE L’ESPAGNE




Les relations maroco-espagnoles s’envenimèrent au milieu du XIXe siècle

Avant d’aborder ce sujet, il faut mettre en perspective le fait que, suite à l’expulsion des Maures d’Espagne en 1502, l’Espagne tenta d’occuper des ports marocains de la Méditerranée : la presqu’île connue sous le nom de Penón de Velez fut occupée en 1508 et en 1522 avant de devenir une possession espagnole en 1564. Les Marocains tentèrent de reprendre Melilla en 1565 et en 1774, mais sans succès. Les Espagnols occupèrent également Ceuta en 1640, cette enclave ayant été préalablement occupée par les Portugais depuis 1415. Enfin, la ville de Larache fut donnée en gage à l’Espagne en 1610 pour cautionner un prêt fait au sultan saadien, mais elle redevint une ville marocaine à la fin du XVIe siècle.

Revenons à notre sujet : en 1856, le Maroc refusa de dédommager l’arraisonnement d’un navire espagnol qui s’était soldé par plusieurs morts et blessés. Sept Espagnols étaient maintenus en otage. La presse madrilène rappela l’exécution par les autorités marocaines de Hayim Victor Darmon agent consulaire d’Espagne à Mazagan en 1844. À cela s’ajouta l’envie de ne pas laisser la France conquérir pour elle seule les pays du Maghreb. L’influence de l’Espagne au Maroc fut toutefois limitée, car l’Angleterre et la France développèrent d'importants marchés commerciaux avec ce pays. Mais l'Espagne du XIXe siècle, essentiellement rurale, accusait un retard industriel important et ne pouvait faire concurrence aux autres puissances de l'Europe de l'Ouest. De plus, le Makhzen décourageait les échanges avec les enclaves espagnoles du Maroc et les escarmouches avec les tribus rifaines étaient fréquentes. Dans un environnement aussi hostile, les présides de Ceuta et de Melilla ne devinrent jamais des ports du commerce marocain. Elles furent ravitaillées à partir de Malaga et servirent plutôt de pénitenciers.



Les présides de Ceuta et de Melilla furent à l’origine de nombreux accrochages

En effet. Ces enclaves furent au cœur des problèmes qui surgirent entre le Maroc et l’Espagne. En 1859, cédant à la pression de l’Espagne, le sultan permit d’agrandir les limites de la juridiction de Melilla. Par ailleurs, les redoutes bâties par les Espagnols hors de l’enceinte de Ceuta furent attaquées par la tribu limitrophe des Anjera. D’âpres négociations furent entreprises. Elles visaient à définir une nouvelle modification de la limite de la juridiction de Ceuta, mais elles n’aboutirent pas. L’Espagne déclara la guerre au Maroc. En décembre 1859, 50 000 soldats espagnols débarquèrent à Ceuta. L’écrivain Prosper Mérimée qui se trouvait alors à Madrid, décrivit la liesse des foules scandant : « Al Moro ! » et ajouta-t-il, on se serait cru au temps des Croisades. L’armée espagnole marcha de Ceuta à Tétouan qui fut prise après de six mois de combats. L’épidémie du choléra augmenta considérablement les pertes des deux parties. La transformation de la principale mosquée de Tétouan en église catholique enragea les Marocains pour qui la prise de la ville devint impérative.

Pour pouvoir récupérer la ville de Tétouan, le sultan accepta de verser 20 millions de douros (environ 5 millions de livres sterling), ce qui représentait deux années de revenus gouvernementaux. La moitié dut être versée de suite et l’autre moitié fut étalée sur 25 ans, par un prélèvement de 50% des droits de douane perçus dans les ports marocains. De plus, l’Espagne et le Maroc ratifièrent en 1961 un traité commercial sensiblement semblable à celui que l’Angleterre et le Maroc avaient entériné en 1856.

Or, le Maroc n’installa pas de service de douanes, rendant ainsi illicite toute transaction. Les affaires trainèrent d’autant que la tribu des Guélaïa refusait d’évacuer les territoires jouxtant Melilla, territoires qui avaient été concédés à l’Espagne. Le sultan dut finalement intervenir pour faire évacuer de force les Guélaïa de leur territoire et, par la suite, permettre le détournement d’un cours d’eau vers Melilla. Toutefois, cette enclave ne parvint pas à se doter d’un port commercial car les tribus environnantes empêchèrent toute tentative d’approvisionnement de la ville par voie de terre. Une nouvelle convention à propos de la frontière de Melilla fut signée en 1891. De leur côté, la tribu des Anjera rendit la vie difficile aux Espagnols de Ceuta. Ainsi, durant toutes les années qui suivirent la guerre de 1860 entre le Maroc et l'Espagne, la diplomatie marocaine ne fit que temporiser au maximum en vue de retarder l’expansion espagnole autour des enclaves de Ceuta et de Melilla.

En 1893, la garnison espagnole de Melilla subit une attaque de la part des Rifains. Aux termes du traité de Marrakech ratifié l’année suivante, le sultan s’engagea à verser une indemnité de vingt millions de francs, dont un quart comptant. Se plaignant d’un certain retard dans les paiements, l’Espagne occupa Dakhla dans le Sahara occidental.



La France songea alors à se partager avec l’Espagne le territoire marocain

En 1902, la France envisagea de partager le Maroc avec l’Espagne, la ville impériale de Fès échouant à l’Espagne. Or, les Espagnols n’étaient pas trop chauds, car ils connaissaient la difficulté de se mesurer aux Marocains au combat. La campagne de 1860 pour occuper Tétouan avait été particulièrement difficile et un écrivain espagnol déclara : « Il fait être fou pour songer au Maroc.» Il ne faut pas oublier qu’en 1904, l’Espagne avait subi une défaite cuisante contre les États-Unis à Cuba. Mais petit à petit, les Espagnols se firent à l’idée d’un Protectorat partagé avec la France au Maroc. De fait, ils allèrent jusqu’à avancer qu’une partie de la côte algérienne incluant Oran devrait être sous contrôle espagnol du fait que l’Espagne y fut maîtresse de 1535 à 1792.

Les tractations secrètes – mais vite éventées - entre Français et Espagnols aboutirent en 1904 à un partage du Maroc en zones d’influence : l’Espagne se réservait la zone du Rif délimitée par les rivières de la Moulouya à l’Est et le Loukos au Sud. L’Espagne recevait deux zones dans le Sud du Maroc dont l’enclave d’Ifni. Cet arrangement contrevenait cependant à l’unité du Maroc et à l’autorité du sultan bien que consacrées par d’autres traités antérieurs – notamment la souscription de l’Espagne à la déclaration franco-britannique du respect de l’intégralité de l’Empire du Maroc et de l’autorité de son sultan –que l’on ne désavouait toujours pas ! L’Angleterre était rassurée du fait que l’on se promettait de ne pas élever de fortifications sur la côte marocaine de façon à ne pas entraver le libre passage du détroit de Gibraltar, le Rocher demeurant le seul point stratégique fortifié. Quant à la ville de Tanger qui fait face à Gibraltar, son statut international la rendait neutre et, bien sûr, démilitarisée.



Mais ce ne fut pas partie facile pour les Espagnols...

En effet. En 1909, 220 soldats espagnols périrent dans une embuscade à Barranco del Lobo dans les environs de Melilla. On réalisa alors combien le contingent espagnol était démotivé et désorganisé. Tétouan fut occupée en 1913 avec l’accord tacite du gouvernement madrilène sans même que le consul espagnol à Tanger n’en soit informé.

Bien que l’Espagne fut officiellement neutre durant la Première Guerre mondiale, les autorités espagnoles au Maroc ne firent rien pour empêcher des agents allemands de se lancer dans des activités de subversion contre la France, en armant les tribus marocaines et en les incitant à prendre les armes contre la France. Ceci contribua à affaiblir l’Espagne, mais on ne le réalisa pas immédiatement. En 1921, des milliers de militaires espagnols périrent à Annual sous les coups des tribus rifaines. Le contingent de 70 000 soldats n’arriva pas à contenir les Rifains. La débâcle espagnole au Maroc fut une des raisons invoquées pour justifier le coup d’état du Général Primo de Rivera.

C’est alors que le Rifain Abd El-Krim déclara l’indépendance du Rif.

David Bensoussan




Nouvel Extrait tire du livre de David Bensoussan "Il etait une fois le Maroc..."

Pour lire d'autres extraits, suivre le lien [www.editionsdulys.com]




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: fredo (IP enregistrè)
Date: 31 octobre 2011 : 00:21

DARLETT, JE LIS AVEC INTERET LES EXTRAITS DU LIVRE DE DAVID BENSOUSSAN QUE TU AS À BIEN DE NOUS METTRE SUR LE FORUM.
JE VAIS ESSAYER DE L'ACHETER CAR BEAUCOUPS DE CHOSES M'INTERESSENT PUISQU' APRÉS TOUT, LE MAROC EST LE PAYS OÙ JE SUIS NÉE ET D'AUTRES GÉNERATIONS DE MA FAMILLE AVANT MOI.


BONNE SOIRÉE.

"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 31 octobre 2011 : 19:29

Oui, tu as raison, c'est passionnant vraiment car meme si on connait en gros l'echelonnement des evenements et les differents engagements et interventions des puissances tels que la France, l'Espagne ou l'Allemagne au Maghreb et plus particulierement au Maroc, c'est interessant d'en connaitre le detail.

"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 23 novembre 2011 : 22:59

Nouvel extrait du livre de David Bensoussan cite plus haut...



PRÉSENCE DIPLOMATIQUE DE L’ANGLETERRE


Quelle a été la nature des relations entre l’Angleterre et l’Empire chérifien?

La puissance maritime anglaise lui donnait un grand avantage sur le plan du commerce avec le Maroc. La France venait de perdre le Canada et avait été obligée par l’Angleterre de démolir les fortifications maritimes du port de Dunkerque au terme du traité de Paris en 1763. Le sultan Mohamed III se méfiait des Anglais. La réciproque était vraie et beaucoup d’envoyés anglais craignaient de se rendre dans la capitale marocaine de peur de devenir des otages.
Bien que l’accord de 1734 se fut conclu par la libération d’esclaves anglais du temps du sultan Abdallah son père, la rançon pour la libération des captifs n’avait jamais été payée. Mohamed III accusait les Anglais et notamment les autorités de Gibraltar, de se livrer à la contrebande et d’armer des villes rebelles telles Arzilah, Tétouan et Tanger. En 1760, l’Angleterre paya la rançon due, soit 225 000 piastres. Les dictats de Mohamed III poussèrent la diplomatie anglaise à la circonspection et jamais la confiance ne régna réellement entre Marocains et Anglais sous son règne. Abraham Benidar fut ambassadeur du Maroc à Londres et son fils Jacob Benidar fut Vice-consul d’Angleterre à Tanger, Tétouan, Salé, Mogador, Safi puis Agadir.

Durant le règne bref de Moulay Yazid, l’Angleterre ne fut plus considérée comme un pays ennemi. L’Angleterre garda un intérêt commercial pour le Maroc. En dehors de ses représentants officiels, elle y fut représentée par des marchands abolitionnistes, des organisations de missionnaires et des organisations philanthropiques juives.

Au XIXe siècle, l’influence de l’Angleterre fut considérable

Edward William Auriol Drummond Hay avait été consul de Grande-Bretagne à Tanger de 1829 à 1845. À cette époque, la politique britannique visait à encourager le commerce avec le Maroc, à empêcher les Français d’occuper la Tunisie et le Maroc et également à empêcher la Russie de prendre des territoires du Levant de l’Empire ottoman.

Lorsqu’en 1831 la ville de Tlemcen prêta allégeance au sultan du Maroc pour éviter d’être occupée par les Français, la Grande-Bretagne resta neutre car cette ville avait été occupée par les Ottomans. Edward Drummond Hay sut combiner des conseils judicieux à des positions de fermeté : lorsqu’en 1828, le sultan Abderrahmane voulut pratiquer à nouveau la piraterie que son père Slimane avait abolie en 1818 (Moulay Slimane avait également libéré tous les captifs chrétiens en 1816), la Grande-Bretagne décréta le blocus de Tanger pour dissuader le Maroc de se lancer dans de tels projets. Les problèmes de piraterie ne disparurent pas pour autant. Une protestation fut transmise au sultan en 1834, et la véhémence de celle-ci fut telle que le clerc qui devait remettre la missive en craignît pour sa propre vie. Edward Drummond Hay proposa ses bons offices pour régler de nombreux différends : arrestation d’un ancien soldat français à Mogador et libération d’un navire espagnol capturé par les Marocains en 1840. Les états de service d’Edward Drummond Hay facilitèrent de beaucoup la tâche à son fils John Edward qui lui succéda dans sa fonction de 1845 à 1886.



L’Angleterre eut en effet une influence considérable à la Cour marocaine par l’entremise de son habile envoyé, le consul John Edward Drummond Hay. Il fut conseiller du sultan en matière de politique extérieure en 1850 et maintint son influence pendant trente-cinq ans.

Le traité anglo-marocain de 1856 fixa enfin les droits de douane qui, par le passé, étaient modifiés au gré du sultan. Les conseillers britanniques en poste à la Cour marocaine furent nombreux et, au milieu du XIXe siècle, la majorité du commerce marocain se fit avec l’Angleterre. En 1861, l’Angleterre accorda au Maroc un prêt de 426 000 livres sterling remboursable en prélevant 50% des droits de douane sur l’ensemble des ports du Maroc. Un an plus tard, il fut précisé que ces prélèvements s’appliquaient également sur l’intérêt du prêt, soit 75 176 livres sterling. Ce prêt servit avant tout à payer l’indemnité de guerre que le Maroc dût verser à l’Espagne. Des contrôleurs espagnols veillèrent à la perception des droits et taxes de douanes dans les ports marocains, ce qui ne manqua pas de susciter des animosités. Le contrôleur espagnol Mantilla, ancien colonel de l’armée espagnole en charge des douanes marocaines à Safi fut assassiné dans des circonstances obscures.



Par ailleurs, Drummond Hay convainquit le sultan de mettre le flamboyant militaire Harry Aubrey de MacLean en charge de l’entraînement d’une armée marocaine moderne. La rumeur voulait que ce dernier fût démis de la fonction qu’il avait occupée à Gibraltar car il se serait aliéné son supérieur de qui il aurait séduit la femme. Il se promenait au Maroc avec un garde du corps en burnous fait en toile écossaise et se faisait également accompagner d’un joueur de cornemuse.



Dans la première moitié du XIXe siècle, après la conquête de l’Algérie, l’Angleterre avait, par l’entremise de Lord Aberdeen, déclaré que l’expansion militaire française au Maroc constituerait un casus belli. N’eut été l’opposition de l’Angleterre qui tenait absolument à protéger Gibraltar, il eut été probable que la France aurait pris avantage de la bataille d’Isly en 1844 pour occuper le Maroc beaucoup plus tôt. L’Angleterre protégea la souveraineté marocaine contre les ambitions françaises et espagnoles. Il fallut donc attendre jusqu’en 1881 pour que la France étendît son Protectorat à la Tunisie et qu’elle réclamât le contrôle du Maroc « pour maintenir la sécurité en Algérie.» Par ailleurs, le consul britannique Kirby Green qui succéda à Drummond Hay déclara en 1887 à un ministre espagnol : « Si l’intégrité du Maroc venait à être sérieusement menacée, l’affaire serait traitée comme une affaire d’importance vitale aux intérêts britanniques.»



Evan Smith succéda à Kirby Smith et proposa en 1893 des réformes au sultan Hassan Ie : l’établissement de moyens civilisateurs tout comme le télégraphe et aussi l’abolition de l’esclavage, la création de tribunaux mixtes et la fin de la protection consulaire. Toutefois, son manque de tact l’aliéna à la Cour marocaine. Le Maroc n’était plus, comme par le passé, avide de bons conseils des consuls britanniques tout comme Drummond Hay. La compétition était grande entre les puissances européennes. L’objectif premier de l’Angleterre était de conserver Tanger et de créer de bonnes conditions commerciales avec le Maroc. Or, en 1900, la France lança l’idée d’une « neutralisation » de Tanger. Cette même année, la France occupa le Touat saharien qui avait été jusque-là considéré par les puissances européennes – la France exceptée – comme marocain. Le Maroc ne pouvait donc plus compter sur la politique britannique traditionnelle de défense de l’intégrité du Maroc qui, par le passé, n’excluait pas le Touat. La souveraineté marocaine ne prédominait plus dans la politique britannique et par ailleurs, il semblait que l’on désespérât du succès des réformes. L’ambassadeur anglais Nicolson déclara : « Je ne crois pas qu’il soit possible de réformer ce pays de l’intérieur.»



Comment se fit-il que l’Angleterre finit par laisser la France occuper le Maroc?

Il faut avant tout souligner que, pour l’Angleterre du XIXe siècle, l’importance du Maroc était essentiellement stratégique, la garantie de passage dans le détroit de Gibraltar primant toute autre considération. Suite à l’incident de Fachoda au Soudan en 1898 durant lequel les armées française et anglaise se retrouvèrent nez à nez, la France et l’Angleterre signèrent en 1904 l’Entente cordiale. L’Angleterre finit par accepter la prépondérance française au Maroc pour autant que la France renonçât à ses droits sur l’Égypte et sur Terre-Neuve au Canada. Le 8 avril 1904, La France et l’Angleterre entérinèrent un accord qui dans les faits laissait l’Égypte dans la zone d’influence britannique et le Maroc dans la zone d’influence française. Les deux pays s’entendirent sur la circulation libre dans le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, tout en limitant la construction de fortifications qui pourraient entraver le passage de navires dans le détroit de Gibraltar. Des clauses secrètes prévirent des réformes visant à moderniser la gouvernance de ces pays.



Les intérêts de la Grande-Bretagne ne coïncidaient plus avec ceux du Maroc...


Ajoutons qu’en 1900, une entente similaire fut signée avec l’Italie qui reconnaissait à la France le droit d’ingérence au Maroc et, de son côté, la France accepta que la Tripolitaine fasse partie de la zone d’influence italienne.

En 1908, la majorité des échanges commerciaux du Maroc se fit avec la France, alors que jusque-là, elle avait été faite avec l’Angleterre.

David Bensoussan

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"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: fredo (IP enregistrè)
Date: 24 novembre 2011 : 19:10

TOUJOUR TRÉS INTERESSANT DARLETT !!!

IL EST TOUJOURS IMPORTANT DE SE REMÉMORER DES FAITS QUI ONT EU UNE IMPORTANCE DÉCISIVE POUR BEAUCOUP DE FRANÇAIS,D'ESPAGNOLES ET D'AUTRES IMMIGRENT, ET QUE NOUS SOYONS NÉS AU MAROC.
J'ADORE CET AUTEUR ET COMMENT IL ÉCRIT.DÉS QUE JE VOIS QUE TU ENVOYES UN EXTRAIT DE SON LIVRE, JE PROFITE DE "DÉVORER" TOUT DE SUITE!!!

MERCI.


"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 02 janvier 2012 : 01:26

Nouvel extrait tire du livre de David Bensoussan cite plus haut.

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LE VOYAGE DE SIR MOSES MONTEFIORE AU MAROC



Qui était Moses Montefiore?

Né en Italie dans une famille juive sépharade, Moses Montefiore fut un financier qui décida de quitter les affaires en 1824 pour se consacrer à l’amélioration de la condition des Juifs de son temps. Pour cela, il voyagea dans l’Empire ottoman (1840), en Italie (1858), en Russie (1846 et 1872), en Terre sainte (1827 et cinq autres fois) au Maroc (1863-1864) et en Roumanie (1867). Il devint particulièrement observant sur le plan religieux après sa première visite en Terre sainte. Il rencontra les grands de son temps et mit une énergie considérable à améliorer la condition des Juifs. Sa philanthropie fut légendaire en Angleterre et à l’étranger et ne se limita pas aux besoins de ses seuls coreligionnaires. Avec Rothshild, il fit un prêt considérable au gouvernement britannique afin de pouvoir compenser les propriétaires de plantations et abolir ainsi l’esclavage. Il devint shérif de Londres et fut nommé baronnet de l’île de Thanet dans le Kent. Son centième anniversaire fut un évènement national en Grande-Bretagne.

Pourquoi vint-il au Maroc?

La situation pénible des Juifs du Maroc était déjà connue en Angleterre car le Conseil des Députés juifs britanniques était en contact permanent avec les Juifs de Tanger et de Mogador. L’état de dénuement total des milliers de Juifs de Tétouan réfugiés à Tanger, à Gibraltar, à Oran et en Espagne avait alerté l’opinion publique mondiale et Sir Moses Montefiore qui présidait le London Board of Deputies of Brittish Jews organisa une collecte de 40 000 livres pour ces réfugiés. Un comité de soutien, le Morocco Relief Committee et caisse de secours, The Morocco Relief Fund furent établis peu après une pour venir en aide aux Juifs de Tétouan qui souffrirent particulièrement de la guerre maroco-espagnole de 1860 et des nombreux réfugiés de cette ville. En 1861, le Conseil des Députés juifs britanniques dépêcha Moses H. Picciotto au Maroc pour y faire voyage d’études à Tanger, Tétouan, Rabat, Mogador et Gibraltar. Consterné par le contenu de ce rapport, Moses Montefiore le soumit au Ministre des Affaires étrangères britannique Lord Russel. Celui-ci promit de faire ce qui serait en son pouvoir pour protéger les Juifs du Maroc. Le gouvernement britannique décida de cautionner le voyage de Moses Montefiore en 1863. Il était alors âgé de 80 ans.

Comment se déroula le voyage?

La réputation de Montefiore et de ses talents de diplomate lui fit ouvrir toutes les portes. Montefiore s’arrêta en Espagne ou il rencontra le Premier ministre et les membres du gouvernement. La reine Donna Isabella lui assura « le respect de toutes les religions. » Montefiore fut reçu en grande pompe à Tanger, obtint la libération immédiate de deux prisonniers juifs et l’assurance de la libération de deux prisonniers juifs à Safi. Il réussit à rétablir la confiance entre les représentants anglais et espagnol dans la ville. Les représentants espagnols au Maroc reçurent des directives les invitant à la prudence et l’Espagne exprima des regrets au sujet de l’impétuosité de son représentant, et qui avait mené aux exécutions des Juifs de Safi. Montefiore négocia également les assises d’une nouvelle école anglo-française administrée conjointement par le Board of Deputies et l’Alliance Israélite Universelle.

Il fut reçu à Mogador par Abraham Corcos, vice-consul des États-Unis et la caravane d’une centaine de personnes se mit en route pour Marrakech, escortée pendant une heure par le gouverneur de la ville. Le sultan accueillit Moses Montefiore en lui prodiguant la meilleure des hospitalités et la plus grande des considérations. 6000 soldats firent une haie d’honneur. Monté sur son cheval de parade blanc, le sultan salua Montefiore qui portait son uniforme de Lord-Lieutenant de la ville de Londres, avant de le recevoir dans l’intimité. Montefiore défendit alors la cause des siens au nom des Juifs et des Chrétiens de l’Empire et demanda un traitement égal à celui des Musulmans.

Le dahir ou édit qui fut promulgué à la suite du passage de Sir Moses Montefiore déclarait en essence : «Nous ordonnons à ceux qui liront le présent écrit… à tous nos serviteurs, gouverneurs, cadis et autres fonctionnaires de traiter avec la plus grande bienveillance les Israélites de notre empire, Dieu Nous ayant inspiré pour agir ainsi. Nous voulons voir pratiquer envers eux la justice et l'équité et les considérer comme des sujets égaux devant la loi. Aucun d'entre eux ne doit faire l'objet d'un acte arbitraire quel qu'il soit, ni subir de dommage d'aucune sorte. On ne doit s'attaquer ni à leurs personnes ni à leurs biens. Les services d'ordre professionnel qui peuvent être exigés pour le compte de l'État ne doivent pas leur être demandés avec violence et, en tout cas, être équitablement rétribués, car Nous devons rendre compte à Dieu dans la vie future de toute injustice commise ici-bas et Nous ne consentirons jamais à ce que des actes illégaux soient perpétrés, ni envers les Israélites, ni envers qui que ce soit. Nous considérerons tous nos sujets sur un même pied d'égalité et si une iniquité venait à être commise envers l'un d'eux, Nous, avec l'aide du Tout-Puissant, appliquerons à son auteur la sanction pénale qu'elle mérite. Ce décret, avec toutes les prescriptions qu'il contient, est confirmé par nous de la manière la plus stricte et la plus persistante et doit constituer pour Nos sujets israélites une garantie contre tout arbitraire dont ils pourraient être l'objet de la part de ceux qui auraient l'idée de les molester.»

Montefiore visita alors le Mellah de Marrakech ou il fut accueilli par une foule de plusieurs milliers de personnes en liesse. Il fut à nouveau reçu par la reine en Espagne puis par Napoléon III en France. Des milliers de messages de félicitations l’attendaient en Angleterre. Le Parlement anglais vota une motion de félicitations au sultan remerciements pour sa noble conduite.


Quelles furent les conséquences réelles de la visite de Moses Montefiore?

La présence de Moses Montefiore au Maroc et sa réception en grande pompe à la cour du sultan redonnèrent confiance aux Juifs du Maroc. Ils ne se sentaient plus isolés. L’impact psychologique fut immense, d’autant plus que Montefiore avait obtenu du sultan un dahir qui condamnait le mauvais traitement des Juifs dans le royaume. De fait, le paragraphe final du dahir précisait qu’il n’y avait rien de nouveau en ce sens « qu’il était déjà bien établi, bien su et bien documenté, etc.» En d’autres mots, la condition de dhimmis demeurait telle quelle. Une certaine euphorie s’empara des communautés juives marocaines qui pensaient avoir enfin recouvré leur dignité. Le chroniqueur musulman Al-Naçiri écrivit alors : » Les Juifs devinrent arrogants et frivoles et pas seulement dans les villes portuaires… Cette liberté qu’ont établie les Européens au cours de ces dernières années est l’œuvre absolue de l’irréligion, car elle comporte la destruction complète des droits de Dieu, des droits des parents et des droits de l’humanité.» Il loua le souverain d’avoir clarifié dans une lettre explicative que les recommandations antérieures ne ciblaient que les Juifs respectables… Dans les faits, rien ne changea et les injustices continuèrent. Le premier juin de la même année,

Montefiore envoya une lettre de remerciements tout en regrettant le fait que certains gouverneurs et officiels ignoraient l’édit du sultan. Il reçut de nouvelles réassurances de la part du vizir Yamani.

Le Bulletin de l’Alliance Israélite Universelle rapporta une liste partielle de 249 assassinats de Juifs entre 1864 et 1880, dont les auteurs sont demeurés impunis. Certains pensèrent que le voyage de Montefiore eut l’effet inverse. En 1880, un Juif de Gibraltar alla même jusqu’à déplorer la naïveté de l’initiative de Montefiore.

David Bensoussan




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 27 janvier 2012 : 05:03

Extrait du livre de David Bensoussan dont les references figurent plus haut.

COUPS DE POING DIPLOMATIQUES DE L’ALLEMAGNE


Quand les relations germano-marocaines débutèrent-elles?

L’architecte de l’Empire allemand Bismarck ne voulait pas disperser les forces de l’Allemagne dans les colonies. Il préconisait de laisser les entreprises coloniales à des initiatives privées. Il privilégiait des relations directes avec le sultan du Maroc. Le sultan Hassan Ie fut intrigué par l’Allemagne suite à la défaite de la France à Sedan en 1871. Une ambassade marocaine conduite par le Gouverneur de Safi Taïbi Benhima fut dépêchée à Berlin en 1878. Ce dernier avait déclaré que le sultan « avait plus confiance dans l’Allemagne que dans aucune autre puissance » et cette déclaration de statut spécial de l’Allemagne au Maroc alerta les Français et Britanniques. À cette époque, Hassan Ie souhaitait réformer ce système de protection. Plus précisément, il cherchait à annuler l’article 11 du traité de 1767 lequel stipulait que la France pouvait établir au Maroc autant de Consuls qu’elle voudrait et ceux qui sont au service des Consuls, secrétaire, interprète, courtier ou autres, seraient libres de toute imposition et charge personnelle. Ce voyage à Berlin contribua peut-être à la tenue de la Conférence internationale de Madrid de 1880 qui réforma le système de protection. Une seconde délégation conduite par le gouverneur de la Chaouia Ben Rechid se rendit en Allemagne en 1889 et un an plus tard, une délégation allemande d’une vingtaine de personnes se rendit à Fès et l’ambassadeur Tattenbach conclut un traité de commerce germano-marocain.

Bismarck fut écarté des affaires par Guillaume II en 1890. Son successeur Caprivi partageait les mêmes opinions : en matière de colonisation, « il est urgent d’attendre.» Ce fut Hohenlohe-Schillingsfürst, qui remplaça Caprivi en 1894 qui tenta d’engager l’Allemagne dans une véritable politique coloniale à la fin du XXe siècle. Bien que l’Allemagne désirât nouer des relations étroites avec le Maroc, elle n’hésita pas, à la manière des autres puissances navales, à user de la manière forte. Lorsque le premier Allemand établi à Casablanca Franz Neuman fut tué en 1894, l’Allemagne dépêcha un croiseur au large de Tanger. Lorsqu’un autre voyageur de commerce du nom de Rockstroh perdit la vie en 1895, des navires furent dépêchés à Tanger, Safi, Rabat et Casablanca. L’Allemagne qui représentait alors la Hollande au Maroc, exigea des indemnités pour l’attaque du brick hollandais Anna par les Rifains. Le Makhzen s’inclina et indemnisa l’Allemagne.

L’Allemagne tenta sa chance aux colonies malgré l’opposition de la France et de l’Angleterre

La visite surprise de l'Empereur Guillaume II à Tanger en mars 1905 et la présence de la canonnière allemande Panther à Agadir en avril 1911 faisaient partie de la volonté allemande de se faire une place dans les colonies. Or les puissances européennes ne voyaient pas d’un bon œil ces ambitions allemandes, non seulement parce qu’elles ne voulaient pas partager la domination des colonies, mais aussi car elles craignaient que la puissance militaire allemande, déjà dominante sur le continent européen, ne puisse disposer d’atouts stratégiques en dehors de ce continent. La France en particulier, vaincue lors de la guerre de 1870 au terme de laquelle elle perdit l’Alsace et la Lorraine, entretenait une sensibilité épidermique en ce qui concernait les rapports avec l’Allemagne. L’Angleterre visait à conserver sa suprématie de sa marine des mers et à contenir l’Allemagne.

La visite de Guillaume II à Tanger eut un grand retentissement

La visite surprise de l'Empereur Guillaume II à Tanger en mars 1905 qui mit en exergue l’indépendance du Maroc, pays libre, fut un coup de poing diplomatique de l’Allemagne délaissée. À Tanger, Guillaume II déclara à Moulay Arafa, oncle du sultan Abdelaziz : « C’est au sultan du Maroc, Souverain indépendant, que je fais ma visite et j’espère que, sous sa haute souveraineté, un Maroc libre sera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole et sans annexion, sur le pied de l’égalité absolue.» L’Allemagne proposa alors la tenue d’une conférence internationale à Algésiras en 1906. Dans cette conférence de treize pays, l’Allemagne ne fut soutenue que par l’Autriche-Hongrie. Les États-Unis s’en tinrent seulement aux clauses garantissant la liberté de commerce. La France et l’Espagne s’attribuèrent de façon implicite des droits particuliers sur la police des ports marocains et un Français fut chargé de présider la Banque du Maroc. Ces dispositions étaient liées au fait que l’état marocain avait contracté à la France un prêt substantiel en 1904, pour financer la répression militaire contre le rebelle Bou Hmara. Il y avait en outre une vague promesse de liberté économique au Maroc qui n’engageait en rien les puissances. Dans les faits, le Maroc s’engageait à protéger des intérêts européens, chose qu’il ne pouvait assurer, ouvrant la voie à des actions de représailles ou de domination du Maroc par les Européens.

Le mécontentement allemand s’exprima tout d’abord de façon sourde. En 1908, les agents consulaires allemands au Maroc encouragèrent les soldats de la Légion étrangère à déserter, ce qui résulta en menaces de part et d’autre. C’est alors que l’Allemagne demanda et obtint le 9 février 1909 le principe de l’égalité économique au Maroc puis la formation d’un consortium pour l’exécution de grands travaux au Maroc. C’était une façon indirecte d’admettre un contrôle politique limité de la France tout en garantissant la liberté économique. Mais dans la pratique, il n’en résulta rien. De fait, le monopole du commerce fut réservé à la France. Dans l’esprit des négociateurs allemands, il s’agissait de se partager un certain nombre de monopoles alors que pour les négociateurs français, il s’agissait de garantir un libre marché. Dans les faits, 72% du commerce marocain se faisait avec la France et le Maroc et seulement 13% se faisait avec l’Allemagne. Les diplomates allemands réalisèrent qu’ils s’étaient fait leurrer et qu’ils ne pouvaient compter sur le principe de l’égalité économique sans implication politique sérieuse.

Puis ce fut le coup d’Agadir

La présence de la canonnière allemande Panther à Agadir en avril 1911 fut le second coup de poing diplomatique de l’Allemagne frustrée. En effet, l’armée française ne s’était plus cantonnée aux ports marocains pour en gérer les douanes, mais avait pénétré dans Fès la capitale et l’armée espagnole étendait son emprise sur Larache et Ksar El-Kebir. Français et Espagnols déclarèrent vouloir quitter les zones occupées par leurs troupes respectives si des unités militaires chérifiennes formées par leur soin prendraient la relève. De fait, les navires de guerre allemands Le Berlin, le Panther puis l’Eber patrouillaient au large d’Agadir. En outre, depuis plusieurs années, l’Allemagne tentait de rallier à son côté le caïd Mohamed Anflous, le Khalifa d’Agadir, le caïd Gellouli ainsi qu’Al-Hiba.

C’est alors que l’Allemagne accepta la prépondérance française au Maroc en échange d’un contrôle sur le Congo en Afrique-Équatoriale française. Paris valait bien une messe et une partie du Congo valait bien un protectorat au Maroc. Pour reprendre les mots du diplomate Henri Millet, le Congo était le « Sésame ouvre-toi ! » du Maroc. Le sultan Abdelhafid était désormais diplomatiquement isolé.

Mais la France finit par avoir le quasi monopole de l’occupation du Maroc.

René Millet qui militait pour agrandir l’Empire français, avait déclaré suite à la visite du kaiser à Tanger : « L’Allemagne nous a rendu le plus grand service en faisant du Maroc une question nationale au premier chef.» De fait, la compétition avec l’Allemagne explique peut-être la formation de la Ligue coloniale française en 1907 dont la mission était de faire l’éducation coloniale des Français. Cette ligue n’eut pas le succès espéré. D’autres formations étaient déjà en place : le Parti colonial regroupait des membres des professions libérales avait formé un Groupe colonial de la Chambre en 1892 et Groupe colonial du Sénat en 1898. À ces groupes s’ajoutaient ceux de Déjeuner au Maroc et de Déjeuner du Siam qui fusionnèrent pour former le Déjeuner Étienne, du nom d’Eugène Étienne qui était le moteur des organisations coloniales. Le Comité du Maroc sécurisa des prêts pour le gouvernement marocain.

L’Union coloniale française fondée en 1893 regroupa ceux qui avaient des intérêts aux colonies. Cette dernière formation eut son périodique, la Quinzaine coloniale et subventionna le journal Politique coloniale. Par ailleurs, le Comité de l’Afrique française fondé en 1890 était motivé par la défense des intérêts nationaux contre la compétition des autres puissances européennes. Le débat sur la séparation de l’Église et de l’État qui secoua la France déborda dans le parti colonial dont la branche laïque se sépara pour former le Comité d’action républicaine aux colonies. Au Maroc même, trois organismes furent fondés pour affermir la protection française au Maroc : la Société marocaine des Travaux publics, la Société internationale du tabac et l’Union des Mines. Parallèlement, le Ministre des Colonies Eugène Étienne assurait le kaiser que la France ne recherchait pas un Protectorat tout comme en Tunisie, mais voulait plutôt s’accorder une « prépondérance morale. » Cependant, la Ligue pangermanique ne cessa de critiquer les progrès de la pénétration française au Maroc et d’en saisir l’opinion publique.

Les évènements se chargèrent de hâter les choses. En 1912, le sultan Abdelhafid demanda la protection de la France pour se protéger des soulèvements berbères. Le général Moinier se mit en marche pour Fès avec 30 000 soldats. La France officialisa dans la Convention de Fès un traité de protectorat sur l’Empire chérifien et le général Hubert Lyautey fut nommé Résident général. Deux ans plus tard, des troupes marocaines s’embarquèrent pour combattre aux côtés de la France durant la Première Guerre mondiale… Plus de 40 000 hommes s’engagèrent dont les deux tiers combattirent en France. 11 000 y moururent au combat.

Lors de la Première Guerre mondiale, les consulats allemand et autrichien au Maroc sont fermés et les résidents allemands furent arrêtés ou rapatriés. Suite à l’entrée en guerre de l’Empire ottoman aux côtés de l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale, la propagande allemande appela à « la solidarité islamique contre les envahisseurs chrétiens. » Le sultan ottoman Mehmet V proclama la Guerre sainte et une fatwa en ce sens fut émise. L’Allemagne joua la carte panislamique en remettant les prisonniers de guerre musulmans, algériens pour la plupart, aux Ottomans : « Sa Majesté l’empereur d’Allemagne déclare ne faire aucune guerre contre le monde musulman et ordonne que les prisonniers de guerre musulmans des troupes françaises soient mis immédiatement en liberté et envoyés au sultan de Constantinople en qualité de Calife du Monde musulman. » Une propagande soutenue fut orchestrée par les frères Mannesman en Espagne; des liens spéciaux furent tissés avec le rebelle Raïssouli dans le Nord du Maroc et la désertion des légionnaires français fut encouragée. Forte de l’appui du sultan et des caïds, la France encouragea l’expression des institutions islamiques propres au Maroc.

Fait intéressant : en 1915, une mosquée fut construite à Zossen près de Berlin et une autre bâtie dans le jardin colonial de Nogent-sur-Marne. On émit des cartes postales de cette dernière, qui furent diffusées dans les colonies…

David Bensoussan

Pour lire d'autres extraits, suivre le lien [www.editionsdulys.com]




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 14 mars 2012 : 20:45

LA RÉPUBLIQUE DU RIF


Né en 1882, Mohamed ben Abd El-Krim Al Khattabi est le fils d’un cadi (juge islamique). Il fit des études religieuses traditionnelles qui l’amenèrent à l’université Karawiyine de Fès ainsi que des études de mines et de technologie militaire en Espagne. Il fut l’éditeur de la partie arabe du journal Telegrama del Rif et professeur de langue berbère à l’Académie arabe. Il reçut de nombreuses distinctions espagnoles: la médaille de l’Afrique, la Croix-Rouge militaire, la Croix-blanche et il fut nommé Caballero de Isabel la Catolica. En 1914, il fut nommé cadi de Melilla. Il fit de la prison pour s’être prononcé contre l’expansion de l’Espagne dans de nouveaux territoires au Maroc. Il s’évada et, avec son frère, ils s’employèrent à unir les tribus berbères du Rif. Il menaça l’armée espagnole si elle s’aventurait à franchir le fleuve Almekran dans sa poursuite contre le brigand Raïssouli. Son avertissement fut ignoré et l’armée espagnole commandée par Sylvestre perdit 179 soldats. Puis, à la bataille d’Anoual, l’Espagne perdit près de 16 000 soldats. Selon certains ouï-dires le général Sylvestre se serait suicidé. Le butin des Rifains fut considérable : 200 canons, 400 mitrailleuses, 20 000 fusils et des munitions en très grande quantité. Cette victoire rifaine eut un retentissement énorme en Europe.

Abd El-Krim, surnommé en son temps Si Mohand ou El-Rifi (le Rifain), était donc un Rifain qui sut mettre à profit ses liens avec l’administration espagnole à Melilla et l’expérience acquise par les soldats marocains durant la Première Guerre mondiale. En 1922, il déclara l’établissement de la République confédérée des Tribus du Rif en tenant tête à deux puissances européennes. La République rifaine prit le nom de Daoula Jumhurya Rifiya (la nation républicaine rifaine). Abd El-Krim avait l’appui des Rifains pour qui la réjection de l’Espagne et de la France avait une dimension religieuse. Cela dit, il avait des sympathies pour la révolution laïque ottomane et, selon un
Le drapeau et la monnaie de la République du Rif Abdelkrim (au centre) au moment de sa reddition




rapport de Robert Montagne destiné aux autorités du Protectorat,


« le gouvernement rifain incarnait le mépris de la tradition Makhzen et des traditions berbères.» Partisan d’un état moderne, Abd El-Krim abolit le droit coutumier berbère, lutta contre le maraboutisme et les confréries.


Comment la France et l’Espagne réagirent-elles?

Au début des années vingt, Lyautey était prudent et conseillait l’attentisme. Au mois de septembre 1923, Abd El-Krim captura la ville de Chefchaouen. Au mois d’avril 1925, Abd El-Krim attaqua le caïd Madboh qui avait changé de camp et l’attaque déborda contre des postes militaires de la zone française (peut-être en vue d’étendre son influence à la ville de Fès?) et ceci poussa les Espagnols et les Français à signer des accords de coopération militaires en 1925. C’est ainsi qu’une formidable machine de guerre est réunie : le sultan Moulay Youssef se dissocia complètement du rebelle Abd El-Krim et leva deux méhallas (soit 6 200 combattants) contre lui; 250 000 soldats espagnols commandés par Miguel Primo de la Rivera y Orbaneja et 200 000 soldats français commandés par le maréchal Philippe Pétain lancèrent une attaque contre Abd El-Krim dont l’armée devait compter près de 80 0000 combattants. Primo de la Rivera, qui avait instauré une dictature militaire à Madrid deux ans plus tôt, avait promis de « laver dans le sang le déshonneur militaire dans le Rif.» Pour Pétain, « Abd El-Krim refoulé sur son territoire mais non vaincu, apparaîtrait comme le symbole de la résistance insaisissable... en même temps que la France se révélerait impuissante...

On ne saurait trop souligner la gravité d’une telle éventualité qui serait de nature à réveiller de dangereuses ambitions. » Quatre cent soixante-dix-neuf tonnes de bombes auraient été lancées par l’armée française qui aurait en outre utilisé du gaz moutarde, en violation des accords internationaux. Le roi d’Espagne Alfonse XIII aurait affirmé en 1923 qu’il fallait laisser de côté les «vaines considérations humanitaires. » Bien qu’il eut critiqué l’utilisation de ces armes par les Espagnols, Lyautey demanda à la métropole de lui livrer des armes chimiques qu’il utiliserait en dernier recours. Devant la menace de génocide, Abd El-Krim se rendit en 1926.

Durant la seule année de 1925, la France perdit 2 218 soldats, soit plus du cinquième de toutes les pertes militaires en vies humaines jusqu’à la complète maîtrise du Maroc en 1933. Les pertes marocaines sont difficiles à estimer. Leur ordre de grandeur est certainement plus élevé.

Le jour de sa reddition, Abd El-Krim avait déclaré : « Votre civilisation est celle du fer. Vous avez de grosses bombes, donc vous êtes civilisés; je n’ai que des cartouches de fusil, donc je suis un sauvage ! »


Que devint Abd El-Krim?

Abd El-Krim, que l’on surnomma par la suite le Vercingétorix berbère, demeura fidèle à lui-même. Ce fut un révolutionnaire musulman. Il imputa sa défaite aux chefs religieux qui s’opposèrent à lui. Il ne fit aucune confiance aux puissances coloniales qui, selon lui, n’étaient là que pour assujettir les Maghrébins et s’emparer de leurs ressources. En 1926, il fut exilé à la Réunion, puis au Château Morange en France. En 1947, il s’évada en Égypte d’où il présida au Caire le Comité de libération du Maghreb arabe. Pour lui, le combat de l’ensemble des peuples maghrébins était indivisible et il reprocha au Maroc indépendant de pactiser avec la France alors que l’Algérie était occupée. Durant son exil, il donna sa caution morale pour la lutte de libération du Maghreb. Il mourut au Caire en 1963. Dans une entrevue accordée en 1952 à l’hebdomadaire égyptien Akher Saa, il mit en avant son identité rifaine en ces termes: « Je suis de race berbère et j'ignore à quel point vous nous sous-estimez mais j'affirme cependant que les berbères sont des gens avancés, qui ont hérité de nombreuses civilisations. Vous ignorez par exemple qu'en tant que berbère, je suis d'origine juive. Mes ancêtres sont ensuite devenus chrétiens, puis musulmans. Maintenant nous parlons l'arabe, langue du Coran, nous nous entendons en berbère, langue de nos aïeux mais nous conversons aussi en français, langue de notre pays asservi. »


Quelle fut l’attitude de la Troisième République française devant la guerre du Rif?

Dans l’ensemble, sauver le prestige de la France fut un thème qui revint souvent. Les presses de la droite et de la gauche étaient unanimes pour exiger une solution militaire rapide, la presse de gauche reprochant parfois au général Lyautey sa politique de modération. Pour la presse de droite, l’enjeu était non pas le Maroc, mais toute l’Afrique du Nord et aussi le prestige de la France; c’était même toute l’action de civilisation et de pacification de l’Occident qui risquait d’être remis en cause. L’extrême droite de Charles Maurras demandait d’ignorer la Convention de Genève et de gazer les Rifains. Pour la presse communiste, la guerre du Maroc était un crime contre tous les soldats envoyés à la mort au nom des banquiers et des financiers. Pour le Général Lyautey, «ce qui se joue au Rif c’est toute la puissance coloniale de l’Europe occidentale et surtout le destin de l’Empire africain de la France.» Toutefois, au-delà des réactions de propagande, on pouvait noter une certaine admiration d’Abd El-Krim.

Précisons qu’il se trouva des défenseurs d’Abd El-Krim outre-Manche. Un socialiste anglais du nom de John Arnall plaida « la cause juste de l’indépendance et celle – humanitaire – des populations civiles bombardées, pilonnées et souffrant cruellement de l’absence de protection sanitaire.» Toutefois, le gouvernement anglais refusa de recevoir une délégation espagnole conduite par John Arnall sous prétexte que « le Rif étant par les traités une zone d’influence espagnole, les Rifains sont par conséquence des rebelles contre l’autorité de l’Espagne amie.»

Quelle fut l’attitude de l’Espagne envers la guerre du Rif?

Commençons par préciser que depuis l’invasion napoléonienne, l’Espagne vivait en marge de l’Europe. Elle souffrait alors de sous-développement économique et la modernisation de son armée laissa à désirer. À la fin du XIXe siècle, l’Espagne perdit aux mains des États-Unis ses colonies de Cuba, des îles espagnoles des Antilles et des Philippines. Il est fort probable que l’Espagne se lança dans l’aventure coloniale au Maroc pour ne pas laisser le champ libre à la France. La guerre du Rif ne fut guère populaire en Ibérie, d’autant plus que les fils de familles aisées pouvaient être exemptés du service militaire moyennant une somme d’argent et que les pertes espagnoles furent particulièrement lourdes. En 1921, on évalua à 10 000 morts les pertes espagnoles lors de la seule bataille de Djebel Aroui. Pour le parti socialiste, le Maroc représentait «le tombeau de l’Espagne.» Les pertes financières des campagnes militaires au Maroc étaient alors de l’ordre de plusieurs milliards de pesetas. Certains allèrent à envisager de vendre le Rif à la France. Bien que la rébellion rifaine fût finalement sévèrement réprimée, le gouvernement ne s’identifia pas aux faits et gestes de l’armée, ce qui créa une grande méfiance des militaires envers les politiciens de la métropole.

Treize crises ministérielles secouèrent l’Espagne entre 1917 et 1923. Le général Miguel Primo de Rivera y Orbaneja suivit l’exemple de Mussolini qui, en 1922, instaura la dictature en Italie. En 1923, il suspendit la constitution espagnole de 1876 et se maintint au pouvoir jusqu’en 1930. Le roi d’Espagne Alfonse XIII abdiqua en 1931 et la Seconde République espagnole est proclamée.

En 1934, le parti conservateur avait demandé à l’armée espagnole au Maroc de combattre leurs compatriotes de la mouvance gauchiste qui seraient « à la solde de Moscou.» Les républicains qui prirent le pouvoir en 1936 voulurent diminuer la présence militaire au Maroc. Ceci eut un effet démoralisateur auprès du contingent espagnol au Maroc, d’autant plus que le gouvernement se proposait de revoir l’attribution - entachée d’irrégularités – de médailles octroyées aux combattants dans le passé.

Le Général Franco fut au nombre des officiers espagnols qui se distinguèrent durant la guerre du Rif. Il sut s’entourer de jeunes officiers capables, cimentés et motivés par l’expérience commune du combat. Ce fut à partir du Maroc que Franco amorça le soulèvement nationaliste. En 1936, la guerre civile éclata et, au bout de trois ans, les républicains disparurent du paysage politique espagnol. Le régime dictatorial de Franco fut dès lors instauré et perdura jusqu’à son décès en 1975.

Quelle influence la révolte d’Abd El-Krim eut-elle sur le nationalisme maghrébin?

Aux yeux du sultan Moulay Youssef, Abd El-Krim n’était qu’un autre rebelle parmi tant d’autres, sa république s’étant officiellement soustraite du pouvoir du Makhzen. L’appel lancé par Abd El-Krim à tous les Musulmans en 1925 n’eut pratiquement pas d’effet. Toutefois, ce fut en 1927 que la mouvance nationaliste commença à se manifester, non pas par les armes, mais par des pétitions et dans les journaux, cherchant à obtenir des appuis populaires dans l’opposition face aux mesures du dahir berbère et par le biais du ralliement autour de la personnalité du sultan, évènements que nous traiterons ultérieurement dans cet ouvrage. En 1925, durant la campagne du Rif, un mouvement d’opinion s’affirma en Tunisie, où les évènements étaient suivis de très près. La campagne menée contre l’envoi de tirailleurs tunisiens dans le Rif, par la gauche et par les nationalistes modérés ne réussit pas. Ailleurs, certains journaux arabes parlèrent d’Abd El-Krim en termes louangeurs. Le journal égyptien Al-Manar le compara au héros d’une nouvelle Andalousie. Plusieurs décennies plus tard, les tactiques de guérilla d’Abd El-Krim inspirèrent des tactiques similaires au moment de la résistance armée contre la France au Maghreb.

De son temps et pour les générations qui suivirent, Abd El-Krim est entré dans la légende.

Une question, cependant : le drapeau rifain comprend une étoile de David à 6 branches.

L’étoile à six branches a longtemps été l’emblème du Maroc. De fait, les pièces de monnaie étaient souvent gravées avec une étoile à six branches. La grande majorité des emblèmes postaux était également frappés à l’effigie d’une étoile à six branches. Ce serait à l’instigation du général Lyautey que le sultan Moulay Youssef émit un dahir en 1915 précisant que « Nous avons décidé de distinguer notre bannière en l’ornant du sceau de Salomon à cinq branches, de couleur verte, pour qu’il n’y ait plus de confusion entre les drapeaux créés par nos ancêtres et d’autres drapeaux."

Dans une étude du symbole de l’hexagramme The Magen David, (le bouclier de David), Gunther Plaut a mentionné son antiquité : ce symbole se retrouve dans des poteries datant du XIIIe siècle d’avant l’ère courante à Gezer au Canaan et aussi dans les pièces de monnaie datant de la période de Bar Kokhva au début du second siècle de l’ère courante qui contiennent une rosace à six branches. On retrouve l’hexagone, mais également l’octogone, dans la bible de Leningrad datant de l’an 951 et au Moyen Âge, les sceaux juifs comprennent ce symbole. Mais ce dernier ne fut pas exclusivement juif. Au XIVe siècle, on représenta les drapeaux lithuanien, polonais, anatolien, marocain et ottoman avec un hexagramme. Ce qu’il est intéressant de noter est que, vingt ans après l’adoption du drapeau du futur état juif, les Juifs d’Afrique du Nord firent savoir à l’Organisation sioniste mondiale qu’ils ne trouvaient pas ce symbole exclusivement juif !

Pour revenir à Abd El-Krim, il protégea la communauté israélite qui lui voua une extrême reconnaissance. Par ailleurs, par décret royal d’Espagne, il fut créé la Médaille de la paix du Maroc qui fut remise à Don Jaime Delmar en reconnaissance pour son action humanitaire auprès des deux parties de la guerre du Rif. À cette occasion, un certificat spécial lui fut remis dans lequel l’étoile de David remplaça la croix catholique.

David Bensoussan

Extrait du livre de David Bensoussan "Il etait une fois le Maroc" (details ci-dessus)
Pour lire d'autres extraits, suivre le lien [www.editionsdulys.com]




"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 juin 2012 : 20:38

Nouvel extrait du livre "Il etait une fois le Maroc..." de David Bensoussan dont les details figurent plus haut.

LE MARÉCHAL LYAUTEY



Quel fut le crédo de Lyautey?

On peut se faire une idée de l’état d’esprit initial du maréchal en lisant un extrait de sa préface à l’ouvrage du roman de Segonzac Florinda la Byzantine qui retrace la perte de l’Espagne par les Visigoths. « Quatre cents ans de colonisation romaine et carthaginoise, un siècle d'orgie vandale, deux cents ans de raffinements byzantins, onze siècles de ténèbres musulmanes...et puis, voici la France !» En débarquant au Maroc, Lyautey déclare que « le Maroc n’est pas une nation, mais une poussière humaine, une nébuleuse, un puzzle de tribus indépendantes et batailleuses.»

Il était imbu de sa mission : «…ce magnifique objet de l’œuvre coloniale, fertilisant le monde, appelant les terres et les peuples endormis à la vie complète, qui en fait la grandeur et la beauté au-dessus de toutes les distinctions de nations et de frontières. Oserais-je dire que de toutes les formes de l’action humaine, nulle ne répond mieux que l’œuvre coloniale au plan providentiel, à cette loi que nous voyons aux premiers chapitres de la Bible, imposée à l’homme placé sur la terre pour qu’il la cultive à la sueur de son front.»

Avant toute chose ce fut un brillant administrateur. Il n'était guère dupe et n'ignorait pas qu'il fermait les yeux sur bien des abus de la part des colons et des caïds aussi. En effet, il faisait une politique des caïds en maintenant en place l'administration caïdale, notamment le Glaoui de Marrakech. Il était conscient de ce que «ce n'était pas avec des pucelles qu'on bâtit des empires.» En outre, Lyautey a réussi à se créer une image de modération lors de sa « campagne de pacification du Maroc » qui ne traduisit pas toujours la réalité sur le terrain. Il a eu à sa disposition une pléthore de relationnistes qui en ont fait un profil idyllique sinon dithyrambique de « sabre politique », soit celui d’un soldat doublé d’un négociateur. À son mérite, il préconisa le respect des institutions marocaines en place et ne tenta pas d’imposer aux Marocains une vision et une structure sociale qui leur étaient étrangères. Il instaura un service de renseignement efficace, le Service des Affaires indigènes, qui lui permit de faire avancer sa politique de pénétration. Il usa de la force seulement lorsque des négociations « d’apprivoisement » échouèrent. Aux dires de ses biographes, il alla jusqu’à fixer avant la bataille, l’emplacement ou le vaincu pourra, le lendemain, trouver une infirmerie pour y panser ses blessures… Il fut nommé Ministre de la Guerre en 1917 et conçut une grande aversion pour la politicaillerie de la troisième République. Il fut nommé Maréchal de France en 1921.

Soulignons que la politique de pacification de Lyautey avait déjà donné des résultats alors qu’il était posté dans le Sud algéro-marocain. En 1904, Eugène Étienne, alors chef incontesté du groupe colonial en France, témoigna son appui à Lyautey en ces termes : « C’est en faisant la tache d’huile, en passant d’une tribu soumise à une tribu insoumise, que le général entend mener à bien la pacification de cette région... Il procède du Sud vers le Nord. Une tribu soumise du Nord forme ainsi entre la tribu voisine du Nord et les populations nomades méridionales une sorte de zone tampon… La jonction s’opérera tout naturellement entre les territoires pacifiés du Sud et ceux qui feront leur soumission au Nord.»
Pour Lyautey, « la force n’est montrée que pour en éviter l’emploi… Il importe de ne pas laisser sous soi ni haine ni destruction, alors que toute l’œuvre ultérieure devra être de collaboration et de construction. » Lyautey eut recours aux moyens militaires lorsqu’il n’eut pas le choix, tout comme dans la campagne militaire contre Abd El Krim dans le Rif.

De façon générale, Lyautey essaya de se faire accepter par les notables arabes et berbères, faisant preuve d’un grand respect pour l’islam, les traditions marocaines et l’autorité du sultan. Il avait un sens du décorum auquel les Marocains étaient fort sensibles. Il arrivait à convaincre les notables de son intention de faire épanouir le Maroc dans toutes les dimensions et se consacra avec grand allant à la modernisation du Maroc. Il préférait la persuasion et l’adhésion à l’injonction et à l’obéissance. Il entretint des contacts permanents avec plusieurs segments de la population, s’informait de leur situation et de leurs désirs, créant une atmosphère de confiance et de symbiose. En signe d’honneur, les Marocains lui rapportèrent un morceau d’étoffe qui couvrait la Kaaba à La Mecque, honneur qui était traditionnellement réservé aux monarques musulmans. Il fit annuellement le voyage au lieu de pèlerinage de Moulay Idriss et déposa des pièces d’or dans le tronc des pauvres. Lorsqu’une maladie grave l’atteint, des docteurs de la Loi musulmane firent des prières pour lui et proposèrent de prononcer une prière pour sa guérison au mausolée de Moulay Idriss.


Comment la gouvernance fut-elle organisée?

Le Makhzen restait en place, un secrétariat du gouvernement chérifien faisant le lien entre le Makhzen et le Protectorat français. Ce secrétariat fut par la suite remplacé par trois Directions autonomes traitant les affaires civiles, les affaires indigènes et les affaires chérifiennes. Cette dernière Direction était en charge de nouveaux vizirats : le grand vizirat en charge du gouvernement, le ministère des Habous et le grand vizirat à l’enseignement. Toutefois, les anciens vizirats des Affaires étrangères, des finances et de l’armée disparurent. Le vizirat des réclamations devint vizirat de justice, mais sa compétence fut limitée aux questions islamiques. Le tribunal du pacha traitait des affaires civiles et celui du cadi de questions relevant du statut personnel et des successions. Un commissaire du gouvernement chérifien assurait le contrôle de ces deux tribunaux. Dans les villes, le pacha était gouverneur soumis à l’autorité du grand vizir, assisté du chef des Services municipaux - qui avait des prérogatives de contrôle - et de la commission municipale désignée par arrêté viziriel. Dans les campagnes, la direction des Affaires civiles contrôlait les tribus soumises alors que la Direction des affaires indigènes contrôlait les zones encore soumises à l’autorité militaire. Par ailleurs, le régime des capitations et la justice consulaire furent abolis en 1913 et la justice française s’occupa dorénavant de tous les résidents étrangers au Maroc.

Ainsi, l’élite traditionnelle associée au pouvoir, soit celle des grandes familles marchandes, des familles associées au Makhzen et les chorfas, n’étaient pas directement touchées par la nouvelle administration française, du moins dans l’immédiat. En marge à ces directions à caractère politique, d’autres directions assuraient la bonne marche du gouvernement et la modernisation de l’état marocain : finances, travaux publics, production industrielle et mines, agriculture et forêts, commerce et marine marchande, santé et hygiène publique, postes, instruction publique, travail et questions sociales. En pratique, la Résidence contrôlait le Makhzen, l’appareil gouvernemental et les autorités locales mais respectait intégralement les institutions religieuses. Un conseiller du Gouvernement qui était en même temps Directeur général des affaires chérifiennes fit la liaison entre la Résidence et les autorités chérifiennes.

La vision de Lyautey fut celle de la « fusion des élites » françaises et marocaines toutes formées dans le même creuset éducationnel. Il encouragea ses officiers à apprendre la langue arabe et à socialiser avec les Marocains. Son mot d’ordre fut : « Contact, contact, contact… Adaptons-nous les uns aux autres.» Sa vision était celle d’un protectorat était « la pénétration économique et morale d’un peuple, non par l’asservissement à notre force, ou même à nos libertés, mais par une association étroite dans laquelle nous l’administrons dans la paix par ses organes de gouvernement, ses coutumes et ses libertés.»

Il donna l’exemple en 1917 en déclarant à une assemblée de notables marocains : « Tout en représentant le gouvernement de la France, je m’honore d’être le premier serviteur de Sidna (le sultan).»
Dans la réalité, les choses évoluèrent autrement car l’administration française, indirecte au départ, finit par devenir centralisatrice et directe. À ce propos, Lyautey lançait un avertissement : « Ce serait absolument une illusion de croire que les Marocains ne se rendent pas compte de la mise à l’écart des fonctions publiques dans laquelle ils sont tenus. Ils en souffrent et ils en parlent. De là à être accessibles aux suggestions hostiles, il n’y a qu’un pas. » Il ajoutait : « Ce n’est pas impunément qu’ont été lancés à travers le monde les peuples à disposer d’eux-mêmes et les idées d’émancipation et d’évolution dans le sens révolutionnaire. Il faut bien se garder de croire que les Marocains échappent ou échapperont encore longtemps à ce mouvement général.»
Du point de vue de la sécurité intérieure, le changement fut majeur : avant le Protectorat, la police était assurée par les Mokhaznis du pacha à l’intérieur des murailles de la ville et aucun voyageur ne pouvait y pénétrer après le coucher du soleil. S’aventurer en dehors de la ville pouvait être hasardeux. À titre privé, il était possible de louer les services de garde des Jebala (montagnards) armés. Après le Protectorat, la police municipale fut restructurée et placée sous le contrôle du chef des Services municipaux. Les routes devinrent plus sûres qu’elles ne l’avaient jamais été. La sécurité intérieure fut ainsi renforcée.


Que retint-il de l’expérience marocaine?

La citation suivante datant de 1920 éclaire sa vision du Maroc à la lumière de la réalité qu’il y découvrit : « Ici, nous avons réellement trouvé un État et un peuple. Il passait il est vrai, par une crise d’anarchie mais crise relativement récente, et plus gouvernementale que sociale.» Il envisageait dans la sérénité un Maroc indépendant dans l’avenir : « Il y a à prévoir, et je crois comme une vérité historique, que dans un temps plus ou moins lointain, l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là, et ce doit être le suprême but de notre politique, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent toujours à se tourner avec affection vers la France.» Il recherchait « un accord de volontés entre deux peuples.» Au terme de sa vie il fera l’appréciation suivante : « Ce qui constitue le fond des populations marocaines, c’est le Berbère, laborieux, ordonné, amoureux des institutions familiales, municipales et corporatives et que, sous une toute petite minorité turbulente, j’ai trouvé bien vite une vaste majorité assoiffée d’ordre, de paix et d’autorité – populations laborieuses des campagnes, haute bourgeoisie commerçante et cultivée, aristocratie élégante et raffinée, j’ai retrouvé là les éléments de cette hiérarchie sociale que je regarde, comme la condition essentielle de la solide structure et de la bonne santé d’une société.»
Il n’en demeure pas moins qu’il fut détesté par de nombreux officiers qui trouvaient qu’il prenait à son compte toute la gloire de leur action. Il en fut de même avec le Quai d’Orsay qui le considéra comme sa « bête noire.» On attribue les propos suivants au ministre Georges Clémenceau alias Le Tigre : « Lyautey? Je n’ai que lui sous la main. Les autres sont des brutes ou des crétins qui massacrent les populations ou font tuer leurs hommes pour rien. Mais Lyautey m’énerve. On ne rentre pas dans l’armée pour faire de la politique, mais pour obéir - j’insiste sur le mot - au politique. Avec des hommes comme lui, il faudrait que la France diffuse la Civilisation dans le monde entier … » Beaucoup de colons n’appréciaient guère la politique respectueuse de Lyautey envers les indigènes. Une rumeur non authentifiée aurait circulé à la Résidence à propos de Lyautey qui prit femme à l’âge de 55 ans : « Lyautey est un général qui a des c…, mais le problème est qu’il les plante au mauvais endroit.»

Lorsque le commandement de la guerre du Rif fut confié à Pétain en 1925, Lyautey démissionna. Il partit sans tambour ni trompette. Retraité dans sa Lorraine natale, il mourut en 1934, âgé de 89 ans.

"Il etait une fois le Maroc..." par David Bensoussan
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 juin 2012 : 20:45

une nouvelle version augmentée et illustrée du livre de David Bensoussan

"IL ÉTAIT UNE FOIS LE MAROC"



est disponible sous forme électronique et papier aux éditions iuniverse.

L'ouvrage peut être commandé sur le site www.iuniverse.com

Version papier : ISBN 978-1-4759-2608-8, 620p.

Version électronique : ISBN: 978-1-4759-2609-5, 620p.

Ou encore sur les sites Indigo, Amazon et Barnes & Noble.

Livre de David Bensoussan "Il était une fois le Maroc"
Posté par: Claire CASTAGNOU (IP enregistrè)
Date: 03 novembre 2012 : 16:35

[attachment 17543 books.jpg]

David Bensoussan lauréat
du Prix littéraire Haïm Zafrani
pour son livre d'Histoire "Il était une fois le Maroc"



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